Chronique de Nestor
 
 
XXVII. – Nouvelle expédition contre Constantinople. Soumission des Grecs. Nouveau traité (943).
 
    Année 6451. Les Hongrois marchèrent contre Constantinople et retournèrent dans leur pays après avoir conclu la paix avec Roman.
    Année 6452. Igor rassembla une armée considérable de Varègues, de Russes, de Polianes, de Slaves, de Krivitches, de Tivertsiens, et prit des Petchénègues à sa solde et après avoir exigé d'eux des otages, il marcha contre les Grecs avec des bateaux et des chevaux, voulant se venger. Les Khersonésiens ayant entendu parler de cela envoyèrent des messagers à Roman, disant : «Voici les Russes, ils ont couvert la mer de leurs vaisseaux innombrables.» Les Bulgares aussi firent annoncer cette nouvelle disant : «Les Russes viennent, ils ont les Petchénègues à leur service.» L'empereur ayant entendu cela envoya a Igor ses bojars les plus illustres, le priant et disant : «Ne viens pas, mais prends le tribut que prenait Oleg : j'ajouterai encore à ce tribut.» Il envoya aussi aux Petchénègues des étoffes et beaucoup d'or. Igor vint au Danube, appela ses officiers et se mit à délibérer après avoir répété ce qu'avait dit l'empereur. Les officiers d'Igor dirent : «Si l'empereur parle ainsi, qu'avons-nous à faire, si non de prendre l'or, l'argent et la soie sans combattre ? Qui sait qui sera vainqueur eux ou nous ? Qui est-ce qui a la mer pour alliée ? car nous ne marcherons pas sur terre, mais sur les profondeurs de la mer : la mort nous menace tous.» Igor les écouta, et ordonna aux Petchénègues de ravager la Bulgarie, puis il prit chez les Grecs de l'or et des étoffes pour toute l'armée et revint chez lui à Kiev (944).
    Année 6453. Roman Constantin et Stéphane envoyèrent des ambassadeurs à Igor pour renouveler l'ancien traité. Igor s'entendit avec eux sur la paix. Igor envoya ses hommes à Roman. Roman appela ses bojars et ses dignitaires. On introduisit les ambassadeurs russes et on leur ordonna de dire et d'écrire les deux conventions sur du papier, ainsi qu'on avait fait pour la convention antérieure conclue par les empereurs Roman Constantin et Stéphane, princes très chrétiens (945).
    «Nous de la race russe, ambassadeurs et marchands, Igor ambassadeur d'Igor, grand prince de Russie, et les ambassadeurs ordinaires : Bouiefast pour Sviatoslav fils d'Igor, Jskousev pour la princesse Olga, Sloudy pour Igor neveu d'Igor, Oulb pour Volodislav, Kanimar pour Peredslav, Schikhbern pour Sfanda femme d'Oulb, Prastien pour Tourd, Libi pour Arfast, Grim pour Sfirk, Prastien pour Akoun, neveu d'Igor, Kary pour Stoudek; Barchev pour Tourd, Egri pour Evlisk, Voïsi pour Yolk, lstr pour Amound, Prastien pour Bern, Iastiag pour Gounar, Schibrid pour Aldan,Kol pour Klek, Steggi pour Eton, Sfirka … Alvad pour Goudy, Froudi pour Trouad Moutour pour Ousli; les marchands Adoun, Adoulb, Iggivlad, Olieb, Froutan, Gomol, Koutsi, Emig, Tourbid, Fourstien, Brouny, Roald, Gounastr, Frastien, Jgeld, Tourbern, Mony, Rouald; Svien, Stir, Aldan, Tirel, Aspoubran, Vouzliev, Sin Koborytch, envoyés par Jgor, grand prince de Russie et par toutes les principautés et tous les peuples de la terre russe qui nous ont ordonné de renouveler l'ancienne paix et de détruire le démon ennemi du bien et ami de la discorde, et de confirmer l'antique amitié entre les Grecs et la Russie : notre grand prince Igor et ses princes et bojars, et tous les peuples russes, nous ont envoyés à Roman, à Constantin et à Étienne, grands empereurs de la Grèce, pour lier amitié avec ces empereurs , avec tous leurs officiers, avec tout le peuple grec à jamais, tant que le soleil brillera et que le monde subsistera. S'il en est du côté des Russes qui cherchent à troubler cette amitié, que ceux qui ont reçu le baptême soient punis par Dieu tout-puissant et condamnés à la perdition dans cette vie et dans l'autre. S'il en est de non baptisés, qu'ils ne reçoivent de secours ni de Dieu, ni de Peroun. Qu'ils ne soient pas couverts par leurs boucliers, qu'ils soient égorgés par leurs épées, par leurs flèches, par leurs autres armes, et qu'il soient esclaves durant tout le siècle à venir.
    «Le grand prince de Russie et ses bojars peuvent envoyer en Grèce aux grands empereurs grecs autant de vaisseaux qu'il leur plaira avec des ambassadeurs et des marchands. Jusqu'ici les députés portaient un cachet d'or et les marchands un cachet d'argent. Aujourd'hui votre prince a déclaré qu'il enverrait un écrit à notre empereur. Si les ambassadeurs et les marchands sont envoyés par lui, ils doivent apporter un écrit dans lequel sera exprimé combien de vaisseaux il a envoyés, afin que nous apprenions d'eux qu'ils viennent avec la paix : mais s'ils viennent sans écrit, on nous les livrera pour que nous les gardions et retenions, et nous avertirons votre prince. S'ils ne veulent pas se rendre et se défendent, ils seront tués et leur mort ne donnera lieu à aucune réclamation de la part de votre prince. S'ils s'enfuient et s'en vont en Russie, nous écrirons à votre prince et il les traitera comme il lui plaira.
    «Si un Russe vient sans marchandises, il ne recevra pas de pension mensuelle. Le prince donnera des ordres à ses envoyés et aux Russes qui viennent ici, pour qu'ils ne commettent aucun excès dans les villages et dans notre pays. A leur arrivée ils iront à Saint-Mamas, et notre empereur enverra quelqu'un pour écrire leurs noms. Alors ils recevront leur subside : les ambassadeurs, celui d'ambassadeurs, et les marchands le subside ordinaire : d'abord ceux de Kiev, puis ceux de Tchernigov et de Pereïaslav et des autres villes. Ils doivent entrer dans la ville par une seule porte avec un homme de l'empereur, sans armes, par cinquante hommes, s'occuper de leur commerce suivant leurs intérêts et s'en aller. L'officier impérial les protégera, et si quelque Russe ou quelque Grec commet quelque tort, ils le redressera. Un Russe en entrant dans la ville ne peut acheter de soie pour plus de cinquante pièces d'or, et cette étoffe qu'il achète, il doit la montrer à l'officier impérial et celui-ci la scellera et la lui rendra. Et les Russes en partant recevront de nous des vivres pour la route, autant qu'il est besoin et ce qui leur est nécessaire pour les vaisseaux ainsi qu'on l'a établi autrefois. Ensuite qu'ils retournent heureusement dans leur pays, mais ils n'ont pas le droit de passer l'hiver à Saint-Mamas. Si un esclave s'enfuit de la Russie et qu'on vienne le chercher dans notre empire, ou s'il s'enfuit de Saint-Mamas, qu'on le saisisse; mais si on ne le trouve pas, alors les Russes chrétiens feront serment suivant leur foi et les non chrétiens suivant leur coutume et alors ils recevront le prix déjà fixé : deux pièces de soie pour un esclave. Si dans le peuple de notre empire ou de notre capitale ou des autres villes un esclave s'enfuit chez vous et emporte quelque chose, renvoyez-nous le et si ce qu'il aura emporté se retrouve dans son intégrité, retenez dessus deux pièces d'or. Si un Russe essaie de prendre quelque chose chez le peuple de notre empereur, il sera puni fortement et paiera le double de ce qu'il aura pris. Et si un Grec fait cela à un Russe, il subira la même punition. Si un Russe vole quelque chose à un Grec, ou un Grec à un Russe, il est juste qu'il rende non seulement la chose elle-même, mais aussi le prix de cette chose. Si la chose volée a été vendue, il paiera le double du prix et il sera puni suivant la loi grecque et suivant la coutume et la loi russe. Si un Russe nous amène des prisonniers chrétiens de notre pays, si c'est un jeune homme ou une jeune fille adulte, on paiera dix pièces d'or pour leur rançon; si ce sont des gens d'âge moyen on paiera huit pièces d'or pour leur rachat; si c'est un enfant ou un vieillard, on donnera cinq pièces d'or. S'il se trouve chez les Grecs des Russes réduits en esclavage, les Russes pourront les racheter pour dix pièces d'or. Si un Grec les a achetés et qu'il en fasse le serment sur la croix, il faut lui rendre le prix qu'il a donné pour eux. En ce qui concerne la Khersonèse et ses villes, le prince russe n'y fera pas la guerre; il ne ravagera pas ce pays et ce pays ne lui sera pas soumis. Si le prince russe nous demande des soldats pour la guerre, nous lui en donnerons autant que besoin sera. Si les Russes trouvent un vaisseau grec jeté quelque part par la tempête, ils ne lui feront aucun tort : celui qui enlèvera quelque chose de ce vaisseau, qui emmènera un homme en captivité ou le tuera, sera jugé suivant la loi russe et grecque. Si les Russes trouvent des Khersonésiens pêchant à l'entrée du Dniepr, qu'ils ne leur fassent aucun mal. Les Russes ne pourront passer l'hiver à l'entrée du Dniepr à Bialobereg ni à Saint-Ethérius, mais quand viendra l'automne, ils devront retourner chez eux en Russie. Quant aux Bulgares noirs qui viennent ravager la Khersonèse, nous invitons le prince de Russie à ne pas leur permettre de faire tort à cette contrée. S'il arrive que quelque crime soit commis par les Grecs sujets de notre empire, vous n'avez pas le droit de le punir, mais chacun sera puni par l'ordre de notre souverain en raison de ses délits. Si un chrétien tue un Russe ou un Russe un chrétien, alors le meurtrier sera retenu par les parents qui le tueront. Si le meurtrier s'enfuit et qu'il soit riche, les parents de la victime prendront ses biens. Si le meurtrier est pauvre et s'enfuit, qu'on le cherche jusqu'à ce qu'on le trouve et quand on l'aura trouvé, qu'il soit mis à mort. Si un Russe frappe un Grec ou un Grec un Russe avec une épée, une lance ou une arme quelconque; il paiera pour ce fait cinq livres d'argent suivant la loi russe: s'il est pauvre, que tout ce qu'il a soit vendu et qu'on lui ôte même les habits avec lesquels il marche; enfin qu'on lui fasse jurer suivant sa foi qu'il n'a rien et alors qu'on le relâche. Si notre empereur a besoin de soldats pour combattre nos ennemis, nous écrirons à votre grand prince, et il nous enverra autant de soldats que nous voudrons, et les autres pays apprendront ainsi quelle amitié existe entre les Grecs et les Russes. Nous avons écrit tous ces articles sur deux feuilles, et l'une de ces deux feuilles est chez notre gouvernement; il y a dessus une croix et nos noms écrits et sur l'autre le nom de vos ambassadeurs et de vos marchands. Et en s'en allant avec l'ambassadeur de notre empire ils doivent le conduire au grand prince russe Igor et à son peuple qui, après avoir revu la feuille, jureront qu'ils observeront exactement tout ce que nous avons fixé et écrit sur cette feuille où nos noms sont mis. Nous donc, chrétiens, nous avons juré en la chapelle de Saint-Elias dans l'église cathédrale, sur la croix sainte qui se trouvait devant nous, et sur cette feuille, d'observer tout ce qui est écrit dessus et de ne nous en écarter en rien, et quiconque de nous s'en écartera, prince au autre, baptisé ou non, qu'il ne reçoive aucun secours de Dieu, qu'il soit esclave dans cette vie et dans la vie future, qu'il périsse par ses propres armes. Et les Russes non chrétiens déposeront leurs boucliers et leurs épées nues, leurs brassards et leurs autres armes, et ils jureront que tout ce qui est écrit sur cette feuille sera observé par Igor et par tout ses bojars et par tout le peuple russe dans tous les temps et à jamais. Si donc quelque prince ou quelqu'un du peuple russe viole ce qui est écrit sur cette feuille, qu'il périsse par ses propres armes, qu'il soit maudit de Dieu et de Peroun, comme ayant violé son serment. Tant que le bon Igor grand prince sera vivant, il veillera à ce que cette amitié juste soit inébranlable et se maintienne tant que le soleil brillera, tant que le monde durera maintenant et à jamais.»
    Les envoyés d'Igor vinrent le trouver avec les ambassadeurs grecs, disant tout ce qu'avait dit l'empereur Roman. Igor ayant appelé les ambassadeurs grecs leur dit : «Dites-moi ce que vous a ordonné l'empereur.» Et les ambassadeurs de l'empereur dirent : «L'empereur nous a envoyés; il aime la paix; il veut entretenir paix et amitié avec le prince de Russie. Tes ambassadeurs ont revu le serment de nos empereurs qui nous ont envoyés pour recevoir ton serment et celui de tes hommes.» Igor promit de faire cela. Le lendemain matin Igor appela les ambassadeurs et alla vers la colline où se dressait Péroun : ils déposèrent leurs boucliers, leurs armes et leur or, et Igor fit le serment ainsi que ceux de ses officiers qui étaient païens; et les Russes chrétiens firent le serment dans la chapelle de Saint-Elie qui est sur le ruisseau près de la place Pasinetch et du faubourg des Kozares; c'était une église cathédrale; car beaucoup de Varègues étaient chrétiens. Quand Igor eut confirmé la paix avec les Grecs, au moment de congédier les ambassadeurs, il leur fit cadeau de peaux, d'esclaves, de cire et les congédia. Les ambassadeurs retournèrent vers l'empereur, lui rapportèrent tout ce qu'avait dit Igor et quelle amitié il avait pour les Grecs.
 
