Chronique de Nestor
 
 
XLVL – Nouvelle guerre avec les Petchénègues. – Siège de Bielgorod. Histoire merveilleuse (997).
 
    Année 6505. Vladimir alla à Novogorod chercher de la cavalerie pour combattre les Petchénègues : car la guerre durait avec acharnement et sans relâche. Cependant les Petchénègues s'étant aperçus que le prince était absent, vinrent et s'établirent autour de Bielgorod. Ils bloquèrent la ville et il y eut une grande famine dans le château, où il était impossible à Vladimir d'apporter quelque secours; car il n'avait pas d'armée, et les Petchénègues étaient fort nombreux. Et le siège de la ville continuait, et il y avait une grande famine et ils se rassemblèrent et dirent : «Voici que nous allons mourir de faim et nous n'avons pas de secours du prince : ne vaut-il pas mieux mourir tout de suite ? Rendons-nous aux Petchénègues; ils donneront la vie à quelques-uns d'entre nous, ils tueront les autres; mais d'un autre côté nous mourrions de faim.» Telle fut leur décision. Or, un certain vieillard qui n'était pas de l'assemblée demanda ce qu'on avait décidé, et le peuple lui dit que le lendemain on devait se rendre aux Petchénègues. Ayant entendu cela, il envoya dire aux anciens de la ville : «J'ai appris que vous vouliez vous rendre aux Petchénègues.» Ils répondirent : «Le peuple ne peut pas supporter la famine.» Ils leur dit : «Écoutez-moi, différez votre reddition de trois jours et faites ce que je vous ordonnerai.» Ils consentirent volontiers à l'écouter. Et il leur dit : «Prenez une mesure d'avoine, de blé ou de son. Ils allèrent chercher ce qu'il avait dit. Il ordonna aux femmes de préparer le liquide avec lequel on fait du kisel et il ordonna de creuser un puits, d'y mettre une cuve et de verser le liquide dans cette cuve. Puis il ordonna de creuser un second puits et d'y établir une seconde cuve. Ensuite il ordonna de chercher du miel; et on lui apporta une corbeille de miel que l'on conservait dans l'office du prince : il le fit délayer dans de l'eau et le fit verser dans la cuve qui était au-dessus de ce puits. Le lendemain, il envoya une députation aux Petchénègues : des gens de la ville allèrent les trouver et leur dirent : «Prenez-nous des otages et que dix des vôtres viennent dans notre ville pour voir ce qui s'y passe.» Les Petchénègues se réjouirent pensant qu'ils voulaient se rendre, prirent leurs otages et choisirent eux-mêmes les hommes les plus considérés et les envoyèrent à la ville afin qu'ils examinassent ce qui se passait. Et ils vinrent dans la ville et le peuple leur dit : «Pourquoi vous épuisez-vous contre nous ? Croyez-vous nous vaincre ? Quand même vous resteriez ici dix ans que pouvez-vous nous faire ? La terre nous fournit des vivres; si vous ne le croyez pas, voyez-le de vos propres yeux.» Et ils les conduisirent au puits ou se trouvait la cuve, et ils y puisèrent de la bouillie avec un seau, la versèrent dans des marmites et la firent bouillir en leur présence. Puis après avoir fait du kisel, ils vinrent avec eux à l'autre puits, y puisèrent de l'hydromel, et se mirent à manger : les Petchénègues mangèrent ensuite; et ils s'étonnèrent et dirent  : «Nos princes ne croiront pas cela s'ils ne goûtent pas eux-mêmes.» Le peuple ayant tiré une jatte de bouillie et une jatte d'hydromel la donna aux Petchénègues. Ceux-ci à leur retour dirent tout ce qui s'était passé et les princes Petchénègues prirent le kisel, le firent cuire et furent émerveillés. Ils reprirent leurs otages, rendirent ceux de la ville et retournèrent dans leur pays. (998).
 
