Instruction
 
 
INSTRUCTION DE VLADIMIR MONOMAQUE
 
 
Moi pauvre, par mon oncle Iaroslav, le béni, l'illustre appelé au baptême Basile, de mon nom russe Vladimir, appelé par mon père bien-aimé et par ma mère Monomaque
 
(manque 5 ligne …)
 
et à cause du peuple chrétien, tant qu'il [Dieu] me préservera dans sa miséricorde et à cause des prières paternelles de tous les maux. Étant assis dans mon traîneau, j'ai médité dans mon âme et j'ai loué Dieu qui m'a conduit pécheur, jusqu'à ces jours. Oui, mes enfants, ou quiconque entendra cette écriture, ne riez point, mais quiconque de mes enfants prendra cet écrit à cœur, qu'il ne soit point paresseux et qu'il se mette à l'oeuvre. D'abord, pour l'amour de Dieu et de votre âme, ayez la crainte de Dieu dans votre coeur, faites largement l'aumône; car c'est le commencement de tout bien. Si cet écrit ne plaît pas à quelqu'un, qu'il ne s'en moque point et qu'il ne dise point : «Durant un lointain voyage, assis sur ton traîneau, tu as dit des sottises.»
    Or des ambassadeurs de mes frères sur le Volga me rencontrèrent et il me dirent : «Hâte-toi vers nous que nous chassions les fils de Rastislav et prenions leurs biens; si tu ne viens pas avec nous, nous vivrons chacun de notre côté, nous pour nous, toi pour toi.» Et je leur dis : «Quand même vous vous mettriez en colère je ne puis aller avec vous, ni violer mon serment.» Et les ayant renvoyés, je pris le psautier; je l'ouvris et voici ce que je lus : «Pourquoi es-tu triste mon âme ? Pourquoi m'affliges-tu ?» Je rassemblai ces bonnes paroles, je les mis en ordre et je les écrivis. Si les dernières ne vous plaisent pas, vous accueillerez certainement les premières. «Pourquoi es-tu triste ô mon âme ? Pourquoi m'affliges-tu ? Espère en Dieu; car je le célébrerai encore.» (Ps 42,12) Ne t'irrite point à cause des gens malins. Car les méchants seront retranchés, mais ceux qui s'attendent à l'Éternel hériteront la terre. Encore un peu de temps et le méchant ne verra plus; tu considéreras son lieu et il n'y sera plus.
    «Mais les débonnaires posséderont la terre et jouiront à leur aise d'une grande prospérité. Le méchant machine contre le juste et grince des dents contre lui. Le Seigneur se rira de lui; car il a vu que son jour approche. Les méchants ont tiré l'épée, ils ont bandé leur arc pour abattre l'affligé et le pauvre et pour égorger ceux qui marchent droit; mais leur épée entrera dans leur propre coeur et leurs arcs seront rompus. Le peu du juste vaut mieux que l'abondance de biens de plusieurs méchants. Car les bras des méchants seront rompus, mais l'Éternel soutient les justes. Les méchants périront … le juste a compassion et il donne. Ceux qui le béniront hériteront la terre, mais ceux qui le maudiront seront retranchés. Les pas de l'homme de bien sont dirigés par l'Éternel. S'il tombe il ne sera point abattu, car l'Éternel lui soutiendra main. J'ai été jeune et j'ai atteint la vieillesse; mais je n'ai pas vu le juste abandonné, ni sa postérité mendiant son pain. Il est toujours ému de pitié et il prête et sa postérité est en bénédiction. Retire-toi du mal et fais le bien et tu auras une habitation éternelle.» (Ps 37,9-17; 20-27). Si les hommes se levaient, ils nous dévoreraient tout vivants; si leur fureur s'irritait contre nous, l'eau nous engloutirait. Aie pitié de moi, ô Dieu ! car l'homme mortel m'a englouti et m'opprime, m'attaquant tous les jours.» (Ps 56,2)  «Le juste se réjouira quand il aura vu cette vengeance; il lavera ses mains dans le sang du méchant, et chacun dira : Si l'homme de bien réussit, il y a un Dieu qui juge sur la terre.» (Ps 58,11-12). «Mon Dieu ! délivre-moi de ceux qui s'élèvent contre moi. Délivre-moi des artisans d'iniquité et sauve-moi des hommes sanguinaires. Car ils m'ont dressé des embûches.» (Ps Ps 64,1-4). «La colère est dans sa vivacité et la vie dans sa volonté; le soir l'homme est dans les larmes et le matin dans la joie; ton amour est plus fort que ma vie et mes lèvres te louent. Je te bénis tant que je vis et en ton nom j'élève mes mains.» (Ps ?). «Mets-moi à couvert des desseins secrets des malins et de la conjuration des artisans d'iniquité.» (Ps 54,3). «Réjouissez-vous, vous tous qui avez le cœur juste; je bénirai l'Éternel en tout temps; gloire en tout temps à lui.» (Ps 34)