XXVIII. – Guerre d'Igor contre les Drevlianes. Mort d'Igor (945).
 
    Igor commença à régner à Kiev et il vivait en paix avec toutes les contrées. Et quand vint l'automne, il se mit à songer aux Drevlianes, voulant leur imposer un plus grand tribut.
    Année 6453. Cette année la droujina d'igor lui dit : «Les serviteurs de Svienald sont revêtus d'armes et de vêtements, et nous, nous sommes nus; viens, prince, avec nous imposer un tribut; toi et nous en profiterons.» Igor les écouta, marcha contre Dereva pour réclamer le tribut; il exigea l'ancien tribut, l'obtint par la force lui et son peuple, le prit et revint dans sa ville. En revenant, il réfléchit et dit à sa droujina : «Portez le tribut à Kiev; moi, je retourne faire encore une expédition.» Puis ayant renvoyé son armée, il revint avec une petite troupe, voulant encore plus de butin. Quand les Drevlianes apprirent qu'il revenait, ils délibérèrent avec leur prince Mal et dirent : «Si le loup prend l'habitude d'aller au bercail, il emportera l'une après l'autre toutes les brebis, à moins qu'on ne le tue; il en est de même maintenant : si nous ne le tuons pas, il nous ruinera tous.» Ils envoyèrent vers lui disant : «Pourquoi reviens-tu ? Nous t'avons payé tout le tribut.» Igor ne les écouta pas. Alors les Drevlianes sortirent de la ville d'Iskorostène, tuèrent Igor et sa troupe, car elle était peu nombreuse. Et l'on ensevelit Igor : sa tombe se voit encore aujourd'hui près d'Iskorostène dans le pays des Drevlianes (945).
 
