HOMÉLIE SUR LES TRIBULATIONS
Il est pénible sans doute pour le cultivateur de soumettre les boeufs au joug, de manier la charrue, de creuser les sillons, de jeter la semence, d'endurer les intempéries de l'air, de supporter le froid, d'environner le champ de fossés, de le mettre à l'abri des inondations, d'exhausser les rives des fleuves et d'ouvrir au milieu du champ de profondes tranchées ; mais ces travaux pénible et fatigants deviennent légers et faciles, l'agriculteur voyant par l'espérance les moissons magnifiques, la faucille aiguisée, l'aire remplie de gerbes, et les récoltes en parfaite maturité transportées dans sa maison, au milieu de la joie la plus vive. De même le nautonier brave la fureur des flots, méprise les tempêtes et la mer en courroux, supporte les variations des vents, l'agitation des vagues, la longueur des voyages, parce que, supputant la valeur de sa cargaison, les ports où il exercera son commerce, il voit les bénéfices immenses qu'il en doit retirer. De son côté, le soldat est encouragé à supporter les blessures, à s'exposer à des nuées de traits, à souffrir la faim, le froid, la fatigue des longues marches, les périls du combat, par la pensée des trophées, des couronnes et des triomphes qui peuvent en être la conséquence.
Et pourquoi parlé-je de ces choses, dans quel but vous cité-je ces exemples ? Pour avoir sujet de vous exhorter à prêter une oreille attentive, et de vous faire aimer les labeurs de la vertu. L'espérance de biens à venir suffit pour alléger les fatigues de chacune des personnes dont nous avons parlé ; mais leur espérance se réalisât-elle, ces biens s'évanouissent avec la vie présente ; à plus forte raison devez-vous prêter une attention soutenue à la doctrine spirituelle, et supporter avec générosité la lutte et les sueurs pour la vie éternelle. Les espérances des premiers sont incertaines et temporelles ; plus d'une fois ils passent à la vie à attendre des biens qui n'arrivent pas ; ils en jouissent par le désir, mais ils n'approchent point de la réalité, quoiqu'ils supportent dans ce but toutes sortes de peines. Ainsi, par exemple, après beaucoup de sueurs et de fatigues, le cultivateur, au moment où il prépare sa faucille, où il se dispose à recueillir la moisson, verra la grêle, ou bien une nuée de sauterelles, ou une pluie torrentielle, ou tout autre fléau résultant des perturbations atmosphériques, le renvoyer chez lui les mains vides : il a bravé sans doute toute sorte de fatigues ; mais il est frustré de ses heureuses espérances. Pareillement, le navigateur joyeux de sa riche cargaison, livrant ses voiles avec une satisfaction profonde au souffle des vents, après avoir fourni une longue traversée, plus d'une fois, à l'entrée même du port, verra son navire se briser contre une roche cachée ou contre un écueil perfide ; ou bien victime de quelqu'autre catastrophe inattendue, il perdra toutes ses richesses et ne parviendra qu'à grand'peine à se sauver lui-même, après tous ces dangers, dans un complet dénuement. Il arrivera de même que le soldat, après avoir pris part à une infinité de combats, repoussé les adversaires, vaincu les ennemis, au moment de recueillir les honneurs de la victoire, perdra la vie sans avoir joui d'aucun des fruits de ses périls et de ses fatigues. Telle n'est pas notre condition : nos espérances sont éternelles, sûres et immobiles ; elles ne s'évanouissent pas avec cette vie passagère ; ayant pour objet une vie dont le bonheur n'aura pas de terme, non seulement elles ne redoutent rien des fléaux de cette terre et des vicissitudes imprévues de ce monde, mais encore elles résistent à l'action dissolvante de la mort ; elles ont même,
comme il est facile de s'en convaincre, dans toutes les circonstances de la vie, les conséquences les plus heureuses ; elles nous procurent de nombreuses et douces récompenses. De là, ce cri du bienheureux Paul : " Non seulement nous nous glorifions en cela, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations. " (Rom 5,3).
