L'icône relève de l'art, mais le dépasse largement, car ce n'est pas le monde déchu qu'elle représente, mais le monde transfiguré.
A nous, qui sommes charnels, limités par nos sens pour saisir, pour comprendre, le monde de l'au-delà se communique par des sacrements, des symboles, des signes, des paraboles, c'est-à-dire d'une manière indirecte. C'est toujours quelque chose qui nous est familier et autre à la fois.
Le baptême n'est pas un simple bain, mais toute une cérémonie, qui exprime et contient le bain spirituel, qui nous lave de nos péchés. La parabole n'est pas uniquement une histoire terrestre, elle cache un contenu surnaturel.
De même, l'icône ne nous montre pas simplement des événements et des personnages historiques et terrestres, elle les dépasse, les montre dans l'infini, l'éternité. Ce n'est pas un moment précis de l'histoire terrestre, mais un événement qui plonge dans l'éternité et qui a ses racines avant le commencement du temps. C'est pour cela que l'icône ne représente jamais l'événement confiné dans un lieu clos, qui l'enfermerait et l'étoufferait. Les bâtiments figurent dans l'arrière-plan, juste comme indications. C'est pour cela aussi que des événements, qui se sont déroulés à des moments différents dans l'histoire, peuvent figurer ensemble sur la même icône. Ce n'est pas le Christ qui meurt sur la Croix, mais le Crucifié qui est déjà ressuscité et qui est Dieu et homme à la fois. C'est le Vendredi saint et Pâques à la fois qui sont unis et éternisés.
Tout est rendu visible sur l'icône, non selon les proportions naturelles, mais selon l'importance. Saint Georges, par exemple, dépasse en taille son cheval et le stylite est plus grand que sa colonne, qui n'est là que pour indiquer l'exploit ascétique du saint.
Les bâtiments sont alogiques car le langage iconographique dépasse et transcende la logique «naturelle». La perspective est renversée, car ce n'est pas nous, qui sommes le centre. Le centre se trouve de l'autre côté, en Dieu. Il y a une autre logique, il faut d'autres yeux pour déchiffrer ce langage.
C'est la Transfiguration du Christ qui donne la clé pour entrer dans le mystère de l'icône, car c'est le monde transfiguré qui y est représenté. Ce qui y semble stylisé est, en fait, le moyen de rendre palpable ce qui est transfiguré. La Mère de Dieu est toujours femme sur l'icône, mais impassible, sanctifiée. Rien ne trouble, rien n'excite. Le Christ est crucifié, les martyrs sont suppliciés, mais il n'y a rien qui traumatise, rien qui choque. Tout est entré dans la paix de Dieu.
Rien n'est laissé au hasard, tout signifie quelque chose. Les yeux du saint, grand ouverts, contemplent. Jamais en profil, car le saint communique avec nous. La bouche est fine, car il est entré dans le grand silence. Le corps est allongé, car spiritualisé. Même les plis des vêtements sont harmonisés. Si les couleurs ne sont pas toujours symboliques, elles ne sont, non plus, jamais naturalistes. Le teint du visage n'est pas rose, mais foncé. Ce qui était charnel a disparu. Il n'y a pas de couleurs excitantes, criardes, tout au plus vives et fraîches, car c'est la beauté du paradis qui s'y reflète. Il n'y a pas de ciel bleu. Idéalement, l'or couvre le fond, car il symbolise l'éternité. Sinon, au moins une couleur unie remplace l'or. Le noir, qui est absence de lumière, ne figure que l'abîme, le néant. La lumière, qui vient de partout, ne jette aucune ombre - c'est le Christ qui éclaire tout, partout présent. La troisième dimension se rétrécit, car tout est présence, rien ne se perd dans le lointain. C'est le cadre de l'icône qui fait la séparation d'avec le monde terrestre.
C'est finalement tout le cosmos qui est soumis, à travers le pinceau de l'iconographe, au dessein divin. C'est l'achèvement de l'histoire, l'eschatologie anticipée, la prophétie imagée. Voilà le contenu de l'icône à travers son langage théologique, artistique et mystique à la fois.