XXIX. – Olga et Sviatoslav. Olga fait périr les ambassadeurs des Drevlianu.
 
    Olga était à Kiev avec son fils le jeune Sviatoslav; son gouverneur était Asmoud et le volévode était Svienald, père de Msticha et les Drevlianes dirent : «Nous avons tué le prince russe, donnons sa veuve en mariage à notre prince Mal, puis nous prendrons Sviatoslav et nous en ferons ce que nous voudrons. Et les Drevlianes envoyèrent vingt hommes des plus vaillants en bateau vers Olga; ils arrivèrent auprès de Boritchev, car alors l'eau coulait au pied de Kiev, et on n'habitait pas dans la vallée, mais seulement sur la hauteur : la ville de Kiev était là où est aujourd'hui la maison de Gordiat et de Nicéphore; et le palais du prince était dans l'endroit où est aujourd'hui la maison de Vratislav et de Tchoud et les poids publics étaient hors la ville. Il y avait hors la ville une autre maison où est la maison des Domestiques et derrière le temple de la mère de Dieu, le palais du Donjon : car il était surmonté d'un donjon de pierre. Et on dit à Olga que les Drevlianes étaient arrivés, et Olga les appela à elle et leur dit : «De bons hôtes sont venus;» et les Drevlianes dirent: «Princesse, nous sommes venus.» Et Olga leur dit : «Dites-moi qui vous amène.» Les Drevlianes dirent : «Les Drevlianes nous ont envoyés disant : Nous avons tué ton mari, car il était comme un loup pillard et ravisseur; mais nos princes sont bons, ils font prospérer la terre des Drevlianes; épouse donc Mal notre prince.» Car tel était le nom du prince des Drevlianes. Olga leur dit : «Ce que vous me dites m'est agréable; je ne puis pas ressusciter mon mari; mais je veux vous honorer demain en présence de mon peuple. Allez maintenant à votre bateau; et faites les fiers. Et quand demain je vous enverrai chercher, alors dites : Nous n'irons point à pied, nous n'irons point à cheval; mais qu'on nous porte dans notre bateau. Et on vous portera dans votre bateau.» Et elle les renvoya à leur bateau. Et Olga ordonna de creuser une fosse grande et profonde dans la cour du Donjon, hors de la ville. Le lendemain Olga siégeant dans le donjon envoya chercher les ambassadeurs et on leur dit : «Olga vous invite et veut vous rendre de grands honneurs.» Ils dirent : «Nous n'irons point a cheval, ni en voiture ni à pied : portez-nous dans notre bateau.» Les gens de Kiev dirent : «II nous faut obéir : notre prince a péri, et notre princesse veut épouser votre prince.» Et on les porta dans le bateau : ils s'assirent enveloppés dans leurs grandes robes et pleins d'orgueil, et on les apporta au palais d'Olga; en les apportant, on les jeta dans le fossé avec leur bateau. Olga se pencha et leur dit : «Cet honneur est-il bon ?» Ils répondirent : «Pire que la mort d'Igor.» Et elle ordonna qu'on les enterrât vivants, et on les enterra. Olga ayant envoyé chez les Drevlianes leur dit : «Si vous me voulez réellement, envoyez-moi des hommes distingués afin que je puisse aller vers votre prince avec grand honneur, sinon les habitants de Kiev ne me laisseront pas partir.» Les Drevlianes entendant cela choisirent les hommes les meilleurs qui gouvernaient leur pays et les lui envoyèrent. Quand ils furent arrivés, Olga ordonna de préparer un bain disant : «Quand vous vous serez baignés, vous viendrez me trouver.» On chauffa le bain et les Drevilanes entrèrent et se mirent à se laver. On ferma les portes derrière eux et Olga ordonna de mettre le feu au bain et ils furent tous brûlés. Et Olga envoya chez les Drevlianes disant : «Voici que je vais aller chez vous; préparez beaucoup d'hydromel dans la ville où vous avez tué mon mari; je veux pleurer sur sa tombe et faire une cérémonie funèbre en l'honneur de mon époux.» Ceux-ci ayant entendu ces paroles brassèrent une grand quantité d'hydromel. Olga suivie d'une petite escorte vint, s'avança sans appareil vers la tombe de son mari, le pleura et ordonna à ses gens d'élever un grand tumulus, puis quand ils eurent fini de célébrer la fête, les Drevlianes s'assirent pour boire et Olga ordonna à ses gens de les servir. Les Drevlianes dirent à Olga : «Où sont nos compagnons que nous t'avons envoyés ?» Elle répondit : «lls viennent avec moi, avec les officiers de mon mari.» Et quand les Drevlianes se furent enivrés elle ordonna à ses gens de s'élancer contre eux et partit en ordonnant de les massacrer. Et ils en massacrèrent cinq mille, et Olga retourna à Kiev et prépara son armée contre ce qui restait de Drevlianes.
 
XXX. – Olga marche contre les Drevlianes et brûle leur ville (946).
 
    Année 6454. Olga avec son fils Sviatoslav rassembla une armée nombreuse et vaillante et marcha contre les Drevlianes; les Drevlianes allèrent au devant d'elle, et les deux armées étant prêtes à combattre, Sviatoslav jeta sa lance contre les Drevilanes, et la lance passant à travers les oreilles de son cheval vint frapper les pieds de l'animal; car Sviatoslav n'était qu'un enfant. Et Svienald et Asmoud dirent : «Le prince a déjà commencé la bataille : que sa droujina s'élance derrière lui.» Et ils vainquirent les Drevlianes. Les Drevlianes s'enfuirent et se renfermèrent dans leurs forteresses. Olga attaqua avec son fils celle d'lsko rostène : car c'est là que son époux avait été tué. Et elle s'avança sous la ville, et les Drevlianes s'enfermèrent dans la ville et s'y défendirent énergiquement; car ils savaient qu'ils avaient tué le prince et ce qui les attendait s'ils se rendaient. Et Olga resta pendant un an sans pouvoir s'emparer de la ville. Elle imagina alors la ruse suivante elle envoya à la ville disant : «Sur quoi comptez-vous ? Toutes vos forteresses se sont soumises et payent le tribut; les paysans labourent leurs champs et leurs terres et vous, refusant le tribut, voulez-vous mourir de faim ?» Les Drelianes répondirent : «Nous accorderions volontiers le tribut; mais tu veux venger ton mari.» Et Olga leur dit : «J'ai déjà vengé mon mari deux fois quand vous êtes venus à Kiev et la troisième fois quand j'ai fait une fête funèbre en son honneur. Je ne veux plus me venger, mais je veux recevoir de vous un petit tribut, et après avoir conclu la paix avec vous, je m'en irai.» Les Drevlianes dirent : «Que veux-tu de nous ?» Nous te donnerons volontiers du miel et des peaux. Elle leur répondit : «Il n'y a maintenant chez vous ni miel ni peaux; je vous demanderai une petite chose : donnez-moi trois pigeons et trois moineaux par maison; car je ne veux pas vous imposer de lourd tribut, comme avait fait mon mari; je ne vous demande que cette petite chose, parce que vous vous êtes appauvris pendant le siège; je ne veux que cela.» Les Drevlianes joyeux prirent par maison trois pigeons et trois moineaux et les envoyèrent humblement à Olga. Olga leur dit : «Puisque vous vous êtes humiliés devant moi et devant mon fils, retournez à votre ville, et moi, je m'en irai demain et retournerai à la mienne.» Les Drevlianes joyeux rentrèrent a la ville et dirent cela au peuple et le peuple se réjouit dans la ville. Olga donna à tous ses soldats un pigeon et un moineau par tête et ordonna à chacun d'attacher aux oiseaux avec un fil une mèche soufrée enveloppée dans de petits morceaux de toile; et quand vint le crépuscule, Olga ordonna à ses soldats de lâcher les pigeons et les moineaux.
    Les pigeons et les moineaux volèrent vers leurs nids, les uns à leurs pigeonniers, les autres sous les toits; et ainsi le feu se mit aux colombiers, aux cabanes, aux tours, aux étables, et il n'y eut pas de maison qui pût y échapper; et il était impossible de l'éteindre, car toutes les maisons brûlaient en même temps. Et les habitants de la ville s'enfuirent et Olga ordonna à son armée de les saisir. Ainsi elle prit la ville et y mit le feu; elle prit les anciens de la ville, en fit tuer quelques-uns, en donna d'autres comme esclaves à ses officiers et fit payer tribut aux autres. Et elle leur imposa un lourd tribut. Les deux tiers du tribut furent envoyés à Kiev, l'autre tiers à Vychegorod pour Olga; car Vychegorod était la ville d'Olga. Et Olga parcourut le pays des Drevlianes avec son fils et sa famille, établissant des lois et des impôts. On voit encore ses résidences et des chasses princières. Et elle vint dans sa ville de Kiev avec son fils Sviatoslav et y resta toute une année.
    Année 6455. Olga alla à Novogorod, établit sur la Mata des abris pour les commerçants, et établit des impôts et des redevances sur la Louga. On voit encore ses chasses, ses bornes, ses villes et ses hôtelleries. On voit encore aujourd'hui ses traîneaux à Pleskov, et le poids public sur le Dniepr et sur la Desua, et son village Oljitchi subsiste encore aujourd'hui. Après avoir arrangé tout cela, elle retourna près de son fils à Kiev, vivant avec lui dans un amour maternel (947).
 
