Ayant eu récemment l'occasion de parler du paralytique couché sur son lit auprès de la piscine, nous avons découvert un vaste et riche trésor, non en creusant la terre mais en recherchant quels étaient les sentiments de cet infortuné. Nous avons trouvé un trésor renfermant, non de l'or et des pierreries, mais la résignation, la sagesse, la patience, une confiance admirable en Dieu, biens plus précieux que tout l'or et toutes les richesses de l'univers. Les richesses matérielles, en effet, sont exposées aux pièges des voleurs, aux propos des sycophantes, à l'audace et à la violence des brigands, à la perversité des domestiques. Échappent-elles à tous ces dangers, elles attirent alors plus d'une fois sur celui qui les possède le plus grand des dangers ; elles frappent les yeux de l'envie, et de là mille affreuses tempêtes. Mais les richesses spirituelles se dérobent à tous ces périls ; elles sont trop haut placées pour avoir à craindre quelque injure de ce genre. Des voleurs, des brigands, des sycophantes, des envieux, du trépas lui-même, elles s'en rient également. Elles ne se dissipent pas à la mort de celui à qui elles appartiennent ; c'est alors au contraire qu'on les possède avec le plus de sécurité ; elles s'attachent à nous dans notre voyage, elles nous accompagnent dans la vie à venir : avocat puissant de celui dont elles suivent les pas, elles rendent son juge favorable à sa cause.

Telles sont les richesses que nous avons trouvées en abondance, le trésor que nous avons découvert dans l'âme du paralytique. Vous en avez été témoins, vous qui y avez travaillé avec la plus grande ardeur, sans toutefois parvenir à l'épuiser. Il en est ainsi de la nature des richesses spirituelles ; elles rappellent les sources d'eaux vives, ou plutôt elles l'emportent de beaucoup sur elles par leur abondance, laquelle est d'autant plus sensible qu'un plus grand nombre de personnes y viennent puiser. Quoiqu'elles se répandent dans une âme, ces richesses ne se divisent pas et ne diminuent pas ; elles sont données à chacun de vous pour ainsi dire sans partage, et elles vous restent sans qu'elles puissent être pour cela jamais consumées et faire défaut. C'est ce qui est alors arrivé ; car un grand nombre d'entre vous se sont précipités sur ce trésor, et tous y ont puisé autant qu'ils l'ont voulu. Et pourquoi parlé-je de vous seuls, puisque ce trésor, depuis le temps du Sauveur jusqu'au jour présent, n'a cessé d'enrichir une foule de personnes sans avoir rien perdu de sa fécondité.

En conséquence, ne nous lassons pas d'augmenter en nous ces richesses spirituelles. En ce moment même puisons dans ce trésor de toutes nos forces ; admirons la Bonté du Maître, admirons la patience du serviteur. Aux prises depuis trente-huit ans avec ce mal incurable et des souffrances incessantes, ce dernier ne se livra pas à d'amères récriminations, il ne prononça aucune parole blasphématoire, il n'accusa pas son Créateur : il supporta son malheur avec une générosité et une modération qui ne se démentirent jamais. Et où en est la preuve ? demandera-t-on. L'Écriture ne nous apprend du reste rien de sa vie : l'origine de son infirmité, qui remontait à trente-huit ans, est le seul point qu'elle éclaircisse. Mais qu'il n'en ait conçu nul sentiment d'amertume, d'indignation ou de révolte, c'est là ce qu'elle ne dit en aucune façon. - Et pourtant elle s'exprime clairement à ce sujet, et on en conviendra si on la consulte sérieusement, et non à la hâte et comme par manière d'acquit. En effet, lorsque vous voyez la modération avec laquelle il répond au Christ qui S'approche de lui sans en être connu, et n'étant à ses yeux qu'un homme ordinaire, vous pouvez comprendre la philosophie qui a dirigé ses années précédentes. (Jn 5,5) Le Christ lui ayant demandé : " Veux-tu guérir ? " il ne s'exprime pas, comme on pourrait le croire, sur ce ton-ci : Tu me vois atteint de paralysie depuis un si grand nombre d'années, et Tu me demandes si je veux guérir ! Tu viens donc m'outrager, m'insulter, Te rire de moi au milieu de mes maux, tourner en dérision mon infortune ? Il ne dit rien, il ne pense rien de semblable ; il répond avec douceur : " Assurément, Seigneur, je le veux. " Si telle est sa douceur après trente-huit années de douleur, si telle est sa modération, alors que la fermeté de son âme, l'énergie de son esprit avaient été entièrement brisées, représentez-vous ce qu'il devait être à l'origine de ses maux. Vous le savez tous, les malades ne sont pas également inquiets au commencement de leurs souffrances, et lorsqu'ils souffrent déjà depuis longtemps : c'est lorsque le mal se prolonge, qu'ils sont surtout d'humeur difficile, qu'ils deviennent tout à fait insupportables. Mais celui qui après un si grand nombre d'années montre tant de philosophie, qui répond avec autant de résignation, il a certainement précédemment supporté son malheur avec une profonde gratitude.

Que ces considérations nous engagent aussi à imiter la patience de ce serviteur. C'est assez de sa paralysie pour ranimer la vigueur de nos âmes, et personne ne sera assez mou, assez lâche, pour ne pas supporter patiemment tous les maux qui lui surviendront, fussent-ils au plus haut degré intolérables, si l'on réfléchit au malheur immense de ce paralytique. Non seulement sa guérison, mais son infirmité a été pour nous de la plus grande utilité. Si sa guérison a porté l'âme de nos auditeurs à glorifier le Seigneur, sa maladie et son infirmité vous ont incités à la patience et vous ont exhortés à déployer une égale ferveur. Elles nous ont même manifesté la charité de notre Dieu ; car en l'affligeant d'une maladie aussi pénible, et en prolongeant aussi longtemps son infirmité, Dieu a montré à son égard une remarquable sollicitude. De même que l'orfèvre, ayant rempli d'or son creuset, laisse l'or sous l'action du feu jusqu'à ce qu'il ait acquis le degré de pureté voulu ; ainsi Dieu permet que nos âmes soient éprouvées par l'adversité autant de temps qu'il en faut pour qu'elles deviennent pures et resplendissantes, et qu'elles retirent de cette épreuve les fruits les plus avantageux ; en sorte que c'est là un des bienfaits les plus signalés que Dieu nous puisse accorder.