XLVII. – Fin du règne de Vladimir. – Sa mort (998-1015). – Svistopolk. – Meurtre de Boris et de Gleb (1015).
 
    Années 6506, 6507, 6508. Malfrid mourut. Cette même année mourut Rogniéda, mère d'laroslav.
    Année 6509. lziaslav, père de Briatchislav, fils de Vladimir, mourut.
    Années 6510, 6511. Vycheslav, fils d'lziaslav, petit-fils de Vladimir, mourut.
    Années 6512, 6513, 6514, 6515. On apporta des saints à l'église de la mère de Dieu.
    Années 6516, 6517, 6518, 6519. Anna, femme de Vladimir et fille de l'empereur, mourut.
    Années 6520, 6521, 6522. Quand Iaroslav était à Novogorod, il payait à Kiev un tribut annuel de deux mille grivènes, et donnait mille grivènes à ses grides, à Novogorod. Tous les posadniks de Novogorod en donnaient autant. Iaroslav cessa de payer cette somme à Kiev. Et Vladimir dit : «Réparez la route et bâtissez un pont.» Car il voulait marcher contre son fils Iaroslav; mais il tomba malade.
    Année 6523. Lorsque Vladimir voulut marcher contre Iaroslav, Iaroslav envoya au delà de la mer appeler les Varègues par crainte de son père. Mais Dieu ne donna pas au diable cette satisfaction. Or au moment où Vladimir tomba malade, il avait auprès de lui son fils Boris. Les Petchénègues marchèrent contre la Russie : il envoya Boris contre eux étant lui-même bien malade; et il mourut de cette maladie le 15 juillet. Le prince Vladimir mourut à Bérestovo, et l'on cacha sa mort; car Sviatopolk était à Kiev. On fit, la nuit, entre deux chambres, un trou au milieu du plancher; on enveloppa le corps dans une couverture; on le descendit à terre avec des cordes, on le mit sur un traîneau, puis on alla l'ensevelir dans l'église de la Mère de Dieu qu'il avait bâtie lui-même. Quand le peuple eut appris cela, une foule innombrable se répandit par la ville et le pleura, les boïars comme le défenseur du pays, les malheureux comme leur défenseur et leur bienfaiteur : puis ils le mirent dans un cercueil de marbre et enterrèrent avec de grands gémissements le corps du bienheureux prince. C'est un nouveau Constantin de la grande Rome qui s'est converti lui et les siens. Vladimir a fait comme Constantin. II était d'abord livré aux mauvaises passions; il s'est plus tard repenti, comme dit l'apôtre : «Quand les péchés augmentent, la grâce devient plus abondante.» (Rom 5,20) Si donc il a d'abord péché quelquefois vivant dans l'ignorance, plus tard cependant il s'est distingué par son repentir et ses aumônes ainsi qu'il est écrit : «Je te jugerai dans l'état où je te trouverai.» (Pro 11,7) Le prophète dit de même : «Je suis le Dieu vivant Adonaï, et je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et vive : convertissez-vous et revenez dans la bonne voie.» (Ez 33,1) Car beaucoup de gens justes et vivant suivant la loi de Dieu retournent de la bonne voie à la mort et périssent; et d'autres vivant d'une manière injuste viennent à résipiscence au moment de la mort et se purifient par une contrition convenable, suivant ce que dit le prophète : «Le juste ne peut trouver de salut au jour de son péché; si je dis au juste : tu vivras, qu'il se fie en sa justice et accomplisse l'iniquité; toute sa justice sera oubliée dans l'injustice qu'il a commise, et il mourra dans cette injustice. Et si je dis au méchant : tu périras à jamais, et qu'il revienne de la voie où il marche et se conduise avec équité et justice, qu'il rende ce qu'il a reçu et ce qu'il a pillé, tous les péchés qu'il a commis seront oubliés dès qu'il aura commencé; parce qu'il vit avec justice et équité, il vivra dans cette justice et cette équité. Je jugerai chacun de vous suivant sa voie, ô maison d'Israël.» (Ez 33,12-16) Or, cet homme est mort dans la bonne religion; il a effacé ses péchés par la contrition, par les aumônes qui valent mieux que toute chose; car il est écrit : «Je veux des aumônes et non des victimes; car l'aumône est meilleure que toute chose, plus haute que toute chose; elle conduit aux cieux mêmes, devant Dieu, comme dit l'ange à Cornélius : tes prières et tes aumônes sont rappelées devant Dieu.» (Ac 10,31) C'est chose merveilleuse combien il a fait de bien à la Russie en la baptisant. Mais nous devenus chrétiens, nous ne lui rendons pas un honneur digne du bien que nous en avons reçu. S'il ne nous avait pas baptisés, nous serions maintenant dans les embûches du diable où ont péri nos ancêtres. Si nous avions eu soin de lui et que nous eussions prié Dieu pour lui au moment de sa mort, sans doute Dieu voyant notre zèle l'aurait glorifié : nous devons donc prier Dieu pour lui; car c'est par lui que nous avons connu Dieu. Puisse donc le Seigneur te récompenser suivant ton coeur et exaucer toutes tes prières; puisse-t-il te donner le royaume des cieux que tu désirais, la couronne des justes, le rafraîchissement et les joies du paradis; puisse-t-il t'associer à Abraham et aux autres patriarches, suivant ce qu'a dit Salomon : quand l'homme juste meurt, l'espérance n'est pas perdue. Les Russes se le rappellent quand ils songent à leur conversion : ils louent Dieu dans leurs prières, dans leurs chants, dans leurs psaumes, et célèbrent Dieu : peuple nouveau éclairé par l'Esprit saint, ils espèrent dans le grand Dieu, dans notre Seigneur Jésus Christ, qu'il donnera à chacun, suivant ses travaux, une joie ineffable. Puisse cette joie être le partage de tous les chrétiens! (1015.)
    Sviatopolk s'établit à Kiev après son père et appela les Kieviens et il se mit à leur distribuer des biens; ils les acceptèrent, mais leur coeur n'était pas disposé pour lui : car leurs frères étaient avec Boris. Quand Boris revint avec l'armée sans avoir rencontré les Petchénègues, la nouvelle que son père était mort arriva jusqu'à lui. Il pleura beaucoup son père; car son père l'aimait par dessus tout, et il arriva sur l'Alta et s'y arrêta : la droujina de son père lui dit : «Tu as auprès de toi la droujina de ton père et son armée, va t'établir à Kiev sur le trône de tes pères.» Il répondit : «A Dieu ne plaise que je lève la main sur mon frère aîné; car, puisque mon père est mort, c'est lui qui en tiendra la place.» L'armée entendant ces paroles le quitta et Boris resta seul avec ses serviteurs. Sviatopolk plein d'injustice conçut un dessein digne de Caïn, et envoya dire à Boris : «Je veux vivre en amitié avec toi, et augmenter les biens que tu tiens de notre père.» Il disait cela par ruse, cherchant une occasion de le faire périr. Puis Sviatopolk alla de nuit à Vychégrad et appela secrètement Pouticha et les autres boïars de Vychégrad et leur dit : «M'êtes-vous dévoués de coeur ?» Pouticha elles autres répondirent : «Nous sommes prêts à mourir pour toi.» Il leur dit : «Ne dites rien à personne : allez et tuez mon frère Boris.» Ils lui promirent de faire cela immédiatement. C'est de tels hommes que Salomon a dit : «Ils sont prompts à verser le sang injustement; ils se mettent en embuscade contre leur sang; ils amassent le mal, leur voie est celle de ceux qui commettent l'iniquité, ils perdent leur âme par l'injustice.» (Pro 1,16) Les envoyés arrivèrent donc de nuit près de l'Alta, et s'approchant, ils entendirent le bienheureux Boris qui chantait matines; car il savait déjà qu'on voulait le tuer. Il se leva et commença à chanter en disant : «Seigneur, pourquoi le nombre de ceux qui me persécutent a-t-il augmenté ? Beaucoup se sont levés contre moi.» (Ps 3,1) Et encore : «Tes flèches sont entrées dans ma chair. Je suis prêt aux coups, et ma douleur est devant moi.» (Ps  27,3) Et encore : «Seigneur, écoute ma prière et ne juge pas ton serviteur, car aucun être  vivant ne se justifiera devant toi ; car l'ennemi poursuit mon âme.» (Ps  7,1) Puis après avoir fini les six psaumes, s'apercevant que les envoyés allaient le frapper, ils se mit à chanter le psautier disant : «De forts taureaux m'ont entouré et l'assemblée des méchants m'a environné. Seigneur Dieu, j'ai espéré en toi : Sauve-moi et délivre-moi de tous les persécuteurs.» (Ps 21,13) Puis il se mit à chanter le canon. Puis après avoir fini les matines, il se mit à prier regardant une image qui représentait le Seigneur et dit : «Seigneur Jésus Christ qui t'es montré sur la terre, sous cette forme, pour notre salut et as laissé volontairement clouer tes mains sur la croix, et as souffert ta passion pour nos péchés, donne-moi aussi de supporter la mienne. Je la reçois non pas de mes ennemis, mais de mon frère : Seigneur, ne lui en fais pas un péché.» Puis après avoir prié, il se jeta sur son lit et alors les assassins se précipitèrent comme des bêtes féroces autour de la tente et percèrent Boris de leurs lances : son serviteur tomba sur lui, et fut tué en même temps que lui. Boris l'aimait beaucoup. C'était un jeune homme de race hongroise du nom de Georges, et Boris l'aimait beaucoup. Il lui avait fait don d'un grand collier d'or et il le portait à son cou quand il servait le prince. Ils tuèrent aussi un grand nombre des autres serviteurs de Boris. Ne pouvant enlever vite à Georges le collier qu'il portait au cou, ils lui coupèrent la tête et après avoir enlevé le collier ils jetèrent la tête; aussi plus tard on ne reconnut pas son corps parmi les cadavres. Les impies après avoir égorgé Boris l'enveloppèrent dans une toile de tente, le mirent sur un chariot et l'emportèrent encore respirant. Quand l'impie Sviatopolk eut appris qu'il respirait encore, il envoya deux Varègues pour l'achever. Ils vinrent et virent qu'il était encore en vie. L'un deux tira son épée et lui perça le coeur. Ainsi mourut le bienheureux Boris. Il a reçu avec les justes la couronne de notre Seigneur Jésus Christ; il est allé se joindre aux apôtres et aux prophètes, il est mêlé aux choeurs des martyrs, il repose dans le sein d'Abraham, contemplant la joie ineffable, chantant avec les anges et se réjouissant avec le choeur des saints. On emporta secrètement son corps à Vychégrad et on l'enterra dans l'église de Saint-Basile. Or ces impies meurtriers allèrent trouver Sviatopolk, comme s'ils avaient fait quelque chose de glorieux, les misérables ! Les noms de ces criminels sont : Poutcha et Talets, Iélovit et Liachko, et leur père est Satan. Les démons remplissent de tels ministères ici-bas; car les démons sont envoyés pour faire le mal, et les anges pour le bien; car l'ange ne fait pas de mal à l'homme, mais il pense toujours à son bien; il aide tous les chrétiens et les protège contre le diable leur ennemi; mais les démons ne cherchent que le mal, ils sont jaloux de l'homme parce qu'ils le voient honoré de Dieu, et étant jaloux de l'homme, ils sont prompts quand Dieu les envoie faire le mal. En effet Dieu dit : «Qui perdra Achab ?» Et un démon dit : «C'est moi qui irai.» (Chro 18,19) Or l'homme méchant qui se livre au mal est pire que le démon : car les démons redoutent Dieu, et l'homme méchant n'a ni peur de Dieu, ni honte devant les hommes. Les démons ont peur de la croix du Seigneur, et l'homme méchant n'a pas peur de la croix du Seigneur. Aussi David dit : «Vous tenez des propos justes : vous jugez avec justice, ô fils des hommes; mais dans votre coeur vous faites des injustices; vos mains font peser l'injustice sur la terre; les hommes sont pervers au sortir du sein de leur mère; ils sont errants dès qu'ils, sont nés disant des mensonges; leur poison est comme le poison du serpent.» (Ps  58,1)
    L'impie Sviatopolk pensa alors en lui-même : «J'ai tué Boris, comment tuerais-je bien Gleb ?» Et il conçut une pensée digne de Caïn. Il envoya un message artificieux à Gleb, disant : «Viens vite; notre père t'appelle; car il est très malade.» Gleb monta aussitôt à cheval et partit avec une petite droujina; car il était très obéissant envers son père. Quand il arriva au Volga, son cheval rencontra dans la plaine un fossé et lui fit une petite fracture au pied. Ensuite Gleb vint à Smolensk, en repartit à l'aube et prit un bateau à Smiadin. A ce moment Iaroslav ayant appris de Predslava, fille de Vladimir, la mort de son père, envoya vers Gleb disant : «Ne viens pas : ton père est mort et ton frère a été tué par Sviatopolk.» Gleb entendant ces paroles éclata en larmes et en sanglots, pleurant son père et son frère plus encore; et il se mit à prier avec larmes, disant : «Malheur à moi, Seigneur : il vaudrait mieux que je fusse mort avec mon frère que de vivre dans ce monde. Si j'avais vu, mon frère, ton visage angélique, je serais mort avec toi. Maintenant pourquoi suis-je resté seul ? Où sont ces paroles que tu me disais, mon frère bien-aimé ? Maintenant je n'entendrai plus tes doux conseils. Si tu as reçu ta récompense du Seigneur, prie pour moi, afin que je supporte ce martyre; j'aimerais mieux mourir avec toi que de vivre dans ce monde plein d'artifice.» Tandis qu'il priait ainsi avec larmes, soudain arrivèrent les envoyés de Sviatopolk pour tuer Gleb, et ces envoyés s'emparèrent du bateau de Gleb et tirèrent leurs épées. Les serviteurs de Gleb furent frappés de terreur; l'un des envoyés, le misérable Goriaser, ordonna d'égorger aussitôt Gleb; le cuisinier de Gleb, appelé Tortehin, prit un couteau et l'égorgea. Comme un agneau innocent, il se donna en sacrifice à Dieu, dans un parfum agréable, comme une victime éloquente; il reçut la couronne, et entré dans le ciel il y vit son frère tant regretté et se réjouit avec lui d'une joie ineffable dans son amour fraternel. O qu'il est beau, qu'il est bon quand des frères vivent ensemble ! Et les misérables retournèrent chez eux. Car, comme dit David : «Que les maudits aillent en enfer.» (Ps 9,18) Et encore : «Les pécheurs ont tiré l'épée, ils ont tendu leur arc pour frapper le faible et le pauvre, et percer les gens qui ont le coeur droit; que leur épée entre dans leur coeur, que leurs arcs se brisent, et que les pécheurs périssent et se dissipent comme de la fumée.» Quand ils furent venus, ils dirent à Sviatopolk : «Nous avons accompli tes ordres.» A ces mots il fut transporté d'orgueil, ne sachant pas ce que dit David : «Pourquoi, prince, es-tu fier de ta méchanceté ? ta langue a médité l'injustice toute la journée; comme une lame aiguë, elle a fait le mal; tu as aimé la méchanceté plus que la bonté; tu dis le mensonge plutôt que la vérité, tu as aimé tous les propos superbes et la langue trompeuse; aussi Dieu te détruira de fond en comble, t'arrachera à ta demeure et te déracinera de la terre des vivants.» De même Salomon a dit : «Je rirai de votre perte, et je me réjouirai quand votre ruine arrivera. Ils mangeront les fruits de leur voie et se rassasieront de leur infamie.» (Pro 1,26)
    Gleb fut donc tué et jeté sur la rive entre deux troncs d'arbre, ensuite on l'enleva et on le mit auprès de son frère dans l'église de Saint-Basile; unis dans leur corps et plus encore dans leur âme, ils demeurent auprès du Roi des rois dans une joie infinie, dans un éclat ineffable; ils donnent les dons du salut aux Russes et, à ceux qui viennent, ayant la foi, des autres pays, la guérison; ils donnent la faculté de marcher aux boiteux, la vue aux aveugles, la santé aux malades, la liberté aux captifs; ils ouvrent les cachots aux prisonniers, consolent les opprimés, sauvent ceux qui sont en danger; ils sont les défenseurs de la Russie, ses flambeaux éblouissants à jamais, et ils prient le Seigneur pour leurs compatriotes. Aussi nous devons louer dignement ces martyrs du Christ et les prier avec ferveur en disant : «Réjouissez-vous, martyrs du Christ, patrons de la Russie, vous qui soulagez ceux qui viennent à vous avec foi et amour; réjouissez-vous, habitants des cieux; vous avez été des anges, des serviteurs animés des mêmes pensées, des frères remplis du même esprit, du même coeur que les saints; aussi donnez-vous le salut à tous ceux qui souffrent. Réjouissez-vous, Boris et Gleb, pleins de la sagesse divine; vous jaillissez comme des ruisseaux, comme des sources de l'eau qui donne la vie et verse le soulagement sur les fidèles; réjouissez-vous, vous avez foulé aux pieds le serpent cruel, vous vous êtes montrés entourés de brillants rayons comme des flambeaux illuminant toute la terre russe, chassant toutes ténèbres; vous vous êtes montrés dans une foi inébranlable. Réjouissez-vous, vous qui avez acquis un oeil qui ne s'endort pas, un coeur pénétré des commandements du Seigneur, des âmes bénies pour les accomplir: réjouissez-vous, frères, tous deux dans la demeure du bonheur, dans le séjour du ciel, dans la gloire qui ne se flétrit pas, où vous êtes entrés en raison de vos mérites; réjouissez-vous, vous qui avez été illuminés de la lumière du Seigneur; parcourez le monde entier, chassant les démons, guérissant les malades, flambeaux excellents, patrons zélés vivants auprès de Dieu, toujours éclairés des flammes divines, vaillants martyrs qui éclairez les âmes des fidèles. Vous avez été élevés par la grâce brillante du Seigneur; vous avez reçu en partage toutes les beautés de la vie céleste, la gloire et le rafraîchissement du paradis, la lumière de la raison, la joie de la reconnaissance; réjouissez-vous, vous qui rafraîchissez tous les coeurs, chassez les douleurs et les peines, guérissez les souffrances les plus terribles; des gouttes sacrées de votre sang, vous vous êtes fait une parure de pourpre; vous régnez à jamais avec le Christ; vous priez pour les nouveaux peuples chrétiens, pour vos compatriotes, car la terre russe a été bénie par votre sang, par vos reliques déposées dans l'église que vous éclairez de l'esprit divin, dans laquelle vous priez pour votre peuple, martyrs avec les martyrs. Réjouissez-vous, vous qui êtes devenus le brillant soleil de l'Église; l'Orient s'illumine en votre honneur, ô martyrs. Réjouissez-vous, brillantes étoiles qui vous levez à l'aurore; martyrs fidèles au Christ, ô vous, nos patrons, mettez les païens aux pieds de nos princes; priez le Dieu tout-puissant qu'ils vivent dans la concorde et en santé; défendez-les des guerres intestines et des artifices du diable; permettez-nous, à nous qui vous chantons et vous honorons, de célébrer votre fête dans tous les âges jusqu'à la mort.
 
