PREMIERE HOMéLIE

De ceux qui n'assistent point aux assemblées de l'Église.
Qu'il ne faut point regarder avec indifférence les titres des divines Écritures.

De l'inscription de l'autel.
Des nouveaux illuminés.

Qu'est donc ceci ? Plus nos fêtes sont nombreuses, plus nos assemblées diminuent. Cependant, nous qui sommes présents, gardons-nous bien contre la négligence. Sans doute, nos assemblées sont moins considérables du côté de la foule, mais non du côté du zèle ; elles le sont moins par le nombre, mais non par le désir. Si elles diminuent, c'est pour signaler au regard ceux d'entre vous qui sont parfaits ; c'est pour que nous connaissions ceux qui, en voulant célébrer cette solennité annuelle, obéissent à l'habitude, ou bien à l'amour des discours divins, au désir d'entendre la doctrine spirituelle. Dimanche dernier, la ville tout entière était réunie, l'enceinte était remplie, et la foule qui allait et qui venait rappelait le mouvement des flots. Mais pour moi, le calme qui règne parmi vous est plus agréable que ces flots agités ; pour moi, j'attache bien moins de prix à ce tumulte et à ce trouble qu'à votre tranquillité. Alors, c'était la présence corporelle qui frappait, maintenant ce sont des sentiments remplis de piété. Si quelqu'un voulait peser en quelque sorte avec le même poids et la même balance, cette assemblée peu nombreuse et composée de pauvres en grande partie, et l'autre assemblée bien supérieure en nombre et composée en grande partie de personnes riches, la balance pencherait en faveur de la présente assemblée. Car si vous êtes moins considérables par le nombre, vous avez, par les sentiments, beaucoup plus de prix. Prenez dix statères d'or, mettez-les dans un des plateaux de la balance, mettez ensuite dans l'autre plateau cent pièces d'airain ; les cent pièces d'airain feront inévitablement pencher la balance de leur côté, et cependant les dix pièces d'or l'emportent de beaucoup en excellence naturelle, la substance dont elles se composent leur donnent une valeur bien supérieure. Il peut donc arriver que des personnes inférieures par le nombre, l'emportent de beaucoup sur une foule, au point de vue de la valeur et de l'utilité.

 

Mais pourquoi emprunté-je des comparaisons à l'ordre accoutumé des choses humaines, quand il me serait facile de vous citer une sentence de Dieu, péremptoire sur ce sujet ? Et que dit cette sentence ? " Un seul homme faisant la volonté du Seigneur vaut mieux qu'une infinité de prévaricateurs. " (Si 16,3) En effet, bien souvent un seul homme vaudra plus qu'une infinité d'autres. Et que dis-je, un seul homme vaudra plus qu'une infinité d'autres ? L'univers même le cédera à un seul homme en valeur et en utilité. Je puiserai la preuve de cette vérité dans les paroles de Paul. Après avoir rappelé des hommes dont la vie avait été traversée par la pauvreté, les persécutions, les épreuves, les mauvaises traitements, il ajoute : " Ils erraient couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, indigents, affligés, maltraités, eux dont le monde n'était pas digne " (He 11,35&endash;38) - Que dites-vous là ? De ces hommes privés de tout, maltraités, n'ayant pas de patrie, le monde ne serait pas digne ? Ne voyez-vous pas les nombres divers que vous mettez en présence ? - Je les vois, répond l'Apôtre ; et c'est pourquoi j'ai dit que le monde n'était pas digne de ces hommes. Je sais parfaitement à quoi m'en tenir sur la nature de ces pièces de monnaie. Mettez d'un côté la terre, la mer, les rois, les magistrats, en un mot le genre humain tout entier ; opposez-lui deux ou trois de ces pauvres, et je n'hésiterai point à soutenir que l'avantage sera en faveur de la pauvreté. On les chassait de leur patrie, mais il leur en restait une autre, la Jérusalem céleste. Ils vivaient dans l'indigence, mais ils étaient riches en piété. Ils étaient haïs des hommes, mais ils étaient chéris de Dieu. Et ces hommes, quels sont-ils ? Elie, Elisée et tous ceux qui leur ont ressemblé. Ne considérez point ceci, qu'ils n'avaient même point la nourriture nécessaire ; considérez que la bouche d'Elie a fermé et ouvert le ciel tour à tour, que son manteau de peau de brebis a détourné le cours du Jourdain.