Ne vous livrez donc pas au trouble et au découragement, lorsque les épreuves viendront à vous assaillir. Si l'orfèvre sait combien de temps l'or doit rester dans la fournaise, quand il l'en doit retirer, et s'il se garde bien, en le retirant trop tard, d'en compromettre la valeur et de le laisser consumer par le feu, combien plus Dieu aura-t-Il la même science, et lorsqu'Il nous trouvera suffisamment purs, mettra-t-Il un terme à nos épreuves, de crainte que l'excès des maux ne nous entraîne et ne nous accable. Conséquemment point d'emportement ni de pusillanimité quand il surviendra quelque coup inattendu : remettons-nous entre les Mains de Celui qui possède à cet égard toute science, et laissons-Le purifier notre âme tant qu'Il le jugera convenable ; car Il le fait toujours dans l'intérêt et pour le plus grand bien de ceux qu'Il éprouve. C'est pour cela que le Sage nous donne ce conseil : " Mon fils, si tu te mets au service de Dieu, prépare ton âme à l'épreuve ; rends ton coeur droit et ferme, et n'aie point de hâte au jour du combat " (Si 2,1&endash;2). Abandonnez-vous, nous dit-il, à Lui sans réserve : Il sait très bien quand Il devra vous retirer de la fournaise de l'adversité. Il nous faut donc nous incliner toujours devant les desseins de Dieu, Lui rendre grâces en toute circonstance, supporter toutes choses avec égalité d'âme, ses Châtiments comme ses Bienfaits, puisque les uns et les autres sont une manifestation de sa Bonté. Ce n'est pas seulement lorsqu'Il ordonne au malade des bains, de la nourriture, la fréquentation des jardins, que le médecin exerce son art, mais encore quand il emploie le fer et le feu. De même, ce n'est pas seulement quand il caresse son fils, mais aussi quand il le chasse de sa maison, qu'il le réprimande, qu'il le frappe de verges, qu'un père montre ses sentiments paternels ; il ne les montre pas moins dans ce dernier cas, que lorsqu'il comble son fils d'éloges. Dieu étant le plus affectueux, le plus compatissant des médecins, puisque vous le savez, ne donnez pas carrière à une oiseuse curiosité, et ne Lui demandez pas compte du traitement auquel Il vous assujettit. Qu'Il use envers nous d'indulgence ou de sévérité, acceptons tout également, d'autant plus que l'une et l'autre ont toujours pour but la santé de nos âmes et notre réconciliation avec Lui, qu'Il connaît les besoins, les intérêts véritables de chacun de nous, les moyens propres à procurer notre salut, et qu'Il nous conduit précisément dans cette voie. Suivons-Le donc là où Il nous appellera ; et n'examinons pas méticuleusement si la route où Il nous ordonne de marcher est aisée ou si elle est difficile, si elle est ou non hérissée d'aspérités. Ainsi fit le paralytique de l'Évangile. Ce fut donc un premier bienfait de la part du Seigneur envers lui que de laisser son âme si longtemps soumise au feu et au creuset des épreuves, afin de la purifier. Un autre bienfait qui ne le cède pas à celui-ci fut de l'assister au milieu de ces mêmes épreuves, et de le remplir de consolations. C'est Dieu, en effet, qui le fortifiait, qui le soutenait, qui lui tendait la Main et qui le préservait de toute chute. Mais parce que vous entendrez parler de cette assistance du Seigneur, n'allez pas refuser au paralytique toute louange, ni au paralytique, ni à tout autre homme qui, éprouvé par l'adversité, la supporte avec une inaltérable patience. Si haut que nous affichions nos prétentions à la philosophie, eussions-nous une force d'âme, une énergie supérieures à celles du reste des hommes, privés du secours de Dieu, nous serions incapables de résister à une épreuve ordinaire. Et pourquoi parler de nous qui sommes si faibles et si faciles à renverser ? Vous auriez beau être Paul, Pierre, Jacques, Jean ; dépourvu de l'assistance d'en haut, vous seriez en un instant vaincu, renversé, couché dans la poussière. En confirmation de cette vérité, je vous rappellerai les paroles du Christ Lui-même : " Voilà, disait-Il à Pierre, que Satan a demandé à vous cribler comme du froment ; mais J'ai prié pour toi, de crainte que ta foi ne subisse quelque défaillance. " (Lc 12,31&endash;32) Qu'est-ce à dire, à vous cribler ? À s'emparer de vous, à vous faire tournoyer, à vous agiter, à vous remuer, à vous secouer, à vous tourmenter comme les objets que l'on passe au crible, mais Je l'ai contenu, poursuit le Sauveur, sachant que vous ne pourriez résister à la tentation. Car ces mots, " de crainte que ta foi ne subisse quelque défaillance ", signifient qu'elle en eût certainement subi s'Il ne l'eût empêché. Si Pierre, qui avait pour le Christ un si ardent amour, qui offrit mille fois de donner pour Lui sa vie, Pierre qui se présente toujours en avant du choeur des apôtres, que son Maître déclare bienheureux et qu'Il appelle du nom de Pierre à cause de la fermeté inébranlable de sa foi, eût néanmoins failli et fût déchu de sa confession, dans le cas ou le Christ eût laissé le diable le tenter aussi violemment qu'il l'aurait voulu ; quel autre homme serait capable de résister sans l'assistance divine ? De là ces paroles de Paul : " Dieu est fidèle et Il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais Il fera que vous retiriez de ces tentations des avantages et que vous y puissiez résister. " (1 Co 10,13). Outre qu'Il ne permet pas que la tentation dépasse nos forces, nous dit-il, même dans les tentations qui y sont proportionnées, Il est là pour nous soutenir, pour nous fortifier, quand nous avons fait de notre côté ce qui est en notre pouvoir, quand, par exemple, nous avons montré de l'ardeur, de la confiance en Dieu, de la reconnaissance, de la patience et de la résignation. Ce n'est pas seulement dans les périls qui dépassent nos forces, mais encore dans ceux qui ne les dépassent pas que le secours divin nous est nécessaire pour que nous y résistions. Aussi l'Apôtre dit-il ailleurs : " Si les souffrances du Christ abondent en nous, les consolations abondent également en nous par Jésus Christ ; afin que nous puissions consoler ceux qui sont dans les angoisses, en leur soumettant les mêmes motifs de consolation que Dieu nous donne. " (2 Co 1,5&endash;6). En sorte qu'il était consolé par Celui-là même qui l'avait assujetti à ces épreuves.

Voyez encore la touchante sollicitude du Sauveur : après avoir guéri le paralytique, au lieu de le laisser et de Se retirer, l'ayant rencontré dans le temple, Il lui dit : " Te voilà guéri, ne pèche plus à l'avenir de crainte qu'il ne t'arrive pire. " (Jn 5,14). S'Il n'eût obéi qu'à la haine et s'Il eût voulu punir, Il n'aurait point guéri ce malheureux, Il ne l'aurait point prémuni contre l'avenir, en disant : " De crainte qu'il ne t'arrive pire. " Il montre qu'Il veut prévenir les maux futurs. Il met un terme à la maladie, mais Il n'en met pas à l'anxiété : Il chasse l'infirmité, mais Il ne chasse pas la crainte, afin d'assurer la durée du bienfait dont Il est l'auteur. Un médecin soigneux, après avoir guéri les maux précédents, précautionne contre les maux à venir ; et c'est ce que fait le Christ en Se servant du souvenir du passé pour affermir l'âme du paralytique. Comme les maux qui nous affligent ayant disparu, le souvenir de ces mêmes maux s'efface bien souvent aussitôt, le Sauveur, voulant que le paralytique ne perdît jamais le souvenir de ses épreuves, dit ces paroles : " Ne pèche plus à l'avenir, de crainte qu'il ne t'arrive pire. "

