QUATRIEME HOMÉLIE

Qu'il n'est pas sans danger de garder le silence sur les choses que l'on a entendues à l'église.
De la raison pour laquelle on lit les Actes au jour de la Pentecôte.
Pourquoi le Christ, après sa résurrection, ne S'est montré qu'à quelques personnes.
Que les miracles des apôtres constituent une démonstration plus claire de la résurrection du Sauveur que ne l'eût été sa présence.

La plus grande partie de la dette que le titre des Actes des Apôtres nous avait imposée à votre égard, nous l'avons payée ces jours précédents. Comme il en reste encore une petite partie à éteindre, mon dessein, en me levant, est de vous satisfaire aujourd'hui entièrement. Mais conservez-vous avec exactitude, retenez-vous avec zèle nos enseignements ? Vous devez le savoir, vous qui avez reçu cet argent, et qui en rendrez compte au Seigneur en ce jour où les serviteurs à qui des talents ont été confiés, seront appelés et soumis à une enquête rigoureuse ; en ce jour où le Christ viendra demander au banquier son argent avec usure : " Il vous fallait, dit-il, confier mon argent aux banquiers, et, à mon retour, je l'aurais retiré avec ses intérêts. " (Mt 25,17). Ô Bonté souveraine et ineffable du Seigneur ! Il défend aux hommes l'usure, et Lui-même la réclame. Et pourquoi ? Parce que l'une est mauvaise et condamnable, tandis que l'autre est tout à fait digne d'approbation et de louanges. La première, l'usure temporelle, veux-je dire, est funeste et à celui qui la reçoit, et à celui qui la donne. En même temps qu'elle perd l'âme de celui-là, elle écrase celui-ci dans son indigence. Quoi de plus triste que de spéculer sur la pauvreté de son prochain, et de chercher à s'enrichir du malheur de ses frères ! Quoi de plus triste que de couvrir l'inhumanité la plus barbare du masque de l'humanité, et, quand on devrait tendre la main à son frère nécessiteux, de le pousser dans l'abîme ? Que faites-vous, ô hommes ! Si le pauvre va frapper à votre porte, ce n'est pas pour que vous aggraviez, mais pour que vous soulagiez sa pauvreté. Vous, au contraire, vous imitez ceux qui préparent des mélanges vénéneux. De même que ceux-ci, mêlant du poison aux aliments ordinaires, déguisent ainsi leurs mauvais desseins, de même les hommes qui couvrent du voile de l'humanité une usure funeste, présentent à leurs victimes un breuvage dont elles ne sentiront pas d'abord la mortelle influence.

 

Aussi est-ce avec raison que l'on appliquera ce qui est dit du péché aux gens qui prêtent et qui reçoivent à usure. Et qu'a-t-on dit du péché ? " Il charmera un instant votre palais ; mais bientôt vous le trouverez plus amer que le fiel, et plus aiguisé qu'un glaive à deux tranchants. " (Pr 3,4). Pareille chose arrive à ceux qui empruntent à usure. Lorsque, dans leur besoin, ils reçoivent une somme d'argent, ils éprouvent une satisfaction passagère ; mais, lorsque les intérêts se sont accumulés et que le fardeau s'est élevé au-dessus de leurs forces, cette douceur, qui avait charmé leur palais, ils la voient changée en un fiel des plus amers, en un glaive plus aiguisé qu'un glaive à deux tranchants, obligés qu'ils sont d'abandonner tout leur patrimoine.

Mais passons des choses sensibles aux choses spirituelles. " Il vous fallait, dit le Sauveur, confier mon argent aux banquiers. " (Mt 25,27). Sous le nom de banquiers, Il vous désigne, vous qui écoutez ces paroles. Et pourquoi Dieu vous appelle-t-Il de la sorte ? Pour vous instruire tous à examiner la doctrine qu'on vous prêche, avec le même soin que les banquiers en mettent à examiner et à constater la valeur des pièces de monnaie. De même que ceux-ci rejettent les pièces fausses et de mauvais aloi, qu'ils acceptent les pièces authentiques et de bon aloi, et qu'ils discernent soigneusement les unes des autres ; de même, de votre côté, n'acceptez pas toute espèce de doctrine, rejetez loin de vous les doctrines fausses et corrompues, mais donnez accès dans votre âme aux doctrines saines et salutaires. Car vous avez, vous aussi, vos poids et vos balances ; ils ne sont pas de fer ou d'airain : l'honnêteté et la foi en forment les éléments. Servez-vous-en pour vous assurer de la valeur de toute doctrine. Voilà pourquoi il nous est dit : " Soyez des banquiers vigilants " ; non que vous ayez à compter de l'argent et à vous tenir sur la place publique, mais afin que vous pesiez tous les discours avec la plus scrupuleuse attention. Voilà pourquoi l'Apôtre nous disait : " Éprouvez tout, et ne gardez que le bien. " (1 Th 5,21).

Ce n'est pas seulement en vue de cet examen à faire, que le Sauveur nous a ainsi désignés, mais encore pour que nous fassions part aux autres de ce que nous aurons reçu. Si les banquiers se contentaient, après avoir reçu de l'argent, de l'enfermer chez eux sans le distribuer aux autres, les avantages que vous pourriez en retirer seraient réduits à néant. Aussi voyons-nous la boutique des premiers assiégées tout le jour d'allants et venants. Qu'il en soit de même à propos de la doctrine. Chez les banquiers, les uns vont déposer de l'argent, les autres vont en prendre, et puis se retirent ; toute la journée c'est le même spectacle. De là il arrive que sans être les possesseurs d'une grande fortune, parce qu'ils se servent habilement de l'argent d'autrui, ils réalisent des bénéfices considérables. Agissez, vous aussi, de cette façon. Cette doctrine n'est pas à vous ; elle est à l'Esprit saint. Cependant si vous en usez avec sagesse, vous en recueillerez de précieux avantages spirituels : c'est pour cela que Dieu vous a désignés sous le nom de banquiers. Et pourquoi a-t-Il comparé les discours à l'argent ? De même que l'argent doit porter l'empreinte parfaite de l'image impériale ; &endash; car, s'il ne la portait pas, il serait considéré comme étant, non de bon, mais de mauvais aloi ; - de même, il faut que la doctrine de la foi soit frappée dans le discours, au coin d'une empreinte irréprochable. De plus, l'utilité de l'argent s'impose à une vie tout entière ; il devient l'intermédiaire de tous les contrats ; et, que l'on ait à vendre ou que l'on ait à acheter, c'est à l'argent que revient le principal rôle. Ainsi en est-il de la doctrine : les contrats spirituels ont également pour intermédiaire et pour principe cet argent spirituel. Voulons-nous obtenir quelque chose de Dieu, c'est après Lui avoir payé le tribut de la prière que nous recevons ce que nous Lui demandons. Apercevons-nous un de nos frères dans la voie de la négligence et de la perdition, c'est en nous mettant en frais d'enseignement et de doctrine que nous gagnerons son salut, et que nous achèterons pour lui l'éternelle vie.