XLVIII. - Iaroalav de Novogorod déclare la guerre à Svistopolk (1015).
 
    L'impie et méchant Sviatopolk tua ensuite Sviatoslav, l'ayant fait poursuivre dans les montagnes de la Hongrie où il s'était réfugié; et il pensait en lui-même : «Je tuerai tous mes frères et je m'emparerai de toute la Russie.» C'est ainsi qu'il pensait dans son orgueil, ne sachant pas que Dieu donne la royauté à qui il veut, que le Tout-Puissant établit les empereurs et les rois. Si un peuple est justifié devant le Seigneur, il lui donne un roi ou un prince juste, aimant la justice et l'équité, un gouverneur et juge qui rend bien la justice. Quand les princes sont justes dans un pays, maints péchés lui sont pardonnés; quand les princes sont méchants et iniques, Dieu fait peser beaucoup de mal sur le pays, parce que le prince en est la tête. Or Isaïe a dit : «Ils ont péché depuis la tête jusqu'aux pieds,» (Is 1,6) c'est-à-dire depuis le prince jusqu'au bas peuple. Malheur donc à la ville dont le prince est jeune, aimant à boire du vin au son des instruments avec de jeunes conseillers; car Dieu donne de tels princes pour les péchés du peuple et il retire les anciens sages, comme dit Isaïe : «Dieu enlèvera de Jérusalem le fort géant, le vaillant, le juge, le prophète, le vieillard modéré, l'excellent conseiller, l'industrieux artiste, le sage serviteur. J'établirai comme chef un jeune prince insolent pour la gouverner.» (Is 12,1-4
    L'impie Sviatopolk commença donc à régner à Kiev; il convoqua le peuple et se mit à distribuer aux uns des pelisses, aux autres des fourrures et une grande partie des richesses de son père. Or Iaroslav ignorait encore la mort de son père et il avait avec lui beaucoup de Varègues : ils faisaient violence aux Novogorodiens et à leurs femmes, et les Novogorodiens se soulevèrent et tuèrent les Varègues dans la maison de Poromon. Iaroslav irrité vint à Rokom, s'établir dans le palais, et envoya chez les Novogorodiens, disant : «Il ne m'est pas possible de les ressusciter.» Et il appela auprès de lui les hommes les plus considérables qui avaient tué les Varègues, et il les tua par la ruse. Cette même nuit il reçut un message de sa soeur de Kiev Predsiava: «Ton père est mort; Sviatopolk s'est établi à Kiev après avoir tué Boris et a envoyé à la recherche de Gleb : prends bien garde à lui.» Jaroslav à cette nouvelle pleura sur son père et sur sa droujina. Le lendemain il rassembla le reste des Novogorodiens et dit : «O ma chère droujina, je t'ai tuée hier et aujourd'hui tu me serais bien utile.» Et il essuya ses larmes et leur dit dans l'assemblée : «Mon père est mort et Sviatopolk trône à Kiev et massacre ses frères.» Les Novogorodiens dirent : «Prince, quoique nos frères soient tués, nous pouvons cependant combattre pour toi.» Et Iaroslav prit mille Varègues et quarante mille autres soldats et marcha contre Sviatopolk. Il invoqua Dieu et dit : «Ce n'est pas moi qui ai commencé à tuer mes frères, mais bien lui : que Dieu soit le vengeur du sang de mes frères; car il a versé le sang innocent des justes Boris et Gleb. Qui sait s'il ne m'en fera pas autant ? Mais juge-moi, Seigneur, dans la justice; que la méchanceté du pécheur prenne fin.» Et il marcha contre Sviatopolk. Quand Svialopolk eut appris que Iaroslav marchait contre lui, il rassembla une armée innombrable de Russes et de Petchénègues et il marcha en avant vers Loubetch, venant d'un côté du Dniepr et Iaroslav venant de l'autre.
 
XLIX. – Iaroslav s’établit à Kiev. Borolav marche contre lui (1016).
 
    Année 6524. Iaroslav marcha contre Sviatopolk; ils se trouvèrent en face l'un de l'autre des deux côtés du Dniepr, n'osant attaquer ni les uns ni les autres : ils restèrent en face l'un de l'autre trois mois. Le voïévode de Sviatopolk marchant le long du rivage se mit à railler les Novogorodiens, disant : «Pourquoi ôtes-vous venus avec ce boiteux, charpentiers ? Nous vous ferons bâtir nos maisons.» Les Novogorodiens entendant cela dirent à Iaroslav : «Demain nous marcherons contre eux, et celui qui ne viendra pas nous le tuerons nous-mêmes.» Or il commençait à geler. Sviatopolk était campé entre deux lacs; il but toute la nuit avec sa droujina. Iaroslav rassembla la sienne et se mit en marche avec elle au lever de l'aurore. Ils descendirent sur la rive, détachèrent les bateaux du rivage et marchèrent aussitôt les uns contre les autres : Le combat fut terrible et il fut impossible aux Petchénègues de porter secours à cause du lac. Ils acculèrent Sviatopolk et sa droujina au lac; ils s'avancèrent sur la glace, la glace se brisa et Iaroslav commença à remporter l'avantage. Voyant cela Sviatopolk s'enfuit et Iaroslav fut vainqueur.
    Sviatopolk s'enfuit chez les Lekhs et Iaroslav s'établit à Kiev sur le trône de ses pères. Iaroslav de Novogorod avait alors vingt-huit ans.
 