Cette circonstance n'est pas la seule qui nous découvre la Prévoyance et la Bonté du divin Maître ; nous les apercevons jusque dans ce qui paraît être de sa part un reproche. Sans publier les péchés de cet infortuné, il déclare néanmoins que ce qu'il a souffert, il l'a souffert à cause de ses péchés. Mais ces péchés, quels étaient-ils, Il ne l'indique pas ; Il ne lui dit pas : Tu as commis telle ou telle faute ; Il n'emploie que ces simples mots : " Ne pèche plus à l'avenir ", et de la sorte, en se bornant à cette observation toute simple, Il le rend plus vigilant désormais, comme Il avait fait ressortir sa patience, son énergie, sa philosophie tout entière en le mettant dans la nécessité d'exposer son infortune et, de montrer la fermeté de son âme. " Tandis que j'arrive, dit le paralytique, un autre y descend avant moi. " (Jn 5,7) Non, il n'avait point affirmé hautement ses péchés. Si nous désirons laisser dans l'ombre nos fautes personnelles, Dieu le désire encore plus que nous. C'est pourquoi, tandis qu'Il accomplit la guérison en public, Il donne les observations et les conseils en particulier. Jamais Il ne met nos péchés à découvert, à moins que le péché ne nous trouve tout à fait insensibles. Il dit bien : " Vous m'avez vu ayant faim, et vous ne m'avez pas donné à manger. Vous m'avez vu ayant soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; " (Mt 25,42) Mais ces paroles, Il les prononce dans le temps présent, afin que nous ne les entendions pas dans les temps à venir. Il menace, Il publie, ici-bas pour ne pas avoir à publier un jour : c'est ainsi, qu'Il menaça Ninive d'une ruine complète, afin de n'avoir pas à la détruire. S'Il eût voulu livrer nos crimes à la publicité, Il ne nous eût pas dit, à l'avance, qu'Il les livrerait à la publicité. Or, Il nous en avertit maintenant à l'avance, afin que, ramenés par la crainte de cette publicité, sinon par la crainte du châtiment, à des sentiments meilleurs, nous nous purifiions de tous nos péchés. C'est encore ce que l'on voit dans le baptême. L'homme est conduit à ce bain salutaire, sans que ses péchés soient dévoilés à qui que ce soit ; et, tandis que le bienfait devient manifeste et public, pour les fautes, nul ne les connaît, hormis Dieu, et celui à qui elles sont remises. Voilà ce qui existe au sujet du paralytique : l'observation qu'on lui fait : on la lui fait sans témoin, et encore n'est-ce pas seulement une observation ; c'est, de plus, une justification en quelque manière de l'épreuve qu'il avait dû supporter ; c'est pour lui montrer qu'Il ne l'avait pas laissé si longtemps sous l'étreinte du mal sans motif et sans raison, que le Seigneur lui remet en mémoire ses péchés et lui découvre la cause de son infirmité. " L'ayant trouvé dans le temple, Il lui dit : Ne pèche plus à l'avenir, de crainte qu'il ne t'arrive pire. " (Jn 5,14).

Puisque le premier paralytique nous a fourni de si grands avantages, venons-en à celui dont saint Matthieu nous raconte l'histoire (cf. Mt 9). Plus on trouve d'or dans une mine, plus on creuse profondément. Du reste, plusieurs, ayant fait peu d'attention à la lecture de l'évangile, s'imaginent, je le sais, que les quatre évangélistes parlent à un seul et même paralytique. Il n'en est pas pourtant ainsi. Écoutez donc et suivez-moi avec l'attention la plus sérieuse ; la question présente n'est pas une question futile ; c'est une question qui nous servira beaucoup contre les Grecs, les Juifs, et un grand nombre d'hérétiques, lorsque nous en aurons donné la solution véritable. On reproche de tous côtés aux évangélistes des divergences et des contradictions. Il n'en est assurément rien ; loin de là. Les personnes sont différentes, mais la grâce de l'Esprit qui donne l'impulsion à leurs âmes est unique. Or, où se trouve la grâce de l'Esprit, se trouvent l'amour, la joie, la paix, il n'y a ni guerre, ni conflit, ni lutte, ni discorde. De quelle manière démontrerons-nous donc qu'il ne s'agit pas du même paralytique, mais de deux paralytiques bien distincts ? Par beaucoup de circonstances, soit de lieu, soit de temps, soit de détails, soit de jour, par les genres de guérison, par la présence du médecin, par ce délaissement où se trouvait l'un des deux qu'Il guérit. - Et après cela, dira-t-on, est-ce que les évangélistes n'ont pas varié maintes fois sur les circonstances ? - Autre chose est de varier, autre chose est de se contredire ; la première de ces choses n'engendre ni lutte, ni discorde. Or, dans la guérison qui nous occupe, il y aurait contradiction flagrante à ne pas établir que le paralytique de la piscine est distinct de celui dont parlent les trois évangélistes.

Pour vous faire bien saisir combien un fait raconté diversement diffère d'un fait raconté contradictoirement, l'un des évangélistes nous dit que la croix fut portée par le Christ, un autre qu'elle fut portée par Simon le Cyrénéen. Or, de ces deux récits il ne résulte ni lutte ni contradiction. - Mais, observera-t-on, n'est-il pas contradictoire de porter et de ne pas porter ? - Non, quand on fait l'un et l'autre. Au sortir du prétoire, le Christ portait la croix. Lorsque l'on eut fait une partie du chemin, Simon la prit au Sauveur et la porta. De même, au sujet des larrons, un évangéliste dit que tous les deux blasphémaient ; un autre, que l'un des larrons blâmait avec énergie son compagnon. En cela non plus rien de contradictoire. Et pourquoi ? Parce que tous deux au commencement se conduisirent d'une manière indigne. Mais ensuite quand les prodiges eurent éclaté, que la terre eut tremblé, que les rochers se furent fendus, le soleil obscurci, l'un des brigands changea de sentiment, et, revenant à une plus sage conduite, il reconnut l'innocence du Crucifié, et confessa sa royauté. Afin que vous n'aperceviez pas en cette confession l'effet d'une sorte de nécessité et d'une violence s'exerçant sur l'âme du larron, et que vous n'éprouviez à cet endroit aucun embarras, on vous le montre conservant d'abord sur la croix sa perversité première, preuve manifeste de la sincérité et de la spontanéité de sa conversion, et de l'intervention de la grâce divine, à laquelle il fut redevable de ce retour au bien.