Lorsque je pense à ces choses, j'éprouve à la fois des sentiments de joie et des sentiments de tristesse : des sentiments de joie, à cause de vous qui êtes ici présents ; des sentiments de tristesse, à cause de ceux qui n'assistent point à cette assemblée. Oui, la douleur torture, navre et brise mon coeur. Quel est l'homme, même parmi les plus insensibles, qui ne serait point navré de douleur à la vue de l'empressement plus vif avec lequel on court vers les choses du démon ? Quand même l'empressement vers les choses du démon et vers les choses de Dieu serait égal, nous ne pourrions invoquer ni justification, ni excuse : maintenant que celui-là l'emporte beaucoup sur celui-ci, que pourrions-nous avoir à dire ? Tous les jours les théâtres nous réclament, et personne d'hésiter, personne de rester en arrière et de prétexter la voix impérieuse des affaires : tous accourent avec la plus grande ardeur, comme s'ils étaient affranchis de toute sollicitude ; ni le vieillard n'a égard à ses cheveux blancs, ni le jeune homme ne songe aux ardeurs de la nature et de la concupiscence, ni le riche ne pense avilir sa propre dignité. Faut-il venir à l'église ? Il hésite, il balance, comme s'il avait à descendre de son élévation et de sa dignité, sauf à s'enfler ensuite d'orgueil, comme s'il avait fait à Dieu quelque faveur. Mais quand il s'agit d'aller au théâtre, où l'impureté frappe à la fois les yeux et les oreilles, il ne croit point se déshonorer, et manquer aux devoirs que lui imposent soit sa fortune, soit la noblesse de sa naissance. Je serais bien aise de savoir où sont maintenant ces hommes qui nous troublaient ces jours précédents ; car leur présence n'avait point d'autres résultats. Je serais bien aise de savoir ce qu'ils font en ce moment, et s'ils s'occupent à des choses plus importantes que vous ne faites vous-mêmes ; mais leurs occupations sont nulles ; il ne règne chez eux que l'orgueil. Quel excès de folie ! Et pourquoi, ô homme, ces pensées superbes ? Pourquoi estimes-tu nous accorder une faveur en venant ici prêter une oreille attentive aux choses qui intéressent le salut de ton âme ? Pour quelle raison, je te le demande, pour quels motifs cette jactance ? À cause de tes richesses ? À cause de tes vêtements de soie ? Et tu ne songes pas qu'ils sont l'oeuvre des vers, que nous en sommes redevables aux barbares, que les prostituées, les efféminés, que les violateurs de tombeaux, que les brigands en font habituellement usage ? Reconnais les richesses véritables ; descends enfin de ce trône élevé et bâti dans le vide ; envisage les misères de ta nature. Tu n'es que terre et poussière, que cendre légère, qu'ombre et fumée, qu'herbe et que fleur de l'herbe. Et c'est avec une pareille nature, dis-moi, que tu nourris de superbes pensées ? Mais c'est le comble du ridicule ; tu commandes à un grand nombre d'hommes, et de quoi te sert-il de commander aux hommes, si tu es toi-même le captif et l'esclave de tes passions ? On dirait d'un homme qui, après avoir été maltraité et criblé de coups chez lui par des esclaves, viendrait ensuite sur la place publique se glorifier de commander à autrui. Toi aussi, la vaine gloire te frappe, la luxure te meurtrit de coups, toutes les passions t'imposent leur caprice, et tu t'enorgueillis de commander à tes semblables ! Et plût à Dieu que tu leur commandasses véritablement, plût à Dieu que tu possédasses un mérite égal au leur !

Je ne prétends point par ce langage incriminer les riches, mais les hommes qui font un mauvais usage de leur richesse. La richesse n'est point un mal, pourvu que nous nous proposions d'en faire un usage convenable : ce qui est un mal, c'est l'orgueil, c'est l'arrogance. Si la richesse était un mal, nous ne demanderions pas tous à être transportés dans le sein d'Abraham, de ce patriarche qui possédait trois cent dix-huit esclaves. La richesse n'est donc point un mal, mais bien la manière illégitime dont on en use. De même que naguère, vous entretenant de l'intempérance, je ne m'en prenais point au vin, toute créature de Dieu étant bonne, et rien n'étant blâmable de ce que l'on prend avec actions de grâces ; de même maintenant je n'accuse point les riches, je ne décris point les riches, je flétris seulement les richesses dont on abuse et que l'on emploie au libertinage. Le nom même qu'elles portent, crémata, indique que c'est à nous d'user des richesses, et non de nous asservir aux richesses. Si on les appelle encore possession, c'est pour que nous les possédions et non pour que nous en soyons possédés. Pourquoi faites-vous de l'esclave le maître ; pourquoi intervertir ainsi les rôles ?

