HOMÉLIE SUR LA MANIERE DE VIVRE SELON DIEU

De la manière de vivre selon Dieu.
De ces paroles : "La porte est étroite"
Explication de la prière : Notre Père

La lecture de tout livre inspiré de Dieu devient pour ceux qui s'y appliquent une source de progrès dans la connaissance de la piété. Mais la lecture des saints évangiles en particulier l'emporte de beaucoup sur les enseignements les plus élevés : les sentences qu'ils renferment sont, en effet, autant d'oracles du plus grand des monarques. Aussi de terribles châtiments menacent-ils ceux qui n'observent pas avec soin ses préceptes. Si l'homme qui viole les lois des princes de la terre ne peut échapper au supplice, à plus forte raison d'intolérables tortures seront-elles le partage de quiconque méprise les leçons du Souverain des cieux. Puisque la négligence nous expose à de si graves dangers, prêtons une attention soutenue aux paroles évangéliques dont nous avons tout à l'heure entendu la lecture. Quelles sont ces paroles : " Elle est étroite, la porte ; elle est resserrée, la voie qui conduit à la vie, et un bien petit nombre la trouve. " Et encore : " Elle est large, la porte, elle est spacieuse la voie qui mène à la perdition, et ils sont nombreux ceux qui la suivent. " (Mt 7,13&endash;14).

Toutes les fois que j'entends ces paroles et que je considère l'ardeur avec laquelle les hommes courent après la vanité, je ne puis m'empêcher d'être frappé de la vérité de ce langage. Tous marchent dans la voie large, tous convoitent avidement les biens de ce monde sans jamais accorder une pensée aux biens à venir. Tous se précipitent incessamment vers les jouissances corporelles et laissent leur âme périr d'inanition ; quoique percés chaque jour d'une infinité de coups, ils n'ont même pas conscience de leur déplorable état. Et ceux qui, dans un cas de maladie corporelle, recourent en toute hâte aux hommes de l'art, les font venir dans leur maison, leur paient une rétribution des plus élevées, montrent avec eux une inaltérable patience et se prêtent au traitement le plus laborieux pour recouvrer la santé du corps ; ils négligent complètement leur âme ; atteints des maux les plus graves, ils s'inquiètent peu de recouvrer la santé du corps ; ils négligent complètement leur âme ; atteints des maux les plus graves, ils s'inquiètent peu de recouvrer une santé si précieuse, bien que néanmoins ils n'ignorent pas la condition corruptible et périssable du corps, bien qu'ils sachent que, pareil aux fleurs du printemps, comme elles il se flétrit, comme elles il dépérit, comme elles il devient la proie de la corruption ; tandis que pour l'âme ils savent qu'elle est honorée de l'immortalité, qu'elle a été créée à l'image de Dieu, et qu'elle est chargée du gouvernail de ce corps auquel elle est unie. Ce que le cocher est pour le char, le pilote pour le vaisseau, l'artiste pour l'instrument, l'âme l'est pour cet instrument d'argile, d'après les lois établies par son auteur. C'est elle qui en tient les rênes, elle qui en manie le gouvernail, elle qui en fait vibrer les cordes. Les fait-elle vibrer comme il convient ? Il s'en exhale les accords harmonieux de la vertu. Les sons au contraire deviennent-ils trop graves ou trop aigus, l'art en souffre, l'harmonie est détruite. Or, cette âme, beaucoup de mortels la négligent ; ils ne daignent pas lui accorder les soins d'un instant, et ils consacrent leur vie entière à des préoccupations corporelles. Les uns se vouent à la carrière maritime, luttent contre les vents et les flots, sans cesse suspendus entre la vie et la mort, et confient à quelques planches de bois toutes leurs espérances de salut ; les autres, embrassant les fatigues de l'agriculture, attellent des boeufs à la charrue, creusent dans la terre des sillons ; tantôt ils sèment, tantôt ils moissonnent ; aujourd'hui ils plantent, demain ils vendangeront, et ils dépenseront tous les instants de leur existence à ces soins misérables. D'autres se livrent au commerce, et pour cela, ils voyagent sans cesse sur terre et sur mer ; ils laissent le sol qui les a vus naître pour un sol étranger ; ils abandonnent leur patrie, leur famille, leurs amis, leurs femmes, leurs enfants, ils se résignent au sort de l'étranger pour réaliser de faibles bénéfices. Mais pourquoi parcourir toutes les professions que les hommes ont imaginées pour les besoin du corps, et qui absorbent leurs nuits et leurs jours ; en sorte qu'ils sont tout entiers à servir leurs intérêts matériels, et qu'ils dédaignent complètement leur âme au milieu de la faim, de la soif, de la corruption, des souillures et des maux de tout genre qui les dévorent ? Encore, au prix de ces fatigues et de ces sueurs n'affranchissent-ils pas le corps du trépas ; au contraire, ils attirent sur cette substance mortelle, comme sur leur âme immortelle, des supplices sans fin.