On pourrait trouver dans les évangiles plusieurs autres faits semblables qui soulèvent au premier aspect une accusation de contradiction, et qui pourtant ne sont en aucune façon contradictoire, car, ce que rapporte un évangéliste ne s'est pas moins accompli que ce qu'un autre rapporte, encore qu'ils ne s'accordent pas sur l'ordre précis des événements, et que celui-ci place en premier lieu ce que celui-là ne place qu'en second lieu. Dans la question qui nous occupe, pourtant, rien de pareil. Le grand nombre des circonstances indiquées établit aux yeux des personnes un tant soit peu attentives, que ces paralytiques sont deux personnes bien distinctes : ce qui ne constituera pas une preuve de mince valeur pour démontrer que les évangélistes, loin de se contredire, sont en parfait accord les uns avec les autres. S'il ne s'agissait que d'un seul et même paralytique, l'opposition serait flagrante ; s'il s'agit de deux, toute difficulté s'évanouit. À nous donc d'exposer les raisons pour lesquelles nous pensons qu'il s'agit de deux personnages différents. Ces raisons, quelles sont-elles ? L'un de paralytiques est guéri à Jérusalem, l'autre à Capharnaüm ; l'un est guéri près de la piscine, l'autre dans l'intérieur d'une habitation ; voilà pour le lieu. Le premier est guéri dans une fête, voilà pour l'occasion : il était depuis trente-huit ans sujet à cette infirmité, tandis que du second, l'évangéliste ne dit rien de semblable ; voilà pour le temps. Le premier fut guéri le jour du sabbat, voilà pour le jour. Si l'autre eût été guéri le jour du sabbat, saint Matthieu n'eût pas gardé le silence sur ce point, et les Juifs présents n'eussent pas manqué de réclamer. Quoique le malade n'eût pas été guéri le jour du sabbat, les Juifs trouvèrent bien une raison pour s'indigner contre le Sauveur ; combien plus, si la circonstance du jour leur eût donné quelque prise, se seraient-ils déchaînés en accusations contre le Christ ? En outre, on porte au Christ l'un de ces paralytiques, le Christ s'approche de l'autre qui n'avait personne pour lui venir en aide. " Seigneur, Lui disait-il, je n'ai point d'homme. " (Jn 5,7). Celui-là, au contraire, avait des proches nombreux, puisqu'ils le firent descendre par le toit. Le Sauveur guérit le corps de l'un avant de guérir son âme ; ce n'est qu'après l'avoir délivré de sa paralysie qu'Il lui dit : " Te voilà guéri ; ne pèche plus à l'avenir. " Pour l'autre, Il ne fait pas ainsi ; Il commence par guérir son âme. " Aie confiance, mon fils, lui dit-Il, tes péchés te sont remis. " Après quoi Il le délivra de son infirmité. (Mt 9,1&endash;8)

Qu'il s'agisse donc de deux individus parfaitement distincts, les circonstances nous le montrent assez clairement. Il nous reste à reprendre le récit au commencement, et à voir comment le Christ les a guéris tous deux ; et pourquoi Il les a guéris de différentes manières ; pourquoi Il a guéri l'un le jour du sabbat, et l'autre en un jour qui n'était pas le sabbat ; pourquoi Il vient vers l'un, tandis qu'Il attend qu'on lui porte l'autre ; pourquoi Il commence par guérir le corps de l'un, tandis que pour l'autre Il guérit d'abord son âme. Car le Sauveur ne fait rien sans motif et sans but, sage et prévoyant comme Il l'est. Appliquons-nous donc, et considérons la guérison qu'Il opère. Si, lorsque des médecins retranchent, brûlent, ou opèrent de toute façon sur un corps mutilé ou dévoré par le mal ; si, lorsqu'ils font l'amputation de quelque membre, une foule de gens entourent soit le malade, soit le médecin qui le traite, nous devrons, nous aussi, le faire d'autant plus dans le cas présent que le Médecin est plus grand, que le mal est plus grave et que la guérison en est due, non à l'art de l'homme, mais à la grâce de Dieu. Dans la première hypothèse, on voit la peau coupée, les humeurs couler, l'abcès dégagé, spectacle qui devient singulièrement à charge, affligeant et pénible, non seulement à cause des plaies qui s'étalent sous les yeux, mais à cause des souffrances que le fer et le feu imposent au patient. Certainement personne ne serait insensible au point d'assister les infortunés soumis à cette nécessité et d'entendre leurs gémissements sans en être ému, attristé, et sans éprouver en son âme une douloureuse pitié. Et cependant le désir de contempler ce spectacle nous fait supporter toutes ces choses. Ici rien de pareil ne frappe nos regards ; il n'y a ni feu qu'on approche de la plaie, ni fer qu'on y plonge, ni flots de sang, ni patient auquel toutes ses souffrances arrachent des soupirs de douleur : la science du Médecin le dispense de tous moyens extérieurs, et elle se suffit pleinement à elle-même ; Il n'a qu'à ordonner, et tous les maux s'évanouissent. Ce qu'il y a de surprenant, ce n'est pas qu'Il guérisse avec tant de facilité, mais qu'Il guérisse sans causer de douleurs, sans imposer de souffrance aux malades. Puisque donc il s'agit d'un prodige plus frappant et d'une guérison plus remarquable, d'un spectacle enfin qui ne réveille dans nos coeurs aucun sentiment de tristesse, contemplons attentivement cette oeuvre merveilleuse du Christ.

" Et Jésus, étant monté sur une barque, traversa l'eau et vint dans sa propre ville. Et voilà qu'on Lui présenta un paralytique étendu sur un lit. Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis " (Mt 9,1&endash;2). Ces gens-là avaient sans doute une foi moins vive que celle du centurion ; mais elle l'était beaucoup plus que la foi du paralytique couché auprès de la piscine. Le centurion n'emmena point le médecin auprès du malade, il ne conduisit pas non plus le malade auprès du médecin ; mais, s'approchant de Jésus comme de Dieu même, il Lui dit : " Dis une seule parole, et mon serviteur sera guéri. " (Lc 5,7). Les amis du paralytique n'emmenèrent point non plus le Médecin dans leur maison, et en cela ils imitèrent le centurion ; mais ils portèrent le malade auprès du Médecin lui-même, et en cela ils furent inférieurs au centurion, ne disant pas comme lui : " Dis une seule parole. " Cependant ils laissèrent bien loin derrière eux le paralytique de la piscine. " Seigneur, disait celui-ci, je n'ai point d'homme pour me porter dans la piscine, lorsque l'eau en a été agitée. " (Jn 5,7). Les premiers savaient bien que le Christ n'avait besoin de rien, ni d'eau, ni de piscine, ni de tout autre chose semblable. Et pourtant le Christ ne se borna pas à guérir le serviteur du centurion, mais il guérit encore de leurs infirmités l'un et l'autre paralytique. Il ne dit pas : Quoique ta foi soit moins vive, tu seras néanmoins également guéri. S'adressant à celui dont la foi était la plus remarquable, il lui dit ces paroles flatteuses et consolantes : " Jamais en Israël je n'ai trouvé une foi pareille. " (Lc 7,9). Pour le paralytique dont la foi était inférieure à la foi du centurion, il ne lui accorda point d'éloges, mais il ne laissa pas de lui rendre la santé, pas plus qu'à celui dont la foi ne s'était manifestée en aucune manière. De même que les médecins, pour avoir délivré plusieurs malades de la même infirmité, reçoivent des uns cent pièces d'or, des autres cinquante, des autres un nombre moins considérable, et de quelques-uns ne reçoivent rien du tout ; ainsi le Christ reçut du centurion le témoignage d'une foi admirable et profonde ; du premier paralytique le témoignage d'une foi moins vive, mais de la foi du second il ne reçut aucun témoignage : et néanmoins il les guérit tous également. Et pourquoi a-t-Il traité avec la même bienveillance celui dont la foi ne s'était manifestée en aucune manière ? Parce que ce n'était ni par négligence, ni par insensibilité d'âme, mais parce qu'il ne connaissait point le Christ, et qu'il n'avait ouï parler d'aucun des miracles, quels qu'ils fussent, du Sauveur, qu'il ne donna aucun signe de foi. Voilà pourquoi il trouva indulgence aux yeux du Sauveur ; ce à quoi l'évangéliste fait allusion dans ces paroles : " Il ne savait pas qui Jésus était. " (Jn 5,13). Mais il lui suffit de Le voir pour Le reconnaître, lorsqu'il Le rencontra une seconde fois.