J'exprimais donc le désir de savoir ce que font en ce moment les fidèles qui n'assistent point à notre assemblée, et à quoi ils s'occupent. Sans doute, ils jouent aux dés, ou bien ils sont absorbés par des occupations séculières, inconciliables avec la paix. Si vous étiez ici, ô hommes, vous jouiriez du calme et de la sécurité du port. Un intendant ne viendrait point vous y troubler, un administrateur ne viendrait point vous y déranger, un serviteur ne vous y ennuierait pas à propos d'affaires mondaines ; personne, en un mot ne viendrait vous aigrir ; vous entendriez, dans une tranquillité parfaite, la divine parole. Ici point de flots, point de tourments, mais des bénédictions, des prières, un entretien spirituel, une conversation céleste ; et vous vous retireriez de ce lieu, ayant déjà reçu un gage du royaume du ciel. Pourquoi donc, négligeant cette table splendide, aller vous asseoir à une table grossière ? Pourquoi, abandonnant le port, échangez-vous le calme contre la tempête ? Sans doute l'absence des pauvres est une chose déplorable ; mais elle ne l'est point autant que l'absence des riches. Comment cela ? C'est que les pauvres ont des occupations nécessaires : ils ont le souci du travail de chaque jour. Obligés de gagner leur vie avec les bras, ils doivent songer à élever leurs enfants, à entretenir leurs épouses ; en sorte que, s'ils ne travaillent pas, ils ne sauraient suffire aux nécessités de la vie. Mon dessein, en ceci, n'est pas de les défendre, mais de montrer combien les riches l'emportent en culpabilité ; plus grande est leur indépendance, plus grave sera leur condamnation, par cela qu'ils ne subissent aucune des nécessités qui pèsent sur les pauvres. Voyez-vous ces Juifs, ces hommes qui s'attaquent, qui résistent au saint Esprit, ces hommes à la tête dure ? Eh bien, ils sont encore moins coupables que les riches absents. Que leurs prêtres leur disent de s'abstenir de tous travaux durant sept, dix, vingt, trente jours, ils ne les contredisent point. Et pourtant, quoi de plus fâcheux que cette oisiveté ? N'importe ; ils ferment leurs maisons, ils n'allument point de feu, ils ne vont point chercher de l'eau et ils n'osent mettre la main à une occupation de ce genre ; ils sont en quelque sorte enchaînés au repos, et ils ne cherchent point à briser ces chaînes. Pour moi, je ne vous demande pas de rester sept jours, dix jours sans travailler, mais de me prêter deux heures en une journée, et de garder les autres ; et vous ne m'accordez même point cette faible mesure. Que dis-je ? Ce n'est point à moi, c'est à vous-mêmes que vous consacrez ces deux heures. C'est afin que vous receviez quelque consolation de la prière de nos pères ; afin que vous vous retiriez comblés de bénédictions, afin que votre sécurité soit parfaite, afin que, revêtus d'armes spirituelles, vous puissiez défier toute attaque et tout assaut du démon. Et puis, je vous le demande, quoi de plus doux que les moments passés ici ? Quel bonheur, s'il nous fallait y passer la journée entière ! Quel asile plus sûr que celui où nous avons des frères en si grand nombre, où réside l'Esprit saint, où réside Jésus le Médiateur, et le Père de Jésus ! Où chercherez-vous une réunion semblable, un sénat semblable, un semblable synode ? La table sainte, la divine parole, les bénédictions, les prières, les réunions, vous offrent de biens de toutes parts ; et vous songez à passer ailleurs votre temps ! Et de quelle excuse seriez-vous dignes ?

Ce n'est point à vous, précisément, que s'adressent mes paroles ; vous n'avez point besoin de ces remèdes, vous, dont les actes prouvent la santé et l'obéissance, vous qui manifestez par tant de zèle votre affection. Si je vous tiens ce langage, c'est pour que les absents l'entendent de votre bouche. Ne vous bornez point à dire que j'ai vivement blâmé les fidèles qui ne viennent pas, mais exposez-leur mon discours tout entier. Parlez-leur des Juifs, parlez-leur des affaires de la terre ; dites-leur combien il est préférable d'assister à notre assemblée, parlez-leur du zèle qu'ils déploient pour les choses de ce monde ; dites-leur la magnifique récompense qui couronnera leur assiduité à ces réunions. Si vous disiez seulement que je les ai incriminés, vous éveilleriez leur courroux et vous les blesseriez au lieu de les guérir. Si, au contraire, vous leur montrez que loin de les incriminer comme un ennemi, je me suis attristé comme un ami, et si vous leur faites comprendre que " les coups d'un ami sont plus salutaires que les baisers empressés d'un ennemi " (Pr 27), ils accepteront avec joie cette réprimande, et ils auront égard non point au langage, mais aux sentiments de l'orateur. Travaillez ainsi au salut de vos frères. Si nous sommes responsables du salut des personnes ici présentes, vous l'êtes, vous, du salut des absents, puisque nous ne pouvons pas les entretenir par nous-mêmes. Que nous ayons en vous et dans votre doctrine un intermédiaire ; que nos discours soient, par votre langue, portés jusqu'à leurs oreilles. Ce que nous venons de lire touchant les absents, suffira sans doute, et il serait inutile d'en parler davantage. Il y aurait encore, à la vérité, bien des choses à dire ; mais pour ne point employer tout notre temps à ces récriminations, et pour ne point être complètement inutile à vous ici présents, qu'il me soit permis de vous offrir un repas également extraordinaire et nouveau ; je dis extraordinaire et nouveau, non point en tant que repas spirituel, mais eu égard à ce que vous avez coutume d'entendre.

