TROISIÈME DEGRÉ
De la Fuite du Monde.
1. La retraite, ou la fuite du monde, est un renoncement éternel à tout ce qui peut s'opposer aux desseins de piété que nous avons formés; c'est un heureux changement de moeurs et de conduite, une sagesse inconnue, une prudence qui fuit avec horreur les regards des hommes, une vie cachée, une fin et un but intérieur et secret, une méditation douce et tranquille, un empressement pour le mépris et les humiliations, un désir ardent pour les austérités et les souffrances, un solide fondement d'affection et d'amour pour Dieu, une source féconde de charité, un renoncement parfait à la vaine gloire, et un profond silence.
2. Abandonner et quitter leurs proches et ce qu'ils possèdent dans le monde, voilà le projet qui agite le plus souvent et avec le plus de violence ceux qui, dès le commencement de leur conversion, s'attachent fortement à Dieu, et sont comme embrasés d'un feu tout céleste. Or, ce qui les porte à ce pieux dessein, ces nouveaux amants d'une beauté si noble et si excellente, c'est le désir qu'ils ont de se dévouer à toute sorte d'humiliations et à toute sorte de peines et de souffrances. Mais plus cette résolution est généreuse et louable, plus ils ont besoin de prudence et de discernement pour l'accomplir; car je suis loin de donner mon approbation à toute retraite qui se ferait avec le plus grand courage.
Miniature du 11e siècle mont Sinaï |
3. En effet, si notre divin Sauveur nous assure
que «personne n'est bon prophète dans son propre pays»
(Jn 4,44) c'est pour nous avertir de prendre garde qu'en renonçant
à notre patrie, nous ne le fassions que pour la trouver réellement
dans la vaine gloire que nous nous proposerions dans la fuite du monde; car
la fuite du monde n'est rien d'autre qu'une séparation franche et véritable
de toutes les choses de la terre, de manière que notre âme soit
invariablement unie à Dieu et ne s'en sépare jamais. Elle doit
essentiellement produire et soutenir en nous la douleur et le repentir de
nos fautes. Il s'est donc séparé du siècle, celui qui
a renoncé à toute affection charnelle pour les siens, et pour
les choses qui sont étrangères à son, nouvel état.
4. Ô vous qui pensez à sortir du monde, je vous prie de ne pas
attendre, pour le faire, que vos amis aient pu se débarrasser de leurs
affaires : craignez que la mort ne vous surprenne, avant que vous ayez accompli
votre pieux dessein. Hélas ! Il y en a eu un grand nombre qui se sont
trompés. Ils voulaient sauver des personnes paresseuses et négligentes;
mais en les attendant, le feu de l'amour divin qui les embrasait s'est éteint
peu à peu dans leurs coeurs, et ils ont misérablement péri
avec ceux qu'ils prétendaient sauver. Or, puisque vous sentez en vous
les ardeurs célestes de l'amour divin, et que vous ne savez pas quand
elles pourraient disparaître de vous, et vous laisser dans les ténèbres,
marchez et courez donc où Dieu vous appelle, rappelez-vous que l'Apôtre
nous avertit que nous ne sommes pas tous chargés du salut de nos frères
: «Ô mes frères, nous dit-il, chacun de nous rendra compte
à Dieu pour soi-même (Rom 14,12)»; et il ajoute ailleurs
: «Quoi ? Vous voulez donner des leçons aux autres, et vous ne
vous instruisez pas vous-même ?» (Rom 2,21) Or n'est-ce pas comme
s'il disait, «pour ce qui regarde les autres, je n'en sais rien; mais
pour ce qui regarde chacun de nous en particulier, je sais très bien
que nous sommes obligés de nous connaître et de nous sauver.»
5. Ô vous qui entreprenez le voyage qui doit vous faire sortir du monde,
veillez sur vous avec le plus grand soin; car le démon cherchera à
vous rendre inconstant et sensuel, et votre retraite même lui en fournira
les moyens et les occasions.
6. Il est du plus grand mérite devant Dieu de s'être dépouillé
de toute affection pour les choses de la terre; et c'est la fuite du monde
qui nous met dans cet heureux état.
7. C'est pourquoi celui qui, pour l'amour du Seigneur, a quitté le
monde, ne doit plus être animé que du désir de plaire
à ce divin Sauveur : autrement il suivrait encore aveuglément
les affections et les passions de son coeur.
