DIX-NEUVIÈME DEGRÉ

Des veilles du corps, de la manière dont elles produisent les veilles de l'esprit, et de la manière dont il faut les pratiquer.


Miniature du 14e siècle

monastère Stavronikita

anges entourant un moine

1. Parmi les gens qui sont à la suite des rois de la terre, il y en a qui sont sans armes, d'autres qui portent des faisceaux, d'autres des boucliers, et d'autres des épées. Or tout cela n'arrive point par hasard, mais à dessein : car ceux qui ne sont décorés que des marques de leur dignité, sont le plus souvent les parents, les alliés, ou du moins les amis intimes et confidentiels du prince; pour les autres, ce sont ses officiers ou ses domestiques : tel est donc l'ordre que nous remarquons dans la cour du souverain.
2. Voyons à présent quel est le rang que nous occupons dans la maison de Dieu, qui est notre roi suprême, lorsque nous nous présentons devant lui pour vaquer aux exercices de la prière du jour, du soir et de la nuit : car il y en a qui, aux prières du soir et de la nuit, se présentent devant Dieu libres de toute inquiétude pour les objets visibles, et revêtus seulement d'ornements spirituels; d'autres y paraissent avec le chant des psaumes et des cantiques; ceux-ci passent le saint temps de la prière dans la lecture des divines Écritures; ceux-là, plus faibles et moins avancés, travaillent des mains; enfin il en est qui, par la méditation continuelle de la mort, excitent et entretiennent dans leurs coeurs les sentiments de la plus vive et de la plus ardente componction.
Or il est évident que de toutes ces personnes religieuses qui passent ainsi ces veilles, ce sont les premières et les dernières qui s'y comportent de la manière peut-être la plus agréable à Dieu; celles que nous avons placées au second rang, suivent les exercices ordinaires de la vie religieuse; les troisièmes et les autres ne sont qu'au dernier degré. Néanmoins Dieu reçoit et apprécie toutes ces manières de lui offrir des hommages, selon le degré de bonne volonté, de ferveur et de courage des personnes qui les lui présentent.
2. Les veilles du corps purifient l'âme de ses souillures; mais un sommeil prolongé hébète et aveugle l'esprit.
3. Les veilles combattent fortement et vigoureusement les ardeurs de la chair, chassent les mauvais songes, produisent des larmes abondantes, attendrissent le coeur, éteignent les flammes des passions, donnent de la délicatesse à la conscience, conservent les pensées en leur pouvoir, consument les aliments qui pourraient être nuisibles, soumettent la chair à l'esprit, triomphent des efforts et déjouent les ruses du démon, arrêtent la liberté indiscrète de la langue, et dissipent entièrement les images et les fantômes capables de troubler l'âme et de la consterner.
5. Un moine qui pratique les veilles, ressemble à un pêcheur; car, dans le silence de la nuit, il observe sans être distrait, et comprend la portée et la valeur de ses pensées.
6. Il aime Dieu sincèrement, et lorsqu'il entend sonner l'office, plein de joie et d'allégresse il s'écrie: «C'est bien ! c'est très bien !» tandis que le moine paresseux, dit en soupirant : «Hélas, hélas!»
7. Il n'est pas difficile de reconnaître les gourmands à leur table chargée de mets délicats; et l'on connaît facilement ceux qui aiment Dieu, à leur zèle et à leur amour pour la prière. Les personnes esclaves de l'intempérance tressaillent de joie à la vue d'une table couverte de mets bien préparés; mais, par un principe contraire, ils sont tout tristes et tout ennuyés, lorsque
le moment de vaquer à la prière arrive, ceux qui n'aiment pas ce saint exercice.
8. L'excès dans le sommeil fait oublier les vérités salutaires, et inspire le dégoût pour les choses spirituelles; les veilles, en purifiant notre esprit et notre coeur, gravent dans l'un ces précieuses vérités, et inspirent à l'autre de l'amour pour les exercices célestes.