    C'est ainsi que Basile a enseigné; il a rassemblé ici ces jeunes gens, des âmes pures, sans tâche, des corps vierges. Il leur a appris à parler modestement, à répéter les paroles du Seigneur, à se taire devant les vieillards, à écouter les sages, a s'humilier devant les anciens, à avoir de la charité pour les égaux et les inférieurs, à parler sans artifice, à bien comprendre, à ne pas élever le voix, à ne pas injurier, à ne pas rire avec excès, à avoir du respect pour les vieillards, à ne pas parler aux femmes impudiques, à tenir les yeux baissés et l'âme élevée, à ne pas exciter les imprudents, à ne pas rechercher la domination, même si tout le monde vous honore. Si quelqu'un d'entre vous peut rendre service à un autre [disait Basile] qu'il attende sa récompense de Dieu et il jouira des biens éternels … O souveraine mère de Dieu, ôte de mon coeur l'orgueil et l'arrogance pour que je ne me laisse pas entraîner par la vanité de ce monde. Dans cette vie passagère, apprends, ô fidèle, à être pieux, apprends, d'après la parole de l'Évangile, à diriger tes yeux, à tenir ta langue, à modérer ton esprit, à soumettre ton corps, à dompter ta colère, à avoir une pensée pure; applique-toi aux bonnes oeuvres au nom du Seigneur. Dépouillé, ne vous vengez pas; haï ou persécuté, souffrez, insulté, priez; tuez le péché, sauvez les offenses, jugez en faveur de l'orphelin. Rendez justice à la veuve. Venez et débattons nos droits, dit le Seigneur; quand vos péchés seraient comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la neige (Is 1,18), etc … Le printemps du jeûne et la fleur de la pénitence brillent également; purifions-nous, mes frères, de toute souillure corporelle et spirituelle et élevons la voix vers Celui qui donne la lumière, disant : Gloire à toi qui aime les hommes. En vérité, mes enfants, comprenez combien Dieu qui aime les hommes est gracieux et miséricordieux. Nous hommes, pécheurs et mortels, si quelqu'un nous offense, nous voulons aussitôt le sacrifier et verser son sang. Et notre Seigneur de qui dépend la vie et la mort souffre nos péchés [que nous mettons] sur nos têtes et cela pendant toute notre vie, comme un père qui aime son enfant, le frappe et le rappelle à lui. C'est ainsi que le Seigneur nous a indiqué le moyen de vaincre l'ennemi, par trois moyens, la pénitence, les larmes et l'aumône. Ainsi, mes enfants, ce n'est pas un commandement pénible que celui qui nous permet d'effacer nos péchés par ces trois oeuvres et de ne pas perdre le royaume du ciel. Pour l'amour de Dieu, ne vous relâchez pas, je vous en supplie, n'oubliez pas ces trois oeuvres; car elles ne sont pas difficiles : la vie solitaire, la vie monacale, le jeûne que d'autres justes s'imposent [ne sont pas indispensables]; on peut par un léger effort obtenir la grâce de Dieu. «Qu'est-ce que l'homme [ô Seigneur] pour que tu te souviennes de lui ?» (Ps 8,5) Tu es grand et tes oeuvres sont merveilleuses; aucune intelligence humaine ne peut raconter tes merveilles. Disons encore : Tu es grand, Seigneur, et tes oeuvres sont merveilleuses; ton nom est béni et digne de gloire dans les siècles par toute la terre. Qui ne louerait pas et ne célébrerait pas tes forces, tes grands miracles et tes bienfaits accomplis dans ce monde ? Comment le ciel est établi, comment le soleil, comment la lune, comment les étoiles, l'ombre, la lumière et la terre posée sur les eaux, ô Seigneur, par ta Providence. Les différents animaux, les oiseaux, les poissons sont ornés par ta Providence, ô Seigneur. Et nous admirons ce miracle, comment avec de l'argile tu as fait l'homme, combien tu lui as donné de figures; si tout l'univers se réunissait ensemble, il n'y aurait pas deux figures semblables, mais chacun a son visage particulier en vertu de la sagesse divine. Et nous admirons aussi comment les oiseaux du ciel arrivent au printemps et viennent d'abord chez nous, et ne s'arrêtent pas sur un seul pays, mais faibles ou forts se répandent par tous les pays par l'ordre de Dieu pour peupler les bois et les champs. Tout cela a été donné par Dieu pour le plaisir de l'homme, pour sa nourriture, pour sa réjouissance.