XXXI. – Baptême d'Olga (948-955).
 
Années 6456, 6457, 6458, 6459, 6460, 6461, 6462, 6463. Olga s'en alla chez les Grecs et vint à Constantinople. L'empereur était alors Constantin, fils de Léon; et Olga vint à lui et voyant qu'elle était parfaitement belle de visage et très prudente, l'empereur admira son intelligence, s'entretint avec elle et dit : «Tu es digne de régner avec nous dans cette ville. Ayant entendu ces paroles elle dit à l'empereur : «Je suis païenne si tu veux me baptiser baptise-moi toi-même; sinon je ne me ferai pas baptiser.» Et l'empereur la baptisa avec le patriarche. Une fois éclairée, elle se réjouit dans son âme et dans son corps, et le patriarche l'instruisit de la foi et lui dit : «Tu es bénie parmi les femmes russes, car tu as aimé la lumière et rejeté les ténèbres. Les fils de la Russie te béniront jusqu'à la dernière génération.» Et il l'instruisit sur le dogme de l'Église, la prière, le jeune, l'aumône, l'obligation de maintenir le corps chaste; et elle restait la tête baissée et, comme une éponge, qui absorbe l'eau, elle recevait ces instructions; puis elle s'agenouilla devant le patriarche disant : «Que par tes prières, ô évêque, je sois préservée des embûches du démon.» Et on lui donna  au baptême le nom d'Hélène qui avait été autrefois la mère de Constantin le Grand. Et le patriarche la bénit et la laissa aller. Après le baptême, l'empereur l'appela et lui dit : «Je veux te prendre pour ma femme.» Elle dit : «Quoi ! tu veux te marier avec moi. Et cependant tu m'as baptisée et tu m'as appelée ta fille : et chez les chrétiens cela est contre la loi, tu le sais toi-même.» Et l'empereur lui dit : «Olga, tu m'as trompé.» Et il lui donna beaucoup de présents, de l'or et de l'argent, de la soie, des vases, et il la congédia l'ayant appelée sa fille. Elle retourna chez elle, vint auprès du patriarche demander sa bénédiction pour sa maison et lui dit : «Mon peuple est païen et mon fils aussi : que Dieu me préserve de tout mal.» Et le patriarche lui dit : «Ma fidèle fille, tu as été baptisée dans la croix, tu t'es revêtue de la croix; le Christ te préservera, comme il a préservé Enoch dans les premiers âges et Noé dans l'arche, comme il a préservé Abraham d'Abimélech, Loth des Sodomites, Moïse de Pharaon, David de Saul, les trois jeunes hommes dans la fournaise, Daniel des bêtes féroces; il te préservera ainsi de l'ennemi et de ses embûches !» Le patriarche la bénit et elle s'en alla en paix dans sa patrie et arriva à Kiev.
    Ce fut comme au temps de Salomon. La reine d'Éthiopie vint à Salomon, voulant entendre la sagesse de Salomon et elle vit beaucoup de sagesse et de choses remarquables. Ainsi Olga, cette princesse bénie, cherchait la sagesse de Dieu; l'une cherchait la sagesse humaine, l'autre la sagesse divine. Car ceux qui cherchent la sagesse la trouveront. «La sagesse est célébrée devant les portes des maisons; sa voix dans les rues crie au milieu des grandes assemblées, élève la parole à la porte des villes; tant que les justes aimeront la vérité, ils ne seront pas confondus. (Pro 1,20-22) Or, Olga, cette femme bénie, cherchait dès l'enfance dans ce monde la sagesse qui est meilleure que tout, et elle trouva une perle précieuse qui est le Christ. Car Salomon a dit : «Le désir accompli est doux à l'âme des fidèles;» (Sag 13,19) et encore : «Incline ton âme vers la connaissance de la sagesse»; (Sag 2,2) «j'aime ceux qui m'aiment et ceux qui me cherchent me trouveront.» (8,17) Le Seigneur a dit : «Je ne repousserai pas celui qui vient à moi.» (Jh 6,37)
    Et Olga retourna à Kiev; et l'empereur grec envoya vers elle, disant : «Je t'ai fait de beaux présents; et toi tu m'as dit : Quand je serai revenue en Russie, je t'enverrai beaucoup de présents, des esclaves, de la cire, des peaux et des soldats auxiliaires.» Olga répondit aux envoyés : «Dites à l'empereur : Si tu restes avec moi sur la Potchaina aussi longtemps que je suis restée dans le Bosphore, je te ferai ces cadeaux.» Ayant dit cela, elle congédia les ambassadeurs. Or, Olga vivait avec son fils Sviatoslav et elle l'invitait à se faire baptiser, et il ne voulait pas en entendre parler; et quand quelqu'un voulait être baptisé, on ne le lui défendait pas, mais on se moquait de lui. Car pour les infidèles la foi chrétienne est une folie; car ils ne sentent ni ne comprennent, marchant dans les ténèbres et ils ne voient pas la gloire de Dieu ; leurs coeurs sont endurcis, leurs oreilles ont peine à entendre et leurs yeux à voir. Car Salomon dit : «Les actes des impies sont loin de la raison; je vous ai appelés et vous ne m'avez pas entendus, je vous ai avertis par des paroles et vous n'avez pas compris, et vous avez rejeté mes conseils; vous avez dédaigné mes reproches; car ils ont haï la sagesse, ils n'ont point accepté la crainte de Dieu, ils n'ont pas voulu entendre mes conseils et ils se sont moqués de mes avertissements.» (Pro 1,24-31) Or Olga disait souvent : «Mon fils j'ai connu la sagesse et je me réjouis, si tu la connaissais tu te réjouirais. II ne faisait pas attention à cela disant : «Comment, je recevrais une foi étrangère ! mais ma droujina rirait de moi.» Elle lui disait : «Si tu te fais baptiser, tous feront la même chose;» mais il n'écoutait pas sa mère et persévérait dans les coutumes païennes, ne sachant pas que celui qui n'écoute pas sa mère tombera dans la détresse; car il est écrit : «Que celui qui n'écoute pas son père ou sa mère soit puni de mort.» (Ex 21,17) Et il se fâchait contre sa mère. Car Salomon dit : «Celui qui instruit un méchant appelle l'outrage sur lui; celui qui reprend un impie recueille des injures; car en reprenant les impies on provoque les tourments. Ne reprends pas les méchants pour qu'ils ne te haïssent pas.» (Pro 9,7-8) Cependant Olga aimait son fils et disait : «Que la volonté de Dieu s'accomplisse ! Si Dieu a pitié de ma race et de la terre russe, il leur inspirera de se convertir à lui comme il me l'a accordé.» Et ayant dit cela, elle se mit à prier pour son fils et pour le peuple nuit et jour, et elle éleva son fils jusqu'à ce qu'il fut grand et homme fait.  
 
XXXIII – Majorité de Sviatoslav. Ses guerres (965-967).
 
    Années 6464, 6465, 6466, 6467, 6468, 6699, 6470, 6471, 6472. Quand le prince Sviatoslav fut grand et homme fait, il se mit à rassembler une armée nombreuse et vaillante, car il était lui-même vaillant et fougueux, et il fit beaucoup de guerres, marchant comme une panthère à la tête de sa nombreuse armée; il ne prenait avec lui ni voiture, ni marmite et ne faisait pas bouillir la viande, mais il mangeait des tranches minces de viande de cheval, de gibier ou de boeuf, après les avoir mises sur des charbons. Il n'avait pas de tente, mais il étendait sous lui un vêtement et mettait une selle sous sa tête. Tous ses guerriers faisaient comme lui. Il envoyait dans les contrées voisines disant : «Je vais marcher contre vous.» Et il alla sur l'Oka et le Volga et il rencontra les Viatitches et leur dit : «A qui payez-vous tribut ?» Ils répondirent : «Aux Kozares; nous leur donnons une pièce d'argent par charrue (965).»
    Année 6473. Sviatoslav marcha contre les Kozares. Ces Kozares ayant appris cela marchèrent contre lui avec leur Khan qui est leur prince; il les rencontra et les battit et prit leur ville de Biélaviéja. Il vainquit les Iases et les Kassogues et retourna à Kiev (965).
    Année 6474. Sviatoslav vainquit les Viatitches et leur imposa tribut (966).
    Année 6475. Sviatoslav marcha au delà du Danube contre les Bulgares. Il les rencontra, les battit et prit quatre-vingts villes au delà du Danube; il s'établit comme prince à Péréïaslavets et se fit payer tribut par les Grecs (967).
 