Si donc nous devons garder et retenir avec le plus grand soin le souvenir des choses qui nous sont dites, c'est afin que nous en fassions part aux autres. Il nous sera demandé compte de l'intérêt de cet argent. Soyons donc attentifs quand nous le recevons, afin que nous puissions, à notre tour, le distribuer à nos frères. Chacun de vous, s'il le veut, a le pouvoir d'enseigner. Vous ne pouvez pas réformer une assemblée nombreuse ; mais vous pouvez du moins faire des observations à votre épouse. Vous ne pouvez pas entretenir une grande foule ; mais vous pouvez donner à votre fils de sages conseils. Vous ne pouvez pas faire entendre à ce peuple le langage de la doctrine ; mais vous pouvez ramener votre serviteur à de meilleurs sentiments. Il n'est point au-dessus de vos forces d'instruire ce cercle de disciples ; cette forme d'enseignement n'est point au-dessus de votre intelligence ; au contraire, il vous est plus facile qu'à nous de mener ces réformes à bonne fin. Pour moi, c'est une fois ou deux, durant la semaine, que je suis au milieu de vous ; mais vos disciples à vous, ils sont toujours dans votre maison : ce sont votre femme, vos enfants, vos serviteurs ; le soir à table, à tous les instants du jour, vous pouvez leur adresser vos leçons. Une autre raison rend pour vous cette tâche plus facile. Moi qui m'adresse à une si grande multitude, j'ignore les maladies qui tourmentent vos âmes ; et, en conséquence, je suis forcé de vous offrir à chaque instruction toute sorte de remèdes. Vous n'êtes pas réduits, vous, à cette nécessité : vous pouvez, avec moins de peine, obtenir de meilleurs résultats ; car, sachant parfaitement les défauts des personnes avec lesquelles vous habitez, il vous est facile de les soumettre à un traitement plus rapide.

Gardons-nous, mes bien-aimés, de négliger les personnes avec lesquelles nous habitons ; d'autant plus qu'un châtiment redoutable et d'inconcevables supplices menacent quiconque traite les siens avec négligence. " Si quelqu'un, disait Paul, n'a pas soin des siens et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, il est pire qu'un infidèle. " (1 Tm 5,8). Voyez-vous comment Paul traite les personnes qui négligent les gens de leur maison ? Et il le fait à bon droit. Comment, si on néglige les siens, s'occuperait-on des autres ? C'est là, je le sais, un conseil que je vous ai souvent donné ; et je ne cesserai de vous le répéter, quoique je ne sois plus désormais responsable de votre indifférence. " Il vous fallait confier mon argent aux banquiers " ; le Sauveur n'en demande pas davantage. Or, moi je leur ai confié mon argent, conséquemment je n'ai rien à me reprocher. Et pourtant, quoique ma responsabilité soit dégagée, et que je sois à l'abri des châtiments réservés à cette faute, je crains et je tremble pour votre salut, comme si j'avais à redouter des châtiments et des supplices. Que nul donc ne prête aux discours spirituels une oreille indifférente ou négligente. Ce n'est pas sans raison ni sans motif que je m'étends autant dès le commencement ; c'est pour assurer la conservation de la doctrine que l'on vous confie, de crainte que vous ne vous retiriez chez vous après de vains applaudissements et un inutile tumulte. Je n'ai point à coeur précisément vos louanges ; ce qui me préoccupe, c'est votre salut. Que les acteurs reçoivent en récompense de leurs efforts les louanges du peuple : tel n'est pas le but pour lequel nous paraissons dans l'arène ; nous ne voulons d'autre récompense que celle que le Seigneur a réservée à ces soins.

C'est pourquoi nous ne cessons de vous exhorter à imprimer fort avant dans votre coeur ce que vous entendez. De même que les plantes dont les racines plongent bien avant dans la terre, défient la violence des vents ; de même, plus un enseignement aura pénétré dans une âme, plus difficilement il en sera arraché par le choc des choses humaines. Dites-moi, mon bien-aimé, si vous voyiez votre fils mourir de faim, est-ce que vous le regarderiez avec indifférence, et ne supporteriez-vous pas quoi que ce soit pour mettre un terme à ses tourments ? Vous ne le négligeriez point s'il périssait consumé par la faim corporelle ; et quand il périt faute d'enseignements divins, vous pourriez le regarder avec indifférence ? Et comment mériteriez-vous le nom de père ? Car cette faim est bien plus triste que l'autre, et elle aboutit à une mort bien plus terrible. Aussi faut-il mettre à l'apaiser plus de sollicitude : " Élevez vos enfants, disait l'Apôtre, en les corrigeant et les instruisant selon le Seigneur. " (Ep 6,4) Voilà la plus noble occupation d'un père ; voici les soins qui conviennent le mieux aux parents. Pour moi, je reconnais en eux d'autant mieux les liens de la nature, qu'ils s'appliquent avec plus d'ardeur aux choses spirituelles. Mais voilà un préambule suffisant ; ce qu'il nous faut maintenant, c'est payer notre dette. En vous entretenant longuement de ce sujet, je me suis proposé de vous déterminer à recevoir avec la plus grande attention les enseignements que l'on vous dispense.