    Grande est, ô Seigneur, ta miséricorde à notre égard, d'a voir créé ces agréments pour l'homme pécheur. Ces oiseaux du ciel instruits par toi, Seigneur, chantent quand tu l'ordonnes et réjouissent les hommes et quand tu l'ordonnes, bien qu'ils aient une langue, ils se taisent. Tu es béni, Seigneur, et glorifié, d'avoir fait tous ces miracles et ces bienfaits. Celui qui ne te loue pas, ô Seigneur, et ne croit pas de tout son coeur et de toute son âme au Père, au Fils et au sain Esprit, qu'il soit maudit !
    En lisant ces paroles pieuses, mes enfants, louez Dieu qui nous adonné sa grâce, et qui vous donne cette instruction de mon humble intelligence. Écoutez-moi et si vous n'acceptez pas tous mes conseils acceptez-en au moins la moitié. Si Dieu attendrit vos coeurs, versez des larmes sur vos péchés disant : «Comme tu as pitié de la pécheresse, du voleur et du publicain, aie aussi pitié de nous, pécheurs.» Faites cela dans l'église et en vous couchant. Ne manquez pas un seul soir, si vous le pouvez, de vous incliner jusqu'à terre au moins trois fois, si vous ne pouvez pas plus. N'oubliez pas cela, ne soyez pas négligents, car par ces adorations nocturnes, et par ces chants l'homme est vainqueur du démon; il rachète ainsi ses péchés de la journée. Et quand vous allez à cheval, si vous n'avez affaire à personne, et que vous ne sachiez pas d'autre prière, répétez sans cesse en secret : «Seigneur, aie pitié.» Car c'est la meilleure de toutes les prières. Et cela vaut mieux que de penser à de mauvaises choses. Par-dessus tout n'oubliez pas les pauvres, mais autant que vos moyens le permettent, nourrissez-les, donnez à l'orphelin, protégez le droit de la veuve, et ne permettez pas aux puissants de perdre leur prochain. Ne tuez pas aucun homme juste ou criminel et ne permettez pas de le tuer; si un homme doit être condamné à mort, gardez-vous de perdre l'âme d'un chrétien.