Quelques personnes prétendent que l'un des paralytiques ne dut sa guérison qu'à la foi de ceux qui l'apportèrent ; mais cela n'est pas vrai ; Jésus voyait leur foi, est-il dit, non seulement la foi de ceux qui l'apportaient, mais aussi de celui qui lui était présenté. - Quoi donc, dira-t-on ; est-ce que la foi de l'un ne peut point procurer la guérison de l'autre ? - Pour moi, je ne le pense pas, à moins qu'il ne s'agisse d'une personne que son jeune âge ou que l'excès du mal mette dans l'impuissance de croire. - Comment donc, poursuivra-t-on, dans l'histoire de la Cananéenne, voyons-nous la mère croire et la fille être guérie ? Comment encore, malgré l'incrédulité du centurion, son serviteur se leva-t-il et fut-il délivré de tout mal ? - Parce que ces malades étaient dans l'impuissance d'avoir la foi. Écoutez ce que dit la Cananéenne : " Ma fille est horriblement tourmentée par le démon ; tantôt il la précipite dans l'eau, tantôt dans le feu. " (Mt 15,22). Or, avec de semblables vertiges, comment cette fille possédée du démon, incapable de se diriger elle-même et privée de santé, aurait-elle pu avoir la foi ? Ce que nous disons de la Cananéenne est également vrai du serviteur du centurion. Couché dans la maison de son maître, il ne connaissait point le Christ et ne savait point qui Il était. Comment aurait-il cru en Celui qu'il ne connaissait pas et avec lequel il n'avait eu aucune sorte de rapport ? Mais on ne saurait en dire autant du paralytique, car lui eut la foi. Qu'est-ce qui le prouve ? Le moyen qu'il emploie pour se présenter au Sauveur. N'écoutez pas avec indifférence cette circonstance-ci, qu'on le fit descendre à travers le toit. Songez au contraire à ce que doit éprouver le malade qui se résout à cette mesure. Il y a, vous le savez certainement, des malades tellement capricieux, tellement difficiles, qu'ils se refusent souvent aux soins qu'on leur prodigue sur leur couche, et qu'ils aiment mieux endurer les tourments de la maladie que de supporter les incommodités d'une assistance salutaire. Celui-ci, au contraire, se résout à sortir de sa maison, à traverser la place publique, porté sur les bras de ses amis, et sous les regards d'une foule nombreuse. On remarque aussi chez certains malades qu'ils aiment mieux mourir que de découvrir les maux auxquels ils sont en proie. Tel n'était point le paralytique. Voyant la salle remplie, les issues interceptées, l'entrée du port fermée, il lui suffit d'être introduit à travers le toit, tant le désir est industrieux, tant la charité possède de ressources. En effet, " celui qui cherche trouve ; et il sera ouvert à celui qui frappe. " (Lc 11,10). Il ne dit pas à ses proches : Qu'est ceci ? Pourquoi vous troubler ? Pourquoi vous empresser ? Attendons que la maison soit évacuée, que la foule se dissipe. Les personnes ici rassemblées ne tarderont pas à se retirer, et nous pourrons aborder le Sauveur en particulier et lui faire part de nos maux. À quoi bon étaler mon infortune aux yeux des spectateurs, et subir la confusion d'être descendu à travers le toit ? Il ne dit rien de pareil, soit en lui-même, soit aux gens qui le portaient. Il regarda même comme un honneur d'être guéri en présence d'un si grand nombre de témoins. Cette circonstance n'est pas la seule qui nous révèle sa foi ; nous pouvons en juger encore par les paroles du Sauveur Lui-même. Lorsqu'il eut été descendu et présenté au Christ, Jésus lui dit : " Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis. " Ces paroles ne réveillèrent dans le coeur du malade aucun sentiment d'indignation ni de rancune ; il ne dit point à son médecin : Eh quoi ! Je viens ici pour être guéri d'un mal, et c'est d'un mal différent qu'on me guérit ; prétexte, futilité, que tout cela ; défaite à l'abri de laquelle se cache l'impuissance. Tu me guéris du péché ; mais parce qu'on ne le voit pas. - Il ne dit rien et ne pensa rien de semblable ; il attendit, laissant au médecin le soin de choisir le mode de guérison qu'il préférerait. Aussi, en n'allant pas vers lui, en attendant qu'il se présentât lui-même, le Christ se proposait de donner sa foi en spectacle. Est-ce qu'Il n'aurait pas pu lui faciliter l'accès de la maison ? Il ne le fit pas pour manifester à tous l'ardeur de sa foi et de son zèle. De même qu'Il alla trouver le paralytique qui souffrait depuis trente-huit ans, parce que celui-ci n'avait personne pour l'assister ; de même, parce que le second avait des proches nombreux, Il attendit qu'il se présentât, afin de mettre par cette démarche sa foi en évidence ; nous enseignant le délaissement du premier par la guérison qu'Il alla lui offrir, et en même temps, découvrant à tous les hommes et en particulier à ceux qui étaient présents, et la confiance de l'un, et la résignation de l'autre. Envieux et accoutumés, comme ils l'étaient, à jalouser le prochain à cause du bien qui lui arrive, les Juifs trouvaient une occasion de blâmer les miracles du Sauveur, tantôt dans le temps où Il les accomplissait, disant qu'Il guérissait le jour du sabbat ; tantôt dans les moeurs de ceux qu'Il guérissait, disant : " Si cet homme était un prophète, Il saurait quelle est la femme qui Le touche. " (Lc 7,39) Ils ignoraient que l'office principal du médecin est de vivre au milieu des infirmes, d'être sans cesse auprès des malades, et non de les fuir, et non de s'en éloigner. C'est pour cela que le Sauveur, les reprenant vivement à cet endroit, disait : " Ce n'est point aux personnes qui se portent bien que le médecin est nécessaire, mais aux personnes qui sont malades. " (Mt 9,12) Afin qu'ils n'aient point à alléguer les mêmes prétextes, le Christ commence par montrer que la foi des malades qui se présentent à Lui les rend dignes de recevoir leur guérison. Voilà pourquoi Il signale et le délaissement de l'un, et l'ardeur et la foi brûlante de l'autre ; voilà pourquoi Il guérit l'un le jour du sabbat et l'autre un jour différent. De la sorte, quand vous verrez des Juifs accuser et blâmer le Christ, même en ce dernier jour, vous comprendrez que s'ils Lui faisaient un crime de guérir le jour du sabbat, ce n'était point par zèle pour l'observation de la loi, mais pour obéir aux entraînements irrésistibles de leur jalousie.