8. Vous donc qui avez dit adieu au monde, cessez de vous mêler en rien
des affaires du monde; car remarquez bien que les désirs qu'on a étouffés
dans le coeur cherchent à s'y rétablir.
9. Ce fut par la force, et malgré elle qu'Ève fut chassée
du paradis terrestre; mais c'est par un acte de sa propre volonté,
qu'un moine quitte son pays pour s'enfermer dans un lieu à l'écart.
Ève, si elle fût encore demeurée dans le jardin délicieux
où elle avait été placée, n'aurait pas manqué
de vouloir manger du fruit qui l'avait portée à une première
désobéissance; et le moine, en restant dans le monde, n'aurait
pas trouvé peu de dangers de se perdre au milieu de ses parents et
de ses amis.
10. Évitez les occasions de faire des chutes et des péchés,
avec au moins autant de soin que vous éviteriez une peine et un supplice
graves qu'on voudrait vous infliger. Les fruits qu'on ne voit pas, n'exposent
pas à la tentation et au désir d'en manger, comme ceux que l'on
voit.
11. Connaissez bien les ruses et les artifices qu'emploient, pour vous faire
tomber, les esprits ténébreux de l'enfer : ils cherchent à
nous faire croire que nous ne devons pas nous retirer des embarras du siècle
ni du milieu de nos frères, parce qu'en le faisant, nous perdons une
grande récompense et une grande gloire car, par exemple, nous disent-ils
intérieurement, «quel mérite n'aura pas une personne qui
triomphera d'elle-même, en réprimant les feux impurs, lorsqu'elle
verra quelque beauté terrestre ?» Ah ! Dans des circonstances
pareilles gardons-nous bien de les écouter; faisons le contraire de
ce qu'ils nous suggèrent.
12. Si donc, après avoir abandonné nos proches et notre famille,
après avoir passé quelques années et même un grand
nombre d'années dans la vie monastique, après avoir fait des
progrès dans la piété et dans la pratique de la vertu,
après avoir amèrement pleuré et réparé
le temps de notre vie que nous avons passé dans le péché
et dans le contentement de nos passions, après avoir heureusement reçu
le don de continence et de chasteté, il nous vient dans l'esprit des
pensées vaines et frivoles, comme de retourner dans notre patrie, sous
le spécieux prétexte d'édifier par notre vie nouvelle
et vertueuse ceux que nous avions scandalisés par notre vie licencieuse
et déréglée, et, par notre éloquence, notre savoir
et nos talents, d'être pour les peuples leurs sauveurs, leurs lumières,
leurs docteurs et leurs conducteurs. Ah ! Soyons bien convaincus que ce n'est
là qu'un piège que nous tendent les démons. Ils veulent
nous faire perdre dans la haute mer le trésor que nous avons heureusement
acquis loin des tempêtes et dans le port.
13. Dans cette occasion, c'est Loth, et non pas sa femme, que nous devons
imiter; car quiconque retournera dans le lieu qu'il a quitté, et aux
choses qu'il a abandonnées, deviendra comme un sel affadi, et méritera
de demeurer immobile comme la femme de Loth, qui fut changée en une
statue de sel.
14. Fuyez loin de l'Égypte, et ne conservez même pas la pensée
d'y retourner; car ils ont perdu la paix et la tranquillité de la Jérusalem
céleste, ceux qui sont retournés en Égypte dans leurs
pensées et dans leurs désirs.
15. Cependant il est arrivé quelquefois que des personnes qui avaient
quitté le monde pour conserver leur influence, après s'être
solidement fortifiées dans la vertu, et après avoir saintement
purifié leurs consciences, sont rentrées dans le monde et y
ont produit de très grands biens, en contribuant puissamment au salut
des autres, sans négliger jamais le leur. Ce fut ainsi que Moïse,
après avoir dans le désert contemplé la face de Dieu,
reçut l'ordre de retourner en Égypte pour y sauver ceux de sa
nation; ce qu'il fit au milieu des dangers les plus nombreux et les plus éminents,
et des ténèbres les plus profondes.
16. Il vaut infiniment mieux déplaire à nos parents que déplaire
à Dieu; car il est le Maître souverain de nos proches, et c'est
Lui qui nous a créés et rachetés. Au reste, il n'est
pas rare que les parents perdent leurs enfants tout en les aimant, et les
précipitent dans les supplices éternels.