Quelle dette avions-nous donc contractée naguère en vous quittant ? L'auriez-vous par hasard oubliée ? Alors il nous faudrait vous la rappeler et vous lire d'abord le titre qui constate et ce que nous avons donné, et ce que nous avions à vous dire, afin de voir ce qui nous reste encore à acquitter. Que vous ai-je donné précédemment ? Je vous ai dit qui a composé le livre des Actes, qui en a été l'auteur, ou plutôt qui en a été, non pas l'auteur, mais l'instrument ; car il n'en a point composé les paroles, mais il a servi d'instrument aux paroles d'autrui. Au sujet des Actes eux-mêmes, je vous ai dit ce que signifiait ce nom d'Actes ; j'ai dit encore ce que signifiait le nom d'Apôtre. Il me reste maintenant à vous enseigner pour quelle raison nos pères ont ordonné de lire le livre des Actes au jour de la Pentecôte. Vous vous souvenez sans doute que nous vous en avions fait la promesse. Cet ordre de nos pères n'est assurément pas sans raison ni sans motifs ; s'ils ont déterminé ce temps, c'est par un dessein d'une incontestable sagesse. Non pas qu'ils prétendissent asservir notre liberté à l'observation des temps ; mais par condescendance pour, l'indigence des plus faibles : ils les conduisaient ainsi à une plus grande richesse de connaissances. Qu'en déterminant ces temps, ils n'aient point voulu s'imposer un joug, mais condescendre par zèle à la faiblesse de leurs frères, ces paroles de Paul le prouvent : " Vous observez les jours, les mois, les saisons et les années ; je crains bien d'avoir travaillé inutilement parmi vous. " (Ga 4,10-11). Et vous, n'observez-vous pas les jours, les saisons, et les années ? Eh quoi ! Si nous voyons l'Apôtre observer lui-même les jours, les mois, les saisons, les années dont il interdit l'observation, que dire, je vous le demande ? Qu'il est en lutte, en contradiction avec lui-même ? Certainement non ; mais que, se proposant de porter remède à la faiblesse de ceux qui observaient les temps, il les a observés lui-même par pure condescendance. Les médecins aussi goûtent les premiers aliments donnés aux malades, non qu'ils en aient besoin eux-mêmes, mais pour obtempérer à leur faiblesse et procurer leur guérison. Ainsi a fait Paul. Quoiqu'il n'eût aucunement besoin d'observer les temps, il les a observés, afin d'affranchir de cette faiblesse ceux qui les observaient. Et quand Paul a-t-il observé les temps ? Écoutez attentivement, je vous en prie : " Le jour suivant nous arrivâmes à Milet. Paul avait résolu de ne point s'arrêter à Éphèse, afin de ne pas perdre de temps en Asie. Il se hâtait pour se trouver, s'il était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem. " (Ac 20,15&endash;16). Voyez-vous comment, après avoir dit : " N'observez pas les jours, les mois, les saisons ", il observe lui-même le jour de la Pentecôte ?

Et non seulement il observe les jours, mais encore les lieux ; non seulement il se hâte pour célébrer la Pentecôte, mais encore il veut la célébrer à Jérusalem. Et pourquoi agis-tu ainsi, ô bienheureux Paul ? Jérusalem n'est-elle pas ruinée ? Le Saint des Saints n'est-il pas livré, par une sentence de Dieu, à la désolation ? L'antique état de choses n'a-t-il pas été aboli ? Ne faisiez-vous pas entendre aux Galates ce cri : " Vous qui vous attendez à être justifiés par la loi, vous êtes justifiés par la grâce ? " (Ga 5,4). Et pourquoi nous ranger de nouveau sous la servitude de la loi ? - Ce n'est pas une chose sans importance que de savoir si Paul est en contradiction avec lui-même. Non seulement il observe les jours, mais encore il garde d'autres préceptes de la loi, lui qui criait aux Galates : " C'est moi, Paul, qui vous le dis, si vous vous soumettez à la circoncision, le Christ ne vous servira de rien. " (Ga 5,2). Or, ce même Paul qui disait : " Si vous vous soumettez à la circoncision, le Christ ne vous servira de rien ", nous apparaît donnant la circoncision à Timothée. " Ayant trouvé, lisons-nous, à Lystre, un jeune homme, fils d'une femme juive, fidèle, et d'un père gentil, il le circoncit " ; ne voulant pas envoyer un docteur qui n'eût pas reçu la circoncision. (Ac 16,1). Que fais-tu, bienheureux Paul ? Tu condamnes, par tes discours, la circoncision, et tu l'approuves par tes oeuvres ? Je ne l'approuve pas, répond-il, par mes oeuvres ; mais je la combats. Timothée, en effet, avait pour mère une femme juive, fidèle, et pour père un gentil d'une race à laquelle la circoncision était inconnue. Comme Paul voulait charger Timothée d'évangéliser les Juifs, il se serait bien gardé de l'envoyer sans cette précaution, de crainte que la parole ne lui fût tout d'abord interdite. Pour préparer les voies à l'abolition de la circoncision, et les ouvrir à l'enseignement de Timothée, il le soumit à la circoncision, mais dans la pensée d'abolir cette cérémonie sans retour. Dans le même but, il disait : " Je me suis fait Juif avec les Juifs " (1 Co 9,20). Ce n'est pas qu'il redevînt Juif ; il voulait seulement persuader les Juifs qui restaient d'abandonner le judaïsme. C'est donc pour abolir la circoncision qu'il circoncit son disciple : en sorte qu'il se servit de la circoncision contre la circoncision. Timothée la reçut afin d'avoir accès auprès des Juifs, et, une fois introduit auprès d'eux, de les détacher insensiblement de cette observance.

Voyez-vous pour quelle raison Paul a observé la Pentecôte et la circoncision ? Vous le montrerai-je encore se soumettant à d'autres observances légales ? Soutenez votre attention. Il monta un jour à Jérusalem, et les Apôtres, l'ayant vu, lui dirent : " Tu vois, Paul, notre frère, combien de milliers de Juifs se sont réunis à nous ; et tous ont ouï dire que tu enseignais à renoncer à la loi. Que faire donc ? Suis notre conseil. Il y a ici quatre hommes qui ont fait un voeu ; prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, et rase-toi la tête avec eux ; et qu'ainsi tous sachent, à n'en pas douter, que tout ce qui a été dit de toi est faux, et que tu observes la loi de Moïse. " (Ac 21,20&endash;24). Quelle admirable condescendance ! Il observe les temps, mais pour abolir cette observance ; il administre la circoncision, mais pour abolir la circoncision ; il offre un sacrifice, mais pour abolir les sacrifices. Et qu'il le fasse dans ce dessein, ces paroles vous l'apprennent : " Avec ceux qui vivent sous la loi, je me conduis comme si j'étais moi-même sous la loi, afin de gagner ceux qui sont sous la loi. Quoique libre de tous liens, je me suis fait le serviteur de tous. " (1 Co 9,19&endash;21). Paul imitait en cela son Maître. De même que le Christ, qui, " étant Dieu par nature, n'a pas regardé comme une usurpation de S'égaler à Dieu, s'est néanmoins anéanti, prenant la forme d'un esclave ", devenant esclave de libre qu'Il était ; de même l'Apôtre, quoique libre à l'égard de tous, est devenu le serviteur de tous pour les gagner tous à Jésus Christ. Le Seigneur, en prenant notre nature, Se fait esclave pour rendre à des esclaves la liberté. " Il a abaissé les cieux, et Il est descendu ", afin d'introduire les habitants de la terre dans les cieux, " Il a abaissé les cieux. " (Ps 17,10). Il ne dit pas : Il a abandonné les cieux et Il est descendu ; mais : " Il a abaissé les cieux, afin de vous en rendre l'accès plus facile.