Nous vous avons entretenus, les jours précédents, de paroles apostoliques et évangéliques, en nous occupant de Judas ; nous vous avons entretenus aussi de paroles prophétiques ; aujourd'hui nous nous proposons de vous parler des Actes des apôtres. C'est pour cela que j'ai dit de ce repas qu'il était extraordinaire et qu'il ne l'était pas. Il ne l'est pas, le livre des Actes faisant partie des divines Écritures ; il l'est, en ce que nos oreilles ne sont peut-être point habituées à entendre traiter ce sujet. Pour plusieurs personnes, ce livre ne leur est même pas connu ; pour plusieurs autres, elles le dédaignent, quoiqu'il leur paraisse facile à comprendre. Ainsi la connaissance pour les uns, l'ignorance pour les autres, deviennent une occasion de négligence. Afin donc que les ignorants apprennent, aussi bien que les gens qui s'imaginent tout comprendre, que ce livre renferme bien de profondeurs de pensées, il sera utile de confondre aujourd'hui la négligence des uns et des autres. Il nous faut savoir, en premier lieu, quel est l'auteur de ce livre. C'est un ordre excellent à suivre en cette question, que de voir d'abord si l'auteur est un homme ou si c'est Dieu. Si c'est un homme, n'en faisons aucun cas. " Ne donnez à personne sur la terre, disait le Sauveur, le nom de Maître " (Mt 23,8). Si Dieu en est l'auteur, acceptons ce livre ; car notre enseignement vient du ciel, et c'est la gloire de cette assemblée de n'apprendre rien des hommes et d'être instruite par des hommes qui sont les instruments de Dieu. Il nous faut donc examiner qui a composé ce livre, à quelle époque et sur quel sujet il a été composé, et pour quelle raison il nous est ordonné, en cette solennité, d'en faire lecture. Jamais vous ne l'avez entendu lire durant toute l'année. C'est là un point qu'il nous importe d'éclaircir. Après cela nous aurons à rechercher la raison de ce titre : Actes des apôtres.

Il ne faut point, en effet, traiter les titres indifféremment. Au lieu d'aborder sur-le-champ le commencement de l'ouvrage, il est bon de considérer le nom qui lui est donné. De même que, parmi les hommes, la tête fait mieux connaître le reste du corps, et que le visage, qui en occupe la partie supérieure, indique clairement la disposition des autres membres ; de même le titre, placé à la partie supérieure et en quelque sorte sur le front d'un ouvrage, nous donne une connaissance plus claire de ce qu'il contient. N'avez-vous point remarqué dans les portraits des empereurs, que l'image de leurs traits occupe la partie supérieure et porte le nom de l'empereur qu'elle représente, tandis que, à la partie inférieure, sont inscrits ses triomphes, ses victoires, ses hauts faits ? Les Écritures nous offrent aussi quelque chose de semblable. À la partie supérieure se trouve reproduite l'image impériale ; au-dessous sont racontés les triomphes, les victoires, les hauts faits. Nous agissons à peu près dans le même sens, quand nous recevons quelque lettre : nous n'allons pas sur-le-champ en rompre les liens, ni en lire aussitôt le contenu ; mais nous commençons par en examiner le titre, et nous apprenons de la sorte, et de qui vient la lettre, et à qui elle est adressée. Or, ne serait-il point déraisonnable d'agir avec tant de soin dans les choses du siècle, d'y éviter toute espèce de confusion et de désordre, d'aborder toute chose en son temps ; et dans le présent sujet de ne pas nous contenir, et de passer immédiatement au commencement de l'ouvrage ? Voulez-vous voir quelle est l'importance d'un titre, quelle en est la valeur, quels trésors renferme le nom que porte chacun des saints Livres ? Écoutez, et ne dédaignez pas les titres des divines Écritures. Cette histoire est racontée dans le livre qui nous occupe.