Aussi, navré de cet aveuglement extrême des hommes, et de les voir environnés d'aussi épaisses ténèbres, je désirerais trouver un lieu assez élevé pour me permettre d'embrasser du regard l'humanité entière ; je désirerais que ma voix pût frapper jusqu'aux extrémités de la terre et se faire entendre clairement de tous ceux qui l'habitent ; je voudrais là, debout, faire retentir cette parole de David : " Enfants des hommes, jusqu'à quand votre coeur sera-t-il appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, et recherchez-vous le mensonge ? " (Ps 4,3). Pourquoi préférez-vous aux biens du ciel les biens de la terre, les biens du temps à ceux de l'éternité, aux biens qui ne se corrompent pas, les biens qui corrompent ? Jusqu'à quand fermerez-vous vos yeux, boucherez-vous vos oreilles, et refuserez-vous d'ouïr cette parole divine qui vous crie tous les jours : " Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert ; car quiconque demande, reçoit ; quiconque cherche trouve ; et l'on ouvrira à celui qui frappe. " (Mt 7,8) Et parce que quelques-uns, ayant des sentiments trop imparfaits, fortement enclins aux choses du siècle, et trouvant du charme aux préoccupations matérielles, ne demandent pas comme ils le devraient, en conséquence, notre commun Seigneur nous a enseigné comment il nous faut prier. " Lorsque vous prierez, nous dit-Il, n'entassez pas les paroles sur les paroles, à l'exemple des païens ; ils estiment que plus ils parlent, mieux ils seront exaucés. " (Mt 6,7).

Ce que le Sauveur reprend ici, ce sont les demandes futiles, que l'on exprime en des mots interminables et dépourvus de toute utilité. Or, en proscrivant tout verbiage, le Seigneur semble déclarer qu'il ne faut pas dans nos prières demander des biens qui passent et se corrompent, par exemple la beauté du corps, que le temps flétrit, que la maladie consume, que la mort enfin détruit. Telle est en effet la beauté corporelle : c'est une fleur éphémère qui brille un moment au printemps de la jeunesse, mais qui se flétrit bientôt au contact glacial des années. Que si l'on veut en examiner la substance, elle inspirera encore plus de dégoût. En effet, elle se réduit au flegme, au sang, aux humeurs et au chyle, qui résultent de la digestion des aliments. Tels sont les éléments qui circulent dans les yeux, les joues, les narines, les sourcils, les lèvres, en un mot dans tout le corps. Que cette circulation cesse, et la beauté du visage s'évanouit aussitôt. Ne demandons pas non plus les richesses qui, pareilles aux eaux des fleuves, tantôt coulent dans un sens, tantôt dans un autre, tantôt vont vers celui-ci, tantôt vers celui-là : on les voit se dérober à ceux qui les possèdent, refuser de rester auprès de ceux qui les désirent ; et puis des ennemis sans nombre les menacent la rouille, les voleurs, les sycophantes, les incendies, les naufrages, les guerres et les invasions qui en sont la conséquence, les révoltes populaires, la perversité des serviteurs, la perte des titres, les clauses qu'on y peut ajouter, qu'on peut en retrancher ; ces dangers et une foule d'autres pareils environnent les courtisans de la fortune, et naissent de leur passion elle-même. Ne demandons pas non plus les dignités et la puissance ; car elles aussi engendrent bien des sollicitudes douloureuses. Ce sont les soucis rongeurs, des nuits sans sommeil, les embûches de l'envie, les complots de la haine, la faconde sophistique des rhéteurs qui cachent la vérité sous le fatras des mots, et mettent les juges dans un grave péril.