Tel est le modèle que Paul a imité, selon son pouvoir. De là ces paroles : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ. " (1 Co 14,16). Et comment toi, bienheureux Paul, es-tu l'imitateur du Christ ? - Comment ? Parce que jamais je ne cherche mes propres intérêts, mais toujours ceux du plus grand nombre, toujours leur salut ; parce qu'étant libre, je me suis fait sans réserve le serviteur de tous. Quelles conditions seraient préférables à cette servitude qui rend aux autres la liberté ? Paul était vraiment un pêcheur spirituel. " Je ferai de vous, avait dit le Sauveur, des pêcheurs d'hommes. " (Mt 4,19). C'est pour cela qu'il agissait de la sorte. Lorsque le poisson a mordu à l'hameçon, les pêcheurs ne le retirent pas sur-le-champ ; ils cèdent, et le suivent à une certaine distance, attendant que l'hameçon se soit bien enfoncé, pour retirer sûrement leur proie ; ainsi faisaient les apôtres. Ils jetaient l'hameçon de la parole doctrinale dans l'âme des Juifs ; mais ceux-ci l'emportaient inconsidérément et le conservaient, s'abandonnant à la circoncision, aux fêtes, à l'observance des temps, aux sacrifices, à la pratique de se raser la tête, et autres choses semblables ; mais les apôtres les suivaient partout et ne retiraient rien à eux. Vous réclamez la circoncision, semble dire Paul, je ne m'y oppose pas, au contraire, je vous suis ; il vous faut un sacrifice, je sacrifie ; vous voulez que je me rase la tête, quoique je n'appartienne plus à vos rangs, je suis prêt à faire ce que vous désirez ; voulez-vous que j'observe la Pentecôte, je ne ferai pas non plus ici de résistance. En quelque lieu que vous alliez, je vous suis, et je cède jusqu'à ce que l'hameçon de la doctrine ait pénétré assez profondément pour que je puisse, à coup sûr, retirer votre nation tout entière de son culte et de sa religion d'autrefois. Voilà pourquoi je suis venu d'Éphèse à Jérusalem. Voyez-vous comment, dans cette pêche spirituelle, Paul suit et ménage sa proie ? S'il observe le temps, s'il condescend à la circoncision, s'il prend part à des sacrifices, ce n'est pas pour revenir à l'antique religion des Juifs, mais pour emmener ceux-ci des figures auxquelles ils étaient attachés à la vérité elle-même.

Un homme qui serait assis sur un point élevé ne saurait, s'il y restait continuellement, y faire monter un homme assis plus bas ; il faut qu'il commence par descendre lui-même le premier, avant de conduire l'autre à cette hauteur. Ainsi, les apôtres sont descendus de la sublimité de l'évangile pour conduire les Juifs de la bassesse du judaïsme à la hauteur où ils étaient.

Que l'observance des temps et toutes les autres aient eu un but intéressant et utile, nous venons de le montrer clairement. Examinons maintenant pourquoi on lit, au temps de la Pentecôte, le livre des Actes des apôtres. En nous livrant aux considérations précédentes, notre dessein était de vous éloigner, à la vue de l'observance des temps, de la pensée que les apôtres se soient asservis aux idées judaïques. Prêtez-moi une attention soutenue, je vous en supplie ; la question que nous avons à traiter n'est point sans importance. Au jour de la croix, nous avons lu tout ce qui concernait la croix ; au grand jour du samedi, nous avons lu que notre Seigneur a été livré, crucifié, qu'Il est mort selon la chair, qu'Il a été enseveli. Pourquoi ne lisons-nous pas les Actes des Apôtres après la Pentecôte, puisque c'est alors qu'ils ont commencé et qu'ils se sont accomplis ? Je sais bien que ce point-ci est ignoré d'un grand nombre ; c'est pourquoi il est utile de vous le démontrer par le livre des Actes, de vous enseigner que les Actes des Apôtres ont commencé, non pas le jour de la Pentecôte, mais dans les jours qui l'ont suivie. À ce propos, on demanderait avec raison pourquoi tandis qu'il nous est ordonné de lire ce qui regarde la croix au jour même de la croix et de la passion, nous ne lisons pas les Actes des Apôtres dans les jours où ils se sont accomplis, et pourquoi nous prévenons ce temps ? Car les apôtres n'ont point accompli leurs miracles aussitôt après la résurrection du Christ, qui passa quarante jours à converser avec eux sur la terre. Quant au motif pour lequel Il conversa avec eux sur la terre, nous l'exposerons dans une autre circonstance. Pour le moment, revenons à notre sujet, et prouvons que le Christ, au lieu de monter au ciel aussitôt après sa résurrection, a passé quarante jours sur la terre avec ses disciples ; que non seulement Il est resté avec eux, Mais qu'Il a partagé leurs aliments, leur table, leur société, et qu'au bout de ces quarante jours, Il est remonté vers son Père dans les cieux ; que les apôtres n'ont point encore usé, à cette époque, du don des miracles ; que dix autres jours durent d'écouler ; que le cinquantième jour étant arrivé, le saint Esprit leur fut envoyé, et que, l'ayant reçu sous forme de langues de feu, ils commencèrent alors à opérer des prodiges. Tous ces points, mes bien-aimés, nous les prouverons par les Écritures. Ainsi nous prouverons que Jésus passa quarante jours avec ses disciples ; qu'après cinquante jours, le saint Esprit descendit sur eux, qu'ils reçurent alors des langues de feu, et qu'à partir de ce moment, ils opérèrent des miracles. Et qui nous raconte toutes ces choses ? Le disciple de Paul, le grand et vénérable Luc. Voici en quels termes il commence et s'exprime :

" J'ai écrit un premier ouvrage, ô Théophile, sur tout ce que Jésus a fait et enseigné dès le commencement, jusqu'au jour où Il monta au ciel, ayant instruit par le saint Esprit les apôtres qu'Il avait choisis. Il s'était montré à eux plein de vie après sa passion, de diverses manières, leur apparaissant durant quarante jours, et leur parlant du royaume de Dieu. Et, mangeant avec eux, Il leur ordonna de ne pas s'éloigner de Jérusalem. " (Ac 1,4). Vous le voyez : après sa résurrection, le Seigneur passe quarante jours sur la terre, entretenant ses apôtres du royaume de Dieu, et mangeant avec eux ; vous Le voyez S'asseoir à leur propre table. " Et Il leur ordonna de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père, que vous avez, dit-Il, entendue de ma bouche. Car Jean a baptisé dans l'eau ; mais vous serez baptisés dans le saint Esprit sous peu de jours. " (ibid. 4&endash;5). Ces paroles, le Sauveur les leur avait adressées durant ces quarante jours. " Ceux donc qui étaient présents, l'interrogeaient, disant : Seigneur, sera-ce en ce temps-ci que Tu rétabliras le royaume d'Israël ? Et Il leur répondit : Ce n'est point à vous de connaître les temps ni les moments que le Père a marqués dans sa Puissance. Vous recevrez la vertu du saint Esprit, qui viendra sur vous, et vous Me rendrez témoignage à Jérusalem, dans tout le pays de Judée et de Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. Et quand Il eut dit ces paroles, Il s'éleva en leur présence, et une nuée Le reçut et Le déroba à leurs yeux. " (Ibid. 6&endash;9). Voyez- vous comment le Christ et resté quarante jours sur la terre avec ses disciples, et comment, après ces quarante jours, Il est monté dans les cieux. Voyons, maintenant si le saint Esprit a été envoyé le jour de la Pentecôte.