    Quand vous racontez quelque chose de bien ou de mal, ne jurez pas par Dieu, ne vous signez point; il n'en est nul besoin. Si vous baisez la croix pour faire un serment à votre frère ou à quelqu'un d'autre, sondez bien votre coeur pourvoir si vous êtes disposé à tenir votre parole; alors baisez-la et ensuite prenez bien garde de perdre votre âme par une transgression. En ce qui concerne les évêques, les popes, les higoumènes, recevez leur bénédiction avec amour, ne vous éloignez pas d'eux; aimez-les suivant vos forces et tâchez d'obtenir qu'ils prient Dieu pour vous. Surtout n'ayez pas d'orgueil dans le coeur ni dans la pensée, mais dites : Nous sommes mortels. Aujourd'hui nous vivons; demain nous sommes dans le tombeau; tout ce que tu nous as donné n'est pas nôtre, mais tien : tu nous l'as confié pour peu de jours. Ne cachez pas [de trésors] dans la terre; c'est un grand péché. Honore les anciens comme un père et [aime] les jeunes comme des frères. Ne soyez point négligents dans votre maison, mais voyez tout par vous-même; ne comptez ni sur votre intendant ni sur votre serviteur, de peur que les hôtes qui vous visitent ne rient de votre maison ou de votre festin. A la guerre ne soyez pas négligents; ne vous fiez pas à vos voïévodes. Ne vous abandonnez ni à la boisson, ni au manger, ni au dormir; mettez vous-même les sentinelles; ne vous couchez le soir que quand vous les aurez placées de tous côtés autour de l'armée; levez-vous de grand matin; n'ôtez pas votre armure en hâte, sans avoir tout examiné; car l'homme périt tout à coup. Évitez le  mensonge, l'ivrognerie et la débauche; car c'est là que périssent le corps et l'âme. Dans vos voyages, partout où vous passez dans vos domaines, ne permettez pas à vos serviteurs, ni à ceux des autres de faire des dommages, ni dans les villages, ni dans les champs, pour qu'on ne vous maudisse pas. Partout où vous allez, où vous vous arrêtez, donnez à boire et à manger au mendiant. Surtout honorez l'hôte, d'où qu'il vienne, pauvre, noble, ambassadeur; si vous ne pouvez lui faire de présent, offrez-lui à boire et à manger. Car les voyageurs vous feront connaître dans tout pays pour bons ou pour mauvais. Visitez les malades, accompagnez les morts, car nous sommes tous mortels. Ne passez pas devant un homme sans le saluer et lui donner une bonne parole. Aimez vos femmes, mais ne leur donnez pas de pouvoir sur vous. Enfin, ce qui est au dessus de tout, ayez par-dessus tout la crainte de Dieu. Si vous craignez d'oublier [mes préceptes], relisez souvent cette instruction. Je n'aurai pas de honte et cela sera bon pour vous. Ce que vous savez de bon, ne l'oubliez pas, et ce que vous ne savez pas, apprenez-le; mon père tout en restant chez lui avait appris cinq langues; cela fait honorer [un homme] dans les autres pays. Car la paresse est la mère de tous les vices; ce qu'on savait, on l'oublie; et ce qu'on savait pas, on ne l'apprend point. Quand on fait le bien, on ne doit négliger rien du bien, surtout en ce qui concerne l'église. Que le soleil ne vous trouve pas au lit. Ainsi faisait feu mon père et font tous les gens vraiment bons. D'abord rendez à Dieu l'action de grâces du matin, ensuite quand le soleil se lève, dès que vous le voyez louez Dieu, disant avec joie : «Éclaire mes yeux, Seigneur Christ, qui m'as donné ta belle lumière ! Seigneur ajoute encore une année à la présente année afin qu'après m'être repenti de mes péchés et avoir rectifié ma vie, je puisse louer Dieu.» [Ensuite] vous [pourrez] vous asseoir pour délibérer avec votre droujina, ou juger le peuple ou aller à la chasse et ensuite faire la sieste; car Dieu a établi le sommeil de midi; c'est l'heure où se reposent les animaux, les oiseaux et les hommes.