17. Nous disons que celui-là s'est vraiment séparé du
monde, qui ne parle plus le langage du monde et ne comprend plus le sien.
18. Lorsque nous quittons le monde pour embrasser la vie solitaire, ce n'est
pas à cause de la haine que nous portons à nos proches, ni à
cause de l'aversion que nous avons pour notre patrie : un crime aussi horrible
est bien loin de nous; mais c'est uniquement pour éviter de nous perdre
éternellement.
19. En cela, comme en toute chose, c'est le Seigneur que nous écoutons,
et dont nous suivons les traces; car nous savons qu'il a Lui-même plusieurs
fois abandonné ses parents selon la chair. En effet quelqu'un l'ayant
un jour averti que sa mère et ses frères Le cherchaient, ce
divin Maître, pour nous faire voir qu'il est des occasions où
nous devons fuir saintement nos parents, lui fit cette admirable réponse
: «Ma mère et mes frères sont ceux qui accomplissent la
Volonté de mon Père qui est dans les cieux (Mt 12,49).
20. Reconnaissez vraiment pour père celui qui peut et qui veut vous
décharger du poids énorme de vos péchés; et pour
mère, la componction du coeur, capable de vous purifier de vos souillures;
pour frères, ceux qui peuvent vous aider à obtenir les dons
célestes, et travailler et combattre avec vous; pour épouse,
qui vous soit indissolublement unie, la pensée constante de la mort;
pour enfants uniquement chéris, les gémissements du coeur; pour
esclaves, vos sens et votre chair; et pour amis, les légions célestes,
lesquelles vous rendront d'autant plus de service à l'heure de votre
mort, que pendant votre vie vous aurez plus pris de soin d'être et de
vous conserver dans leur amitié. Telle est la sainte parenté
de ceux qui cherchent sincèrement le Seigneur (cf. Ps 23,6).
21. Que le désir du ciel fait facilement et promptement disparaître
les affections charnelles qu'on avait pour ses proches ! Il est donc grossièrement
dans l'erreur celui qui s'imagine pouvoir en même temps aimer ses parents
selon la chair et aimer le ciel selon Dieu, puisque notre divin Sauveur lui
fait entendre cette sentence qui le condamne : «Personne ne peut servir
deux maîtres.» (Mt 6,24).
22. Ailleurs il nous déclare positivement, qu'il n'est pas venu sur
la «terre pour apporter la paix, mais la guerre et le glaive»
(Mt 10,34), c'est-à-dire, qu'Il n'est pas venu apporter aux parents
et aux frères un amour charnel pour leurs enfants et leurs frères
qui voudraient se consacrer à son service, mais qu'Il est venu séparer
ceux qui aiment et servent Dieu, d'avec ceux qui aiment et qui servent le
monde; ceux qui sont attachés à la terre, de ceux qui fixent
leurs affections dans les cieux; ceux qui recherchent l'orgueil, de ceux qui
ne se plaisent que dans l'humilité : car Il aime cette division et
cette séparation spirituelles.
Miniature du 14e siècle monastère Stavronikita |
23. Prenez garde, oui, je le répète,
prenez garde que l'affection que vous auriez pour vos proches et pour les
choses de la terre, ne vous fasse faire un triste naufrage au milieu des eaux
de péchés dont le monde est inondé. Et si vous ne voulez
pas pleurer éternellement, ne soyez pas sensibles aux larmes de vos
parents et de vos amis.
24. Si donc, pour vous arrêter dans votre pieux dessein, ils vous entourent,
comme des mouches à miel, ou plutôt comme des guêpes, et
que, pour vous en détourner, ils vous fassent entendre des lamentations
déchirantes, portez promptement votre esprit sur le souvenir de la
mort et sur les dangers terribles auxquels vous êtes exposé,
et sans détourner votre attention de ces deux objets, triompher de
la peine que vous font vos proches, par la peine que vous vous ferez à
vous-même, en vous exposant au malheur éternel, comme on chasse
un clou par un autre clou.
