L'ICÔNE DE LA MÈRE DE DIEU
Mère de Dieu “Fédorovskaïa”
Au tout début du XII ème siècle, la Russie était une mosaïque de principautés. Les princes partaient toujours en guerre les uns contre les autres, si bien que le sang coulait constamment. A cette époque vécut le prince Youri Dolgorouki, fils de Vladimir Monomakh; il reçut en héritage la ville de Souzdal, mais il convoitait un trône plus prestigieux, celui de Kiev. Il parvint finalement à satisfaire son ambition, et il mourut à Kiev.
Ce prince était dur et sa vie mouvementée. Le peuple ne l'aimait guère, bien qu'il eût à son actif la construction de nombreuses villes, comme Moscou, Kostroma et, parmi d'autres encore, Gorodets, qui fut fondée en 1152. Près de Gorodets se trouvait une chapelle très particulière : un tronc creux de chêne, devenu lisse comme un os après avoir perdu son écorce, abritait une icône de la Mère de Dieu, vénérée par les habitants de la région comme icône miraculeuse. Autour de cette chapelle s'étendait un vieux cimetière, sur l'emplacement duquel se trouvait autrefois un monastère. On racontait que l'icône avait été placée derrière l'autel de l'église.
Sous le règne du prince Youri Dolgorouki, on construisit à Kostroma une cathédrale dédiée au grand martyr Théodore Stratilate, qui prit ainsi la ville sous sa protection. Une autre cathédrale en pierre, consacrée à l'Archange Michel, fut édifiée simultanément à Gorodets. Les habitants de Gorodets demandèrent au prince Youri de transporter l'icône de la Mère de Dieu de la chapelle à la cathédrale.
Le prince se rendit donc à la chapelle, entouré d'une procession de prêtres portant des croix, des cierges et des encensoirs. Après un office d'action de grâces, il voulut enlever l'icône. Bien que celle-ci ne fût pas grande, il ne parvint pas à la déplacer. Là n'était donc pas la volonté de Dieu. Troublé, le prince se mit à genoux, pria, et s'approcha de l'icône une seconde fois. La deuxième tentative fut aussi vaine que la première : l'icône resta aussi immobile qu'un roc. Un archiprêtre s'approcha, mais il connut le même échec.
Le prince comprit donc que l'icône désirait rester en ces lieux, et il ordonna la construction d'un monastère. Quelque temps plus tard, on y consacra une église, et la Mère de Dieu retrouva sa place initiale, derrière l'autel. On constata à ce moment-là que la grande martyre Parascève était peinte derrière l'icône. Très vite, le monastère se remplit d'un grand nombre de moines, et beaucoup d'entre eux furent glorifiés pour la piété de leur vie.
En 1237, le tatare Batou Khan envahit la Russie. L'année suivante, il détruisit de nombreuses villes dont Kostroma et Gorodets. Le monastère où se trouvait l'icône fut également dévasté. On reconstruisit peu à peu Gorodets, ainsi que son monastère, mais sans retrouver l'icône qui semblait avoir disparu dans l'incendie.
Un jour de 1272, le prince Basile de Kostroma, frère d'Alexandre Nevsky, partit pour la chasse. Dans la forêt, une icône de la Mère de Dieu lui apparut sur un arbre, sans toutefois lui permettre de la prendre. Une procession de prêtres, portant des croix, des cierges et des encensoirs, vint chercher l'icône dans la forêt, et la porta jusque dans la cathédrale de Saint Théodore Stratilate. Peu après, quelques habitants de Gorodets qui avaient jadis survécu au massacre de Batou Khan reconnurent cette icône comme étant celle que le prince Youri Dolgorouki n'avait pu déplacer autrefois dans leur chapelle. Trente cinq années s'étaient écoulées depuis que Gorodets avait été privé de sa sainte icône miraculeuse. L'émotion fut grande et on raconta tous les miracles accomplis par l'icône à Gorodets :
En ces temps-là, de nombreuses personnes venaient d'autres villes pour vendre ou acheter, selon la coutume des marchands. Il en était de même des habitants de la ville de Gorodets, qui venaient vendre et acheter à Kostroma. Ayant entendu parler de l'icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu, de ses nombreuses guérisons et de ses glorieux miracles, ces gens pénétrèrent dans la sainte église pour prier la Très Sainte Mère de Dieu devant son icône miraculeuse. Ils reconnurent la sainte icône et soupirèrent du fond du coeur. Se parlant les uns aux autres, ils disaient : Ami ! Voici que la Très Sainte Vierge a laissé notre ville sans aide et sans intercession et que nous sommes devenus orphelins. La lumière de nos yeux s'est cachée ! C'est comme un soleil sans déclin qui se serait éloigné de nous ! A cause des larmes, ils avaient du mal à raconter : En vérité ! Cette icône miraculeuse était chez nous, à Gorodets, beaucoup de miracles furent accomplis par elle, Dieu sait combien de temps, combien d'années elle est restée chez nous ! Nous ne savons pas qui l'a peinte.