L. – Guerre avec Boleslav (1018).
 
    Année 6525. Iaroslav vint à Kiev et des églises brûlèrent (1017.)
    Année 6526. Boleslav marcha avec Sviatopolk et les Lekhs contre Iaroslav. Iaroslav ayant rassemblé les Russes, les Varègues et les Slaves, marcha contre Boleslav et Sviatopolk et vint en Volhynie et ils campèrent sur les deux rives du fleuve le Boug. Iaroslav avait auprès de lui son père nourricier, un volévode appelé Boudy, et il se mit à injurier Boleslav disant : «Nous percerons ton gros ventre avec un bâton ?» Car Boleslav était grand et lourd tellement qu'il pouvait à peine se tenir à cheval; mais il était intelligent. Et Boleslav dit à sa droujina : «Si cette injure ne vous fait pas honte, je périrai seul.» Il s'élança à cheval à travers le fleuve et son armée le suivit. Iaroslav ne put mettre son armée en bataille et fut vaincu par Boleslav. Iaroslav s'enfuit lui cinquième à Novogorod et Boleslav vint à Kiev avec Sviatopolk. Et Boleslav dit : «Dispersez ma droujina dans les villes pour qu'elle y prenne sa nourriture.» Cet ordre s'accomplit.
    Iaroslav, s'étant enfui à Novogorod, voulait s'échapper au delà de la mer; mais le posadnik Kosniatin, fils de Dobrynia et les habitants de Novogorod brisèrent les vaisseaux d'Iaroslav disant : «Nous voulons encore nous battre avec Boleslav et Sviatopolk.» Ils se mirent à rassembler de l'argent à raison de quatre peaux de martre par homme, de dix grivènes par staroste et de dix-huit grivènes par boïar; ils appelèrent les Varènes et leur donnèrent de l'argent; et Iaroslav rassembla une grande armée. Boleslav était à Kiev, et l'impie Sviatopolk dit : «Tuez tout ce qu'il y de Lekhs dans la ville.» Et ils tuèrent les Lekhs. Boleslav s'enfuit donc de Kiev emportant le trésor, emmenant les bojars et les deux soeurs d'Iaroslav; et il établit Anastase désiatnik (décurion) du trésor; car il avait gagné sa confiance par ses artifices; et il emmena beaucoup d'habitants avec lui, et il prit les villes du pays de Tchervensk et il revint dans son pays. Sviatopolk se mit à régner à Kiev. Et Iaroslav marcha contre Sviatopolk et Sviatopolk s'enfuit chez les Petchénègues (1018).
 
LI. – Suite de la guerre (1020). – Défaite et fuite de Sviatopolk.
 
    Année 6527. Sviatopolk vint avec les Petchénègues à la tête d'une forte armée, et Iaroslav rassembla une armée considérable et marcha contre lui sur l'Alta. Iaroslav s'arrêta à l'endroit où Boris avait été tué; il leva les mains au ciel et dit : «Le sang de mon frère crie vers toi, Seigneur : venge le sang de ce juste, comme tu as vengé le sang d'Abel en infligeant à Caïn les gémissements et la terreur; qu'il en soit de même de Sviatopolk.» Après avoir prié, il dit : «Mes frères, quoique vous ne soyez point ici présents de corps, aidez-moi de votre prière contre cet adversaire, cet assassin, cet orgueilleux.» Après cette prière, les deux frères marchèrent l'un contre l'autre, et les plaines de l'Alta furent couvertes d'une multitude infinie de soldats des deux partis. C'était un vendredi au lever du soleil, et il y eut un combat terrible et tel qu'il n'y en avait pas encore eu en Russie : les soldats se prirent corps à corps et se mirent en pièces; trois fois ils recommencèrent le combat et le sang coula par ruisseaux dans les ravins. Sur le soir Iaroslav fut vainqueur, et Sviatopolk s'enfuit, et, comme il s'enfuyait, le démon s'empara de lui; ses os s'affaiblirent, il ne pouvait plus se tenir à cheval, et ses soldats le mirent sur une civière, et ils le portèrent jusqu'à Bérestié fuyant avec lui; il leur disait : «Fuyez avec moi; car on nous poursuit.» Ses serviteurs envoyèrent voir si quelqu'un les poursuivait, et il n'y avait personne qui les poursuivit, et ils continuèrent de fuir avec lui. Il s'évanouit, et revenant à lui s'écria : «Ils nous poursuivent; fuyez.» Il ne pouvait rester en place, et il traversa le pays des Lekhs poursuivi par la colère de Dieu; et il arriva dans un désert entre le pays des Lekhs et celui des Tchèques, et il y finit sa vie d'une façon lamentable. Sans doute, comme il était injuste, le jugement de Dieu est tombé sur lui. Après être sorti de ce monde, il a trouvé les supplices des damnés, ainsi que le prouve le coup terrible qui, l'a sans pitié conduit à la mort; et après sa mort, il a été livré aux tourments éternels. Son tombeau se trouve encore aujourd'hui dans le désert et il en sort une puanteur horrible. Ceci est un avertissement que Dieu a envoyé aux princes russes : si jamais ils commettaient des crimes analogues, qu'ils se rappellent qu'ils recevront un châtiment pareil ou plus grand encore, parce que sachant ce qui est arrivé ils commettent des meurtres aussi affreux. Car Caïn fut sept fois puni pour avoir tué Abel et Lamech soixante-dix fois; Caïn ne savait pas que la punition de Dieu l'attendait, et Lamech sachant qu’elle punition avait subi son aïeul commit un meurtre; car Lamech dit à ses femmes : «J'ai tué un homme pour mon malheur, et un jeune homme pour ma perte; c'est pourquoi une punition soixante-dix fois répétée m'a été infligée, parce que j'ai fait cela avec connaissance.» Car Lamech avait tué les deux fils d'Enoch et pris leurs femmes. Or Sviatopolk est un nouvel Abimelech, fils de l'adultère qui tua ses frères les fils de Gédéon. Quant à Iaroslav, il s'établit à Kiev et il essuya ses sueurs avec sa droujina, après avoir gagné la victoire à force de fatigues.
    Année 658. Un fils naquit à Iaroslav et on lui donna le nom de Vladimir (1020).
    Année 659. Briatchislav, fils d'Iziaslav, petit-fils de Vladimir, marcha contre Novogorod, s'empara de cette ville, et ayant pris un grand nombre de Novogorodiens ainsi que leurs fortunes il retourna à Polotsk; et quand il arriva sur le fleuve Soudomir, Iaroslav étant sorti de Kiev l'atteignit le septième jour; il le vainquit et ramena les Novogorodiens à Novogorod et Briatchislav s'enfuit à Polotsk (1021).
 
LII. – Lutte de Metislav et de Rédédia (1022).
 
    En 6530, Iaroslav vint à Bérestié. A ce moment Mstislav, qui était à Tmoutorakan, marcha contre les Kasogues. Le prince des Kasogues, Rédédia, à cette nouvelle s'avança contre lui : quand les deux armées furent en face l'une de l'autre Rédédia dit à Mstislav : «Pourquoi faire périr nos deux armées dans notre lutte ? Venons-en nous-mêmes aux mains : si tu es vainqueur, tu prendras mes biens, ma femme, mes enfants et mon pays. Si je suis vainqueur je prendrai tous tes biens.» Et Mstislav dit  : «Qu'il en soit ainsi !» Et Rédédia dit à Mstislav : «Ne nous battons pas avec des armes; mais luttons ensemble.» Et ils se mirent à lutter énergiquement, et ils luttèrent longtemps. Mstislav commença à faiblir; car Rédédia était grand et fort et Mstislav dit : «O très pure Mère de Dieu ! secours-moi. Si je triomphe de lui, je bâtirai une église en ton honneur.» A ces mots il le jeta contre terre, tira son couteau, l'en frappa à la gorge; ainsi périt Rédédia. Mstislav entra dans son pays et prit tous ses biens, sa femme, ses enfants et imposa tribut aux Kasogues; puis de retour à Tmoutorakan, il fonda l'église de la sainte Mère de Dieu et la construisit; elle existe encore aujourd'hui à Tmoutorakan.
    Année 6531. Mstislav marcha contre Iaroslav avec les Khozares et les Kasogues (1023).
 
LIII. – Guerres civiles (1024-1026).
 
    Année 653. Tandis que Iaroslav était à Novogorod, Mstislav vint de Tmoutorakan à Kiev, et les habitants de Kiev ne le reçurent pas. Il s'en alla alors et s'établit à Tchernigov, tandis que Iaroslav restait à Novogorod. Cette même année parurent des magiciens a Souzdal; ils tuèrent des vieillards par leur science diabolique et l'influence des démons disant qu'ils empêcheraient les récoltes; et il y eut un grand trouble et une grande famine dans toutes ces contrées; tout le peuple alla le long du Volga, chez les Bulgares, amena du blé et eut ainsi de quoi vivre. Iaroslav, entendant parler de ces devins, alla à Souzdal, saisit ces magiciens, les dispersa, en punit quelques- uns, disant : «Dieu pour nos péchés envoie dans chaque contrée la famine, la peste ou la sécheresse, ou quelque autre châtiment, et l'homme ne sait rien.» Ensuite Iaroslav revint à Novogorod, envoya au delà de la mer chercher les Varègues; et Iakoun vint avec les Varègues. lakoun était fort beau et il avait un vêlement tissu d'or, et il vint auprès d'Iaroslav. Iaroslav vint avec lakoun contre Mstislav. Mstislav à cette nouvelle marcha contre lui auprès de Listven. Mstislav rangea le soir son armée en bataille, mit les Sévériens en face des Varègues et s'établit aux ailes avec sa droujina. Quand la nuit arriva, survint l'obscurité avec des éclairs, du tonnerre et de la pluie : et Mstislav dit à sa droujina : «Marchons maintenant contre eux.» Et Mstislav et Iaroslav marchèrent l'un contre l'autre; les Sévériens qui occupaient le centre fondirent sur les Varègues. Les Varègues s'épuisèrent à combattre les Sévériens; alors Mstislav s'avança avec sa droujina et il se mit à tailler les Varègues en pièces : le combat fut acharné; à la lueur des éclairs se mêlait le reflet des armes; la tempête était formidable, la lutte terrible. Iaroslav se voyant vaincu s'enfuit avec Iakoun, prince des Varègues, et Iakoun en s'enfuyant perdit son vêtement tissu d'or. Iaroslav alla alors à Novogorod. Iakoun passa la mer. Le surlendemain matin Mstislav contemplant les cadavres des Varègues de Iaroslav tués par ses Sévériens dit : «Qui ne se réjouirait de ceci ? Ici gît un Sévérien, là un Varègue; et ma droujina est intacte.» Et Mstislav envoya dire à Iaroslav : «Établis-toi à Kiev; car tu es le frère aîné et ce pays-ci m'appartiendra.» Et Iaroslav n'osa pas aller à Kiev tant qu'ils ne se furent pas réconciliés. Et Mstislav s'établit à Tchernigov, Iaroslav à Novogorod, et les hommes d'Iaroslav à Kiev. Cette même année naquit à Iaroslav un second fils, et il l'appela Iziaslav.
    Année 6533-6534. Iaroslav rassembla une nombreuse armée, vint à Kiev et conclut la paix avec son frère Mstislav à Gorodets. Et ils partagèrent la terre russe d'après le cours du Dniepr. Iaroslav occupa une rive et Mstislav obtint l'autre. Puis ils se mirent à vivre d'accord, s'aimant comme des frères et cette guerre de famille cessa et une grande paix régna dans le pays (I025-26).
    Année 6535. Un troisième fils naquit à Iaroslav et il lui donna le nom de Sviatoslav (1027).
    Année 6536. Un signe en forme de serpent parut dans le ciel et fut visible dans toute la contrée (1028).
    Année 6537. Il y eut la paix (1029).
    Année 6538. Iaroslav prit Belz et il lui naquit un quatrième fils et il l'appela Vsévolod. Cette année Iaroslav marcha contre les Tchoudes, les vainquit et fonda la ville de Iouriev. Vers ce temps mourut Boleslav le Grand chez les Lekhs, et il y eut de grands troubles dans le pays des Lekhs; le peuple se souleva, tua les évêques, les prêtres, les seigneurs, et il y eut des désordres chez eux (1030).
 