    Je vous dirai maintenant, mes enfants, les fatigues que j'ai supportées durant treize années de voyages et de chasses. D'abord j'allai à Rostov par le pays des Viatitches; mon père m'y envoya et alla lui-même à Koursk. J'allai ensuite à Smolensk avec Stavek Skordetisch; lui alla ensuite à Bérestié avec Iziaslav et m'envoya à Smolensk; puis de Smolensk j'allai à Vladimir. Le même hiver ils m'envoyèrent mon frère à Bérestié pour visiter des bois qu'on avait brûlés [pour en faire du charbon] et je les fis entourer d'une enceinte. Ensuite j'allai à Péréïaslavl chez mon père et après Pâques j'allai de Péreïaslavl à Vladimir faire la paix avec les Lekhs à Souteiska. De là ensuite je revins pendant l'été à Vladimir. Ensuite Sviatoslav m'envoya chez les Lekhs; je dépassai Glogov vers la forêt de Bohème et je voyageai pendant quatre mois dans leur pays. Cette même année me naquit un fils [Mstislav] de Novogorod. J'allai ensuite à Tourov, de là au printemps à Pérélaslavi; puis encore à Tourov; Sviatoslav mourut et j'allai encore à Smolensk; de Smolensk, le même hiver à Novogorod. Au printemps j'allai au secours de Gleb; l'été j'allai avec mon père à Polotsk : et l'autre hiver j'allai avec Sviatopolk contre Polotsk qui fut brûlé; il alla à Novogorod et moi avec les Polovtses jusqu'à Odresk, en faisant la guerre. Ensuite à Tchernigov et de Smolensk, j'allai chez mon père à Tchernigov. Et Oleg vint amené de Vladimir et je l'invitai à dîner avec mon père à Tchernigov dans le Palais Rouge et je donnai à mon père trois cents grivuas d'or. Puis en revenant de Smolensk je me frayai un chemin à travers l'armée polovtse jusqu'à Péréïaslav et je trouvai mon père qui revenait d'une expédition. Puis nous marchâmes cet été avec mon père et avec Iziaslav nous battre contre Boris à Tchernigov et nous battîmes Boris et Oleg; puis nous retournâmes à Péréiaslavl et restâmes dans nos retranchements. Et Vseslav brûla Smolensk, et moi je partis avec les Tchernigoviens, avec deux chevaux, mais nous ne l'atteignîmes point à Smolensk; je le poursuivis; je brûlai le pays et le ravageai jusqu'à Loukoml et Logosk, puis je marchai sur Droutchesk et sur Tchernigov. Cet hiver les Polovtses pillèrent tout Starodoub et moi je marchai avec les gens de Tchernigov contre les Polovtses et sur la Desna nous primes les princes Asadouk et Saouk et nous vainquîmes leurs troupes; le lendemain au delà de Novogorod nous dispersâmes l'armée considérable de Belkatgin; nous leur primes des sabres et beaucoup de butin. Nous marchâmes pendant deux hivers contre les Viatitches, [leur prince] Khodota et son fils; le premier hiver je marchai contre Kordno; ensuite contre les fils d'Iziaslav au delà de Mikoulin, mais nous ne les atteignîmes point. Ce même printemps nous réunîmes avec Sviatopolk à Brody; l'été suivant nous poursuivîmes au delà du Khorol les Polovtses qui avaient pris Gorochin; à l'automne nous allâmes avec les Tchernigoviens, les Polovtses, et les Tchitéiévitches, contre Minsk; nous primes la ville et n'y laissâmes ni un esclave, ni une tête de bétail. L'hiver suivant nous allâmes nous réunir à Iaropolk à Brody et nous conclûmes une ardente amitié. Au printemps mon père m'établit à Péréïaslavl en présence de mes frères et nous allâmes au delà de la Soupol. En approchant de la ville de Prilouk nous fûmes tout à coup rencontrés par des princes polovtses à la tête de huit mille hommes; nous aurions bien voulu nous battre avec eux, mais nous avions envoyé nos armes en avant sur des voitures et nous dûmes entrer dans la ville; ils ne prirent en vie que Semtsa et quelques paysans; mais les nôtres prirent et tuèrent un certain nombre de Polovtses; ils n'osèrent même pas prendre leurs chevaux en main et s'enfuirent sur la Soula cette même nuit. Le lendemain, jour du Seigneur, nous allâmes à Biéla Viéja et Dieu nous vint en aide ainsi que sa Sainte Mère; nous battîmes neuf cents Polovtses et nous primes deux princes, les frères de Bagoubars, Asen et Sakz et deux hommes seulement échappèrent; ensuite nous poursuivîmes les Polovises vers Sviatoslavl, vers la ville de Tortchesk et vers Iourlev; et encore de ce côté nous vainquîmes les Polovtses à Krasno; et avec Rostislav à Varin nous primes leurs tentes. Ensuite j'allai à Vladimir et j'y rétablis Iaropolk et Iaropolk mourut. Et après la mort de mon père et celle de Rostislav nous nous battîmes sur la Soula avec les Polovtses jusqu'au soir, nous nous battîmes a Khalep et ensuite nous fîmes la paix avec Tougorkan et les autres princes polovtses. Et nous enlevâmes aux gens de Gleb toute leur droujina.