25. Ces personnes qui semblent être toutes dévouées à
nos intérêts, mais qui réellement ne nous veulent que
du mal, nous promettent des montagnes d'or, et nous assurent avec zèle
qu'elles ne nous feront que des choses qui nous seront très agréables
et très utiles; mais tous ces témoignages sont trompeurs : tout
ce qu'elles se proposent par là, c'est de nous détourner du
chemin qui doit nous conduire au bonheur éternel, et de nous engager
à faire et à suivre leur propre volonté.
26. Lorsqu'enfin nous quittons le monde, il nous est important de nous retirer
dans les lieux, où nous pouvons croire que nous trouverons moins de
consolations humaines, moins d'occasions de vaine gloire, et où nous
serons moins exposés à une funeste célébrité;
autrement nous ressemblerions aux oiseaux qui ne changent que d'air; notre
coeur serait le même, et nos passions auraient le même empire
sur nous.
27. Il est encore d'un grand intérêt de cacher la splendeur de
votre naissance et l'éclat de votre nom, afin que votre vie et vos
actions n'annoncent autre chose que l'amour de Dieu et de votre salut.
28. On trouverait difficilement quelqu'un qui ait abandonné sa patrie
et ses proches avec une générosité et une perfection
semblables à celles du saint patriarche Abraham. À peine eut-il
entendu ces paroles de Dieu : «Sors de ton pays, de ta parenté
et du sein de ta famille» (Gen 12,1), qu'il se mit en chemin sans hésiter,
quoique ce fût pour aller au milieu des peuples barbares et dont il
ignorait le langage.
29. Il en est cependant que le Seigneur a couverts de gloire, pour avoir imité
ce grand personnage, en quittant généreusement tout ce qu'ils
possédaient en ce monde. Néanmoins je crois que cette gloire,
quoiqu'elle vienne de Dieu, doit être évitée, et qu'il
ne faut se la proposer que dans un esprit d'humilité.
30. Quand les démons, ou même les hommes, nous donnent des louanges
sur notre retraite comme d'une action forte et généreuse, c'est
afin de nous en faire concevoir un sentiment d'orgueil. Chassons promptement
cette tentation, en pensant que pour l'amour de nous et à cause de
notre salut, le Fils de Dieu a bien daigné quitter les splendeurs éternelles
de sa Gloire et venir habiter humblement sur la terre; et nous connaîtrons
que, quand nous vivrions une éternité, nous ne serions pas capables
de rien faire de semblable pour Lui témoigner notre reconnaissance.
31. L'affection que nous conserverions intérieurement pour nos proches,
et même pour des étrangers, pourrait nous devenir très
funeste; elle nous engagerait peu à peu à rentrer dans le monde,
ou du moins serait très propre à éteindre dans nous la
ferveur de la piété et de notre componction.
32. Comme il est impossible que d'un oeil nous regardions le ciel, et que
nous fixions l'autre en même temps sur la terre, de même il est
impossible que celui qui ne se retirant pas du milieu de ses proches et de
toutes les personnes qui lui sont chères selon la chair, par une séparation
parfaite et d'esprit et de corps, ne s'expose pas au danger évident
d'une perte éternelle.
33. Sachons donc que ce ne sera qu'avec beaucoup de peines et de travaux,
que nous viendrons à bout de réformer nos moeurs et notre conduite,
et qu'il peut fort bien arriver que ce que nous n'aurions acquis qu'avec un
travail long et pénible, nous le perdions dans un seul instant; car
les discours vains et profanes, et surtout les mauvais, ont bien vite corrompu
les bonnes moeurs (cf. 1 Cor 15,33).
34. Celui donc qui, ayant renoncé à tout, ne laisse pas de suivre
les usages des gens du monde et de les fréquenter, tombera dans les
mêmes pièges qu'eux, souillera son coeur par la pensée
des choses profanes; ou s'il ne charge pas sa conscience par des pensées
mondaines, il la chargera par les jugements téméraires qu'il
fera sur ceux qu'il croira être souillés de ces mauvaises pensées.
C'est ainsi que, d'un côté ou d'un autre, il ne se préservera
pas de pécher avec les séculiers.
Des songes qui ont coutume de troubler le sommeil à ceux qui ont
quitté le monde.
35. Ce serait en vain que je voudrais cacher combien j'ai l'esprit peu subtil
et pénétrant, et combien mes connaissances sont bornées
et mon ignorance profonde. Comme le palais de la bouche juge du genre et de
la nature des mets, que les oreilles délicates des auditeurs jugent
de la beauté des pensées de l'orateur, et que l'éclat
du soleil fait connaître la faiblesse des yeux, de même mes paroles
font bien voir mon peu de capacité; mais souvent l'amour nous porte
à entreprendre des choses réellement au dessus de nos forces.