Année 6539. Iaroslav et Mstislav rassemblèrent une armée 'considérable, allèrent chez les Lekhs, prirent en revenant les villes du pays de Tchervensk et ravagèrent le pays des Lekhs; ils emmenèrent beaucoup de Lekhs et se les partagèrent. Iaroslav établit ses prisonniers le long de la Ros et ils y sont encore (1031).
    Année 6550. Iaroslav se mit à bâtir des villes le long de la Ros (1032).
    Année 6541. Eustache, fils de Mstislav, mourut (1033).
 
LIV. – Mort de Mstislav (1084-86).
 
    Année 6542, 6543, 6544. Mstislav, étant allé à la chasse, tomba malade et mourut. On l'enterra dans l'église du Sauveur qu'il avait fondée : sous lui elle s'éleva au-dessus de la hauteur que pouvait atteindre un homme à cheval en tendant la main. Mstislav était de forte corpulence, rouge de visage; ses yeux étaient grands; il était brave à la guerre, affable, aimait beaucoup sa droujina et ne lui ménageait ni la fortune, ni la boisson, ni la nourriture. Après lui Iaroslav prit tout le pays et fut seul maître de la terre russe. Iaroslav alla à Novogorod et il y établit son fils Vladimir et il mit Jidiata pour évêque. En ce temps-là un fils naquit à Iaroslav, on l'appela Viatcheslav. Iaroslav, étant à Novogorod, apprit que les Petchénègues assiégeaient Kiev. Iaroslav prit une armée nombreuse de Varègues et de Slaves et entra dans sa capitale. Les Petchénègues étaient innombrables. Iaroslav sortit de la ville et rangea son armée en bataille; il mit les Varègues au milieu, les Kieviens à l'aile droite et les Novogorodiens à l'aile gauche. Ils se rangèrent devant la ville. Les Petchénègues s'avancèrent et rencontrèrent les Russes à l'endroit où est aujourd'hui Sainte-Sophie, métropole de la Russie; car en ce temps il y avait un champ en dehors de la ville. Le combat fut acharné et Iaroslav ne fut vainqueur que sur le soir. Les Petchénègues s'enfuirent de différents côtés, et ils ne savaient où fuir; les uns en fuyant se noyèrent dans la Sitoml, les autres dans d'autres rivières; les autres s'enfuirent et ne sont depuis jamais revenus. Cette année-là Iaroslav mit son frère Soudislav en prison à Pskov : car on l'avait accusé auprès de lui.
 
LV. – Iaroslav, son goût pour les livres. Son fondations pieuses (1087).
 
    En l'année 6545, Iaroslav bâtit à Kiev le château fortifié où est la Porte d'or. II fonda aussi l'église métropolitaine de Sainte-Sophie, c'est-à-dire la Sagesse de Dieu; puis une autre église en pierre à la Porte d'or, celle de l'Annonciation. Le sage prince Iaroslav bâtit l'église de l'Annonciation à la porte pour que la ville se réjouit toujours de la sainte Annonciation, et de la prière de la sainte Mère de Dieu et de l'archange Gabriel. Ensuite il fonda le monastère de Saint-Georges et de Sainte-Irène. Et sous son règne la religion chrétienne commença à se répandre et à fleurir en Russie et les religieux à se multiplier et les monastères à s'élever. Iaroslav aimait les établissements religieux, les prêtres et surtout les moines. Il s'appliquait aux livres et les lisait souvent nuit et jour. Il rassembla beaucoup d'écrivains; il fit des traductions du grec dans la langue et l'écriture slave. Il écrivit et rassembla beaucoup de livres au moyen desquels les fidèles s'instruisent et trouvent du plaisir dans l'enseignement de Dieu. Quand un homme laboure et qu'un autre sème, les autres récoltent et ils ont des vivres en abondance : il en fut de même pour Iaroslav. Son père Vladimir laboura la terre et la prépara, c'est-à-dire nous éclaira par le baptême : Iaroslav son fils ensemença les coeurs des fidèles par les paroles de l'Écriture sainte, et nous, nous moissonnons, recevant la science des livres; car il résulte un grand avantage de la science des livres : les livres nous édifient et nous montrent la route de la contrition; nous acquérons la sagesse et la tempérance dans les livres; ce sont des fleuves qui arrosent le monde entier; ce sont des sources de sagesse. Il y a dans les livres une profondeur incommensurable; ils sont la consolation de la douleur, le frein de la tempérance. Car la sagesse est une grande chose, comme le dit Salomon la louant  : «Moi la sagesse j'habite avec le conseil, la prudence, la raison; c'est moi qui ai donné la crainte du Seigneur; à moi appartient le conseil, à moi l'adresse, à moi la constance, à moi la force; c'est par moi que les rois règnent et que les puissants écrivent les lois; c'est par moi que les puissants croissent en force et que les conquérants possèdent la terre. J'aime ceux qui m'aiment; ceux qui me cherchent me trouvent.» (Pro 7,12-17)
    Si donc vous cherchez la sagesse, avec soin, dans les livres, vous trouverez un grand profit pour votre âme; car celui qui lit souvent les livres converse avec Dieu ou avec les saints. Celui qui lit les discours des prophètes et les leçons des évangélistes et des apôtres, les vies des saints pères, trouvera pour son âme de grands avantages. Iaroslav donc, comme nous l'avons dit, aimait les livres : il en écrivit un grand nombre et les déposa dans l'église de Sainte-Sophie qu'il avait lui-même fondée; il l'orna d'images précieuses d'or et d'argent et de vases sacrés et l'on y chante aux fêtes les hymnes du Seigneur. Et il fonda d'autres églises dans les villes et les bourgs et il établit des prêtres qu'il défraya sur son revenu, leur ordonnant d'instruire le peuple comme il est prescrit par Dieu et de venir fréquemment à l'église; car un prêtre doit souvent instruire le peuple, parce que Dieu lui a donné cette mission. Et le nombre des prêtres et des chrétiens augmenta. Iaroslav se réjouit en voyant beaucoup d'églises et de chrétiens, et le démon s'affligea en se voyant vaincu par de nouveaux chrétiens.
    Année 6546. Iaroslav marcha contre les Iatviagues. (1038.)
    Année 6547. L'église de la sainte Mère Dieu, qu'avait bâtie Vladimir, père de Iaroslav, fut consacrée par le métropolitain Théompompte. (1039.)
    Année 6548. Iaroslav fit une expédition en Lithuanie. (1040.)
    Année 6549. Iaroslav fit sur des bateaux une expédition contre les Mazoviens. (1041.)
    Année 6550. Vladimir, fils de Iaroslav, marcha contre les Iams et les vainquit : et les chevaux de l'armée de Vladimir mouraient; on arrachait la peau des chevaux encore vivants, tant était terrible cette peste des chevaux. (1042.)
 
LVI. – Expédition malheureuse contre les Grecs (1043).
 
    Année 6551. Iaroslav envoya son fils Vladimir contre les Grecs, lui donna une armée considérable et nomma voïévode Vychata, père de Jean; et Vladimir partit pour Constantinople sur des vaisseaux, et ils arrivèrent au Danube et du Danube à Constantinople; et il s'éleva une grande tempête qui brisa les vaisseaux des Russes; le vent brisa celui du prince que recueillit sur son vaisseau Ivan, fils de Tvorinir, voïévode d'Iaroslav. Le reste de l'armée de Vladimir fut jeté sur le rivage au nombre de six mille hommes. Ils voulurent retourner en Russie, et personne de la droujina du prince n'alla avec eux. Vychata dit : «J'irai avec eux.» Et il les rejoignit sur la terre ferme, disant  : «Si je survis ce sera avec eux, si je meurs ce sera avec la droujina.» Et ils partirent dans la direction de la Russie. Et les Grecs apprirent comment la mer avait dispersé les Russes : et l'empereur Monomaque envoya contre la Russie quatorze vaisseaux. Vladimir et sa droujina se voyant poursuivis revinrent en arrière, repoussèrent les vaisseaux grecs, puis sur les leurs retournèrent en Russie. Vychata et beaucoup de ceux qui avaient été jetés sur le rivage furent pris et emmenés à Constantinople : beaucoup de Russes eurent les yeux crevés. Trois ans après, quand la paix fut conclue, on renvoya Vychata en Russie auprès d'Iaroslav. En ce temps-là Iaroslav donna sa soeur à Kazimir, et Kazimir rendit comme présent de noces huit cents Russes que Boleslav avait faits prisonniers après avoir vaincu Iaroslav.
    Année 6552. On déterra les corps de deux princes, Iaropolk et Oleg, fils de Sviatoslav : on baptisa leurs ossements et on les ensevelit dans l'église de la sainte Mère de Dieu. Cette année mourut Briatchislav, fils d'lziaslav, petit-fils de Vladimir, père de Vseslav, et son fils Vseslav monta sur le trône. Ce Vseslav était venu au monde par des enchantements. Quand sa mère lui donna le jour il avait une blessure sur la tête; les magiciens dirent à sa mère : «Voici une blessure, lie-la, qu'il la porte toute sa vie.» Vseslav porte encore aujourd'hui cette blessure; aussi il n'aime pas l'effusion du sang (1044).
    Année 6553. Vladimir bâtit Sainte-Sophie à Novogorod. (1045.)
    Année 6554. Cette année fut complètement paisible. (1046.)
    Année 6555. Iaroslav marcha contre les Mazoviens et les vainquit, tua leur prince Moïslav et les soumit à Kazimir. (1047.)
    Années 6556-6557-6558. La princesse femme d'Iaroslav mourut. (1048-50)
 