Car il y a, oui, il y a des hommes qui, dans leur babil et leur bavardage, demandent ces choses et autres pareilles au Dieu de l'univers, et ne font aucun cas des biens véritables. Pourtant ce n'est point aux malades à enseigner au médecin l'emploi des remèdes, ils n'ont simplement qu'à se plier au traitement qu'il leur impose, quelque pénible qu'il puisse être. Il n'appartient pas non plus aux passagers d'indiquer au pilote s'il doit manier le gouvernail de l'une ou de l'autre manière, et comment il lui faut conduire le navire : assis sur le pont, ils se reposent sur son habilité, non seulement quand les vents sont favorables, mais encore au fort des plus pressants dangers. Et ces hommes aux sentiments dépravés ne peuvent se résoudre à s'abandonner aux Mains de Dieu seul, de Dieu qui connaît à merveille ce qui nous importe, et ils Lui demandent comme utiles des choses pernicieuses, semblables au malade qui demanderait au médecin, non les choses propres à combattre le mal, mais les choses capables d'augmenter l'abondance de l'humeur qui en est le principe. En ce cas, est-ce que le médecin cédera aux supplications du malade ? Le verrait-il fondre en gémissements et en larmes, est-ce qu'il ne préférera pas obéir aux lois de son art, plutôt que d'obtempérer aux pleurs du patient ? Et son inflexibilité, au lieu de l'appeler de la cruauté, ne la qualifierons-nous pas d'humanité véritable ? S'il céderait aux réclamations du malade et se prêterait à satisfaire son esprit, il agirait envers lui en ennemi ; au contraire, s'y refuser, tenir tête à son désir, c'est de sa part de la compassion et de la pitié. De même, le médecin de nos âmes se refuse à nous accorder, quand nous le lui demandons, ce qui doit tourner à notre préjudice. Les parents qui aiment leurs enfants ne vont pas leur donner, quand ils sont tout petits, des armes ou des charbons enflammés, s'ils les leur demandent, sachant très bien qu'une pareille condescendance leur serait funeste. Il y a des hommes aussi qui sont tombés dans une telle stupidité que, non contents d'implorer du Maître de toutes choses la beauté corporelle, les richesses, la puissance et autres biens de cette nature, s'emportent en imprécations contre leurs ennemis, sollicitent contre eux des supplices ; et Dieu, dont ils réclament pour eux-mêmes la miséricorde et la douceur, ils Le voudraient inflexible et cruel envers leurs ennemis. C'est pour mettre une barrière à ces désordres que le Seigneur défend le bavardage dans les prières ; Il nous apprend ce que nous devons dire en priant, et en peu de mots Il nous enseigne toutes les vertus ; car ces mots, outre qu'ils formulent une prière à notre usage, nous tracent le tableau d'une vie parfaite.

Quels sont ces mots, quel en est le sens ? Voilà ce que nous allons rechercher avec le plus grand soin, afin d'en observer fidèlement les prescriptions, comme nous observerions les lois divines. " Notre Père, qui est aux cieux. " (Mt 6,9 et suiv.). Quel excès de bonté, quelle excellence, quelle dignité ineffable ! Et quel langage pourrait suffire à exprimer la reconnaissance due au Seigneur qui répand sur nous de si remarquables bienfaits ! Considérez, mon bien-aimé, la condition misérable de votre nature et de la mienne ; examinez quels sont les êtres auxquels son origine la rattache, à savoir la terre, la poussière, le limon, l'argile, la cendre ; car, ayant été tirés de la terre, c'est à la terre que vont enfin se mêler nos dernières dépouilles. Quand vous aurez fait ces réflexions, considérez avec stupeur les trésors insondables de la Bonté de Dieu envers nous ; quand Il vous ordonne de L'appeler votre Père, à vous qui êtes de la terre, Lui qui est au ciel ; à vous qui êtes mortel, Lui qui est immortel ; à vous corruptible, Lui qui est incorruptible ; à vous périssable, Lui qui est éternel ; à vous qui hier ou peu auparavant n'étiez qu'un peu d'argile, Lui qui était Dieu avant tous les siècles. Évidemment ce n'est pas sans motif qu'on vous instruit à prononcer cette parole ; sans doute, c'est afin que, pénétré de respect par cette invocation du Père placée sur votre langue, vous imitiez sa Bonté, selon ce mot du Sauveur : " Soyez semblables à votre Père céleste, qui ordonne à son soleil d'éclairer les méchants aussi bien que les bons, et à la pluie de tomber également sur les justes et les injustes. " (Mt 5,15). Par conséquent, il n'a pas le droit d'appeler son Père Dieu qui est si bon, celui dont le coeur est sauvage et inhumain ; il ne conserve pas le caractère de bonté qui distingue notre Père du ciel, il s'est plutôt ravalé au niveau des bêtes féroces, et il est déchu de sa divine noblesse, comme l'a dit le prophète David : " L'homme, quand il était dans l'honneur, n'a pas compris, il s'est mis aux rang des animaux sans raison, et il leur est devenu semblable. " (Ps 48,21). Lorsqu'un homme, par son humeur farouche rappelle le taureau, par sa voracité l'âne, par son ressentiment le chameau, l'ours par sa voracité, le loup par ses rapines, le scorpion par ses morsures, le renard par ses fourberies ; lorsqu'il hennit après les femmes comme un étalon indompté, comment parlerait-il le langage des enfants, et donnerait-il à Dieu le nom de Père ? - Comment donc qualifions-nous cet homme ? - De bête sauvage ? - Mais les bêtes sauvages ne se distinguent que par l'un des vices énumérés ; or, lui les réunit tous, et surpasse ainsi les brutes elles-mêmes en brutalité.