9. Les laboureurs ramassent leurs récoltes dans des aires, les vignerons, leurs vendanges dans les pressoirs; et les religieux ramassent leurs richesses spirituelles dans les exercices de la prière, lesquels ont lieu surtout le soir et pendant la nuit.
10. Un sommeil trop considérable est un mauvais compagnon que nous nous donnons : il fait perdre aux paresseux la moitié et quelquefois même plus, du temps qu'ils ont à vivre.
11. Le mauvais moine nÕest que trop réveillé, quand il est question de se livrer à des entretiens et à des conversations avec ses frères, mais l'heure de prier est-elle arrivée ? le sommeil s'empare aussitôt de lui.
12. Le religieux qui relâché est prompt et actif pour se répandre en vaines paroles, mais engourdi et lâche pour lire les livres sacrés.
13. Comme au son éclatant de la trompette de l'ange, les morts sortiront promptement de la poussière des tombeaux; de même à présent les religieux endormis dans le tombeau de leur paresse, se lèvent avec célérité, lorsqu'on annonce l'heure des récréations.
14. Le sommeil , sous les spécieuses apparences de l'amitié, exerce sur nous une tyrannie bien funeste — souvent il se retire de nous lorsque nous sommes bien rassasiés, et d'autres fois, lorsque par nos jeûnes, nous sommes pressés des douleurs de la faim et des ardeurs de la soif, il nous poursuit à toute outrance.
15. Il nous porte à nous occuper de quelque ouvrage des mains, afin que par ce moyen, si les autres ne réussissent pas, il puisse nous troubler et nous faire abandonner notre prière. Pour décourager ceux qui entrent dans la vie religieuse, et pour les empêcher d'y faire d'heureux progrès, il ne cesse de les poursuivre et de les tourmenter.
16. C'est encore ainsi qu'il en agit par rapport à ceux de qui le démon veut ouvrir la porte du cÏur à la passion de la luxure. 17. Ainsi jusqu'à ce que nous nous voyous entièrement délivrés des fatigues et des importunités du sommeil, qu'il ne nous soit pas à charge d'être obligés de chanter l'office avec nos frères; car leur compagnie et la crainte d'être couverts de honte et de confusion, nous empêcheront de dormir : en effet si le chien est l'ennemi des lièvres, le démon de la vaine gloire l'est du sommeil.
18. De même que le négociant se rend compte le soir du gain qu'il a fait pendant la journée; ainsi le religieux doit, après la psalmodie, se rendre compte des avantages spirituels qu'il en a retirés.
19. Veillez attentivement sur vous après la prière, et vous verrez avec étonnement que des démons nombreux, irrités de n'avoir pu nous vaincre pendant que nous prions, font ensuite tous leurs efforts pour nous faire tomber dans de mauvaises pensées. Assieds-toi, sois attentif, et tu verras ceux qui ont lÕhabitude de ravir les prémices de lÕâme.
20. Il arrive quelquefois que par l'habitude que nous avons de réciter les psaumes, il nous en revient quelque souvenir, et que les divins oracles deviennent la matière même et le sujet de nos pensées pendant le sommeil; mais il arrive aussi que les démons, nos ennemis, font toutes ces choses en nous, afin de nous inspirer des sentiments d'orgueil. Il est encore une autre chose que je croyais devoir passer sous silence, mais qu'une personne m'ordonne de publier. La voici : une âme qui, tous les jours, se nourrit de la parole de Dieu par une méditation continuelle et approfondie, a coutume pendant le sommeil de se rappeler les saintes pensées qui l'ont occupée pendant le jour, et c'est là vraiment une récompense précieuse que Dieu nous accorde; car nous sommes par ce moyen délivrés des illusions des démons.

Quiconque est monté sur ce dix-neuvième degré, a reçu dans son cÏur le trésor d'une lumière céleste.

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