" Le jour de la Pentecôte étant accompli, on entendit soudain un bruit venant du ciel, pareil à celui d'un vent violent qui approche ; et il leur apparut comme des langues de feu, qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun d'eux. " (Ac 2,1&endash;3). Voilà une démonstration irrécusable de ces deux points, que le Christ a passé quarante jours sur la terre, et que les apôtres n'accomplirent, durant ce temps, aucun miracle. Et comment en auraient-ils opéré, n'ayant pas encore reçu la grâce de l'Esprit, source de sainteté et de vie ? Voyez-vous Jésus montant dans les cieux au bout de quarante jours ? Voyez-vous les apôtres recevant dix jours après le pouvoir d'opérer des prodiges ? Le jour de la Pentecôte étant accompli, le saint Esprit leur fut envoyé. Il nous reste maintenant à chercher pour quelle raison on lit, au jour de la Pentecôte les Actes des Apôtres. Si les apôtres avaient commencé à opérer leurs prodiges après la résurrection du Seigneur, c'est à cette époque qu'on aurait dû faire la lecture de cet ouvrage. De même que nous lisons l'histoire de la croix au jour même de la croix, l'histoire de la résurrection et celle des autres mystères, aux jours où nous honorons ces mystères ; de même nous devrions lire l'histoire des miracles apostoliques aux jours où ils ont été accomplis.

Pourquoi donc ne faisons-nous pas alors cette lecture, et la faisons-nous aussitôt après la croix et après la résurrection ? Écoutez-en attentivement l'explication complète. Aussitôt après la croix, nous annonçons la résurrection du Christ. Or, les miracles des apôtres, miracles dont le livre des Actes nous offre le récit, sont la preuve de la résurrection. C'est pourquoi le livre qui établit le plus solidement la résurrection du Seigneur, nos pères ont ordonné d'en faire la lecture immédiatement après la croix et la résurrection qui nous ont rendu la vie. Telle est la raison, mes bien-aimés, pour laquelle, au sortir de la croix et de la résurrection, nous lisons les prodiges des apôtres ; c'est pour établir d'une façon évidente et incontestable la résurrection elle-même. Vous n'avez pas vu des yeux du corps le Sauveur ressuscité, mais vous Le voyez avec les yeux de la foi plein de vie. Vous ne L'avez pas vu ressuscité de vos yeux corporels, mais vous Le verrez, grâce à ces miracles ; car ils forment une démonstration qui vous conduit à la certitude de la foi. L'apparition même du Sauveur ressuscité constituerait une preuve moins claire et moins forte en faveur de ce dogme, que les prodiges opérés en son nom. Voulez-vous voir comment ces derniers établissent mieux la résurrection que l'apparition du Seigneur aux yeux de tous les hommes ? Accordez-moi une sérieuse attention.

Bien des gens, en effet, interrogent et disent : Pourquoi donc ne s'est-Il pas montré aux Juifs aussitôt après sa résurrection ? Réclamation vaine et superflue. Si le Christ avait dû gagner les Juifs à la foi, Il n'eût pas hésité à se montrer après sa résurrection à tous les regards ; mais que cette apparition n'eût point suffit à les convertir, Il nous le montre par l'exemple de Lazare. Quoiqu'Il eut rappelé à la vie ce mort de quatre jours, qui exhalait l'odeur infecte de la corruption, quoiqu'Il l'eût conduit couvert encore des bandelettes qui le liaient aux yeux des spectateurs, loin d'attirer les Juifs à la foi, Il excita leur courroux ; effectivement, ils vinrent dans le dessein de Le mettre à mort à cause de cela (Jn 22,6). Si, après la résurrection de Lazare, les Juifs refusent de croire en Jésus, supposé qu'Il se fut montré à eux ressuscité, ne les aurait-Il point enflammés de fureur ? Quoique leurs efforts eussent dû rester impuissants, néanmoins ils auraient tenté de mettre leur dessein impie à exécution. Or, Jésus voulant leur épargner cette fureur inutile, Se cacha à leurs yeux ; car Il n'eût fait qu'aggraver leur culpabilité en Se montrant à eux après la croix. En conséquence, par ménagement pour eux, Il Se déroba à leurs regards et ne Se manifesta que par le langage des miracles. Ce n'était pas une preuve inférieure à la présence visible du Sauveur ressuscité, que d'entendre Pierre s'écrier : " Au Nom de Jésus Christ, lève-toi et marche. " (Ac 3,6). Que ce soit là une excellente démonstration de la résurrection du Sauveur, qu'elle soit éminemment propre à répandre la foi, que des miracles accomplis au nom de Jésus eussent plus de puissance et plus d'efficacité pour gagner le coeur des hommes que la vie du Sauveur ressuscité ; en voici la preuve.