Je vous en prie, ne passons pas avec indifférence devant cette
parole ; et, puisque le discours nous a conduits encore, je ne sais comment, au port de ce grand navigateur, de Paul, savourons à loisir ce mot bien court, à la vérité, mais qui renferme pour nous les plus sages enseignements. Que signifie donc ce langage, et à quoi l'Apôtre fait-il allusion dans ces paroles : " Non seulement nous nous glorifions en cela, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations ?" Reprenons, si vous le trouvez bon les choses ; d'un peu plus haut, et vous verrez des leçons plus nombreuses et pleines de clarté en rejaillir. Que personne n'écoute les lâches réclamations du corps ; que l'on soupire, au contraire, après cette doctrine spirituelle comme après une douce rosée. C'est des tribulations que nous avons à parler, du désir des biens éternels, de la patience dans les travaux, des récompenses qui attendent après cette vie les âmes qui n'ont pas subi de défaillance. Que signifient donc ces mots : Non seulement ? Celui qui parle de la sorte, nous donne à entendre qu'il a déjà parlé d'un grand nombre d'autres biens ; c'est à ces biens qu'il ajoute ce qui résulte de la tribulation ; d'où ces paroles : " Non seulement nous nous glorifions en cela, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations ". Pour mieux éclaircir encore ce sujet, veuillez nous supporter quelques instants, si nous consacrons un peu plus de temps à vous exposer cette doctrine.
Lorsque les apôtres eurent proclamé les oracles, qu'ils eurent parcouru la terre entière, jetant partout la semence de la piété, arrachant l'erreur jusque dans ses racines, abolissant les lois antiques des impies, exterminant toute iniquité, purifiant la terre, imposant aux hommes l'obligation de renoncer aux idoles, à leurs temples, à leurs autels, aux fêtes et aux rites qui s'y accomplissaient, de reconnaître un seul Dieu dans tout l'univers, "attendre la réalisation de leurs espérances dans l'avenir, les entretenant du Père, du Fils, du saint Esprit, raisonnant sur la résurrection et sur le royaume des cieux, il s'éleva à cette occasion une guerre terrible, une guerre souverainement cruelle ; partout le trouble, partout le tumulte, partout la division ; aucune ville, aucune nation n'en furent exemptes ; les maisons, les lieux habités comme les solitudes offrirent ce spectacle, parce que les antiques usages étaient ébranlés, parce que l'opinion qui avait régné si longtemps était renversée, parce que de nouvelles croyances dont personne n'avait jamais ouï parler étaient introduites. Contre ces croyances s'armaient la violence des rois, le courroux des magistrats ; contre ces croyances les particuliers s'ameutaient, le désordre éclatait sur les places publiques, les tribunaux déployaient toutes leurs rigueurs, les glaives étaient tirés du fourreau, les armes étaient préparées, les lois invoquées dans toute leur sévérité. Aussi les supplices, les tortures, les menaces, tous les maux imaginables étaient-ils mis en oeuvre. Telle on voit la mer furieuse enfanter de sinistres naufrages, tel se présentait l'univers. Le père reniait son fils à cause de la religion, la bru se séparait de sa belle-mère, les frères se divisaient entre eux, les maîtres s'emportaient contre leurs esclaves ; on eût dit que la discorde avait gagné la nature elle-même ; ce n'était pas seulement une guerre civile, c'était une guerre domestique, à laquelle aucune maison ne se dérobait. Semblable à un glaive, la parole pénétrant partout et retranchant les parties malades des parties saines, semait partout une division et une opposition profondes, et mettait les fidèles en butte à toute sorte de haines et de violences. C'est pourquoi on conduisait les uns en prison, les autres devant les tribunaux, les autres au trépas. On confisquait les biens de ceux-ci, on arrachait ceux-là à leur patrie, et souvent même à l'existence ; en un mot, les persécutions tombaient sur eux comme on voit tomber d'épais flocons de neige. Des luttes au dehors, des craintes au dedans, du côté des amis comme du côté des étrangers, et même du côté de ceux auxquels on était uni par les liens de la nature.