XXXIII. – Les Petchuègues assiègent Kiev. Retour de  Sviatoslav (968).
 
    Année 6476. Les Petchénegues vinrent pour la première fois en Russie et Sviatoslav était à Péréïaslavets; et Olga s'enferma avec ses petits-fils Iaropolk, Oleg, Vladimir dans la ville de Kiev. Et les Petchénègues entourèrent la ville avec des forces supérieures. Ils formaient autour d'elle une multitude innombrable; on ne pouvait sortir, ni envoyer de message. Le peuple était épuisé de faim et de soif. Les gens qui s'étaient rassemblés sur l'autre rive du Dniepr avec leurs bateaux restaient sur cette rive, et il n'était possible à aucun d'entre  eux d'aller à Kiev, ni à la ville de communiquer avec eux. Le peuple s'affligeait et disait : «N'y a-t-il personne qui puisse aller sur l'autre rive et leur dire : «Si vous n'arrivez pas demain sous les murs de la ville, nous nous rendrons aux Petchénègues ?» Et un jeune homme dit : «J'irai;» et ils lui dirent : «Va.» Il sortit donc de la ville avec une bride, et courant parmi les Petchénègues s'écria : «Quelqu'un de vous n'a-t-il pas vu un cheval ?» car il savait la langue des Petchénègues, et ils pensèrent que c'était un des leurs; s'étant approché du fleuve, il jeta son vêtement, sauta dans le Dniepr et se mit à nager. Les Petchénègues voyant cela s'élancèrent après lui et décochèrent sur lui leurs flèches, mais ils ne purent rien lui faire. Ceux de l'autre rive au contraire l'ayant aperçu vinrent au-devant de lui en bateau, et l'ayant pris sur le bateau le conduisirent à leurs chefs. Et il leur dit : «Si demain matin, vous n'arrivez pas sous la ville, le peuple se rendra aux Petchénègues.» Leur chef qui s'appelait Priétitch dit : «Nous viendrons demain en bateau et après avoir pris la princesse et les jeunes princes, nous nous enfuirons sur cette rive. Si nous ne faisons pas cela, que Sviatoslav nous fasse mettre à mort. Le lendemain dès l'aurore, ils montèrent en bateau, sonnèrent bruyamment de la trompette et le peuple de la ville poussa des cris; les Petchénègues pensant que le prince était arrivé s'enfuirent de divers côtés. Et Olga sortit avec ses petits-fils et son peuple vers les vaisseaux. Voyant cela le prince des Petchénègues retourna seul auprès du volévode Prietitch et dit : «Qui est venu ?» Et l'autre lui répondit : «Des gens de l'autre rive.» Et le prince des Petchénègues dit : «Et toi, est-ce que tu es le prince ?» Il dit : «Je suis son volévode, et je suis venu comme avant-garde, et après moi vient avec le prince une armée innombrable.» Il dit cela d'un ton menaçant. Et le prince des Petchénègues dit à Priétitch : «Sois mon ami.» Et il lui répondit : «J'y consens.» Et ils se donnèrent la main. Le prince dès Petchénègues donna un cheval, un sabre, des flèches à Priétitch; celui-ci lui donna une armure, un bouclier, une épée. Les Petchénègues s'éloignèrent de la ville. Et ils ne purent plus faire boire les chevaux dans la Lybed. Et les habitants de Kiev envoyèrent vers Sviatoslav, disant : «Prince, tu cherches des pays étrangers, et tu négliges le tiens; peu s'en est fallu que les Petchénègues ne nous prissent, nous et ta mère et tes enfants. Si tu ne viens pas et si tu ne nous défends pas, ils nous envahiront encore. N'as-tu point souci de ta patrie, de ta vieille mère et de tes enfants ?» Sviatoslav entendant cela monta aussitôt à cheval avec ses soldats, vint à Kiev, embrassa sa mère et ses enfants, déplorant ce qui leur était arrivé de la part des Petchénègues; puis il rassembla son armée, et refoula les Petchénègues dans les steppes et la paix régna.
 
XXXIV. – Mort d'Olga (969).
 
    Année 6477. Sviatoslav dit à sa mère et aux bojars : «Je ne me plais point à Kiev; je veux vivre à Péréïaslavets sur le Danube; car c'est là qu'est le centre de mes terres. Toutes les richesses y arrivent : de la Grèce, l'argent, les étoffes, les fruits, les différents vins; de la Bohème, de la Hongrie, l'argent et les chevaux; de la Russie, les peaux, la cire, le miel, les esclaves.» Sa mère lui dit : «Tu vois que je suis malade où veux-tu aller loin de moi ?» Car elle était déjà malade. Elle lui dit encore : «Quand tu m'auras enterrée, après tu iras où tu voudras.» Au bout de trois jours Olga mourut. Son fils, ses petits-fils et le peuple la pleurèrent amèrement. On l'emporta et on l'enterra. Elle avait ordonné qu'on ne lui fit pas de tryzna (fête funèbre); car elle avait un prêtre et ce fut lui qui ensevelit la bienheureuse Olga. Elle fut le précurseur du christianisme en Russie, comme l'aurore est le précurseur du soleil, comme l'aube est le précurseur de l'aurore. Comme brille la lune au milieu de la nuit, elle brilla au milieu d'un peuple païen. Elle était comme une perle au milieu de la fange; car le peuple était dans la fange de ses péchés et n'était pas encore purifié par le baptême. Elle se purifia dans un bain sacré et dépouilla le vêtement de péché de l'ancien homme Adam et revêtit celui du nouvel Adam qui est le Christ. Aussi nous lui disons : «Réjouis-toi d'avoir fait connaître Dieu à la Russie, car tu as été le principe de l'alliance de la Russie avec lui.» C'est elle qui la première est montée de la Russie au royaume céleste. Les fils de la Russie la célèbrent comme leur guide parce que après sa mort elle a prié Dieu pour la Russie. Or «les âmes des justes ne meurent pas.» (Sag 3,1) Comme l'a dit Salomon : «Les peuples se réjouissent de la gloire du juste : car sa mémoire est immortelle, elle dure auprès de Dieu et chez les peuples.» (Sag 3,4) Tous les hommes célèbrent cette princesse voyant ses reliques intactes depuis de longues années. Car le prophète a dit : «Je glorifierai ceux qui me glorifient.» (Pro 28,12) David a dit également : «Le juste sera dans une mémoire éternelle, il ne craindra pas les mauvaises paroles; son coeur est prêt à espérer en Dieu; son coeur est affermi et une sera pas ébranlé.» (Ps 111) Salomon a encore dit : «Les justes vivent éternellement, et ils sont récompensés et glorifiés auprès du tout-puissant; ils recevront le royaume de beauté et la couronne de bonté des mains du Seigneur : il les couvrira de sa droite, et il les protégera de son bras.» (Sag 5,16-17) Or il a protégé la bienheureuse Olga contre le diable son ennemi et son adversaire.
 
XXXV. – Guerre. de Sviatolav avec les Grecs. Traits avec les Grecs. (970).
 
    Année 6478. Sviatoslav établit Iaropolk à Kiev et Oleg chez les Drevlianes. En ce temps les gens de Novogorod vinrent demander un prince, disant : «Si vous ne venez pas chez nous, nous nous trouverons un prince.» Et Sviatoslav leur dit  : «Quelqu'un ira chez vous.» Iaropolk et Oleg refusèrent d'y aller. Et Dobrynia dit : «Demandez Vladimir.» Or Vladimir était fils de Maloucha, intendante d'Olga et soeur de Dobrynia, et leur père était Malek de Loubetch. Dobrynia était l'oncle de Vladimir. Et les Novogorodiens dirent à Sviatoslav : «Donne-nous Vladimir.» Il leur dit : «Le voici.» Et les Novogorodiens prirent Vladimir et Vladimir partit à Novogorod avec son oncle Dobrynia et Sviatoslav alla à Péréïaslavets.
 