Paul entre un jour à Athènes ; il trouve dans cette ville, non point un livre divin, mais un autel consacré aux idoles. Sur cet autel, il avait un titre conçu en ces termes : Au Dieu inconnu. L'Apôtre ne regarde point cela avec indifférence, et il se sert du titre de l'autel pour renverser l'autel (cf. Ac 17,23). Paul le saint, Paul, rempli de la grâce de l'Esprit, s'arrête devant le titre de l'autel ; et vous ne vous arrêteriez pas devant le titre des Écritures ! Paul ne néglige pas un titre écrit par les Athéniens idolâtres, et les titres écrits par l'Esprit saint vous les estimeriez inutile ! Et quelle excuse pensez-vous obtenir ? Mais voyons les avantages dont ce titre est la source. Lorsque vous vous serez convaincus par vous-mêmes de la haute valeur d'une inscription gravée sur un autel, vous comprendrez que les titres des divines Écritures auront une valeur beaucoup plus haute. Paul entre donc dans une ville, et y trouve un autel portant cette inscription : Au Dieu inconnu. Que va-t-il faire ? Les habitants de cette ville sont tous Grecs, tous impies. À quel parti s'arrêtera-t-il ? Parlera-t-il de l'évangile ? Mais on s'en moquera. Parlera-t-il des prophètes et des commandements de la loi ? Mais on n'y croira pas. Que faire donc ? Il court vers l'autel, et il se sert des armes de ses ennemis pour en triompher. C'est là ce qu'il disait lui-même : " Je me suis fait tout à tous, Juif avec les Juifs, avec ceux qui n'avaient point de loi comme si je n'en avais point moi-même " (1 Co 9,21). Il voit l'autel, il voit l'inscription, et il cède au mouvement de l'Esprit. Telle est la grâce de cet Esprit divin : pour les personnes qui l'ont reçue, tout devient une source d'avantages. Telles sont nos armes spirituelles. " Nous réduisons en captivité, disait l'Apôtre, et nous assujettissons toute pensée à l'empire du Christ " (2 Co 10,5). Paul vit donc l'autel, et, loin d'être saisi de crainte, il se fait de cet autel une arme pour sa cause, ou plutôt, s'inquiétant peu des paroles, il en change le sens. Tel, à la guerre, un général voyant un soldat courageux combattre dans les rangs ennemis, saisit ce guerrier par la chevelure, l'entraîne dans ses propres rangs et le fait combattre ensuite pour sa propre cause ; tel Paul, apercevant l'inscription de l'autel, pour ainsi dire dans les rangs ennemis l'attire dans ses propres rangs, afin qu'elle combatte avec Paul contre les Athéniens, et non avec les Athéniens contre Paul ; car c'était un glaive pour les Athéniens, c'était une épée pour les ennemis, que cette inscription ; mais cette épée servit à trancher la tête des ennemis eux-mêmes. Ce ne serait point aussi étonnant si Paul eût vaincu avec ses propres armes : les choses se seraient passées comme elles se passent ordinairement. Mais, ce qui est étonnant et extraordinaire, c'est lorsque les armes des ennemis sont employées comme autant de moyens d'attaque contre les ennemis ; lorsque le trait lancé par eux contre nous retourne leur infliger une blessure mortelle.