Le Christ ressuscité se montre aux disciples ; mais parmi ceux-ci il s'en trouva un d'infidèle : Thomas, surnommé Didyme, eut besoin de mettre les mains dans la place des clous ; il eut besoin de toucher le côté du divin Maître. (Jn 20,34). Si ce disciple qui avait passé trois ans avec le Seigneur, qui avait partagé sa table qui avait été témoin de ses plus grands et de ses plus extraordinaires prodiges, qui avait entendu sa doctrine, Le voyant ressuscité ne crut pas avant d'avoir examiné de près la place des clous et la blessure de la lance, comment, je vous le demande, la présence du Christ ressuscité aurait-elle suffi pour gagner à la foi l'univers entier ? Et qui oserait le soutenir ? Outre cette preuve, en voici une autre qui établit la supériorité démonstrative des miracles sur la présence visible du Sauveur ressuscité. La foule ayant entendu Pierre dire au paralytique : " Au Nom de Jésus Christ, lève-toi et marche ", trois mille hommes d'abord, cinq mille ensuite embrassèrent la foi du Christ ; le disciple, au contraire Le voit ressusciter, et il reste incrédule. (Ac 3,6). Telle est l'efficacité de cette preuve pour établir la foi de la résurrection. Le propre disciple du Sauveur Le voit et ne croit pas ; ses ennemis voient des miracles et se convertissent : tant les miracles avaient d'efficacité pour attirer à la foi de la résurrection, et persuader les Juifs avec plus de facilité que toute autre preuve. Et pourquoi parlé-je de Thomas ? Les autres disciples non plus ne crurent point à la première apparition de Jésus. Prêtez-moi une oreille attentive. Cependant, mon bien-aimé, n'allez pas les condamner ; le Christ ne les a pas condamnés, ne les condamnez pas davantage. D'ailleurs c'était un spectacle nouveau et étrange pour les disciples, que de voir le premier-né ressusciter d'entre les morts, et puis habituellement des prodiges aussi étonnants saisissent d'abord de stupeur ; il a fallu du temps pour que la foi en ces prodiges prît de la consistance dans les coeurs des fidèles. C'est précisément ce qui alors arriva aux disciples. Le Christ ressuscité d'entre les morts leur ayant dit : " La paix soit avec vous ; eux troublés et remplis de frayeur s'imaginaient voir un esprit. Et Jésus leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés ? " Après cela Il leur montra ses Pieds et ses Mains, et comme ils ne croyaient pas encore, tant ils étaient transportés de joie, et comme ils étaient dans l'étonnement, Jésus leur dit : " N'avez-vous là quelque chose à manger ? " voulant par ce moyen les persuader de la vérité de sa résurrection. (Lc 24,36-41). Mon côté, dit-Il, et mes plaies ne sauraient vous persuader ; que du moins la nourriture vous persuade.

Ce qui vous montrera clairement que, par ces paroles : " Avez-vous quelque chose à manger, " le Sauveur voulait empêcher ses disciples de voir en Lui une image vaine, un esprit ou un fantôme, et les convaincre de la réalité indubitable de sa résurrection, c'est l'usage que fait Pierre de ces faits, pour démontrer la même vérité. Après avoir dit : " Dieu L'a ressuscité, et a voulu qu'Il se manifestât à nous, témoins qu'Il avait choisis " pour établir la preuve de la résurrection, il ajoute : " À nous qui avons mangé et bu avec Lui. " (Ac 10,40&endash;41). C'est pour cela que le Christ ayant un jour ressuscité une jeune fille, pour montrer la vérité de cette résurrection, dit : " Donnez-lui à manger. " (Mc 5,43). Lors donc que vous entendrez dire que Jésus a passé quarante jours avec ses disciples, se montrant plein de vie à leurs regards et mangeant avec eux, reconnaissez le motif qui Le dirigeait. S'il partage leur nourriture, ce n'est point qu'Il en ait besoin, mais Il veut porter remède à leur faiblesse. Il est donc hors de doute que les prodiges et les miracles des apôtres constituent une démonstration puissante en faveur de la résurrection. Aussi le Christ leur disait-Il : " En vérité, en vérité, Je vous le dis, celui qui croit en Moi fera les oeuvres que Je fais, et il en fera même de plus grandes. " (Jn 14,12). La croix, par ce qu'elle avait d'extraordinaire, ayant scandalisé un grand nombre de personnes, il fallait qu'il s'opérât un plus grand nombre de miracles. Si, au contraire, le Christ était resté, comme le prétendaient les Juifs, dans le sein de la mort et du tombeau, et s'Il n'était pas monté au ciel, non seulement les miracles qui ont suivi la croix n'auraient pas dû s'opérer plus nombreux et plus grands, mais il ne faudrait même pas tenir compte des miracles qui l'ont précédée. Accordez-moi ici la plus grande attention. Comme ce que je vais dire démontre jusqu'à l'évidence la résurrection, je ne craindrai pas d'y revenir une seconde fois.

Avant la croix, le Christ avait opéré bien des miracles ; Il avait ressuscité des morts, purifié des lépreux, chassé les démons. Après cela Il fut crucifié, et, comme le soutiennent ces misérables Juifs, Il ne ressuscita pas. Que leur répondre ? Le voici : Comment, s'Il n'est pas ressuscité, a-t-on vu après sa mort des prodiges si éclatants accomplis en son Nom ? Nul homme, étant décédé, n'a opéré après son trépas des signes plus étonnants que de son vivant. Or, les signes qui ont suivi la croix sont plus étonnants, et en eux-mêmes et par la manière dont ils ont été accomplis. Ils ont été plus étonnants en eux-mêmes ; car jamais l'ombre du Christ n'a rappelé des morts à la vie, ce qu'a fait souvent l'ombre des apôtres, Ils ont été plus étonnants par la manière dont ils s'accomplissaient ; car le Sauveur, quand Il opérait des miracles, ordonnait en personne ; tandis que, après la croix, c'est en se servant de son Nom saint et vénérable que ses serviteurs font des choses plus grandes et plus sublimes. Or ceci fait ressortir sa Puissance avec plus de grandeur et d'éclat, puisqu'il est bien plus prodigieux qu'un autre, au moyen du Nom du Christ, ait accompli certaines merveilles, qu'il ne l'est de les Lui voir accomplir à Lui-même. Comprenez-vous, mon bien-aimé, l'excellence des signes opérés par les apôtres après la résurrection du Sauveur, qu'on les considère soit en eux-mêmes, soit dans la manière dont ils ont été accomplis ? C'est donc là une preuve irréfragable de la résurrection. Car, pour répéter ce que je disais tout à l'heure, si le Christ une fois mort n'était pas ressuscité, il aurait fallu que les miracles périssent et s'évanouissent avec Lui, or, loin de s'évanouir, ils n'en deviennent que plus brillants et plus glorieux. Si le Christ n'était point ressuscité, des hommes n'auraient point accompli en son Nom de semblables prodiges. Mais la vertu qui en opérait avant la croix en opérait également après la croix. Le Sauveur les opérait avant par Lui-même, Il les opérait après par ses disciples. Et pour que la preuve de sa résurrection fut entourée d'une plus vive lumière, les prodiges qui suivirent la croix furent plus merveilleux et plus étonnants que les prodiges précédents.

