Lorsqu'un iconographe peint une icône, il ne peint pas selon son imagination - ce qui est le propre de l'art religieux en Occident depuis la Renaissance - mais il se tient à des prototypes. Il prend une ou plusieurs icônes ou reproductions d'icône comme modèle, qui lui servent de prototype.
Un iconographe débutant, certes, reproduira servilement le modèle, ce qui est bien, dans son cas, car n'ayant pas encore assimilé parfaitement la tradition iconographique, il ne saisit pas encore ce qu'il faut retenir et ce qu'on peut changer. Un maître en iconographie, par contre, se tiendra à ce qui est caractéristique, essentiel et propre au modèle et peindra librement selon son talent, ses capacités, son tempérament, ses moyens techniques etc. Il sait que la tradition iconographique et orthodoxe en général est vivante, qu'elle s'exprime différemment selon les époques, les pays, les personnes, tout en restant la même dans son essence.
Étant allemand et occidental, il serait absurde que je peigne exactement comme un Russe ou un Chypriote. Ce n'est pas l'effet du hasard que parfois les gens disent que "mes" icônes ont quelque chose de roman. C'est bien et normal qu'à travers moi s'exprime ce qui est propre à l'Occident même à travers les âges. Mais il serait peu sensé aussi de copier servilement les fresques romanes.
Ces jours-ci, j'ai vu à la télé un peintre allemand qui s'est lancé dans l'iconographie. Comme artiste peintre, on lui avait demandé un jour de reproduire une icône. Il pensait satisfaire la demande dans la semaine qui suivit. Mais vite il se rendit compte que son art profane ne lui servait pas à grand-chose et que l'iconographie est un autre monde. Finalement, il lui fallut une année pour peindre son icône. Depuis, il continue à peindre "icônes", tableaux religieux (pour se détendre un peu, comme il dit), et peintures profanes.
Ce qui est valable pour l'iconographie l'est aussi pour les chants religieux, les traductions des textes patristiques et toute l'Orthodoxie. Il ne faut pas "cadavresquement" vivre, traduire, copier etc. ce que nous recevons des pays orthodoxes mais il faut le transposer avec discernement dans notre culture, langue, mentalité occidentales. La même chose est valable aussi pour les orthodoxes des pays orthodoxes : ils doivent transposer l'héritage qu'ils ont reçu, le vivre dans le contexte d'aujourd'hui et non se figer dans la tradition vivante.
Il est plus facile de copier simplement mais ce serait tuer la vie qui jaillit dans l'Église. Il est tentant aussi de peindre selon son imagination mais on réduira à la dimension humaine ce qui est divin et qui dépasse nos facultés humaines et que seule la foi peut saisir entièrement.
Il y a dans l'icône, le chant, le jeûne etc. un contenu et il y a l'expression, le contenant, qui varie selon les époques, les peuples, les personnes. Une icône bulgare, géorgienne ou autre ont quelque chose en commun et diffèrent pourtant dans leur expression qui varie même selon les siècles. Vénérer une icône roumaine ou crétoise, c'est la même chose pour un orthodoxe. Assister à une liturgie orthodoxe en Russie, dans une chapelle en bois enfouie dans la neige, avec des batiouchkas et matouchkas etc. ou assister à une liturgie quelque part en Grèce au bord de la mer avec des chants nasillards, cela change, pour ce qui est du "décor", mais c'est le même mystère qui s'accomplit.
Il y a, certes, de différents niveaux pour transposer cette tradition iconographique, et au fur et à mesure que l'iconographe apprend et acquiert de l'expérience, il saura peindre librement, tout en suivant la tradition. Il aura assimilé cette tradition et il pourra peindre "par coeur" tout en suivant le prototype qu'il a devant lui. Ce pli, par exemple, il pourra le peindre comme il est sur l'icône qu'il a devant lui, mais il pourra aussi le faire de 36 autres manières qu'il a vues sur d'autres icônes. C'est-à-dire, il sait comment ce pli peut tomber et il sait qu'il ne faut pas nécessairement se tenir au prototype pour cela. Le prototype a quelque chose de caractéristique, propre à lui, auquel il faut se tenir et pour le reste, l'iconographe est libre de puiser dans toute la tradition iconographique. Ainsi l'iconographie restera vivante sans se figer, tout en gardant la tradition sacrée.
Il faut voir ce que l'iconographe, l'hymnographe, l'écrivain sacré veulent exprimer (le contenu) et il faut le distinguer du contexte dans lequel ils l'expriment et dont ils sont tributaires (langue, mentalité, culture etc.). Cela ne se fait évidement pas à la légère, mais demande des années d'apprentissage, d'expérience et d'étude.
hm. Cassien