À ce spectacle, que fait le bienheureux Paul, le précepteur de l'univers, le dispensateur des enseignements célestes ? Les épreuves en quelque sorte sont sous la main et devant les yeux, et les récompenses seulement en espérances et en promesses, je veux dire le royaume des cieux, la résurrection et l'héritage de ces biens qui défient toute pensée et toute intelligence ; car les fournaises, les grils, les glaives, les tourments, les tortures de toute sorte, les appareils de mort se présentaient, non en perspective, mais en réalité ; et ceux qui devaient affronter de pareils combats étaient récemment convertis des autels, des idoles, des plaisirs, de l'impureté et de la débauche à la foi ; ils ne s'étaient jamais appliqués à des hautes pensées sur la vie éternelle, mais ils avaient été exclusivement attachés aux choses présentes, par où il était vraisemblable qu'un grand nombre d'entre eux faibliraient, perdraient courage et succomberaient à des assauts répétés chaque jour : à ce spectacle, dis-je, considérez ce que fait cet initié des divins mystères, et remarquez la sagesse de Paul. Il entretient continuellement les fidèles des biens à venir, place sous leurs yeux les récompenses, leur montre les couronnes, les fortifiant et les soutenant par l'espérance des biens éternels. Et que dit-il ? " Nous estimons que les souffrances de cette vie ne méritent pas d'entrer en comparaison avec la gloire qui un jour se révélera en nous. " (Rom 8,18). Pourquoi, dit-il, me parlez-vous de mauvais traitements, des autels, de bourreaux, de supplices, de privations, de confiscations, de pauvreté, de fers et d'entraves ? Mettez en avant autant qu'il vous plaira de ces choses que les hommes redoutent, vous ne citerez rien qui soit digne de ces lauriers, de ces couronnes et de ces récompenses. Les épreuves s'évanouissent avec la vie présente ; mais ces récompenses durent des siècles sans fin. Les premières passent, car elles sont temporelles ; les secondes demeurent toujours, car elle ne connaissent pas la décrépitude. C'est à quoi l'Apôtre faisait ailleurs allusion par ces paroles : " Les afflictions si courtes et si légères de la vie présente. " ( 2 Cor 4,17). Il rabaisse la qualité par la quantité, il allège le poids par la brièveté du temps. Comme les épreuves d'alors étaient naturellement lourdes et accablantes, Paul se sert de ce qu'elles avaient de rapide pour en diminuer le poids. " Les afflictions si courts et si légères de la vie présente, dit-il, produisent pour nous le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire ; car nous ne considérons pas les choses visibles, mais les choses invisibles. Les choses visibles sont passagères, les choses invisibles sont éternelles." (2 Cor 4,17-18). Pour les conduire encore à la considération de la grandeur des biens à venir, il leur représente la créature elle-même dans les douleurs et gémissant sur les afflictions présentes, soupirant ardemment après les biens futurs, seuls vraiment dignes de ce nom. " La créature, dit-il, est encore dans les gémissements et les douleurs de l'enfantement. " (Rom 8,22) Pourquoi ces gémissements, pourquoi ces douleurs ? Parce qu'elle attend les biens futurs, parce quelle soupire après un état meilleur. " Car la créature elle-même, avait dit l'Apôtre, sera délivrée de la servitude de la corruption et admise à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. " (Ibid., 21)
Ne croyez pas cependant, lorsque vous entendez parler des gémissements et des douleurs de la créature, qu'elle soit douée de
raison ; sachez que c'est là une forme de langage habituelle à l'Écriture. Toutes les fois que Dieu veut annoncer aux hommes par ses prophètes quelque merveille ou quelque bienfait, Il fait sentir aux êtres inanimés eux-mêmes la grandeur des prodiges accomplis ; non pas que ces créatures, à notre avis, soient capables de sentiment, mais pour exprimer la grandeur de ces prodiges d'une façon analogue à ce qui se passe parmi les hommes. Nous aussi, lorsqu'il arrive quelque chose d'extraordinaire, nous disons habituellement que la ville est morne, que le sol est lui-même attristé. À propos d'hommes terribles et dont la fureur rappelle celle des bêtes féroces, on parlera en ces termes : Il a fait trembler les fondements ; les pierres elles-mêmes ont été effrayées; non pas qu'il ait en vérité inspiré de la frayeur aux pierres, mais on se propose de mieux exprimer de la sorte la fureur sauvage de son coeur. C'est pour cette raison que l'admirable prophète David proclamant les bienfaits que les Juifs avaient reçus et la joie dont ils avaient été transportés à