    Ensuite Oleg marcha contre moi à Tchernigov avec les Polovtses et ma droujina lui disputa pendant huit jours un petit retranchement, ne les laissant pas pénétrer dans l'enceinte. J'eus pitié des âmes chrétiennes, des villages incendiés et des monastères et je dis : «Les païens n'auront pas à se louer de ceci,» et je donnai à mon frère [Oleg] la part qui lui revenait et j'allai moi-même dans le domaine de mon père à Tchernigov. Nous sortîmes de Tchernigov le jour de la Saint-Boris et nous passâmes à travers les bataillons des Polovtses. Nous n'avions pas cent personnes de droujina en comptant les femmes et les enfants. Les Polovtses nous guettaient comme des loups dans les passages et dans les montagnes; mais Dieu et saint Boris ne me livrèrent point à eux; nous arrivâmes sans dommage à Péréïaslavl.
    Je restai à Péréïaslavl trois hivers et trois étés avec ma droujina et nous souffrîmes beaucoup de la guerre et de la faim; nous allâmes attaquer les Polovtses au delà de Rimov et Dieu nous vint en aide et nous en tuâmes et en primes un certain nombre. Et nous vainquîmes de nouveau la troupe d'Itar et nous primes ses tentes étant allés au delà de la Goltava. Et nous marchâmes vers Starodoub contre Oleg parce qu'il s'était allié aux Polovtses et nous allâmes sur le Boug et avec Sviatopolk nous marchâmes contre Boniak au delà de la Russie. Nous allâmes jusqu'à Smolensk, nous étant réconciliés avec David. Ensuite nous revînmes une seconde fois des bords de la Voronitsa. Alors des Torks vinrent me trouver et des Tchitéiévitches vinrent de chez les Polovtses, et nous marchâmes contre eux sur la Soula et nous allâmes a Rostov passer l'hiver et après trois hivers nous revînmes à Smolensk, et ensuite j'allai à Rostov. Et ensuite nous poursuivîmes Boniak d'accord avec Sviatopolk, mais ils nous échappèrent et nous ne les atteignîmes point. Ensuite nous atteignîmes Boniak au delà de la Ros, mais nous le laissâmes échapper. L'hiver j'allai à Smolensk et je partis de Smolensk après Pâques. Et la mère de Georges mourut. Étant venu passer l'été à Péréïaslavl je rassemblai mes frères. Boniak vint avec tous les Poiovtses à Kosniatin et nous marchâmes contre lui nous dirigeant de Pérélaslavl vers la Soula et Dieu nous vint en aide; nous vainquîmes les Polovtses et primes leurs princes les plus importants. Et après Noël nous fîmes la paix avec Alépa; il nous donna sa fille [pour mon fils] et nous allâmes à Smolensk. Ensuite j'allai à Rostov. Venant de Rostov je marchai de nouveau avec Sviatopolk contre Ourousoba chef des Polovtses, et Dieu nous vint en aide; ensuite contre Boniak vers Loubno. Ensuite nous allâmes sur la Voïn avec Sviatopolk. Ensuite nous marchâmes vers le Don avec Sviatopolk et David et Dieu nous vint en aide. Aïépa et Boniak étaient venus sur la Vyr et voulaient s'établir sur cette rivière; et je marchai sur Romno avec Oleg et mes enfants et les Polovtses apprenant cela s'enfuirent. Ensuite nous marchâmes sur Miensk contre Gleb parce qu'il avait fait quelques-uns de nos hommes prisonniers et Dieu nous vint en aide et nous accomplîmes notre dessein. Ensuite nous marchâmes sur la ville de Vladimir contre le fils d'Iaroslav ne voulant pas supporter sa perfidie. Et j'allai de Tchernigov à Kiev à bride abattue; je fis cette course en un jour et j'arrivai avant les vêpres.