Que parlé-je de bêtes sauvages ? Un tel homme est bien plus dangereux que l'une de ces bêtes. Quoique sauvages par nature, les animaux soumis aux soins de l'homme finissent souvent par s'adoucir. Mais celui-ci, qui en sa qualité d'homme parvient à changer la férocité naturelle des brutes en une douceur que la nature nous a donnée, quelle justification aura-t-il lorsqu'à la douceur que la nature lui a donnée il aura substitué une férocité contre nature, et lorsque, après avoir adouci des êtres naturellement féroces, il aura renoncé à sa douceur naturelle pour le remplacer par la férocité ? Lorsque, après avoir dompté le lion et l'avoir plié au commandement, il se laisse emporter par des colères plus indomptables que celles du lion lui-même ? Dans le lion il y a deux obstacles à vaincre : d'abord il est privé de raison, et puis il est le plus irritable des animaux. Cependant l'homme, grâce à sa sagesse dont le Seigneur l'a doué, l'homme vient à bout de cette nature rebelle. Et voilà qu'après être venu à bout de la nature des bêtes féroces, il se dépouille et des qualités de la nature et du lien de la volonté. Il fait d'un lion un homme, et peu lui importe que l'homme qu'il était, il soit devenu lion. Il donne à cette bête des aptitudes supérieures à la nature, et il développe en soi-même des inclinations contraires à sa propre nature. Avec de tels sentiments, comment appellerait-il Dieu du nom de Père ? Mais quiconque traite avec douceur et bonté son prochain, et ne se venge pas de ceux qui l'offensent, répond aux injures par des bienfaits ; celui-là peut sans crainte donner le nom de Père au Seigneur. Remarquez la force des expressions : elles nous font une loi d'une affection mutuelle, et elles nous enchaînent tous des liens de la charité. Il ne nous est pas enjoint de dire : Mon Père qui es aux cieux ; mais, " Notre Père qui es aux cieux, " afin que nous reconnaissant tous des enfants d'un même père, nous nous traitions en frères les uns les autres. Enfin, c'est pour nous apprendre à nous détacher de la terre et des biens terrestres, à ne pas rechercher avidement les choses d'ici-bas, à prendre les ailes de la foi, à gagner les hauteurs, à franchir l'atmosphère et à chercher celui que nous traitons de Père, que le Sauveur nous met dans la bouche ces paroles : " Notre Père qui es aux cieux ". Ce n'est pas que Dieu habite seulement dans les cieux, mais Il veut que de cette terre, dans laquelle nous nous roulons, nous jetions les yeux vers le ciel, et qu'illuminés par la beauté des biens célestes, nous transportions là tous nos désirs.