LVII. – Histoire du monastère des Grottes (1061).
 
    Année 6559. Iaroslav ayant rassemblé les évêques établit Hilarion métropolitain de la Russie à Sainte-Sophie. Et nous dirons à ce propos pourquoi le monastère des Grottes s'appelle ainsi. Le pieux prince Iaroslav aimait Bérestovo et l'église des Saints Apôtres qui se trouve dans cette ville, et il rassembla un grand nombre de prêtres parmi lesquels se trouvait un certain Hilarion, homme vertueux, instruit et austère : il allait souvent  de Bérestovo au delà du Dniepr sur la colline où est maintenant l'ancien monastère des Grottes et y priait; car il y avait là un grand bois. Il creusa une petite grotte de deux sajènes de profondeur; puis il venait de Bérestovo et là il chantait les heures et priait Dieu en secret. Ensuite Dieu inspira le coeur du prince, qui le fit métropolitain à Sainte-Sophie et cette Grotte resta ainsi. Quelque temps après il y avait un laïque de la ville de Loubetch, appelé Antipas. Dieu lui inspira le désir d'aller voyager. Il alla à la Sainte-Montagne, vit les monastères qui s'y trouvaient, les examina avec soin et s'éprit de l'état monastique. Il vint donc à l'un de ces monastères et pria l’higoumène de le consacrer moine. L'higoumène écouta sa prière, le tondit et lui donna le nom d'Antoine; il l'instruisit, lui enseigna la vie monastique et lui dit : «Retourne en Russie; avec toi sera la bénédiction de la Sainte-Montagne; de toi sortira une foule de religieux.» Il le bénit et le renvoya disant  : «Va en paix.» Antoine donc vint à Kiev et se demanda où il vivrait; et il alla dans divers monastères et il ne s'y plut pas; car Dieu ne le voulait pas; et il se mit à parcourir les vallées et les montagnes, cherchant l'endroit que Dieu lui indiquerait, et il vint sur la montagne où Hilarion avait creusé une grotte cet endroit lui plut et il s'y établit; et il se mit à prier Dieu avec larmes, disant : «Seigneur, fortifie-moi dans cet endroit, et puisse être sur ce lieu la bénédiction de la Sainte-Montagne et de l'higoumène qui m'a tonsuré.» Et il se mit à vivre en cet endroit, priant Dieu, ne mangeant que son pain sec toute la journée et buvant un peu d'eau, creusant sa grotte, passant la nuit et le jour à travailler, à veiller et à prier. Des hommes de bien apprirent cela et vinrent à lui, lui apportèrent ce dont il pouvait avoir besoin et il devint célèbre sous le nom du grand Antoine. On venait auprès de lui lui demander sa bénédiction. Plus tard quand mourut le grand prince Iaroslav, son fils Iziaslav prit le pouvoir et s'établit à Kiev. Antoine devint célèbre dans la terre russe. Iziaslav ayant appris comme il vivait vint avec sa droujina réclamer sa bénédiction et ses prières. Le grand Antoine fut connu et honoré de tout le monde. Des frères vinrent à lui, il les reçut et leur donna la tonsure : et douze se trouvèrent réunis autour de lui. Et ils creusèrent une grande crypte, une église et les cellules qui se voient encore aujourd'hui dans la crypte sous le vieux monastère. Les frères s'étant rassemblés, Antoine leur dit : «Voici, mes frères, que Dieu vous a rassemblés : et vous avez la bénédiction de la Sainte-Montagne avec laquelle l'higoumène de la Sainte-Montagne m'a tonsuré et avec laquelle je vous ai tonsuré. Puisse donc être sur vous la bénédiction de Dieu et de la  Sainte-Montagne.» Et il leur dit : «Vivez sans moi, je vous donnerai un higoumène et j'irai seul vers cette montagne; car je me suis habitué dès ma jeunesse à vivre dans la solitude.» Et il leur donna un higoumène appelé Barlaam, et il s'en alla vers la montagne et il creusa une grotte qui est sous le nouveau monastère, et il y termina sa vie ayant vécu pieusement sans en sortir pendant de longues années. Ses reliques y reposent encore aujourd'hui. Ses frères et l'higoumène vécurent de leur côté dans la crypte. Et quand le nombre des frères augmenta dans la crypte et qu'ils ne purent plus y habiter, ils songèrent à bâtir un monastère en dehors de la crypte. Et l'higoumène et les frères vinrent trouver Antoine et lui dirent : «Père, nous ne pouvons plus tenir dans la crypte : si la grâce de Dieu et tes prières nous étaient favorables, nous bâtirions une petite église en dehors de la crypte.» Et Antoine le leur permit. Ils s'inclinèrent devant lui, et bâtirent sur la grotte une petite église en l'honneur de la Dormition de la Mère de Dieu. Et Dieu commença à augmenter le nombre des religieux, grâce aux prières de la Mère de Dieu. Et les frères tinrent conseil avec l'higoumène, désirant bâtir un monastère. Et les frères vinrent trouver Antoine et dirent : Père, le nombre des frères augmente et nous voudrions bâtir un monastère.» Antoine se réjouit et dit : «Que Dieu soit béni en tout et que la prière de la Mère de Dieu et des pères de la Sainte-Montagne soit avec vous !» Ayant dit cela, il envoya un de ses frères au prince Iziaslav, disant : «Prince, Dieu augmente le nombre des frères, et la place est petite : donne-nous la colline qui est au- dessus de la crypte.» Iziaslav ayant entendu cela se réjouit, envoya un de ses hommes et donna la colline. Alors l'higoumène et les frères fondèrent une grande église et entourèrent le monastère de palissades; ils y établirent un grand nombre de cellules, achevèrent l'église, l'ornèrent d'images : on lui donna le nom de Monastère des Grottes, parce que les religieux vivaient d'abord dans une grotte et depuis ce temps, il s'est appelé le Monastère des Grottes (Petchersky). Le monastère fut donc commencé avec la bénédiction de la Sainte-Montagne. Quand il fut achevé, Barlaam étant higoumène, Iziaslav établit le monastère de Saint-Dimitri et nomma Barlaam higoumène de Saint-Dimitri, car il voulait rendre ce monastère plus illustre, se liant aux richesses qu'il y avait consacrées. Car beaucoup de monastères ont été fondés avec des rois, des bojars et des gens riches; mais ils ne valent pas ceux qui ont été fondés avec les larmes, le jeûne, la prière et les veilles. Antoine n'avait ni or, ni argent et il fonda son monastère avec ses larmes et ses jeûnes, comme je l'ai dit. Quand donc Barlaam s'en alla à Saint-Dimitri les frères tinrent conseil, allèrent trouver le vieux Antoine et lui dirent : «Donne-nous un higoumène.» Il leur dit : «Qui voulez- vous ?» ils répondirent : «Celui que vous voudrez, Dieu et toi.» Il leur dit : «Qui parmi vous est plus grand que Théodose ? Il est obéissant, modeste, humble; qu'il soit voire higoumène.» Les frères se réjouirent et s'inclinèrent devant le vieillard et établirent Théodose comme higoumène sur les frères qui étaient au nombre de vingt. Théodose, devenu supérieur du monastère, vécut dans l'abstinence, jeûnant et priant avec larmes; puis il se mit à rassembler un grand nombre de frères et réunit jusqu'à cent moines; puis il se mit à rechercher les règles de la vie religieuse. Il y avait alors un moine du monastère de Stoudion qui était venu de Grèce avec le métropolite Georges; il chercha donc chez lui les règlements du monastère des Stoudites; il les copia et les introduisit dans son monastère. Les chants des hymnes religieux, les saluts, la lecture des leçons, la tenue dans l'église, l'ordre des offices, la manière de s'asseoir au réfectoire, les aliments de chaque jour, tout était réglé. Théodose ayant trouvé tout ce règlement le donna à son monastère. C'est de ce monastère que sont venus tous les règlements des autres monastères. Aussi le monastère Petchersky est-il honoré comme le plus ancien de tous. Théodose resta alors dans le monastère, menant une vie vertueuse, suivant les règles, et recevant tous ceux qui venaient à lui; je vins moi-même le trouver, pauvre et indigne serviteur, et il me reçut à l'âge de dix-sept ans. J'ai donc écrit et raconté en quelle année a commencé le monastère, et pourquoi il s'appelle Petchersky. Nous reparlerons plus tard de la vie de Théodose.
    En l'année 6560 mourut Vladimir, fils aîné d'Iaroslav, à Novogorod, et on l'enterra dans l'église de Sainte-Sophie, qu'il avait bâtie lui-même (1052).
    Année 6561. Un fils naquit à Vsévolod de l'impératrice  grecque et on lui donna le nom de Vladimir (1053).
 