XXXVI. – Guerre de Sviatolav avec les Grecs. Traite (971).
 
    Année 6479. Sviatoslav marcha sur Pérélaslavets et les Bulgares s'enfermèrent dans la ville. Et les Bulgares sortirent pour combattre contre Sviatoslav, et il y eut un grand combat et les Bulgares allaient vaincre. Et Sviatoslav dit à ses soldats : «Quoi, nous serions vaincus ici ! Frappons bravement, frères et compagnons.» Et le soir Sviatoslav fut vainqueur et prit la ville d'assaut disant : «La ville est à moi.» Et il envoya vers les Grecs disant : «Je veux aller chez vous et prendre votre ville comme j'ai pris celle-ci.» Et les Grecs dirent : «Nous ne sommes pas capables de vous résister, mais reçois de nous un tribut pour toi et tes compagnons. Dites-nous combien vous êtes afin que nous puissions vous donner tant par tête.» Les Grecs dirent cela trompant les Russes; car ils sont rusés encore aujourd'hui. Et Sviatoslav leur dit : «Nous sommes au nombre de vingt mille.» Or il ajoutait dix mille, car il n'y avait que dix mille Russes. Et les Grecs armèrent cent mille hommes contre Sviatoslav et ne payèrent point le tribut. Et Sviatoslav marcha contre les Grecs et ils s'avancèrent contre lui. Les Russes à la vue de l'armée furent très effrayés de cette multitude, et Sviatoslav dit : «Nous n'avons pas où fuir; bon gré, mal gré il faut livrer bataille. Ne faisons pas honte à la Russie; tombons ici; car en mourant nous ne nous déshonorerons pas, et si nous fuyons nous serons déshonorés. Ne fuyons pas, mais tenons ferme ! Je marcherai devant vous; si ma tête tombe, songez à vous-mêmes.» Et les soldats dirent : «Si ta tête tombe, nous succomberons avec toi.» Et les Russes se mirent en bataille, et les deux armées se heurtèrent, et il y eut un grand combat, et Sviatoslav fut vainqueur et les Grecs s'enfuirent. Et Sviatoslav s'avança contre la capitale ravageant tout, et détruisant les villes; aujourd'hui encore elles sont désertes. Et l'empereur convoqua ses bojars au palais et dit : «Qu'avons-nous à faire? nous ne pouvons leur résister.» Et les bojars lui dirent : «Envoie-lui des présents. Voyons s'il aime l'or et les étoffes.» Et il lui envoya de l'or, des étoffes et un homme sage auquel il dit : «Observe ses yeux, son visage et sa pensée.» Cet homme prit les présents et alla chez Sviatoslav. On dit à Sviatoslav qu'il était venu des Grecs avec des présents; il dit: «Faites-les entrer ici.» Ils vinrent, s'inclinèrent devant lui, déposèrent devant lui de l'or et des étoffes, et Sviatoslav, sans même regarder ces présents, dit à ses serviteurs : «Gardez cela.» Les serviteurs de Sviatoslav prirent ces présents et les mirent de côté, et les envoyés de l'empereur revinrent auprès de lui. Et l'empereur appela son conseil, et les envoyés dirent : «Quand nous sommes venus auprès de lui et que nous avons déposé nos présents, il ne les a même pas regardés : il a seulement ordonné de les mettre de côté.» Et l'un des conseillers lui dit : «Essaye encore et envoie-lui des armes.» Il l'écouta et lui envoya une épée et d'autres armes et on les lui apporta. Il les prit, les loua, les contempla avec satisfaction et ordonna de saluer l'empereur. Les envoyés revinrent auprès de l'empereur et lui dirent ce qui s'était passé ; et les conseillers dirent : «Cet homme est farouche; il ne fait pas attention aux richesses et prend les armes; paie-lui tribut.» Et l'empereur envoya dire : «Ne viens pas dans ma capitale, prends le tribut que tu voudras.» Car il était sur le point de marcher contre Constantinople. Et on lui paya tribut; et il le prit aussi pour ceux qui avaient été tués disant que leurs familles le recevraient. Il prit donc beaucoup de présents et retourna à Pérélaslavets avec beaucoup de gloire. Voyant combien son armée était peu nombreuse, il se dit en lui-même : «S'ils venaient me surprendre, ils me tueraient moi et mes soldats.» Car beaucoup avaient péri dans l'expédition. Et il dit : «J'irai en Russie et je ramènerai une armée plus nombreuse;» puis il envoya des messagers à l'empereur à Déréster (Silistrie) – car l'empereur était alors dans cette ville – disant : «Je veux avoir avec toi une alliance et une amitié durable.» L'empereur entendant cela se réjouit et lui envoya des présents plus considérables qu'auparavant. Sviatoslav reçut les présents, et se mit à délibérer avec les siens disant : «Si nous ne concluons pas la paix avec l'empereur et qu'il apprenne combien nous sommes peu nombreux, il viendra et nous assiégera dans cette ville et la Russie est loin et les Petchénègues sont en guerre avec nous; qui nous secouera ? Concluons donc la paix avec l'empereur ! Ils nous ont offert un tribut, que cela nous suffise; et s'ils venaient à nous le refuser, alors nous rassemblerions une armée plus considérable que la première, et nous marcherions sur Constantinople.» Ces paroles plurent à ses compagnons. Et on envoya les principaux officiers à l'empereur et ils vinrent à Déréster, et ils se firent annoncer à l'empereur. L'empereur les fit venir devant lui le lendemain et dit : «Que les envoyés russes parlent.» Ils dirent : «Voici ce que dit notre prince : «Je veux être en intime amitié avec l'empereur grec pendant tous les siècles à venir.» L'empereur se réjouit et il ordonna à l'écrivain d'écrite sur des feuilles tout ce qu'avait dit Sviatoslav. L'envoyé commença à parler et l'écrivain à écrire :
    «Conformément au précédent traité conclu entre Sviatoslav, grand prince de Russie, et Sviénald et Jean surnommé Zimiscès, empereur des Grecs, traité écrit par Théophile le syncelle, à Dérester au mois de juillet, la 14e indiction, année 6479 (971), moi Sviatoslav, prince russe, ai juré et par la présente convention je confirme mon serment. Je veux avoir paix et amitié constante avec tous les grands empereurs grecs, avec Basile et Constantin, avec les empereurs inspirés de Dieu et avec tous vos peuples, et de même tous les Russes qui me sont …1  bojars et autres à jamais. Jamais je ne m'attaquerai à votre pays, je ne rassemblerai point d'armée, je ne conduirai pas de peuple étranger contre vous ni contre ceux qui sont soumis au gouvernement grec, ni contre la Khersonnèse et ses villes, ni contre le pays des Bulgares. Et si quelque autre s'attaque à votre pays, je marcherai contre lui et je le combattrai. Comme je l'ai juré aux empereurs grecs ainsi l'ont juré les bojars et toute la Russie, et nous garderons les conventions présentes. Si donc nous n'observons pas ce que nous avons énoncé plus haut, moi et tous ceux qui sont sous ma puissance soyons maudits par le Dieu en qui nous croyons, par Peroun et Volos, dieu des troupeaux; puisions-nous devenir jaunes comme l'or et périr par nos propres armes. Regardez comme la vérité ce que nous avons dit aujourd'hui avec vous et ce que nous avons écrit sur ces feuilles et scellé de nos sceaux.»
    Sviatoslav ayant conclu la paix avec les Grecs s'en alla en bateau jusqu'aux cataractes du Dniepr, et le volévode de son père, Sviénald lui dit : «Prince, tourne les cataractes à cheval, car les Petchénègues t'attendent aux cataractes.» Et il ne l'écouta pas et il vint en bateau. Et les habitants de Pérélaslavets envoyèrent vers les Petchénègues disant : «Voici que Sviatoslav revient en Russie après avoir pris aux Grecs beaucoup de richesses et fait beaucoup de butin, et il n'a que peu de compagnons.» Les Petchénègues ayant entendu cela, se mirent en embuscade aux cataractes; et Sviatoslav vint aux cataractes, et il ne lui fut pas possible de les franchir. II passa l'hiver à Biélo-Béréjié et les vivres commencèrent à lui manquer, et il y eut une grande famine; on payait une tête de cheval la moitié d'une grivna. Et Sviatoslav passa l'hiver là. Quand le printemps arriva,
    Année 6480. Sviatoslav alla aux cataractes et il fut attaqué par Kouria, prince des Petchénègues, et ils tuèrent Sviatoslav; et lui coupèrent la tête. De sa tête ils firent une coupe qu'ils garnirent de métal et dans laquelle ils burent. Sviénald vint à Kiev auprès d'Iaropolk. Or le règne de Sviatoslav avait duré en tout vingt-huit ans (972).
 