Voilà quelle est la Vertu de l'Esprit. David autrefois agit de la même manière ; il se présenta sans armes au combat, afin que la grâce de Dieu brillât de tout son éclat. Loin de nous, dit-il, tous moyens humains, puisque Dieu combat Lui-même pour nous. Il s'avança sans armes, et il renversa cette tour vivante. N'ayant point d'armes, il courut s'emparer de l'épée de Goliath, et trancha ainsi la tête du barbare. Telle a été la conduite de Paul au sujet de cette inscription. Et pour que sa victoire paraisse dans tout son jour, je vous expliquerai la portée de l'inscription qui nous occupe. Paul trouve donc à Athènes un autel sur lequel il était écrit : Au Dieu inconnu. Or, quel était ce Dieu inconnu, sinon le Christ ? Comprenez-vous comment l'Apôtre a rendu en quelque sorte cette inscription à la liberté, non pour le malheur de ceux qui l'avaient écrite, mais dans leur intérêt et pour leur salut ? - Et quoi ! dira quelqu'un, est-ce que les Athéniens avaient le Christ en vue, quand ils écrivaient ces mots ? - Si les Athéniens, en écrivant ces mots, avaient eu en vue le Christ, il n'y aurait alors rien d'étonnant. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que les Athéniens aient rédigé cette inscription dans un but, et que Paul ait pu l'interpréter dans un autre. Il serait utile en premier lieu d'exposer pourquoi les Athéniens avaient inscrit ces mots : Au Dieu inconnu ? Quel était donc leur motif ? Ils adoraient un grand nombre de dieux, ou plutôt un grand nombre de démons ; car " tous les dieux des nations sont des démons " (Ps 95,4&endash;5). Ils avaient les dieux de leur pays et les dieux étrangers. Quelle moquerie ! Si Dieu existe, Il ne saurait être étranger, étant le Maître de la terre entière. Les Athéniens avaient reçu de leurs pères quelques-uns de leurs dieux, et les autres de plusieurs nations voisines, telles que les Scythes, les Thraces, les Égyptiens. Si vous étiez versés dans l'érudition profane, je vous rappellerais toutes ces histoires. Comme les Grecs n'avaient point eu tous ces dieux dans le commencement, et qu'ils les avaient reçus les uns après les autres, ceux-ci ayant été introduits par leur ancêtres, ceux-là de leur vivant, ils tinrent entre eux ce langage : De même que nous ne connaissions point ces dieux, puisque nous ne les avons reçus et connus que récemment ; de même il pourrait y avoir un autre dieu également inconnu de nous, que nous négligerions à notre insu, et qui ne recevrait pas nos hommages. Et que résolurent-ils ? Ils dressèrent un autel, et y écrivirent : Au Dieu inconnu. Inscription dont le sens était celui-ci : S'il y a quelqu'autre dieu que nous ne connaissions pas encore, à celui-là aussi nous accorderons nos adorations. Voyez jusqu'où allait leur superstition. C'est pourquoi Paul leur disait, en commençant : " Je vois qu'en toute chose vous poussez la superstition à l'excès " (Ac 17,22). Non seulement vous adorez les dieux que vous connaissez mais de plus ceux que vous ne connaissez pas. Tel était le motif pour lequel les Athéniens avaient écrit ces mots : Au Dieu inconnu, que Paul interprète à sa manière. Ceux-là les appliquaient à d'autres divinités, celui-ci les appliqua au Christ, enchaînant pour ainsi dire la pensée, et l'obligeant à combattre pour sa propre cause.

" Or, Celui que vous honorez sans Le connaître, je vous L'annonce en ce moment ", dit l'Apôtre ; car ce Dieu inconnu n'est autre que le Christ. Admirez sa sagesse spirituelle. Ils pouvaient lui opposer ces difficultés : " les dogmes dont tu entretiens nos oreilles sont des dogmes étrangers ; tu nous occupes de choses nouvelles, tu nous apportes un Dieu que nous ne connaissons pas. " Afin donc d'écarter tout soupçon de nouveauté, et de montrer que, loin de prêcher un dieu étranger, il prêche un Dieu que les Athéniens adoraient et honoraient précédemment, Paul ajoute ces paroles : " Ce Dieu que vous honorez sans Le connaître, je vous L'annonce en ce moment ". C'est vous qui m'avez prévenu : votre culte a devancé ma prédication. Ne m'accusez donc pas de vous apporter un Dieu étranger ; car le Dieu que je vous annonce est Celui que vous honorez sans Le connaître d'un culte, indigne sans doute de sa Majesté, mais pourtant véritable. Ce ne sont point de semblables autels qu'il faut au Christ, ce sont des autels vivants et spirituels. Mais je puis vous conduire de l'un de ces autels à l'autre. Les Juifs honoraient autrefois Dieu de la sorte ; mais ils se sont éloignés de ce culte corporel, en embrassant la foi, et ils sont passés au culte spirituel. Voyez-vous la sagesse de Paul, voyez-vous sa prudence, voyez-vous comment cette inscription, sans qu'il recoure à l'évangile et aux prophètes, lui fournit un sujet de triomphe ? Ne passe donc point indifféremment, mon bien-aimé, devant le titre des livres sacrés ; si tu es sobre et vigilant, tu retireras de grands avantages des livres profanes eux-mêmes. Si, au contraire, tu tombes dans la négligence et la torpeur, les saintes Écritures mêmes te seront inutiles. De même qu'un trafiquant habile trouve partout une occasion de gain ; de même l'ignorant, trouverait-il un trésor, se retirera les mains vides. Vous citerai-je encore un texte semblable que l'on applique dans un autre sens, et dans lequel l'évangéliste trouve une confirmation de sa cause ? Prêtez-moi donc une attention soutenue, et vous verrez que lui aussi assujettit la pensée à l'obéissance du Christ ; et vous verrez que si nous pouvons asservir à notre cause ce qui ne nous appartient pas, à plus forte raison obtiendrons-nous sur notre propre terrain des avantages et des profits considérables.