À cette première parole le Sauveur en ajoute une seconde : " Que ton Nom soit sanctifié. " Que nul cependant ne soit assez insensé pour croire Dieu susceptible d'un accroissement de sainteté, parce que l'on dira : " Que ton Nom soit sanctifié " ; car Dieu est saint, Il l'est par essence, Il l'est au-dessus de tous les saints. C'est l'hymne que les séraphins ne cessent de chanter, puisque de leur bouche sort incessamment ce cri : " Saint, saint, saint est le Seigneur des armées ; la terre et les cieux sont remplis de sa Gloire. " (Is 6,3). Or, de même qu'en acclamant un prince, en lui donnant les noms de monarque et d'empereur, on ne lui prête pas un titre qui ne lui appartient pas, mais on proclame les titres qu'il possède déjà ; de même, nous aussi ne prêtons pas à Dieu une sainteté qu'Il n'a pas, quand nous disons : " Que ton Nom soit sanctifié " ; mais nous glorifions la sainteté qui Lui appartient, le sens du mot sanctifié étant le même que celui de glorifié. Or ce que nous enseigne cette parole, c'est de vivre selon la vertu, afin que les hommes voyant notre conduite vertueuse glorifient notre Père céleste, ce que nous indique le Sauveur en ces termes : " Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils aperçoivent vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. " (Mt 5,16).

Après cela, le divin Maître nous ordonne de dire : " Que ton Règne arrive. " Persécutés par les passions tyranniques du corps, assaillis par une infinité de tentations, nous avons besoin du Règne de Dieu, afin que le péché n'exerce pas sa domination sur notre corps périssable, au point de nous asservir à ses convoitises criminelles, afin que nos membres ne deviennent pas entre ses mains des instruments d'iniquité, et de combattre sous l'étendard du Roi de tous les siècles. En outre, nous apprenons par là à ne pas estimer trop haut la vie de ce monde, à mépriser les choses présentes, à désirer les choses à venir comme permanentes, à rechercher ce royaume céleste et éternel, à ne pas nous attacher aux biens d'ici-bas, ni à la beauté du corps, ni à l'abondance des richesses, ni au nombre des propriétés, ni à l'éclat des pierreries, ni à la magnificence des édifices, ni aux dignités, soit civiles, soit militaires, ni à la pourpre et au diadème, ni à la variété et à la recherche des festins, ni aux raffinements du luxe, ni à aucune des choses qui charment nos sens, mais à leur dire à toutes un adieu sans retour, et à soupirer sans relâche après le céleste royaume. Après nous avoir donné cette leçon de vertu, le Sauveur nous enseigne une autre demande : " Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ". Ayant mis en notre âme l'amour des biens futurs et le désir du royaume céleste, ayant blessé nos coeurs de leur beauté, Il nous met sur les lèvres ces paroles :" Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel. " Donne-nous, Seigneur, de mener sur la terre la vie du ciel, et de vouloir toujours ce que Tu veux Toi-même. Viens donc en aide à la faiblesse de notre volonté ; car, désirant accomplir tes commandements, elle a trouvé un obstacle dans la misère du corps : tiens-nous la main, à nous qui, désirant courir, en sommes réduits à boiter. Notre âme, il est vrai, a des ailes, mais elle est appesantie par la chair ; elle serait prompte à s'élancer vers les choses célestes, mais la chair l'incline lourdement vers les choses terrestres. Avec ton secours, ce qui est tout-à-fait impossible, deviendra possible pour nous. " Que ta Volonté donc se fasse sur la terre comme au ciel. "

Après avoir mentionné la terre, comme il faut à des êtres nés de la terre, vivant de la terre, et revêtus d'un corps sorti de la terre, une nourriture suffisante, le Sauveur ajoute en conséquence : " Donne-nous aujourd'hui notre pain substantiel. " Il nous ordonne de demander le pain substantiel, non pour flatter notre sensualité, mais pour nous servir de nourriture, pour réparer les pertes du corps et prévenir la mort que la faim amènerait inévitablement. Il ne nous faut pas des tables chargées de mets, ni des ragoûts variés, ni des raffinements des cuisiniers, ni l'art des pâtissiers, ni des vins au bouquet délicat, ni tout ce qui est propre à charmer le palais, à fatiguer l'estomac, à obscurcir l'esprit, à mettre le corps en révolte ouverte contre l'âme, à rendre le coursier rebelle à la main qui le conduit. Ce n'est pas là ce que le prière du Seigneur nous instruit à demander, mais le pain substantiel, à savoir le pain qui se change en la substance du corps, et qui est capable de renouveler nos forces. Ce pain, nous n'avons pas à le demander pour plusieurs années, mais autant qu'il en faut pour le jour présent. " Ne soyez pas en peine du lendemain ", disait le Sauveur (Mt 6,34). Pourquoi nous inquiéterions-nous du lendemain, puisque nous ne sommes pas sûrs de voir ce lendemain, puisque nous prendrons la fatigue et que nous n'en recueillerons pas le fruit ? Placez donc votre confiance en Dieu, " qui donne à toute chair sa nourriture. " (Ps 135,25). Lui qui vous a donné le corps, qui a inspiré l'âme, qui vous a fait animal raisonnable, qui avant de vous créer vous a préparé toute sorte de biens, comment après vous avoir créé vous dédaignerait-t-Il encore " qui ordonne à son soleil de luire sur les méchants et sur les bons, et à la pluie de tomber sur les justes et les injustes ? " (Mt 5,45). Soyez donc remplis de confiance en sa Bonté, contenez-vous de Lui demander la nourriture du jour présent, abandonnant le soin du lendemain, selon ce mot du bienheureux David : " Jetez sur le Seigneur toutes vos sollicitudes, car Il suffira à vos besoins. " (Ps 54,23).