 
XXXVII – Lègne de Iaropolk, événements divers (973-977).
 
    Année 6481. Iaropolk commença à régner (973).
    Années 6482, 6483. Le fils de Sviénald appelé Liout, était à la chasse; il était sorti de Kiev et poursuivait les animaux dans la forêt. Oleg le vit et demanda : «Qui est cet homme ?» et on lui dit que c'était le fils de Sviénald; il s'élança à cheval sur lui et le tua, car il était lui-même à la chasse. Et de là vint une haine entre Iaropolk et Oleg. Et Sviénald disait toujours à Iaropolk : «Marche contre ton frère et empare-toi de son domaine;» car il voulait venger son fils (974-75).
    Années 6484-6485. Iaropolk marcha contre son frère Oleg dans le pays des Drevlianes et Oleg s'avança à sa rencontre; ils rangèrent leurs armées en bataille. Le combat s'engagea et Iaropolk fut vainqueur. Oleg s'enfuit avec son armée dans une ville appelée Vroutchié, et il y avait sur le fossé un pont pour aller à la porte de la ville. Les soldats se poussant sur le pont se firent tomber dans le fossé et ils précipitèrent Oleg du pont dans le fossé. Beaucoup de soldats tombèrent du pont et les chevaux étouffèrent les hommes. Et Iaropolk entra dans la ville d'Oleg et s'empara de ses biens. Et il envoya chercher son frère. On le chercha, on ne le trouva pas. Et un Drevliane dit : «J'ai vu qu'hier on l'a poussé  du haut du pont.» Et Iaropolk envoya chercher son frère et on tira des cadavres du fossé du matin jusqu'à midi, et on trouva Oleg tout au fond sous les cadavres; on l'apporta et on le mit sur un tapis. Et Iaropolk vint près de lui et pleura et il dit à Sviénald : «Regarde, voilà ce que tu voulais.» Et l'on enterra Oleg auprès de la ville de Vroutchié et son tombeau existe encore aujourd'hui près de Vroutchié. Et Iaropolk prit son domaine. Or Iaropolk avait pour femme une Grecque; elle avait été religieuse; mais Sviatoslav l'avait retirée du couvent et donnée à Iaropolk en raison de sa beauté. Vladimir ayant appris à Novogorod que Iaropolk avait tué Oleg eut peur et s'enfuit au delà de la mer. Iaropolk établit à Novogorod ses posadniks et régna seul en Russie (976-77).
 
XXXVIII. – Vladimir épouse Rogniéda. Il règne seul à Kiev, ses débauches. (978-988).
 
    Année 6486, 6487, 6488. Vladimir vint avec les Varègues à Novogorod et dit aux posadnik de Iaropolk : «Allez chez mon frère et dites-lui : Vladimir viendra t'attaquer; apprête-toi à le combattre.» Et il s'établit à Novogorod. Et il envoya chez Rogvold à Polotsk, disant : «Je veux prendre ta fille pour femme.» Rogvold demanda à sa fille : «Veux-tu épouser Vladimir ?» Elle répondit : «Je ne veux point déchausser Vladimir, fils d'une servante;2  je veux Iaropolk.» Rogvold était venu d'au delà de la mer, et il régnait à Polotsk, et Toury à Tourov. C'est de lui que les Tourovtsy ont pris leur nom. Et les serviteurs de Vladimir vinrent et lui dirent tout ce qu'avait dit Rogniéda, fille de Rogvold, prince de Polotsk. Vladimir alors rassembla une nombreuse armée de Varègues et de Slaves, de Tchoudes et de Krivitches, et marcha contre Rogvold. A ce moment on voulut marier Rogniéda à Iaropolk; et Vladimir vint à Polotsk et tua Rogvold et deux de ses fils et prit sa fille pour femme et marcha contre Iaropolk. Et Vladimir vint à Kiev avec une armée nombreuse, et Iaropolk ne put lui résister, et il s'enferma à Kiev avec son peuple et avec Bloud. Vladimir s'établit à Dorogojytch, se fortifia entre Dorogojytch et Kapitchet l'on voit encore aujourd'hui le fossé (qu'il fit). Vladimir envoya donc des messagers à Blond, volévode de Iaropolk, et il lui adressa ces paroles perfides : «Sois mon ami : si je tue mon frère, je te prendrai comme père et tu seras près de moi en grand honneur; ce n'est pas moi qui ai commencé à tuer mes frères, mais lui; et moi le redoutant, j'ai fait cette expédition contre lui.» Et Blond répondit aux messagers de Vladimir : «Je serai ton ami de tout coeur.» O maudite ruse des hommes, comme dit David : «Celui qui mangeait mon pain m'a tendu un piège;» (Ps 40,9) car cet homme tendit un piège perfide à son prince; et encore : « Leurs langues ont trompe; juge-les Seigneur. Qu'ils tombent du haut de leur pensée; chasse-les en raison de leurs impiétés ; car ils t'ont irrité, Seigneur.» (Ps 5,10) Et David dit de même : «Les hommes de sang et de trahison n'arriveront pas à la moitié de leur carrière.» (Ps 54,23) C'est un mauvais conseil que celui qui conseille l'effusion du sang. Ce sont des insensés ceux qui, ayant reçu de leur seigneur ou maître de l'honneur ou des présents, méditent la perte de leur prince; ces hommes sont pires que des démons. Ainsi Blond trahit son prince après avoir reçu de lui beaucoup d'honneurs; il fut coupable du sang versé. Blond s'enferma donc avec Iaropolk; il le flattait et envoyait souvent des messagers à Vladimir, l'invitant a donner l'assaut à la ville. Il voulait tuer Iaropolk mais il ne lui était pas possible de le tuer à cause des habitants. Blond ne pouvant le tuer, imagina une ruse, lui conseillant de ne pas sortir de la ville pour combattre, et il dit à Iaropolk : «Les habitants de Kiev envoient des messagers à Vladimir et lui disent : Approche-toi de la ville et nous te livrerons Iaropolk. Fuis donc de la ville.»
    Iaropolk l'écouta, s'enfuit avant lui de la ville et s'enferma dans la ville de Rodnia à l'embouchure de la Ros. El Vladimir vint à Kiev; et il assiégea Iaropolk à Rodnia, et grande fut la famine dans cette ville. Aujourd'hui encore il y a un proverbe : misère comme à Rodnia. Et Bloud dit à Iaropolk : «Tu vois combien l'armée de ton frère est nombreuse; nous ne pouvons le vaincre; conclus la paix avec ton frère.» Il disait cela par ruse. Et Iaropolk dit : «Qu'il en soit ainsi.» Et Bloud envoya des messagers vers Vladimir, disant  : «Voici que ton désir est accompli; je t'amènerai Iaropolk; apprête-toi à le tuer.» Vladimir, ayant entendu cela, vint au palais du Donjon, ce palais de son père dont nous avons déjà parlé et s'y établit avec sa droujina. Et Biouddit à Iaropolk :  «Va trouver ton frère et dis lui : Tout ce que tu me donneras, je l'accepterai.» Alors Iaropolk sortit, et Variajko lui dit : «Ne va pas, prince : ils te tueront; sauve-toi chez les Petchénègues et tu ramèneras une armée.» Mais il ne l'écouta pas, et Iaropolk vint auprès de Vladimir. Comme il entrait, deux Varègues le frappèrent de leurs épées sous les aisselles. Bloud ferma. la porte et ne permit à aucun des siens d'entrer après lui. C'est ainsi que périt Iaropolk. Variajko voyant qu'Iaropolk était tué s'enfuit du palais chez les Petchénègues, et avec eux il combattit fréquemment contre Vladimir. Vladimir eut grand peine à le faire revenir sous la foi du serment. Or Vladimir eut commerce avec la femme de son frère, une femme grecque; elle devint enceinte et donna le jour à Sviatopolk. Or d'une racine infectée par le péché viennent de mauvais fruits; car la mère de Sviatopolk était religieuse et Vladimir eut commerce avec elle sans l'avoir épousée. Sviatopolk fut donc un fils adultérin : aussi son père ne l'aima-t-il point; car il avait deux pères, Iaropolk et Vladimir. Alors les Varègues dirent à Vladimir : «Cette ville nous appartient, nous l'avons conquise, nous voulons qu'elle se rachète à raison de deux grivnas par homme.» Et Vladimir leur dit : «Attendez un mois qu'on ait recueilli les peaux de martre.» ils attendirent un mois, et il ne leur donna rien. Et les Varègues dirent : «Tu nous as trompés; montre-nous le chemin de la Grèce.» Il leur dit  : «Allez,» et il choisit parmi eux des hommes bons, sages et vaillants et il leur distribua les villes; les autres allèrent à Constantinople en Grèce. Et il envoya devant eux des ambassadeurs à l'empereur disant  : «Voici que les Varègues vont chez toi; ne les garde pas dans la ville; car ils feront du mal comme ils en ont fait ici; mais disperse-les de divers côtés et n'en laisse pas un seul revenir par ici (978-80).»
    Et Vladimir commença à régner seul dans Kiev; puis il établit en dehors du palais du Donjon sur une éminence plusieurs idoles : Péroun en bois, avec une tête d'argent et une barbe d'or, et aussi Khors, Dajbog, Strybog, Simargi et Mokoch. On leur offrit des sacrifices; le peuple offrit ses fils, ses filles comme victimes aux démons : ils souillèrent la terre de leurs sacrifices, et la terre russe et cette hauteur furent souillées de sang. Mais le Dieu très bon ne voulut pas la mort des pécheurs; sur cette éminence est aujourd'hui l'église de Saint Basile dont nous parlerons plus bas. Mais revenons à notre récit. Vladimir établit alors Dobrynia son oncle à Novogorod; Dobrynia vint à Novogorod et il éleva une idole de Peroun sur le fleuve Volkhov. Les Novogorodiens lui offrirent des victimes comme à Dieu. Or Vladimir se laissa aller à l'amour des femmes; sa femme légitime était Rogniéda qu'il établit à Lybed où est maintenant le village de Predslavino. Il en eut quatre fils : Isiaslav, Mstivslav, Iaroslav, Ysevolod et deux filles; de la Grecque il eut Sviatopolk; d'une Tchèque Vycheslav, d'une autre Sviatoslav, Mstislav et Stanislav; d'une bulgare Boris et Gleb. Et il avait trois cents concubines à Vychégorod, trois cents à Bialogorod, deux cents à Bérestovo, dans un château que l'on appelle encore aujourd'hui Bérestovolé. Insatiable de débauche, il séduisait les femmes mariées et faisait violence aux jeunes filles; car il était débauché comme Salomon. Car il est dit de Salomon au livre des Rois qu'il avait sept cents femmes et trois cents concubines. Il était sage et, à la fin de sa vie, il s'égara; l'autre était insensé, et à la fin de sa vie il trouva le salut. «Le Seigneur est grand, et sa puissance est grande : et sa sagesse est incommensurable.» (Ps 144,3) Car l'attrait de la femme est une mauvaise chose, comme l'a dit des femmes Salomon repentant : «N'écoute pas les mauvaises femmes; car le miel coule des lèvres de la femme débauchée; il réjouit un instant ton palais; ensuite il devient plus amer que le fiel. Celui qui s'attache à elle ira en enfer; car elle ne marche pas dans la voie de la vie, mais dans l'erreur et la folie.» (Pro 2,6) Voilà ce que Salomon dit de la femme débauchée voici ce qu'il dit de la femme vertueuse : «Elle est plus précieuse qu'une pierre précieuse; son mari se réjouit d'elle; car elle fait son bonheur pendant toute sa vie; elle recherche la laine et le lin, et ses mains en font des choses utiles; elle est semblable à un vaisseau qui va chercher sa cargaison et rassemble des richesses; elle se lève la nuit, et distribue les aliments à sa maison et le travail à ses servantes; elle a vu un champ et l'a acheté; du travail de ses mains, elle a planté une vigne ; elle a ceint ses reins de force est elle a fortifié ses bras au travail; elle a montré combien l'activité est une bonne chose. Sa lumière ne s'éteint pas de la nuit entière; elle applique sa main à des choses utiles, et ses doigts tiennent le fuseau. Elle a ouvert ses mains aux pauvres et donne se biens aux misérables. Son mari n'a point à s'occuper de la maison; partout où elle sera, les siens sont vêtus; elle a fait un double vêtement à son époux; le brocart et l'écarlate sont sa parure; on distingue son mari aux portes de la ville quand il s'assied avec les anciens et les citoyens; elle a fait des étoffes et les a vendues; elle ouvre ses lèvres avec sagesse; elle parle à propos; elle s'est revêtue de force et de grâce; ses aumônes ont élevé et ont enrichi ses enfants; et son mari l'a louée, car une femme sage est bénie. Qu'elle loue la crainte de Dieu. Donnez lui les fruits de ses lèvres, et que ses oeuvres la louent devant les portes de son époux.» (Pro 31,10,32)
    Année 6489. Vladimir marcha contre les Lekhs et leur prit les villes de Prémysl, Tcherven et d'autres qui sont encore aujourd'hui soumises à la Russie. Cette même année il vainquit les Viatitches et établit sur eux un tribut par charrue, comme son père avait fait (981).
    Année 6490. Les Viatitches firent la guerre; et Vladimir marcha contre eux et il les vainquit une seconde fois (982).
 