En conséquence, Jésus ne va pas d'abord guérir le paralytique ; mais Il lui dit : " Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis. " Conduite remplie d'une admirable sagesse. D'ordinaire, les médecins ne commencent pas le traitement d'une maladie, avant d'avoir éloigné les causes capables de l'entretenir. Souvent, par exemple, une humeur maligne et corrompue se portant sur les yeux, le médecin, au lieu de soigner la pupille malade, s'occupe de la tête, où réside la racine et le principe de la maladie. Ainsi en agit le Christ, Il commence par tarir la source de vos maux. En effet, la source, la racine, le principe de tous nos maux, c'est le péché. Oui, le péché livre nos corps à la paralysie ; le péché les livre aux diverses infirmités. De là, ces paroles du Sauveur : " Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis " ; et ces autres : " Te voilà guéri ; ne pèche plus à l'avenir, de crainte qu'il ne t'arrive encore pire " ; - paroles qui montrent que, dans ces deux cas, la maladie avait eu pour cause le péché. À l'origine, et dès le commencement de la création, c'est encore à cause du péché que la maladie envahit le corps de Caïn. C'est après son fratricide, c'est après ce forfait, que son corps fut paralysé ; car le tremblement dont il fut atteint n'était autre qu'une paralysie. Lorsque la force qui dispense la vie a été affaiblie ; devenant incapable de soutenir tous les membres, elle les prive de son action conservatrice : d'où le tremblement et l'agitation qui s'en emparent à la suite de ce relâchement.

Paul nous enseigne aussi la même vérité ; reprochant une faute aux Corinthiens, il leur disait : " C'est pourquoi il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants. " (1 Co 11,30). Telle est la raison qui porte le Christ à retrancher la cause du mal. En disant : " Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis ", Il ranime le courage du paralytique, Il relève son âme abattue ; car sa parole se traduisait par des actes, et, pénétrant dans la conscience du malade, communiquait le mouvement à son âme et en chassait toute angoisse. Rien, en effet, ne cause une jouissance et une confiance aussi pures que de n'avoir rien à se reprocher. " Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis. " Là où se trouve le pardon des péchés, là se trouve aussi l'adoption des enfants. C'est ainsi que nous-mêmes ne pouvons invoquer le Père avant d'avoir été purifiés de nos péchés dans la piscine des eaux sacrées. Quand nous sortons de cette piscine, déchargés du fardeau qui nous accablait, alors nous disons : " Notre Père, qui es aux cieux. " - Mais pourquoi le Sauveur n'a-t-Il pas agi de la même manière envers le paralytique de trente-huit ans, et a-t-Il commencé par rendre la santé à son corps ? - Parce que ce dernier avait expié tous ses péchés durant ce long espace de temps. La grandeur de l'épreuve allège quelquefois le poids de nos fautes. Le Christ dit par exemple de Lazare, qu'il a reçu ses maux sur la terre, et qu'il est consolé dans le ciel. Il est dit encore ailleurs : " Consolez mon peuple ; parlez au coeur de Jérusalem ; car elle a reçu de la Main du Seigneur le double de ses péchés. " " Seigneur, disait aussi le Prophète, accorde-nous la paix ; car Tu nous as tant rendu ; " (Is 40,1&endash;2 ; 26,12), montrant par là que les châtiments et les supplices nous obtiennent le pardon des péchés. Du reste, une foule d'autres textes établiraient la même vérité. Pour moi, il me semble qu'en ne disant rien au dernier paralytique de la rémission de ses fautes, et en le prémunissant pour l'avenir, le Sauveur a égard à l'expiation qu'il avait dû faire de ses prévarications par ses longues souffrances. Si ce n'est point pour cette raison, ce sera parce qu'il n'avait encore du Christ aucune idée convenable. Aussi le Christ commence-t-Il par le mal le moins important, le plus manifeste et le plus sensible ; commence-t-Il par rendre la santé à son corps. Il n'agit point de la même manière envers l'autre paralytique. Comme la foi de celui-ci était plus vive et son âme plus haute, le Sauveur l'entretient d'abord de son mal le plus funeste.

Mais le principal dessein de Jésus était surtout d'établir son égalité avec son Père. De même qu'Il guérit un malade le jour du sabbat dans le dessein d'éloigner les Juifs des observances légales et de prendre sujet de leurs accusations pour montrer qu'Il était égal à Celui qui L'avait engendré ; de même, s'Il parle comme nous l'avons vu, c'est que, prévoyant les récriminations des Juifs, Il voulait partir de là et en prendre occasion de montrer son Égalité avec son Père. Autre chose, en effet, était d'aborder de soi-même un pareil sujet sans avoir à répondre à aucune accusation et à aucun reproche, autre chose d'être autorisé par autrui à parler de la sorte sous le prétexte et dans le but de se défendre. Le premier genre de démonstration eût froissé les auditeurs ; le second inspirait moins de répugnance et était bien plus admissible. Aussi voyons-nous le Sauveur procéder en toute circonstance de cette façon, et montrer son Égalité moins par des paroles que par des actions. L'évangéliste faisait allusion à ceci, lorsqu'il disait que les Juifs poursuivaient le Christ, non seulement parce qu'Il violait le sabbat, mais encore parce qu'Il appelait Dieu son propre Père, et qu'Il se faisait égal à Lui, chose beaucoup plus considérable. C'est, en effet, ce que le Sauveur s'efforçait d'établir par les faits eux-mêmes. Mais ces Juifs pervers et envieux que rongeait la prospérité d'autrui et qui cherchaient de tous côtés un aliment à leur malice, " Quoi donc ! s'écrient-ils ; mais Il blasphème : personne ne peut remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul. " (Mc 2,7). Ainsi, de même que, lorsqu'ils Le persécutaient pour avoir violé le sabbat, leurs accusations avaient fourni au Sauveur l'occasion d'établir, sous forme de défense, son Égalité avec son Père en ces termes : " Mon Père agit sans cesse, et Moi J'agis aussi " (Jn 5,17) ; de même les accusations que l'on dirige de nouveau contre Lui L'amènent à montrer sa parfaite Égalité avec son Père. Car enfin, que disent les Juifs ? " Personne ne peut remettre les péchés si ce n'est Dieu seul. " Après avoir marqué cette limite, après avoir eux-mêmes proposé cette règle, après avoir eux-mêmes décrété la loi, ils ne tardent point à être pris dans leurs propres paroles. Vous avouez, leur dira-t-on, qu'à Dieu seul il appartient de remettre les péchés ; il résulte donc de ce fait une incontestable égalité avec Dieu. Et les Juifs ne sont pas les seuls à parler de la sorte, le Prophète s'écriait aussi : " Qui est Dieu comme Tu l'es ? ". Puis, précisant l'attribut qui caractérise le Seigneur, il ajoute : " Toi qui effaces les iniquités, et qui fais disparaître les injustices. " (Mi 7,18). Si donc quelqu'un paraît exerçant le même pouvoir, il sera Dieu, et semblable à Dieu. Mais voyons comment le Christ répond aux Juifs, avec quelle douceur, avec quelle bienveillance, avec quelle profonde sollicitude.