Caïphe était grand-prêtre, cette année. Nouvelle preuve de la perversité des Juifs : ils avaient déshonoré le caractère sacerdotal au point de faire du grand pontificat une chose vénale. Il n'en était point ainsi auparavant ; à la mort seule expirait la charge de grand-prêtre. Mais, en ce temps-ci, les pontifes renonçaient de leur vivant à cette dignité. Caïphe étant donc grand-prêtre cette année-là, ameutait les Juifs contre le Christ, et, n'ayant aucun crime à lui reprocher, rongé par la jalousie, il disait : Il faut que cet homme meure. Telle est l'envie ; voilà comment, elle reconnaît les bienfaits qu'elle a reçus. Puis, Caïphe découvrant le but de ce complot, ajoute : " Il est utile qu'il meure un homme, afin que la nation ne périsse point tout entière " (Jn 11,50). Remarquez comment la force de ce mot s'est tournée en notre faveur. Quoique la parole soit du grand-prêtre, vous voyez cependant que le sens a pu en être spirituel. " Il est utile qu'un seul homme meure, afin que la nation ne périsse pas tout entière. " Il ne parlait point ainsi de lui-même, poursuit l'évangéliste ; mais étant le grand-prêtre de cette année, il prophétisa que le Christ devait mourir, non seulement pour les Juifs, mais pour la race humaine tout entière. De là ces mots : " Il est utile qu'un seul homme meure, afin que la nation entière ne périsse pas. " Telle est la puissance de Dieu ; voilà comment Il oblige la langue des ennemis à rendre témoignage à la vérité.

Que nous ne devions point négliger les titres des divines Écritures, nous l'avons suffisamment établi, pourvu que vous vous en souveniez. Je désirerais encore vous dire quel est l'amour de ce livre, en quel temps et pour quel but il l'a composé. Mais bornons-nous à retenir ce qui précède, sauf à vous satisfaire sur ces derniers points, si Dieu le permet. En ce moment je veux adresser la parole aux nouveaux illuminés. J'appelle nouveaux illuminés et ceux qui l'ont été il y a deux, trois ou dix jours, et ceux qui l'ont été il y a déjà plus d'une année et plus longtemps encore ; car à tous convient cette appellation. Occupons-nous avec zèle de nos âmes, et nous aurons le droit, au bout de dix années, de réclamer ce titre, quand nous aurons conservé la jeunesse dont nous a revêtus le baptême. Ce n'est point le temps qui fait le nouvel illuminé, mais la pureté de vie. Il est facile, si l'on n'y prend garde, de perdre après deux jours le droit de porter ce titre. Je vous rapporterai un exemple à ce sujet, et je vous dirai comment un nouvel illuminé perdit, au bout de deux jours, cet honneur et cette grâce. Je dis un exemple, afin qu'à la vue de cette chute vous travailliez à assurer votre propre salut. Ce ne sont point seulement les fidèles qui restent debout, mais encore ceux qui sont tombés, dont le souvenir doit servir à vous guérir et à vous réformer. Simon le Magicien s'était converti ; après son baptême il s'était attaché à Philippe, dont il voyait les miracles. Mais, peu de jours après, il retourne à sa perversité première, et il veut acheter à prix d'argent son salut. Que répond Pierre à ce nouvel illuminé : " Je vois que tu es rempli d'un fiel amer, et enchaîné à l'iniquité. Prie donc le Seigneur afin qu'il te pardonne ta malice " (Ac 8,22&endash;23). Il n'était point encore entré dans la carrière, et le voilà faisant sur-le-champ la plus déplorable des chutes. S'il est facile de tomber, après deux jours, et de perdre le nom et la grâce de nouvel illuminé, il l'est également de conserver dix ans, vingt ans, et jusqu'à notre dernier soupir, ce nom si beau, cet avantage si précieux. Nous en avons pour témoin Paul lui-même, qui, dans sa vieillesse, brillait du plus vif éclat. Ce n'est point là une jeunesse qui dépende de la nature, et ces deux choses dépendent de notre volonté ; il est en notre pouvoir ou de vieillir, ou de conserver notre jeunesse. En ce qui regarde le corps, quelques soins que l'on prenne, quelques moyens que l'on emploie, quelques ménagements que l'on ait, resterait-on constamment dedans, et lui épargnerait-on tout labeur pénible et toute fatigue ; telle est la loi de la nature qu'il subira infailliblement les atteintes de la vieillesse. Il n'en est point de même pour l'âme : vous aurez beau la tourmenter, vous aurez beau l'assujettir aux peines de cette vie et aux soucis de ce monde, elle n'en conservera pas moins une inaltérable jeunesse. Voyez les astres qui brillent dans les cieux. Il y a plus de six mille ans qu'ils resplendissent, et il n'en est point un seul dont l'éclat ait été obscurci. Si, dans l'ordre de la nature, la lumière conserve la même vivacité, dans l'ordre de la volonté la lumière ne conservera-t-elle pas mieux son état originaire ? Elle ne se bornera pas, si vous voulez, à le conserver, mais elle gagnera tellement en splendeur qu'elle le disputera aux rayons du soleil lui-même.