LVIII. – Mort d'Iaroslav (1034).
 
    En l'année 656 mourut le grand prince russe Iaroslav, et avant de mourir il donna des conseils à ses fils, disant : «Voici, mes fils, que je m'en vais de ce monde, aimez-vous réciproquement; car vous êtes des frères nés du même père et de la même mère. Si vous vous aimez réciproquement, Dieu sera avec vous et il vous soumettra vos adversaires, et vous vivrez en paix; mais si vous vivez dans la haine, les querelles et les divisions, vous périrez vous-mêmes, vous perdrez la terre de vos pères et de vos ancêtres, qu'ils ont acquise à grand-peine. Vivez donc eu paix, vous écoutant l'un l'autre. Je lègue ma résidence de Kiev à Iziaslav, l'aîné d'entre vous, mon fils et votre frère : écoutez-le, comme vous m'avez écouté, car il tiendra ma place; à Sviatoslav je donne Tchernigov, à Vsévolod Péreïaslav, à Igor Vladimir, à Viatcheslav Smolensk.» C'est ainsi qu'il divisa entre eux les villes, leur défendant de diminuer mutuellement leur part et de se dépouiller les uns les autres. Il dit à Iziaslav : «Si quelqu'un veut faire tort à son frère, secours celui qui est attaqué.» C'est ainsi qu'il recommanda à ses enfants de s'aimer réciproquement. Déjà faible il tomba très malade en arrivant à Vychégorod. Iziaslav était alors à Novogorod, Sviatoslav à Vladimir, Vsévolod était auprès de son père; car son père l'aimait plus que tous ses frères et l'avait toujours auprès de lui. Iaroslav termina alors sa vie : il rendit l'âme un samedi, le 20 février, le premier samedi du jeune de saint Théodose. Vsévolod prit le corps de son père, le mit sur un traîneau et l'emmena à Kiev : les prêtres chantèrent les chants accoutumés, et le peuple le pleura. On l'enferma dans un cercueil de marbre, dans l'église de Sainte-Sophie; Vsévolod et tout le peuple le pleurèrent. Laroslav vécut en tout soixante-seize ans.
 
LIX. – Guerres contre les Torks et les Polovises (1065).
 
    Commencement du règne d'Iziaslav à Kiev. En l'année 6563 Iziaslav vint s'établir à Kiev, Sviatoslav à Tchernigov, Vsévolod à Péréïaslav, Igor à Vladimir, Viatcheslav à Smolensk. Cette année Vsévolod marcha pendant l'hiver contre les Torks et les vainquit. Cette année Bolouch vint avec les Polovises et Vsévolod conclut la paix avec eux, et ils s'en retournèrent d'où ils étaient venus.
    Année 6564, 6565. Viatcheslav, fils d'Laroslav, mourut à Smolensk, et on établit Igor à Smolensk après lui avoir fait quitter Vladimir (1056-57).
    Année 6566. Iziaslav vainquit les Goliades (1058).
    Année 6567. Iziaslav, Sviatoslav et Vsévolod mirent en liberté leur oncle Soudislav qui était en prison depuis vingt-quatre ans, après avoir exigé de lui un serment, et il devint moine (1059).
    Année 6568. Igor, fils d'Iaroslav, mourut. Cette même année, Iziaslav, Sviatoslav et Vsévolod réunirent une armée immense et se dirigèrent, à cheval et en bateau, avec des troupes innombrables, contre les Torks. Ayant appris cela les Torks eurent peur et s'enfuirent : ils ne sont jamais revenus; les uns moururent en fuyant accablés par la colère divine; les autres périrent de froid, les autres de faim, d'autres par la peste et le jugement de Dieu. C'est ainsi que Dieu sauva les chrétiens des païens (1060).
    Année 6569. Les Polovises vinrent pour la première fois attaquer la Russie. Vsévolod marcha contre eux le 2 du mois de février, et le combat s'engagea; ils vainquirent Vsévolod, ravagèrent le pays et s'en allèrent : ce fut la première défaite que la Russie essuya de la part de ces païens, de ces ennemis impies; leur prince s'appelait Sokal (1061).
    Année 6570-6571. Soudislav, frère d'Iaroslav, mourut et on l'enterra dans l'église de Saint-Georges. Cette année, pendant cinq jours, le Volkhov coula à Novogorod en arrière, et ce fut un mauvais présage; car quatre ans après Yseslav brûla la ville (1062-63).
 
LX. – Sviatoslav. – Digression sur les présages (1064).
 
    Année 6572. Rostislav, fils de Vladimir, s'enfuit à Tmoutorakan et avec lui s'enfuirent Poreï et Vychata, fils d'Ostromir, voïévode de Novogorod; arrivé à Tmoutorakan il en chassa Gleb et s'établit à sa place.
    Année 6573. Sviatoslav marcha sur Tmoutorakan contre Rostislav, Rostislav se retira de la ville, non qu'il eût peur de lui, mais parce qu'il ne voulait pas prendre les armes contre son oncle. Sviatoslav vint alors à Tmoutorakan, établit son fils Gleb et retourna chez lui. Rostislav revint, chassa Gleb qui alla retrouver son père et Rostislav s'établit à Tmoutorakan. Cette année Vseslav commença la guerre. Vers cette époque un signe parut à l'Orient, une étoile immense dont les rayons étaient comme sanglants; elle se levait le soir après le coucher du soleil, et on la vit pendant sept jours. C'était un mauvais présage, car après ce temps il y eut de nombreuses guerres intestines et des invasions de païens dans la terre russe : car cette étoile, avec sa lueur sanglante, signifiait l'effusion du sang. Vers cette époque un enfant fut jeté dans la Sitoml; des pécheurs le retirèrent de l'eau avec leur filet; nous le regardâmes jusqu'au soir, puis ils le rejetèrent dans l'eau; il avait les parties honteuses sur le visage : la pudeur ne permet pas d'en dire plus. Avant ce temps il y avait eu un changement dans le soleil, et il ne donnait de lumière que comme la lune. Les ignorants prétendent que le soleil est mangé. De tels phénomènes ne sont pas signes de bien. C'est ainsi que jadis, au temps d'Antiochus, il arriva tout à coup à Jérusalem que, pendant quarante jours, on vit sur toute la ville, dans les airs, des cavaliers armés revêtus d'or, et des escadrons brandissant leurs armes; ils annonçaient l'invasion d'Antiochus à Jérusalem. Ensuite du temps de Néron, dans cette même Jérusalem, se montra une étoile, en forme de lance, au-dessus de la ville : elle annonçait la guerre avec les Romains. Il en fut de même sous l'empereur Justinien, une étoile parut à l'Occident, répandant des rayons. On l'appela la Brillante, et elle brilla vingt jours; ensuite, il y eut des étoiles qui coururent du soir au matin, et il sembla à tous que les étoiles tombaient et que le soleil brillait sans rayons : cela présageait des troubles, des maladies qui apportent la mort. Sous l'empereur Maurice, voici ce qui arriva : Une femme accoucha d'un enfant sans yeux et sans mains; ses reins se terminaient par une queue de poisson. Un chien naquit aussi qui avait six pieds. Deux enfants naquirent en Afrique l'un ayant quatre pieds, l'autre ayant deux têtes. Plus tard, du temps de Constantin l'iconoclaste, fils de Léon, on vit courir des étoiles dans le ciel, elles tombèrent sur la terre; à les voir on crut que c'était la fin du monde; il y eut aussi de grands troubles dans l'air. En Syrie il y eut de grands tremblements. Il y eut dans la terre une ouverture de trois stades, et il sortit un monstre de la terre, une mule qui parlait avec une voix humaine et annonçait l'invasion des païens; et cela arriva, car les Sarrasins envahirent la Palestine; car les signes célestes qu'offrent le ciel, les étoiles ou le soleil, les oiseaux, etc … n'annoncent rien de bon, mais toujours du mal : ils annoncent la guerre la famine ou la mort (1065).
 
LXI. – Le Katspan chez Rostislav (1066).
 
    Année 6574. Alors que Rostislav se tenait à Tmoutorakan et recevait les tributs des Kasogues et d'autres peuples, les Grecs ayant peur de lui lui envoyèrent artificieusement un katapan. Il alla trouver Rostislav, gagna sa confiance et Rostislav le traita avec honneur. Une fois que Rostislav buvait avec sa droujina, le katapan dit : «Prince, je veux boire à ta santé.» L'autre lui dit : «Bois.» Il but donc la moitié de la coupe, et donna l'autre moitié à boire au prince, après avoir serré son doigt contre la coupe, – or il avait sous l'ongle un poison mortel, – puis il la remit au prince, fixant sa mort à huit jours. Quand le prince eut bu, le katapan alla à Cherson et annonça que tel jour Rostislav mourrait : cela arriva. Les habitants de Cherson lapidèrent ce katapan. Rostislav était un homme vaillant au combat, de belle taille et beau de visage, compatissant envers les pauvres; il mourut au mois de février le troisième jour, et on l'enterra dans l'église de la Mère de Dieu.
 
LXII. – Guerre intestines (1087).
 
    Année 6575. Vseslav, fils de Briatchislav, prince de Polotsk, recommença la guerre et prit Novogorod. Trois fils d'Iaroslav : Iziaslav, Sviatoslav, Vsévolod réunirent des troupes et marchèrent contre Vseslav, malgré la rigueur de l'hiver. Ils vinrent à Minsk et les habitants de Minsk se fortifièrent dans la ville. Ses frères s'emparèrent de Minsk, passèrent les hommes au fil de l'épée, emmenèrent les femmes et les enfants en captivité et allèrent sur la Némiza. Vseslav marcha contre eux, et les deux armées se rencontrèrent sur la Némiza, le 3 mars : la neige tombait avec abondance; ils s'attaquèrent; la bataille fut sanglante, beaucoup d'hommes périrent : Iziaslav, Sviatoslav et Vsévolod furent vainqueurs, et Vseslav s'enfuit; puis le 10 juin Iziaslav, Sviatoslav et Vsévolod baisant la croix firent dire à Vseslav : «Viens à nous, nous ne te ferons aucun mal.» Il eut foi dans leur serment et passa le Dniepr en bateau. Comme il entrait dans sa tente, Iziaslav le saisit en violant son serment, et Vseslav fut ainsi pris sur la Rcha, auprès de Smolensk. lziaslav emmena Vseslav à Kiev et le mit en prison lui et ses deux fils.
 