Quand Il nous a instruits par ses paroles de la philosophie la plus élevée, le divin Maître sachant fort bien qu'il nous est impossible, à nous hommes, à nous environnés d'un corps périssable, de ne pas faire quelques chutes, nous met dans la bouche cette demande : " Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. " En nous enseignant ces paroles, le Sauveur nous accorde trois sortes de grâces : D'abord, Il rappelle à ceux dont la vertu est considérable la nécessité de l'humilité, l'obligation de ne pas s'assurer en leurs propres mérites, mais de craindre et de trembler au souvenir des péchés d'autrefois, à l'exemple du divin Paul, qui, après une infinité d'actes héroïques, s'écriait : " Le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. " (1 Tim 1,15). Il ne dit pas : dont j'étais, mais dont je suis, marquant de la sorte qu'Il avait sans cesse devant les yeux le souvenir du passé.

À ceux donc qui ont atteint le faîte de la vertu, le Sauveur a indiqué par ces paroles la sauvegarde de l'humilité. Pour ceux qui sont tombés après la grâce du saint baptême, Il ne les laisse pas désespérer de leur salut ; Il leur enseigne à implorer du médecin des âmes la remise du pardon. De plus, Il nous donne en même temps une leçon de charité. Il veut, en effet, que nous traitions avec bonté les coupables, que nous ne conservions pas de ressentiment envers ceux qui nous ont offensés, que nous méritions, en leur pardonnant, notre propre pardon, et que nous déterminions nous-même la mesure de la miséricorde à laquelle nous aspirons. Car nous demandons par cette prière à recevoir en proportion de ce que nous avons donné, et à bénéficier d'une générosité pareille à celle que nous aurons témoignée aux autres.

 

Il nous est ordonné en outre d'ajouter : " Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du malin. " Bien des maux nous viennent des hommes, soit qu'ils nous fassent ouvertement la guerre, soit qu'ils nous tendent des embûches en secret. De son côté, le corps tantôt s'insurge contre l'âme et lui cause de graves dommages ; tantôt en proie à des maladies de nature diverse, il nous accable de douleurs et de peine. Or, c'est parce que des maux si nombreux et si divers fondent de tous côtés sur nous que l'on nous a instruits à demander au Dieu de toutes choses d'en être délivré. Vient-Il à notre aide, la tempête s'apaise, le calme règne de nouveau sur les flots, l'esprit pervers se retire confus, comme il se retire un jour du corps de quelques hommes pour entrer dans le corps des pourceaux ; et encore ne le fit-Il qu'après en avoir reçu la permission de son Maître. Mais s'il n'a même pas de pouvoir sur des pourceaux, comment des hommes sobres et vigilants, des hommes sur lesquels Dieu veille Lui-même et qui Le connaissent pour leur roi, pourraient-ils en être vaincus ? C'est pour cela qu'à la fin de sa prière le Sauveur publie la royauté de Dieu, sa Puissance et sa Gloire en ces termes : " Car à Toi appartiennent la royauté et la puissance et la gloire dans les siècles des siècles. Amen ". Si Je Te demande ces choses, dit-Il, c'est que Tu es, Je ne l'ignore pas, le Souverain de l'univers, que Tu possèdes un empire éternel, que ta Puissance n'a d'autres bornes que ta Volonté, que nul ne Te ravira ta Gloire. Pour toutes raisons, rendons grâces à un Dieu qui a daigné nous combler de tant de biens ; car à Lui conviennent toute gloire, tout honneur et toute puissance, à Lui Père, Fils et saint Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.