LA VIE DE LA TOUTE SAINTE –
dans l’iconographie et le Protévangile de Jacques

Le nom de Protévangile fut donné au XVIe siècle par l'humaniste français qui le publia en Occident, parce que le texte relate des événements antérieurs aux récits des évangiles canoniques. Le plus ancien manuscrit connu (Papyrus Bodmer 5) porte le titre : Nativité de Marie, Révélation de Jacques. Le livre se dit écrit par l'apôtre Jacques, frère de Jésus. Il est très ancien (milieu du second siècle) et s'inspire librement des récits canoniques de l'enfance. L'écrit a connu à travers les siècles une grande fortune : il a inspiré d'autres livres du même genre, dont le plus connu est l'évangile du Pseudo-Matthieu (VIe siècle). L'art chrétien y a abondamment puisé. Ce écrit se dit apocryphe et n’est pas dans le canon de la sainte Écriture.

I.1. Les histoires des douze tribus racontent qu'un homme fort riche, Joachim, apportait au Seigneur double offrande, se disant : «Le supplément sera pour tout le peuple et la part que je dois pour la remise de mes fautes ira au Seigneur, afin qu'il me soit propice.»
I.2. Vint le grand jour du Seigneur, et les fils d'Israël apportaient leurs présents. Or Ruben se dresse devant lui et dit : «Tu n'as pas le droit de déposer le premier tes offrandes, puisque tu n'as pas eu de postérité en Israël.»
I.3. Joachim eut grand chagrin, et il s'en alla consulter les registres des douze tribus du peuple, se disant : «Je verrai bien dans leurs archives si je suis le seul à n'avoir pas engendré en Israël !» Il chercha, et découvrit que tous les justes avaient suscité une postérité en Israël. Et il se souvint du patriarche Abraham; sur ses vieux jours, le Seigneur Dieu lui avait donné un fils, Isaac.
I.4. Alors, accablé de tristesse, Joachim ne reparut pas devant sa femme, et il se rendit dans le désert; il y planta sa tente et, quarante jours et quarante nuits, il jeûna, se disant : «Je ne descendrai plus manger ni boire, avant que le Seigneur mon Dieu m'ait visité. La prière sera ma nourriture et ma boisson.»


II.1. Et sa femme Anne avait deux sujets de se lamenter et de se marteler la poitrine. «J'ai à pleurer, disait-elle, sur mon veuvage et sur ma stérilité !»
II. 2. Vint le grand jour du Seigneur. Judith, sa servante, lui dit : «Jusqu'à quand te désespéreras-tu ? C'est aujourd'hui le grand jour du Seigneur. Tu n'as pas le droit de te livrer aux lamentations. Prends donc ce bandeau que m'a donné la maîtresse de l'atelier. Je ne puis m'en orner, car je ne suis qu'une servante, et il porte un insigne royal.»

II.3. Anne lui dit : «Arrière, toi ! Je n'en ferai rien, car le Seigneur m'a accablée d'humiliations. Et peut-être ce présent te vient-il d'un voleur et tu cherches à me faire complice de ta faute.» Et Judith la servante dit : «Quel mal dois-je te souhaiter encore, de rester sourde à ma voix ? Le Seigneur Dieu a clos ton sein et ne te donne point de fruit en Israël !»

II.4. Alors Anne, malgré son désespoir, ôta ses habits de deuil, se lava la tête et revêtit la robe de ses noces. Et vers la neuvième heure, elle descendit se promener dans son jardin. Elle vit un laurier et s'assit à son ombre. Après un moment de repos, elle invoqua le Maître : «Dieu de mes pères, dit-elle, bénis-moi, exauce ma prière, ainsi que tu as béni Sarah, notre mère, et lui as donné son fils Isaac.»

III.1. Levant les yeux au ciel, elle aperçut un nid de passereaux dans le laurier. Aussitôt elle se remit à gémir : «Las, disait-elle, qui m'a engendrée et de quel sein suis-je sortie ? Je suis née, maudite devant les fils d'Israël. On m'a insultée, raillée et chassée du temple du Seigneur mon Dieu.

 

III.2. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même aux oiseaux du ciel, car les oiseaux du ciel sont féconds devant ta face, Seigneur. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même aux animaux stupides, car les animaux stupides sont eux aussi féconds devant toi, Seigneur. Las, à quoi se compare mon sort ? Non plus aux bêtes sauvages de la terre, car les bêtes sauvages de la terre sont fécondes devant ta face, Seigneur.

III.3. Las, à quoi se compare mon sort ? A ces eaux non plus, car ces eaux sont tantôt calmes tantôt bondissantes, et leurs poissons te bénissent, Seigneur. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même à cette terre, car la terre produit des fruits en leur saison et te rend gloire, Seigneur.»

IV.1. Et voici qu'un ange du Seigneur parut, disant : «Anne, Anne, le Seigneur Dieu a entendu ta prière. Tu concevras, tu enfanteras et l'on parlera de ta postérité dans la terre entière.» Anne répondit : «Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je ferai don de mon enfant, garçon ou fille, au Seigneur mon Dieu et il le servira tous les jours de sa vie.»