leur délivrance de l'Égypte, disait : " Lorsqu'Israël sortit d'Égypte et la maison de Jacob du milieu de ce peuple barbare, la Judée devint le sanctuaire du Seigneur, et Israël son héritage. La mer le vit et s'enfuit ; le Jourdain remonta vers sa source ; les montagnes tressaillirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux, à l'aspect du Seigneur. " (Ps 113,1-4). Or, jamais on n'a ouï dire que cela fût arrivé. La mer et le Jourdain retournèrent, il est vrai, en arrière à l'ordre de Dieu, mais on ne vit pas bondir les montagnes et les collines. Comme je l'ai déjà dit, c'est pour exprimer les transports de joie et le bonheur que, les lsraélites éprouvaient au sortir des persécutions des Égyptiens, que David nous représente les êtres inanimés bondir et s'agiter à cause des biens dont les hommes venaient d'être comblés. De même, faut-il énoncer quelque affliction dont nos péchés sont le principe, le prophète dit ces paroles : " Le vin pleurera, la vigne aussi sera dans les larmes. " (Is 24,7). "Les chemins de Sion pleurent," (Lam 1,4) est-il dit ailleurs. On nous représente les objets insensibles versant eux-mêmes des pleurs. " Murailles de la fille de Sion, répandez des larmes, " dit un prophète. (Lam 2,18). Il est dit encore que la terre elle-même et la Judée sont affligées et enivrées par la tristesse. Ce n'est pas, encore une fois que les éléments soient susceptibles de ces émotions. Chacun des prophètes veut nous faire comprendre de la sorte la grandeur des biens que nous avons reçus de Dieu, et celle des châtiments que nous a valus notre malice. Voilà pourquoi le bienheureux Paul nous représente, lui aussi, la créature dans les gémissements et dans la douleur, pour exprimer dignement la grandeur des biens que Dieu nous réserve après la vie présente.
Mais tous ces biens, dira-t-on, sont en espérance. Or, l'homme faible et pusillanime, à peine affranchi de l'idolâtrie, et ignorant encore la philosophie des choses à venir, n'est guère relevé par des pareils discours, et il cherche à trouver dans le présent quelque consolation. - C'est pour cela que ce Maître sage, à qui rien n'échappe, ne se borne pas à des consolations tirées des biens futurs, et qu'Il se sert des biens présents pour nous encourager. Il commence donc par rappeler les biens dont la terre avait déjà joui, biens qui n'étaient pas l'objet de l'espérance et de l'attente, mais que l'on avait expérimentés et goûtés, démonstration la plus forte et la plus claire de ceux que l'on espérait et qui devaient advenir ; puis après avoir longuement discouru sur la foi et mentionné le patriarche Abraham qui, lorsque la nature le privait du bonheur d'être père, espéra le devenir, s'y attendit, fut persuadé qu'il le serait, et le fut en effet, l'Apôtre établit à ce propos qu'il ne faut jamais tomber dans la faiblesse des raisonnements, mais se redresser, se relever, grâce à la sublimité de la foi, et porter haut nos pensées ; après quoi il expose la grandeur des bienfaits déjà reçus. Et en quoi consistent-ils ? En ce que Dieu a livré pour nous, esclaves ingrats, son Fils unique, véritable, bien-aimé ; et non seulement il nous a délivrés des péchés dont le poids nous écrasait, des prévarications dont l'immense fardeau nous accablait, mais de plus Il nous a rendu la justice ; sans nous imposer rien de laborieux, de pénible et de désagréable, et ne réclamant rien de nous que la foi, et Il nous a faits justes et Il nous a rendus saints ; et Il nous a adoptés pour ses enfants, et Il nous a reconnus pour héritiers de son royaume, et Il nous a donnés pour cohéritiers à son Fils unique, et Il nous a promis la résurrection, l'incorruptibilité, la condition des anges, chose qui défie tout discours et toute pensée, le séjour dans les cieux et la société de Dieu même ; en outre, Il nous a dispensé d'en-haut la Grâce du saint Esprit, Il nous a affranchis de l'esclavage du démon, Il a détruit le péché, effacé la malédiction, brisé les portes de l'enfer, ouvert le paradis,envoyé pour notre salut, non point un ange, non pas un archange, mais son Fils unique Lui-même, comme Il le dit par la bouche du prophète : " Ce n'est pas un ambassadeur, ce n'est pas un messager, c'est le Seigneur Lui-même qui nous a sauvés. " (Is 63,9). Les plus brillantes couronnes vaudraient-elles pour nous l'honneur d'avoir été justifiés, de l'avoir été par la foi, d'avoir vu le Fils unique de Dieu descendu du ciel pour nous, et le Père livrer pour nous son Fils bien-aimé ; d'avoir reçu le saint Esprit, de L'avoir reçu avec tant de facilité, d'avoir été comblés de dons et de grâces ineffables ?