Je pense donc, sans oser l'assurer, qu'après avoir parlé, ou
plutôt en parlant de la fuite du monde, il convient de dire quelque
chose des songes, afin que nous sachions que les démons s'en servent
comme d'un piège pour perdre les âmes.
36. Je dis que le songe n'est autre chose qu'un mouvement et une agitation
de l'esprit, pendant que les sens du corps sont assoupis.
37. Une vision imaginaire est une illusion par laquelle l'imagination seule,
et sans pouvoir en juger, croit apercevoir certains objets, dans le temps
même du réveil : c'est donc une représentation de choses
qui n'ont ni être ni existence.
38. La raison qui nous engage à parler des songes, après avoir
dit quelque chose de la fuite du siècle, doit paraître évidente.
En effet, lorsque, pour l'amour du Seigneur, nous avons renoncé à
nos biens et à nos proches, et que, dans l'exil volontaire, nous nous
sommes consacrés et comme vendus à son service et à l'amour
des biens célestes, les démons, jaloux de notre bonheur, tâchent
de répandre le trouble et l'inquiétude dans nos âmes,
par le moyen des songes. C'est ainsi qu'ils nous représentent nos proches,
tantôt dans les pleurs, tantôt étendus sur un lit de mort,
tantôt plongés dans le chagrin à cause de nous, et tantôt
tourmentés par quelque malheur; mais celui qui croit aux songes, comme
à quelque chose de réel, ressemble très bien à
une personne qui courrait après son ombre, et qui ferait des efforts
pour la saisir.
39. Remarquons ici que les démons, pour nous vendre quelque peu de
fumée de vaine gloire, se rendent en quelque sorte prophètes
en nous : ils nous annoncent dans des songes, des choses futures qu'ils ont
devinées par la subtilité de leurs conjectures; et, en voyant
arriver ce que nous avons vu dans nos rêves, nous en sommes frappés
de surprise et d'étonnement. C'est ainsi qu'ils nous portent à
l'orgueil, en nous inspirant que Dieu nous fait connaître les choses
futures.
40. Il faut avouer ici que pour ceux qui croient au démon, cet esprit de malice leur a révélé des choses qui sont ensuite arrivées; mais qu'il n'a jamais été qu'un menteur pour ceux qui méprisent les songes qu'il leur donne : car étant un pur esprit, il peut plus facilement connaître les choses qui ont lieu dans l'univers. Ainsi, par exemple, sachant qu'une personne est près de mourir, il peut dans des songes annoncer cette mort à ceux qui se prêtent à ses insinuations.
41. Quant aux choses futures, il n'en sait rien : sa prescience ne va pas jusque là. Au reste des médecins habiles et expérimentés pourraient également en faire autant sur la mort de certains malades.
42. Sachons que ces esprits de ténèbres se changent souvent en anges de lumières, et nous apparaissent en songe sous la figure de quelques martyrs, afin qu'à notre réveil, ils nous fassent goûter une joie funeste, et nous inspirent une orgueilleuse opinion de nous-mêmes.
43. Voici la marque à laquelle vous pourrez reconnaître la fraude et les artifices des démons, d'avec les soins que nos anges prennent de nous. Ces derniers ne nous font jamais voir dans les songes, dont ils sont les auteurs, que les supplices éternels, le jugement dernier, la séparation effrayante des méchants d'avec les gens de bien, et nous inspirent à notre réveil une crainte et une tristesse salutaires.
44. Si nous croyons les choses que les démons nous inspirent pendant le sommeil, ils se joueront de nous, même pendant notre réveil. Ainsi nous devons avouer qu'il manque de lumière et de discernement, celui qui croit aux songes, et qu'il est prudent et sage celui qui n'y ajoute aucune foi.
45. Ne respectez que ceux qui vous représentent les peines éternelles et les jugements de Dieu. Si, par contre, ces songes vous portaient au désespoir, soyez encore convaincus qu'ils sont l'ouvrage des démons.
Ce troisième degré termine le symbole de la très sainte Trinité; et si vous avez le bonheur d'y monter, ne regardez ni à droite ni à gauche.