Le prince Basile ordonna de peindre une copie de l'icône, qui fut envoyée à la communauté monastique de Gorodets : on la plaça, comme l'originale, derrière l'autel. A partir de cette époque, l'icône miraculeuse qui se trouvait dans la cathédrale de Saint Théodore Stratilate commença à être appelée Féodorovskaïa, en hommage à Saint Théodore. Le même nom fut attribué à la copie de Gorodets, ainsi qu'au monastère. La copie devint bientôt miraculeuse à son tour, comme l'atteste le chroniqueur du monastère, qui écrivit : «De temps en temps, des signes de la grâce se manifestaient par la Mère de Dieu».
Un autre miracle vaut la peine d'être mentionné, par l'intermédiaire d'un texte liturgique : «Désirant glorifier Ta sainte icône, Ô Mère de Dieu, Ton Fils ordonna au grand et saint martyr Théodore Stratilate de la porter à travers la ville, afin que tous, à la vue d'un tel miracle, chantent Alleluia de leur coeur empli de gratitude.» Le Seigneur a donc ordonné au protecteur de Kostroma de se relever d'entre les morts, et de passer avec l'icône par les rues de la ville, le jour de cette grande fête de l'Église qu'est la Dormition de la Mère de Dieu. Le récit de l'apparition de l'icône miraculeuse de la Mère de Dieu «Féodorovskaïa» atteste que «le peuple vit la sainte icône portée à travers la ville par un guerrier qui ressemblait fort par son aspect à saint Théodore Stratilate». Les habitants de la ville ne prirent vraiment conscience de la grandeur du miracle que le lendemain, lorsqu'ils furent illuminés par l'icône à l'intérieur de la cathédrale.
Dès son installation dans la cathédrale, de nombreux malades, sourds, muets et aveugles, furent guéris. Les prières à la Mère de Dieu devant son icône permirent d'exorciser des possédés. A l'endroit même où l'icône était apparue, le prince fit édifier une église consacrée à la Sainte Face, et un monastère avec deux églises, dont une fut dédiée au Sauveur et l'autre à la Présentation au Temple de la Mère de Dieu. Par la suite, la restauration de 1806 vit la construction d'un autel consacré à l'icône Féodorovskaïa.
Il n'est pas possible de relater ici tous les événements touchant cette icône depuis son apparition. Citons tout de même les plus récents, qui peuvent être considérés comme miraculeux : après la révolution, l'église édifiée à l'emplacement de l'apparition de l'icône miraculeuse de Kostroma ne fut ni détruite, ni même fermée par les pouvoirs successifs de l'époque, en dépit de la campagne menée dans la presse et dans les rangs des ouvriers athées des usines depuis 1920. Après 1964, l'icône fut placée dans l'église de la Résurrection. En 1990, elle fut portée en procession par deux hiérarques et de nombreux fidèles, ce qui n'avait pas eu lieu depuis 1921. En 1991, on la transporta dans la cathédrale de la Théophanie, où elle doit encore se trouver aujourd'hui. C'est l'une des rares icônes qui fut laissée à la vénération des fidèles, peut-être en raison de son état qui ne permettait pas de restauration.
Notons enfin qu'un des éléments caractéristiques de cette icône, du type des «Vierges de Tendresse», est la jambe gauche dénudée de l'Enfant. Cette icône est fêtée le 16 août.
C'est avec cette icône qu'a été béni Michel Fédorovitch, le premier souverain de la dynastie des Romanov, couronné le 14 mars 1613. L'icône est ainsi devenue la patronne des Romanov, qui la vénéraient dans la chapelle du Palais d'Hiver à Saint Pétersbourg.