    J'ai fait en tout quatre-vingt-trois voyages; je ne mentionne même pas les petits, et j'ai conclu avec les Polovtses dix-neuf traités, avec mon père ou sans son concours et j'ai donné beaucoup d'argent et beaucoup de mes vêtements. Et j'ai délivré des fers les principaux princes des Polovtses : deux frères de Charoukan, trois frères de Bagoubars, quatre frères d'Ovtchin et cent autres. Et d'autres princes que Dieu a mis vivants en mon pouvoir, Kosksous et son fils, Akian, Bourtchevitch, Azgoulouï prince de Tarov et quinze autres jeunes chefs. Je les emmenai vivants, je les massacrai et je les jetai dans la rivière Slavlia. Et on tua par séries à ce moment deux cents des prisonniers des plus considérables.
    Et je me fatiguai beaucoup dans mes chasses, à cause de mon séjour à Tchernigov; aux environs de cette ville j'ai dans le courant d'une année tué non sans grands efforts jusqu'à cent taureaux sauvages, sans compter les autres animaux que je chassais avec mon père. Voici encore ce que j'ai fait à Tchernigov : j'ai dans les steppes enlacé de mes mains jusqu'à dix ou vingt chevaux, et j'ai aussi le long de la Ros saisi de mes mains des chevaux sauvages. Deux taureaux sauvages m'ont renversé avec leurs cornes moi et mon cheval; un cerf m'a frappé de ses cornes; un élan m'a foulé aux pieds, un autre frappé de ses cornes. Un sanglier m'a arraché mon sabre du flanc, un ours m'a mordu au genou, un animal furieux a sauté sur mes reins; mais Dieu me préserva de tout mal; je suis tombé souvent de cheval; je me suis brisé deux fois la tête, je me suis blessé les mains et les pieds dans ma jeunesse; je n'épargnais pas ma vie et je ne ménageais pas ma tête. Ce que j'aurais dû faire faire à mon serviteur, je le faisais moi-même, à la guerre et à la chasse, la nuit et le jour, dans la chaleur et dans le froid, sans me donner de repos. Je ne me reposais ni sur les posadniks1 ni sur les hérauts, je surveillais tout moi-même dans ma maison et dans les chasses, je mettais les chasseurs en ordre, je m'occupais de mes écuries, des faucons et des éperviers.
    De même je n'ai pas laissé offenser par les puissants le pauvre paysan et la veuve et j'ai surveillé moi-même les rites de l'Église et le service divin. Ne me blâmez pas [de ce que je dis] mes enfants, ni quiconque lira ceci; je ne me loue point de ma bravoure, mais je loue Dieu et je loue la miséricorde de celui qui m'a, misérable pécheur, protégé de la mort pendant tant d'années, qui m'a créé actif, moi, pauvre, pour toutes les oeuvres humaines. En lisant cet écrit, rendez-vous propres à toutes les bonnes oeuvres, louant Dieu et ses saints. Mes enfants, n'ayez pas peur de la mort, ni a la guerre, ni à la chasse, mais faites oeuvre virile selon que Dieu le permettra. Si ni la guerre, ni la chasse, ni l'eau, ni les chutes de cheval n'ont pu me faire de mal, personne d'entre vous ne peut subir de dommage, ni perdre la vie, sans l'ordre de Dieu. Si la mort vient de Dieu, ni père, ni mère, ni frère ne pourront l'empêcher. S'il est bon de se protéger soi-même, la protection de Dieu est meilleure que celle de l'homme.
    Oh ! misérable et pauvre que je suis ! Tu luttes beaucoup avec mon coeur et tu triomphes, ô mon âme, car sachant que tu es immortelle je pense que nous aurons à nous présenter au jugement dernier, si nous ne faisons pas pénitence et si nous ne nous réconcilions pas entre nous. Car si quelqu'un dit : «J'aime Dieu, mais je n'aime pas mon prochain, c'est un mensonge.» Et encore : «Si vous ne pardonnez pas l'offense de voire frère, votre père céleste ne vous pardonnera pas non plus.» (Mt 6,15) Le prophète dit : «Ne t'irrite point a cause des gens malins; ne sois point jaloux de ceux qui s'adonnent à la perversité !»