Voulez-vous comprendre comment on peut être encore au bout d'un très long temps nouvel illuminé ? Écoutez le langage de Paul à des hommes qui l'avaient été si longtemps auparavant : " Vous brillez parmi eux comme des astres dans le monde, conservant pour ma gloire la parole de vie " (Ph 2,15&endash;16). Vous vous êtes dépouillés de vos vêtements vieux et en lambeaux, vous avez reçu l'onction du baume spirituel, vous avez recouvré tous la liberté : que nul ne revienne désormais à son premier esclavage. C'est une guerre, c'est un combat que vous avez à soutenir. Or l'esclave n'a point le droit de combattre, le serviteur n'a point le droit de porter les armes. Trouve-t-on quelque esclave parmi les soldats, on le flétrit et on le chasse de leurs rangs. Ce n'est pas seulement dans le service militaire, mais encore aux jeux olympiques que l'on observe cet usage. Après une résidence de trente jours, on conduit les athlètes hors de la ville, et ils passent sous les regards de l'assemblée entière, tandis que le héraut crie : A-t-on dire quelque chose contre celui-ci ? De façon à ce que nul ne mette le pied dans l'arène qu'après avoir été à l'abri de tout soupçon de condition servile. Si le démon ne veut point d'esclaves dans ses combats, comment avez-vous l'audace, vous qui êtes l'esclave du péché, d'aborder les combats du Christ ? Là, le héraut demande si l'on n'a rien à reprocher à l'athlète : ici le Christ ne parle point de la sorte, serions-nous incriminés par tout le monde avant le baptême. - Pour Moi, dit-Il, Je vous accepte, Je vous délivrerai de la servitude, et, après vous avoir rendu la liberté Je vous introduirai dans la carrière. - Voyez-vous la bonté de notre agonothète ? Il ne s'inquiète pas de nos précédents, mais des actions postérieures au baptême ; Il nous en demande compte. Quand vous étiez encore esclave, vous aviez une infinité d'accusateurs, la conscience, vos péchés, tous les démons. Néanmoins, dit le Sauveur, aucun ne M'a irrité contre vous ; Je ne vous ai point estimé indignes de mes combats, et Je vous ai donné accès dans l'arène, ayant égard non pas à vos mérites, mais à ma Miséricorde.

Restez-y donc et combattez, qu'il s'agisse de la course, du pugilat, du pancrace ; faites-le au grand jour avec un dessein et un but déterminés. Écoutez un trait de Paul : À peine montait-il de la piscine et avait-il reçu le baptême, qu'il marchait au combat, prêchant que Celui-là est le fils de Dieu, et confondant ainsi les Juifs, dès sa conversion. Vous ne pouvez point, vous, prêcher, et vous n'avez point à disperser la parole doctrinale ? Eh bien, enseignez par vos oeuvres, par votre conduite, par l'éclat de vos actions, " Que votre lumière, disait le Christ, brille aux regards des hommes, afin que les hommes voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " (Mt 5,16). Vous ne pouvez confondre les Juifs de vive voix ? Faites en sorte de les confondre par vos moeurs ; faites en sorte d'émouvoir par votre changement les Grecs eux-mêmes. Lorsqu'ils vous verront, vous, naguère impudique, méchant, indifférent et corrompu, changé tout à coup, et confirmant ce changement, dont la grâce est le principe, par le changement de vos moeurs, ne seront-ils pas confondus et ne diront-ils pas ce que les Juifs disaient autrefois de l'aveugle : " C'est lui, ce n'est pas lui, non, c'est lui ? " (Jn 9,8).

Langage étonnant, signe d'une confusion véritable ; ils doutent sur un point qu'ils connaissent fort bien, ils sont divisés entre eux, ils n'ajoutent foi ni à leur propre conscience, ni à leurs propres yeux. L'aveugle de l'évangile recouvra la lumière du corps ; vous avez recouvré, vous, la lumière de l'âme. Il put lever les yeux vers le soleil qui nous éclaire ; levez-les, vous, vers le Soleil de justice. Vous avez reconnu votre Maître ; que vos actions soient en rapport avec cette connaissance, afin d'obtenir le royaume des cieux, par la grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, par lequel et avec lequel gloire, honneur, puissance soient au Père ainsi qu'à l'Esprit, source de sainteté et de vie, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Amen.