LXIII. – Invasion des Polovtses. – Réflexions pieuses (1068).
 
    Année 6576. Des étrangers envahirent la Russie. C'était une multitude de Polovtses : lziaslav, Sviatoslav et Vsévolod marchèrent contre eux sur l'Alta. A la nuit, ils en vinrent aux mains : Dieu pour nos péchés avait déchaîné ces païens contre nous; les princes de Russie s'enfuirent et les Polovtses furent vainqueurs; car Dieu au gré de sa colère envoie les étrangers contre les pays, et alors humiliés les hommes reviennent au Seigneur. Mais la guerre civile est excitée par les artifices du diable, car Dieu ne veut pas le malheur, mais le bien des hommes; et le diable se réjouit du mal, du meurtre, de l'effusion du sang; c'est lui qui excite les querelles, les jalousies, la haine des frères, les calomnies. Si quelque nation pèche, Dieu la punit par la mort, par la famine, par l'invasion des païens, par la sécheresse, par les chenilles ou par d'autres châtiments jusqu'à ce que nous nous repentions et vivions comme Dieu le veut. Car il a dit par son prophète : «Tournez- vous vers moi de tout votre coeur dans le jeûne et les larmes.» (Joël 2,12) Si nous agissons ainsi, tous nos péchés nous seront remis; mais nous nous tournons vers le mal, nous vautrant sans cesse comme des porcs dans la fange de nos péchés et nous restons en cet état. Aussi nous dit-il par son prophète : «J'ai compris combien tu es dur et que ton cou est de fer» (Ex 32,9) : aussi «j'ai retenu la pluie, j'ai arrosé un champ et je n'ai pas arrosé l'autre; j'ai desséché la terre, je vous ai fait souffrir la chaleur, je vous ai accablés de divers châtiments et vous n'êtes pas revenus à moi» (Amos 4,7-8). Et «j'ai frappé vos vignes et vos figuiers, vos champs et vos forêts, dit le Seigneur, et je n'ai pas extirpé vos iniquités. J'ai envoyé contre vous diverses maladies, des morts terribles; j'ai appesanti ma colère sur vos troupeaux, et alors vous ne vous êtes pas convertis; mais seulement vous avez dit : Fortifions-nous. Quand donc serez-vous rassasiés de vos iniquités ? Vous êtes sortis de ma voie, dit le Seigneur, vous avez scandalisé beaucoup d'hommes; aussi serai-je un témoin prompt contre mes ennemis, contre les libertins, contre ceux qui invoquent faussement mon nom, contre ceux qui retiennent le paiement des mercenaires, ceux qui oppriment les veuves et les orphelins et ceux qui rendent mal la justice. Pourquoi ne vous êtes-vous pas retenus dans vos péchés, mais avez-vous violé ma loi, au lieu de l'observer ? Revenez à moi et je reviendrai à vous, dit le Seigneur» (Ez 18,53) : je vous ouvrirai les cataractes des cieux et je détournerai de vous ma colère, si bien que vous abonderez en toutes choses, et je ne détruirai plus vos vignes et vos champs. Mais vous m'avez blasphémé dans vos discours, disant : Celui-là est vain qui sert Dieu. «Ils m'honorent des lèvres, mais leurs cours sont loin de moi, dit le Seigneur» (Is 13,19). C'est pour cela que nous n'obtenons pas ce que nous demandons; car il arrivera, dit-il, que lorsque vous, méchants, vous m'appellerez, je ne vous écouterai pas. Vous me chercherez et ne me trouverez pas : car vous n'avez pas voulu marcher dans ma voie. C'est pour cela que le ciel se ferme ou ne s'ouvre que pour votre malheur, envoyant la grêle à la place de la pluie; ou bien, il détruit les moissons par la gelée, et dessèche la terre à cause de nos péchés. Mais si nous nous repentons de nos iniquités, alors il nous donne, comme à ses enfants, tout ce que nous lui demandons; il nous prodigue la rosée du soir et du matin; nos greniers se remplissent de froment, nos cuves sont pleines de raisins et d'olives, et Dieu nous dédommage des années où les blés ont été dévorés par les sauterelles, les charançons et les chenilles. Ma force est grande, la force que j'ai envoyée contre vous, dit le Seigneur, le tout-puissant. Entendant cela, appliquons-nous au bien. Cherchons la justice, sauvons l'opprimé, faisons pénitence, ne rendons pas le mal pour le bien, ni injure pour injure, mais attachons-nous à Dieu par l'amour, le jeûne et les pleurs; lavons tous nos péchés dans nos larmes; ne nous appelons pas chrétiens en paroles, vivant en païens. Or ne vivons-nous pas en païens, quand nous croyons à l'influence des rencontres ? Car si quelqu'un rencontre un moine, un sanglier ou un pourceau, il retourne sur ses pas; n'est-ce pas agir en païen ? C'est vraiment suivre les doctrines du diable que tenir à de tels préjugés. D'autres croient à l'éternuement, qui est tout simplement sain pour la tête. Ainsi le diable se manifeste dans ces habitudes et dans d'autres, nous éloignant de Dieu par toute espèce d'artifice, avec des trompettes et des baladins, des lyres et des Bousalia;1  car nous voyons les lieux de plaisir encombrés d'une foule qui s'y presse, au point de ne pouvoir plus bouger, pour contempler les spectacles inventés par le démon, et les églises demeurent vides, et quand vient l'heure des offices on trouve peu de fidèles dans le temple. Aussi toutes sortes de châtiments nous attendent de la part de Dieu, et les ennemis nous envahissent en punition de nos péchés.     Mais revenons à notre récit.
    Quand Iziaslav se fut enfui avec Vsévolod à Kiev et Sviatoslav à Tchernigov, le peuple de Kiev revint à Kiev, se réunit sur le marché et envoya dire au prince : «Voilà que les Polovtses se sont répandus sur le pays; donne-nous, prince, des chevaux et des armes, et nous nous battrons encore avec eux.» Iziaslav n'exauça pas cette prière. Alors le peuple commença à murmurer contre le volévode Kosniatchek, monta sur la colline, arriva à la maison de Kosniatchek et ne l'ayant pas trouvé, s'arrêta devant celle de Briatchislav en disant : «Allons délivrer nos amis de la prison.» Et ils se divisèrent en deux parties : une moitié alla à la prison, et l'autre passa le pont et vint au palais du prince. Iziaslav était assis avec sa droujina dans le vestibule; et d'en bas ils se mirent à se quereller avec le prince. Comme le prince regardait par une petite fenêtre et que sa droujina était avec lui, Touky, frère de Tchoudine, dit à Iziaslav : «Tu vois, prince, l'irritation du peuple, envoie garder Vseslav.» Et comme il disait cela, l'autre moitié du peuple revint de la prison dont elle avait ouvert les portes. Et la droujina dit au prince : «Cela va mal; envoie chercher Vseslav; qu'on l'attire par la ruse auprès de la fenêtre et qu'on le tue avec une épée.» Le prince ne voulut pas écouter cela. Le peuple s'en alla en criant vers la prison de Vseslav. Iziaslav voyant cela s'enfuit de son palais avec Vsévolod. Le peuple tira Vseslav de sa prison le 15 septembre et l'établit au palais du prince; puis il pilla le palais et s'empara d'une immense quantité d'or, d'argent, de fourrures et de peaux de martre. Iziaslav s'enfuit chez les Lekhs. Ensuite les Polovtses ravagèrent la Russie. Sviatoslav était à Tchernigov. Tandis que les Polovtses ravageaient les environs de Tchernigov, Sviatoslav rassembla une petite droujina et marcha contre eux vers Snovsk. Les Polovtses voyant l'armée en marche se rangèrent en bataille. Sviatoslav voyant leur grand nombre dit à sa droujina : «Élançons-nous contre eux; il ne nous est pas possible de leur échapper.» Ils éperonnèrent leurs chevaux et Sviatoslav fut vainqueur avec trois mille hommes : les Polovtses eu avaient douze mille; les uns furent tués, les autres se noyèrent dans la Snova; et leur prince fut fait prisonnier le 1 novembre. Et Sviatoslav victorieux retourna dans sa ville de Tchernigov. Vseslav s'établit à Kiev. Dieu fit ainsi voir la vertu de la croix; Iziaslav après avoir baisé la croix avait fait Vseslav prisonnier. C'est pour cela que Dieu amena les païens. Puis ensuite la croix sainte en délivra : car le jour de l'Exaltation de la croix, Vseslav dit en soupirant : «O croix vénérable, puisque je me suis fié à toi, sauve-moi de cet abîme.» Dieu donc montra la vertu de la croix, comme une leçon pour la Russie, afin que désormais nul après avoir baisé la croix ne violât son serment. Car si quelqu'un le viole, il sera puni ici-bas et dans la vie future il sera puni à jamais. Car la force de la croix est grande : c'est par la force de la croix que Dieu aide les princes à obtenir la victoire dans la guerre; les fidèles qui s'arment de la croix sont vainqueurs de leurs ennemis. La croix sauve aussitôt du danger ceux qui l'invoquent avec foi : les démons n'ont peur que de la croix. Si les démons tentent quelqu'un, un signe de croix suffit pour les chasser.
    Or Vseslav demeura sept mois à Kiev.