Après avoir parlé de tout cela et l'avoir indiqué en quelques paroles, Paul revient encore à l'espérance, sur la fin de son discours. Après ces mots, en effet : " Justifiés donc par la foi, ayons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ qui, par la foi, nous a donné accès à cette grâce en laquelle nous demeurons fermes, " il ajoute : " Et nous nous glorifions dans l'espérance de la Gloire de Dieu " (Rom 5,1-2). Après avoir parlé et des bienfaits passés, et des bienfaits à venir, - car la justification, l'immolation du Fils pour nous, l'accès que nous avons par Lui auprès de son Père, les grâces et les dons qu'Il nous a obtenus, l'affranchissement du péché, la paix où nous sommes en Dieu, la participation au saint Esprit, se rapportent au passé, tandis que, la gloire ineffable dont parle l'apôtre se rapporte à l'avenir, - il poursuit : " Nous restons fermes dans cette grâce et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire avec Dieu. " Cette espérance, comme je l'ai déjà dit, n'était pas suffisante pour relever et ranimer le disciple pusillanime ; voyez ce que fait l'Apôtre et contemplez sa fermeté en même temps que sa si profonde sagesse. Des choses, mêmes qui paraissent affliger, troubler et éprouver ses auditeurs, il tresse des couronnes de consolation et de gloire. Quand il a énuméré tous les bienfaits précédents, il semble nous tenir encore ce langage : Je ne m'arrête pas à ce que je viens de dire, à savoir, que nous avons été sanctifié, que nous avons été justifiés, que nous l'avons été par le Fils unique, que nous avons reçu la grâce, la paix, la rémission des péchés, les dons et la communication du saint Esprit, et cela, de la manière la plus aisée, sans incommodités, sans fatigue, par la foi toute seule ; que Dieu nous a envoyé son Fils unique et qu'indépendamment de ce qu'Il nous a déjà donné, Il nous a promis une gloire inénarrable, l'incorruptibilité, la résurrection des corps, une destinée angélique, la société du Christ, le séjour dans les cieux ; tous ces biens étaient exprimés dans cette parole : " Nous nous glorifions dans l'espérance de la Gloire de Dieu. " Loin de mentionner simplement ces biens passés et à venir, Paul, prenant ce que les hommes regardent comme des maux, les jugements, la captivité, le trépas, les menaces, les privations, les tourments, les grils, les fournaises, la spoliation, la guerre, les sièges, les combats, les séditions, les querelles, les met au rang des faveurs et des bienfaits ; car ce n'est pas seulement des premiers qu'il faut se féliciter et se réjouir, il faut encore se glorifier dans les épreuves, comme le disait l'Apôtre en ces termes : " Maintenant je me réjouis dans ce que je souffre pour vous, et je remplis en ma chair ce qui manque aux Souffrances du Christ. " (Col 1,24).