Et comment savons-nous qu'alors il s'est opéré des prodiges, demandera l'infidèle ? - Et d'où savons-nous que le Christ a été crucifié ? Par les divines Écritures, n'est-ce pas ? Or, que des prodiges aient été alors opérés, et que le Christ ait été crucifié, nous l'apprenons par les saintes Écritures. Elles nous racontent la première de ces choses aussi bien que la seconde. Si vous, notre contradicteur, vous prétendez que les apôtres n'ont point fait de miracles, vous ne faites que plus vivement ressortir la vertu et la grâce dont ils étaient animés, puisque sans miracle aucun ils auraient attiré à la vraie religion un si grand nombre de peuples. Voilà le plus grand et le plus inexplicable des prodiges, que des hommes sans fortune, sans ressources, sans considération, sans lettres, ignorants et obscurs, au nombre de douze, paraissent avoir gagné à leur cause sans aucun prodige, une infinité de villes, de nations, de peuples, de monarques, de tyrans, de philosophes, d'orateurs, et pour ainsi parler, la terre tout entière. Du reste désirez-vous maintenant contempler des miracles ? Je vous en montrerai de plus grands que les miracles d'autrefois ; je ne vous montrerai pas seulement un mort rendu à la vie, un aveugle rendu à la lumière, mais l'univers délivré des ténèbres de l'erreur. Je ne vous montrerai pas seulement un lépreux purifié, mais une infinité de nations délivrées de la lèpre du péché, et recouvrant dans le bain de la régénération leur pureté. Quel plus grand prodige désireriez-vous, ô hommes, à la vue d'un changement étonnant survenu soudain sur la face de la terre ?

Vous dirai-je encore comment le Christ a délivré le monde de son aveuglement ? Auparavant les hommes n'estimaient pas le bois et la pierre, du bois et de la pierre ; ils qualifiaient de divinités des êtres inanimés, tant leur aveuglement était profond ! Maintenant ils savent ce que c'est que le bois, ce que c'est que la pierre ; la foi leur apprend ce que c'est que Dieu. Car la foi seule nous découvre cette impérissable et bienheureuse nature. Vous montrerai-je encore une nouvelle preuve de la résurrection ? Vous verrez par les sentiments des disciples la résurrection suivie d'une chose des plus extraordinaires. Il arrive, et tout le monde en conviendra, que les personnes bien disposées à l'égard d'une autre, de son vivant, n'y penseront peut-être plus après sa mort ; pour celles qui sont mal disposées à son égard et qui se sont éloignées d'elles durant sa vie, à plus forte raison l'oublieront-elles après sa mort. D'où il suit que tout homme ayant abandonné ou négligé un ami ou un maître, n'y tiendra guère après son trépas, surtout s'il voit que son dévouement envers ce dernier attire sur sa tête une foule de dangers. Or, ce qui n'arrive à personne est arrivé au sujet du Christ et des apôtres. Eux qui L'avaient renié et abandonné pendant sa vie, qui L'avaient laissé charger de liens et qui avaient pris la fuite, s'attachent si fort à Lui après les opprobres de la passion et de la croix, qu'ils sacrifient volontiers leur vie pour sa confession et sa foi. Mais si le Christ est mort et n'est pas ressuscité, comment peut-il se faire qu'après L'avoir abandonné de son vivant au fort du péril, après sa mort ils aient bravé pour Lui toute sorte de dangers ? Tandis que les autres apôtres prenaient la fuite, Pierre Le reniait avec serment jusqu'à trois fois ; et pourtant ce disciple qui, cédant à la crainte que lui inspirait une misérable servante, L'a renié avec serment jusqu'à trois fois, pour nous convaincre par sa conduite qu'il avait vu le Christ ressuscité, change tellement après la mort de son Maître, qu'il se rit du peuple entier, et que, s'avançant en présence des Juifs, il annonce hautement que le Crucifié est sorti du tombeau, est ressuscité le troisième jour, qu'Il est monté aux cieux, et que pour Lui aucun péril ne l'effraie. D'où lui est venu ce courage ? Et d'où lui serait-il venu, sinon de la certitude qu'il possédait touchant sa résurrection ? Il avait vu le Sauveur, il s'était entretenu avec Lui, il L'avait entendu parler des choses à venir ; aussi, comme s'il se fût agi de périls à braver pour une personne vivante, il n'hésita pas à défier tous les maux quels qu'ils fussent, ayant été revêtu d'une force et d'une énergie telles qu'il endura la mort pour son Maître et qu'il fut attaché à la croix la tête en bas.

Puisque donc vous voyez les plus grands prodiges accomplis, les disciples qui avaient auparavant abandonné le Sauveur, Lui témoigner ensuite plus d'affection et montrer plus de dévouement, puisque vous voyez un changement éclatant survenu en toutes choses et les événements prendre une marche prospère et rassurante, apprenez par l'expérience elle-même que la mort n'a point été une barrière pour la mission du Christ, qu'à la mort a succédé la résurrection, et que Dieu, après avoir été crucifié, jouit néanmoins d'une vie éternelle et immuable. Jamais, s'Il ne fût ressuscité et plein de vie, les disciples n'auraient accompli de plus grands miracles après la croix qu'auparavant. Avant la croix, les disciples abandonnent le Christ ; maintenant la terre entière accourt à Lui ; non seulement Pierre, mais une foule d'autres, et un plus grand nombre encore après cet apôtre ont donné leur vie pour ce Sauveur qu'ils n'avaient pas vu, ont livré leur tête, ont souffert mille tourments, afin d'emporter avec eux la foi au Christ pure et entière. Comment donc ce Jésus qui, à ce que tu prétends, ô Juif, est mort et n'est pas sorti du tombeau, a-t-Il agi sur tous les hommes qui ont suivi ses exemples, avec assez de force et de puissance pour leur persuader de n'adorer que Lui seul et d'aimer mieux supporter et souffrir toute sorte de maux, que de sacrifier la foi qu'ils avaient en Lui ? Voyez-vous la vérité de la résurrection mise en lumière par toutes ces preuves, par les prodiges d'alors et par ceux d'aujourd'hui, par le dévouement des disciples d'alors et des disciples d'aujourd'hui, et par les dangers que les fidèles ne cessaient de braver ? Et voulez-vous voir encore ses ennemis redouter sa Puissance et sa Force, remplis d'une bien plus vive anxiété après la croix ? Écoutez et tâchez de comprendre ce qui en est rapporté.