XXXIX. – Sacrifices humains. Histoire du Varègue chrétien (968).
 
    Année 6491. Vladimir marcha contre les Iatviagues, et il vainquit les Iatviagues et il prit leur pays. Et il alla à Kiev et il offrit des sacrifices aux idoles avec son peuple, et les anciens et les bojars dirent : «Tirons au sort un jeune homme et une jeune fille, et celui sur qui le sort tombera sera immolé aux dieux.» Il y avait un certain Varègue; sa maison était là où se trouve le temple de la sainte mère de Dieu, fondé par Vladimir. Ce Varègue était venu de la Grèce, il était chrétien; et il avait un fils beau de visage et d'âme. Le sort tomba sur lui par la haine du démon; car le démon ne pouvait le souffrir, lui qui a pouvoir sur tout; et cet enfant lui était comme une épine dans le coeur. Il s'efforça donc, le maudit, de le faire périr et il excita le peuple. Des gens furent envoyés au père et lui dirent  : «Le sort est tombé sur ton fils; les dieux l'ont réclamé, nous allons le leur sacrifier.» Et le Varègue dit : «Ce ne sont pas des dieux; ce n'est que du bois qui est aujourd'hui et se pourrira demain; ils ne mangent pas, ils ne boivent pas, ils ne parlent pas; c'est la main de l'homme qui les a taillés dans le bois. Il n'y a qu'un Dieu unique que servent les Grecs et à qui ils rendent hommage; il a créé le ciel et la terre, les étoiles et la lune, le soleil et l'homme qu'il fait vivre sur la terre. Et ces dieux qu'ont-ils fait ? On les a faits eux-mêmes. Je ne donnerai pas mon fils aux démons.» Les envoyés revinrent et rapportèrent ces propos aux païens. Ceux-ci prirent les armes, marchèrent contre lui et brisèrent les barrières de sa maison. Le Varègue était avec son fils dans le vestibule. Ils lui dirent : «Donne-nous ton fils, que nous le livrions aux dieux.» Il répondit : «Si ce sont des dieux, ils enverront l'un d'entre eux et prendront mon fils. Qu'avez-vous besoin de lui ?» Et poussant de grands cris ils brisèrent le plancher sous eux et les tuèrent. Nul ne sait où on les enterra. Or ces gens étaient grossiers et païens. Le diable se réjouit de cet événement, ne sachant pas combien sa ruine était proche. Il s'efforçait d'anéantir la race chrétienne. Dans d'autres pays il avait été chassé par la croix sainte. Il pensait en lui-même : «Ceci est ma demeure; car ni les apôtres n'ont enseigné, ni les prophètes n'ont prophétisé ici.» Il ne savait pas que le prophète a dit : «J'appellerai miens des peuples qui ne sont pas miens.» Au sujet des apôtres il a dit  : «Leur voix s'est répandue par toute la terre et leurs paroles jusqu'au bout du monde.» (Os 11,28) Quoique les apôtres n'y aient point été en personne, cependant leurs enseignements résonnent comme des trompettes par tout le monde dans les églises et c'est par ces enseignements que nous triomphons de l'ennemi et le foulons aux pieds; ainsi ont fait ces saints précurseurs qui ont reçu la couronne céleste avec les saints martyrs et les justes.