Voyez-vous cette âme ferme, cet esprit élevé, ce coeur inébranlable non seulement se glorifier des couronnes, mais se réjouir encore des combats ; non seulement se féliciter des récompenses, mais encore tressaillir au sein des épreuves ; non seulement être fier de la rétribution, mais encore se glorifier au milieu même de la lutte. Ne me parlez pas du royaume des cieux, ni de ces couronnes toujours fraîches, ni de ces lauriers, mais du présent lui-même avec ses tribulations, ses peines et ses nombreuses misères. Offrez à mes yeux ces épreuves, et, je vous montrerai qu'il faut s'en glorifier davantage. Dans les combats profanes, l'épreuve est laborieuse et la couronne seule pleine de douceur ; il n'en est pas de même ici : avant les couronnes l'épreuve remplit notre coeur d'une profonde satisfaction. Pour vous convaincre de cette vérité, considérez en particulier les saints de toutes les générations, suivant ce mot d'un apôtre : " Prenez, mes frères, comme modèle de fermeté et de patience, les prophètes qui ont porté la parole au Nom du Seigneur. " (Jac 5,10). Celui-là même qui nous a invités tout-à-l'heure à ce combat et qui a formé le théâtre spirituel ici présent, Paul, veux-je dire, après avoir parcouru les épreuves innombrables
des saints dont il ne serait pas facile de faire maintenant une énumération exacte, ajoute ces paroles : " Ils ont erré, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvre, délaissés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne, " (Heb 11,37-38), et néanmoins transportés de joie au milieu de ces épreuves. C'est le spectacle qui s'offre à nous lorsqu'on renvoie les apôtres après leur captivité chargés d'injures et frappés de verges. Que dit l'Écriture : " Et ils se retiraient joyeux hors du conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes d'être outragés pour le Nom du Christ. " (Ac 5,1)
Ces mêmes faits se sont produits de notre temps. Que l'on rapproche, si l'on veut, de ce que je dis ce qui se passait au temps des persécutions. Une jeune et tendre vierge se présentait, son corps était plus flexible que de la cire ; on l'attachait au chevalet, on lui déchirait et on lui fouillait les flancs. Inondée de sang, elle paraissait plutôt une jeune épouse assise sur le lit nuptial, tant elle était heureuse d'endurer ces souffrances pour le royaume des cieux, et d'être couronnée au fort du combat. Quel spectacle, je vous le demande, que celui d'un tyran entouré de soldats, de glaives aiguisés, d'armes de toute sorte, et néanmoins vaincu par une seule jeune fille ! Vous le voyez, elle est bien grande la gloire dont la tribulation est la source. Et vous-mêmes, vous appuyez par votre témoignage la vérité de nos paroles. Quoique les martyrs n'aient pas encore reçu leurs récompenses, leurs lauriers et leurs couronnes, et qu'ils soient réduits en poudre et en cendre, nous accourons avec empressement pour les honorer, nous formons une assemblée spirituelle, nous les exaltons et nous les louons hautement à cause du sang qu'ils ont répandu, des blessures, des tourments, des mauvais traitements, des persécutions et des angoisses qui ont été leur partage, tant il est vrai que les tribulations mêmes sont une source de gloire avant la récompense. Songez à Paul plongé dans les cachots, traîné devant les tribunaux ; comme il paraissait grand, comme il paraissait glorieux, éclatant à tous les yeux et en particulier aux yeux de ceux qui l'entouraient de persécutions et d'embûches ! Mais pourquoi parler de la gloire dont il brillait aux yeux des hommes, quand c'est au moment où on le frappait de verges qu'il était le plus redouté des démons ? C'est lorsqu'il était chargé de fers, lorsqu'il faisait naufrage, qu'il opérait les plus grands prodiges et qu'il remportait de plus brillants triomphes sur les puissances ennemies. Ainsi la connaissance qu'il avait des avantages que les tribulations procurent à l'âme, lui arrachait ces paroles : " Lorsque je suis faible, alors je suis fort. " Après quoi il ajoute : " C'est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les angoisses, afin que la Vertu du Christ habite en moi. " (2 Cor 12,9-10).
Écrivant à des habitants de Corinthe, et les reprenant vivement parce qu'ils condamnaient les autres, tout en ayant d'eux-mêmes des pensées superbes, il fut obligé, pour faire ressortir l'autorité de son langage, de nous tracer, à ce sujet, un tableau de ses grandes actions. Pour cela il ne parle aux Corinthiens, ni de prodiges, ni de miracles, ni de dignités, ni de repos ; mais de prisons, de tribunaux, de faim, de froid, de guerres, d'embûches. " Sont-ils ministres du Christ ? dit-il ; quand je devrais passer pour imprudent, je soutiens que je le suis encore plus qu'eux. " Et il explique ce mot plus, et cette excellence, comme il suit : " J'ai essuyé plus de travaux, enduré plus souvent la captivité ; j'ai reçu des coups au delà de toute mesure ; j'ai vu souvent la mort de près, etc. S'il faut se glorifier, je