Et voilà que quelques-uns des scribes disaient en eux-mêmes : " Mais Il blasphème " (Mt 9,3). Ils ne profèrent point une seule parole, leur langue n'exprime rien, ce jugement ne sort pas du secret de leur pensée. Que fait le Christ ? Il met à nu leur pensée secrète, avant même de la réfuter par la guérison corporelle du paralytique, désirant leur manifester ainsi sa Divinité et sa Puissance, que Dieu seul puisse, en vertu de sa Divinité, découvrir les pensées les plus secrètes, ces paroles de l'Écriture l'établissent : " Toi seul connais le fond des coeurs. " (3 R 8,39). Voyez-vous le mot seul employé ici de façon à ne point exclure le Fils ? Si le Père seul connaît le fond des coeurs, comment le Fils connaît-Il les secrets de la pensée ? " Car, dit l'évangéliste, Il savait ce qui se passait dans l'homme " (Jn 2,25) ; et Paul, montrant qu'à Dieu seul il appartient de connaître les choses cachées, ajoute : " Lui qui sonde les coeursÉ " (Rm 8,27) ; indiquant par là que ces mots ne sont pas moins significatifs que le Nom même de Dieu. De même qu'en disant : Celui qui fait pleuvoir, on ne désigne de la sorte que Dieu seul, parce qu'à Dieu seul appartient cette puissance ; et que par ces paroles : Celui qui fait paraître le soleil, sans employer le Nom de Dieu, c'est Dieu cependant que je désigne de la sorte ; ainsi Paul en disant : " Celui qui sonde les coeurs ", déclare qu'à Dieu seul il appartient de les sonder. Si cette expression n'avait point le même sens que celle de Dieu, et ne nous indiquait pas Celui dont l'Apôtre parlait, il ne l'aurait certainement pas employée. S'agirait-il d'un attribut qui fût commun au Créateur avec les créatures, nous n'aurions point reconnu Celui dont il voulait nous parler ; la communauté du nom mettant la confusion dans l'esprit de ceux qui l'eussent entendu. Puisque donc cet attribut appartient en propre au Père, et qu'il appartient de même au Fils, lequel, par suite, est incontestablement l'Égal de son Père, à cause de cela le Sauveur ajoute : " Pourquoi pensez-vous le mal dans vos coeurs ? Qu'y a-t-il de plus facile à dire : Tes péchés te sont remis, ou bien : Lève-toi et marche ? " (Mt 9,4&endash;5).

Voici une seconde manière par laquelle le Sauveur établit son Pouvoir de remettre les péchés. Assurément, il est plus difficile de remettre les péchés que de rendre au corps la santé, d'autant plus difficile que la différence est plus grande entre l'âme et le corps. Si la paralysie est une maladie pour le corps, le péché est une maladie pour l'âme. Mais, quoique plus grave, le mal du péché était invisible, tandis que le mal du corps, quoique moins grave, frappait les regards. Or, le Christ veut se servir du mal le moins grave pour la guérison du mal le plus grave, et pour montrer qu'Il agit de la sorte en vue de la faiblesse des assistants, et par condescendance pour leur ignorance, Il dit ces paroles : " Qu'y a-t-il de plus facile à dire : Tes péchés te sont remis, ou bien : Lève-toi et marche ? " Et pourquoi en viens-Tu au mal le moins fâcheux, à cause des personnes qui T'entourent ? Parce que la chose sensible sert à établir d'une façon indubitable la chose insensible. Voilà pourquoi le Seigneur ne rend pas le mouvement au paralytique avant de prononcer ces paroles : " Afin que vous sachiez bien que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, s'adressant au paralytique : Lève-toi, lui dit-Il, et marche " (Mt 9,6) ; comme s'Il leur disait : Quoique remettre les péchés soit un prodige beaucoup plus considérable, cependant en votre faveur j'y ajoute un prodige qui l'est beaucoup moins et qui sera pour vous la garantie de celui-là. De même qu'il avait comblé de louanges le centurion qui lui parlait en ces termes : " Dis une seule parole, et mon serviteur sera guéri ; car il me suffit de dire à celui-ci : Va, et il va ; et à celui-là : Viens, et il vient. " (Mt 8,8-9), fortifiant son âme par ces éloges ; de même qu'il avait repris les Juifs qui lui faisaient un crime de transgresser la loi du sabbat, leur démontrant qu'Il était le Maître d'introduire des changements dans la loi ; de même ici, Il prend occasion des reproches qu'on Lui fait de s'égaler à Dieu, en promettant ce qu'il n'appartient qu'au Père de promettre, pour mettre à nu leurs torts et leur mauvais esprit, leur prouver par ses actes qu'Il ne blasphème en aucune sorte, et nous fournir ainsi une démonstration irréfutable de l'égalité de sa Puissance avec la Puissance de son Père. Et remarquez de quelle manière Il se propose d'établir que les choses que son Père seul peut exécuter, Il peut les exécuter Lui-même : Il ne se contente pas simplement de rendre le mouvement au paralytique, mais Il dit auparavant : " Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme possède le pouvoir de remettre sur la terre les péchés ", tant Il avait à coeur d'être connu, tant Il attachait d'importance à prouver qu'Il avait la même autorité que son Père !