" Les Juifs voyant la hardiesse de Pierre et de Jean, et sachant qu'ils étaient des hommes ignorants et sans lettres, étaient dans l'étonnement. " S'ils étaient dans l'anxiété, ce n'était pas à cause de l'ignorance des apôtres, mais parce que les apôtres, malgré leur ignorance, triomphaient de tous les sages. " Et voyant que l'homme guéri était avec eux, ils ne pouvaient les contredire. " (Ac 4,13, 14). Cependant, précédemment ils n'hésitaient pas à les contredire, malgré les prodiges dont ils étaient témoins. Pourquoi ne le font-ils pas en ce cas ? Parce que la Vertu invisible du Crucifié paralysait leur langue. C'est Lui qui fermait leurs bouches, Lui qui confondait leur hardiesse ; voilà pourquoi ils étaient debout, incapables de la moindre contradiction. Quand ils ouvrent la bouche, voyez-les avouer leur frayeur. " Vous voulez donc, s'écrient-ils, attirer sur nous le sang de cet ? " (Ac 5,28). Et pourquoi, s'il s'agit d'un homme ordinaire, pourquoi as-tu peur de son sang ? Tu as mis à mort bien des prophètes, tu as égorgé bien des justes, ô Juif, et tu n'as jamais eu peur de leur sang. Pourquoi ici cette frayeur ? C'est que le Crucifié remuait profondément leur conscience, et, dans l'impuissance où ils étaient de dissimuler leur effroi, ils faisaient malgré eux en présence de leurs ennemis l'aveu de leur propre faiblesse. Quand il s'agissait de Le crucifier, ils jetaient ce cri : " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ", tant ce sang leur inspirait de dédain ! Quand ils voient après la croix éclater sa Puissance, ils sont saisis d'anxiété et de crainte, et ils disent : " Vous voulez donc attirer sur nous le sang de cet homme ? " Mais si c'est un imposteur et un ennemi de Dieu, comme vous l'enseignez, misérables Juifs, pour quelle raison ce sang vous pénétrerait-il de crainte ? S'il en était ainsi, il vous faudrait plutôt vous glorifier de sa mort. Il n'en est pas ainsi, et c'est pour cela qu'ils tremblent.

Voyez-vous de toutes parts ses ennemis dans la crainte et l'effroi ? Voyez-vous leurs angoisses ? Apprenez aussi quelle est la charité du Crucifié. Ceux-là disaient : " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. " (Mt 27,25). Le Christ n'agit pas de la sorte, Il supplie son Père et Lui dit : " Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. " (Lc 23,34). Si le sang du Sauveur fût retombé sur eux et sur leurs enfants, il n'y eût point eu des apôtres parmi leurs enfants ; trois mille d'entre eux, ni cinq mille n'eussent pas ensemble embrassé la foi. Ainsi, tandis qu'ils se montrent cruels et sans coeur à l'égard de leurs enfants, tandis qu'ils méconnaissent la nature elle-même, Dieu Se montre le plus affectueux des pères et surpasse les mères par sa tendresse. À la vérité, le sang du Christ retomba sur les Juifs et sur leurs enfants, non sur tous leurs enfants, mais seulement sur ceux qui imitèrent l'impiété de leurs pères ; ceux qui étaient leurs fils, non par l'ordre de la nature, mais par la dépravation de la volonté, ceux-là partagèrent leurs châtiment. Et admirez ici une marque nouvelle de la Bonté et de la Miséricorde de Dieu. Au lieu de leur faire subir sur-le-champ leur peine et leur supplice, Il attend plus de quarante années après la croix. En effet, le Sauveur fut crucifié sous Tibère, et Jérusalem ne fut prise que sous Titus et Vespasien. Pourquoi laissa-t-Il s'écouler un pareil intervalle ? Pour leur donner le temps de faire pénitence, d'expier leurs péchés, de repousser au loin leurs prévarications. Quand, après le délai qui leur avait été accordé pour faire pénitence, leur opiniâtreté fut reconnue incurable, Dieu fit tomber sur eux le châtiment et le supplice, et, après avoir détruit leur capitale, les dispersa sur toute la terre. Encore ceci fut-il un acte de sa Miséricorde ; Il les dispersa, mais pour que sur tous les points de la terre ils vissent adorer Celui qu'ils avaient crucifié, afin qu'à la vue de ces adorations universelles rendues au Christ, instruits de sa puissance, ils reconnussent leur inconcevable impiété, et, qu'après l'avoir reconnue, ils revinssent à la vérité. Ainsi leur captivité devenait pour eux un enseignement, et leur châtiment une leçon. S'ils fussent demeurés en Judée, ils n'auraient pas vu s'accomplir la parole des prophètes. Et que disaient les prophètes ? " Demandez, et Je vous donnerai les nations pour héritage, et pour empire les extrémités de la terre. " (Ps 2,8). Il fallait donc qu'ils allassent jusqu'aux extrémités de la terre pour voir de leurs propres yeux que là aussi s'étendait l'empire du Christ. Un autre disait encore : " Et tous L'adoreront, chacun en son lieu. " (So 2,11). Il fallait donc qu'ils fussent dispersés sur tous les points de la terre, afin de voir de leurs propres yeux les hommes adorer le Christ chacun en son lieu. Un autre a dit aussi : " la connaissance de Dieu couvrira la terre comme les eaux couvrent le fond de la mer, " (Ha 2,14). Il fallait donc qu'ils parcourussent la terre entière, afin de la voir remplie de la connaissance du Seigneur et de voir les mers, c'est-à-dire ses églises spirituelles déborder de piété. Tels sont les motifs pour lesquels Dieu les a dispersés sur tous les points de la terre. S'ils étaient restés en Judée, ces choses leur auraient été inconnues. Le Seigneur Se proposait ainsi de les convaincre par leur propre expérience de la véracité des prophètes et de sa Puissance divine. Si leurs dispositions étaient bonnes, c'était un moyen de revenir à la vérité ; s'ils persévéraient dans l'impiété, ils n'avaient plus d'excuse au jour redoutable du jugement. En les dispersant chez tous les peuples, Il veut encore que nous en retirions nous-mêmes quelque avantage. Il veut qu'en présence des prophéties qui annoncent la dispersion des Juifs et la prise de Jérusalem, prophéties que l'on trouve parmi celles de Daniel, qui parlent de l'abomination et de la désolation, de Malachie, qui dit : " Un jour chez vous, les portes seront fermées " (Ml 1,10 ; Dn 9,27) ; parmi celles de David, d'Isaie et de plusieurs autres prophètes ; il veut qu'à la vue de ce peuple puni aussi rigoureusement de son ingratitude envers le Seigneur, privé de sa patrie, de sa liberté, de toutes ses lois et de la tradition de ses pères, nous reconnaissions la Puissance de Celui qui a prédit toutes ces choses et qui les a accomplies ; que ses ennemis reconnaissent sa Force à la prospérité dont nous jouissons, et que le supplice de ces malheureux nous découvre l'immensité de son Pouvoir et de sa Miséricorde, en sorte que nous ne cessions jamais de Le glorifier, afin d'obtenir les biens ineffables et éternels, par la grâce et la charité de notre Seigneur Jésus Christ, avec lequel gloire et puissance soient au Père, ainsi qu'à l'Esprit, source de sainteté et de vie, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.