me glorifierai de mes faiblesses. " ( 2 Cor 1,23-30). Le voyez-vous se glorifier de préférence dans ses faiblesses, et les mettre au-dessus de brillantes couronnes, et s'écrier à cette occasion : " Non seulement il en est ainsi, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations. " ( 2 Cor 11,30) Qu'est-ce à dire, non seulement ? Loin d'être abattu, veut-il dire, par les maux et les tribulations, nous nous glorifions des afflictions qui surviennent, comme si nous étions élevés à des dignités et des honneurs plus éclatants. De plus, comme il a dit que les tribulations sont le principe d'une gloire remarquable qui peut faire notre orgueil et notre joie ; comme la gloire a manifestement pour conséquence le bonheur, - car où règne le bonheur règne certainement aussi la gloire, et où règne une gloire pareille se trouve certainement le bonheur ; - après avoir montré ce qu'il y a d'illustre, de glorieux et d'éclatant dans la tribulation, l'Apôtre nous parle d'un autre effet non moins précieux des épreuves, d'un fruit remarquable, extraordinaire qu'elles produisent. Voyons quel est ce fruit. " Nous savons, dit-il, que la tribulation a pour résultat la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l'espérance ; or l'espérance n'est pas confondue. " (Rom, 5,3-5). Que signifient ces mots : " Nous savons que la tribulation a pour résultat la patience ? C'est une chose dont les fruits sont extrêmement précieux, la tribulation donnant à l'homme une plus grande vigueur. De même que les arbres qui grandissent en des lieux abrités et loin des injures des vents, quoique vigoureux en apparence, restent faibles et sans consistance, ont à souffrir du moindre souffle ; tandis que les arbres qui croissent sur la crête élevée des montagnes qu'agitent fréquemment les violences des vents, qui bravent toutes les intempéries de l'air, qui sont en butte à de terribles tourmentes et qu'assaillent des tourbillons de neige, deviennent plus solides que du fer ; de même encore que les corps qui grandissent au sein de la mollesse et de la sensualité, que l'on couvre d'étoffes précieuses et délicates, que l'on ne cesse de baigner et de parfumer, et qui jouissent, en dehors du besoin, des mets les plus variés, sont complètement incapables de supporter les labeurs et les fatigues de la vertu, et attirent sur nos têtes les plus grands châtiments : ainsi les âmes qui passent leur existence loin de toute épreuve, au sein d'un repos parfait, qui aiment à jouir des choses présentes, et qui préfèrent une vie exempte de souffrances à la vie d'épreuves que tous les saints ont menée pour le royaume du ciel deviennent plus molles et plus faibles que la cire, et sont destinés à servir d'aliment au feu éternel ; tandis que les âmes qui bravent pour Dieu les périls, les fatigues, les misères, les tribulations, et qui grandissent dans ce milieu, deviennent, grâce à cet état d'épreuves continuelles, plus fermes et plus inflexibles que le fer, plus inaltérables que le diamant, invincibles à leurs ennemis, en même temps qu'elles revêtent l'habitude d'une patience et d'un courage inébranlables. Les personnes qui montent pour la première fois un navire, sont saisies de nausées et de vertiges ; une sorte de dégoût s'empare d'elles, des étourdissements les jettent dans l'agitation et le trouble ; celles, au contraire, qui ont sillonné de nombreuses et vastes mers, qui ont affronté les flots mille fois, et ont été exposées à de fréquents naufrages, entreprennent sans crainte de semblables voyages. Ainsi l'âme qui a supporté de nombreuses épreuves, qui a résisté à des tribulations amères, accoutumée désormais aux peines et à la patience, ne connait plus les craintes vaines et les vulgaires frayeurs ; elle n'est plus troublée par les afflictions qui se présentent, et, comme elle ne les perd jamais de vue, elle supporte avec la plus grande facilité les maux qui l'assaillent. C'est là ce qu'exprimait ce sage architecte d'une morale céleste, lorsqu'il disait : " Non seulement il en est ainsi, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations. " Avant le royaume et les couronnes célestes, nous recueillons dès ici-bas une récompense précieuse, les tribulations continuelles donnant à notre âme plus d'énergie, et à ses convictions plus de force.
Instruits de ces vérités, mes bien-aimés, supportons généreusement les afflictions qui surviennent, et parce que Dieu le veut ainsi, et parce qu'elles ont pour fin notre bien. Loin de perdre courage et de nous laisser abattre par les assauts des tentations, tenons-nous fermes et debout, ne cessons de remercier Dieu de tous les bienfaits dont il nous comble, afin que, après avoir joui des biens présents, nous obtenions les biens à venir, par la Grâce, la Miséricorde et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, avec lequel gloire et puissance soient au Père, ainsi qu'à l'Esprit, source de sainteté et de vie, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.