Ces réflexions, et celles que vous avez entendues hier et avant-hier, conservons-en précieusement le souvenir ; prions Dieu de les fixer irrévocablement dans notre esprit, appliquons-nous-y nous-mêmes dans la mesure de nos forces, et assistons assidûment à ces réunions. De cette manière, en même temps que nous conserverons les enseignements précédents, nous y ajouterons des enseignements nouveaux ; et si, avec le temps, nous venions à en perdre quelque chose, cette assiduité à écouter la doctrine qu'on nous prêche, en réparera facilement la perte. Non seulement nos croyances resteront saines et à l'abri de la corruption, mais notre conduite n'en sera également que plus vigilante, et il nous sera permis de traverser la vie présente dans le calme et dans la joie. Quelques sentiments qui tourmentent notre âme, une fois arrivés en ce lieu, nous parviendrons sans peine à les dissiper ; car le Christ est vraiment ici présent, et quiconque se présente à Lui avec foi, en obtiendra sans peine sa guérison. Quelqu'un a-t-il à lutter constamment avec la pauvreté, est-il dépourvu du nécessaire et lui arrive-t-il souvent de se livrer au sommeil, torturé par la faim ; lorsque dans cette enceinte, il aura entendu Paul racontant qu'il souffre la faim, la soif, la nudité, et cela, non un, deux ou trois jours, mais continuellement, comme il nous l'apprend par ces paroles : " Jusqu'à présent nous avons souvent la faim, la soif, la nudité " (1 Co 4,11) ; il se sentira suffisamment consolé, ces paroles lui enseignant que Dieu, en le laissant aux prises avec la pauvreté ne lui témoigne ainsi ni de l'aversion ni de la haine. Certainement, si cette Conduite de Dieu était inspirée par la haine, Paul, l'un des hommes qu'Il a le plus chéris, n'aurait point été exposé par Lui aux épreuves de la pauvreté. Si Dieu le permit, c'était par sollicitude, par intérêt pour lui, et pour le conduire à une philosophie plus élevée. Y aurait-il encore quelqu'un dont le corps serait obsédé par la maladie et par une foule de maux ? Il trouvera un adoucissement suffisant dans l'exemple de ces paralytiques, de même que dans l'exemple de ce bienheureux et généreux disciple de Paul qui fut sans cesse en butte à la maladie, et qui, dans ses longues infirmités, ne put avoir un instant de repos. C'est ce que Paul nous apprend par ces paroles qu'il lui adressait : " Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et de tes infirmités continuelles. " (1 Tm 5,23). Il ne dit pas simplement à cause de tes infirmités.

Un autre a-t-il été calomnié, est-il en mauvais renom auprès de la multitude, et ces calomnies sont-elles pour son âme un tourment qui ne cesse de la dévorer ? Qu'il entre et qu'il écoute : " Vous serez heureux lorsque les hommes vous auront injuriés et diront contre vous toute espèce de choses mauvaises ; réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, car votre récompense sera abondante dans les cieux. " (Mt 5,11&endash;12). Et, à ces paroles, sa douleur s'apaisera et il éprouvera la joie la plus douce. " Réjouissez-vous et félicitez-vous, disait le Sauveur, lorsque les hommes repousseront votre nom comme mauvais. " (Lc 6,22&endash;23). Voilà comment Il console les personnes en butte à de mauvais propos, quant aux auteurs de ces propos-là, il les épouvante par ce langage : " Toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée, qu'elle soit bonne ou qu'elle soit mauvaise, ils en rendront compte un jour " (Mt 12,36). Quelqu'un a-t-il perdu son fils, sa fille ou l'un de ses proches ? Qu'il vienne ici, et, lorsqu'il verra Paul gémir sur la vie présente, soupirer après la vie à venir, accablé de cette existence terrestre, il se retirera consolé de ses maux par ces paroles de l'Apôtre : " Quant à ceux qui se sont endormis, je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez leur sort, afin que vous ne soyez point attristés comme le reste des hommes qui n'ont point d'espérance. " (1 Th 4,12). Il ne dit pas quant à ceux qui sont morts, mais : quant à ceux qui se sont endormis, montrant par là que la mort est un sommeil véritable. De même donc qu'en voyant une personne plongée dans le sommeil, nous ne nous livrons pas à la tristesse et au désespoir, comptant indubitablement sur son réveil, de même, quand nous verrons quelqu'un mourir, ne nous abandonnons ni au trouble ni au découragement, parce que, quoiqu'il s'agisse d'un sommeil un peu plus long, la mort n'en est pas moins un sommeil. C'est donc par ce nom de sommeil que l'Apôtre console ceux qui pleurent et qu'il renverse les accusations des infidèles. En pleurant un défunt d'une manière inconsolable, nous dit-il, vous ressemblez à cet infidèle qui n'espère nullement en la résurrection. Celui-ci a raison de pleurer, étant dans une ignorance complète au sujet de l'avenir ; mais vous, à qui tant de preuves ont été données de la vie future, pourquoi donc tomberiez-vous dans la même faiblesse ? Voilà pourquoi il nous dit : " Quant à ceux qui se sont endormis, nous ne voulons pas que vous ignoriez leur sort, afin que vous ne soyez point attristés, comme les autres hommes qui n'ont point d'espérance. "

Non seulement le Nouveau Testament, mais encore l'Ancien offrira quelques adoucissements à vos maux. Il vous apprendra, en effet que Job perdit sa fortune entière, qu'il perdit ses troupeaux, qu'il vit périr à la fleur de l'âge non point un, deux ou trois, mais le choeur entier de ses enfants ; et, à l'exemple de son admirable grandeur d'âme, fussiez-vous le plus faible des hommes, il vous sera facile de reprendre espoir et courage. Pour vous du moins, ô homme, vous avez assisté votre fils dans sa maladie, vous l'avez vu sur la couche où il reposait, vous avez entendu ses dernières paroles, vous étiez là quand il a exhalé son dernier soupir, vous avez abaissé ses paupières, vous avez fermé sa bouche ; mais Job n'a point assisté au dernier soupir de ses enfants, il ne les a point vus expirants ; ils furent ensevelis sous les débris du même édifice comme dans un même tombeau, et la même table fut souillée de leur sang et de leurs têtes brisées ; et le bois, les poutres, la poussière, les lambeaux de chair confondus ensemble formèrent un même spectacle. Et pourtant, après un malheur si étendu et si effroyable, le patriarche ne se lamente pas, il ne s'emporte pas. Que dit-il donc ? " Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le Nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles. " (Jb 1,21). Que ces paroles soient aussi sur nos lèvres à chacune des calamités qui pourraient survenir ; que nous ayons à supporter des pertes d'argent, des maladies corporelles, des outrages, la calomnie, ou tout autre misère humaine, répétons toujours : " Le Seigneur nous l'avait donné, le Seigneur nous l'a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait ; que le Nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles. " Si nous sommes pénétrés de ces sentiments, quelques maux qui arrivent, ils ne sauraient jamais nous atteindre ; ils nous procureront plus d'avantages que de dommages, moins de préjudices que de biens ; parce que ces paroles nous rendront Dieu propice et nous soustrairont à la tyrannie du démon. Dès que la langue, en effet, a prononcé ces paroles, le démon prend sur-le-champ la fuite : en même temps qu'il prend la fuite, les nuages de la tristesse sont dissipés, les pensées qui vous tourmentaient disparaissent avec elle, et en outre vous joindrez aux biens de la terre tous les biens du ciel. Vous en avez un exemple concluant dans Job et les apôtres, qui, méprisant pour Dieu les misères de cette vie, sont parvenus au bonheur de l'éternité. Suivons donc ces avis et, quoi qu'il nous arrive, réjouissons-nous, rendons grâce à la Miséricorde de notre Dieu, afin qu'après avoir passé la vie présente dans le calme, nous soyons mis en possession des biens à venir, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, auquel gloire, honneur et puissance soient maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Amen.