L'icône est ce qu'il y a de plus beau sur la terre après l'homme déifié. Pourtant elle n'est pas de ce monde. A la fois terrestre par ses moyens d'expression, elle est également céleste par son contenu. La beauté qu'elle reflète est au-dessus de la beauté de ce monde, - celle-ci ambiguë quoique réelle. C'est la beauté que "l'oeil n'a pas vue ni l'oreille entendue", c'est-à-dire l'image de la réalité spirituelle, qui s'entrouvre à travers l'art de l'icône.
L'icône n'est pas nécessairement belle selon le critère esthétique de ce monde. Généralement elle est pleine d'imperfections de ce côté-là et les chefs-d'oeuvres artistiques en sont plutôt rares. Mais l'iconographe ne cherche pas absolument cette perfection artistique dans une beauté terrestre qui risque même d'égarer à cause de son ambiguïté due à la chute. C'est la beauté surnaturelle qui donne grâce et harmonie à l'icône et cette beauté est étroitement liée à la vérité et la bonté avec lesquelles elles ne fait qu'une. La beauté terrestre a brisé, disloqué cette union avec le vrai et le bien et tout l'art profane en témoigne.
La beauté attire vers le vrai, autant que la laideur en repousse. La beauté de l'icône qui est toute spirituelle a donc pour mission de témoigner de la vérité de l'autre monde, vérité qui n'est finalement que la Beauté divine elle-même se reflétant dans le monde qu'elle sauve et transfigure.
Dans le paradis terrestre tout était beau et bon («kalos» en grec). Le péché a introduit la laideur, le mal, le faux et c'est dans l'Église, le paradis céleste, que ce «kalos» est restauré. L'icône en est la forme visuelle par excellence comme le chant sacré l'est pour l'oreille.
L'icône est une théophanie de la Beauté divine et c'est elle qui sauvera le monde. Elle semble être inutile dans un monde utilitaire et pratique et pourtant c'est elle précisément qui ouvre, fait une brèche dans ce monde clos et étouffant qui aboutit le plus souvent au désespoir, au suicide. Elle sauve car elle est vraie. Elle dirige l'homme vers l'unique, non pas utile mais nécessaire et c'est en cela qu'existe sa raison d'être.
La beauté de l'icône est toute intérieure - comme celle de la fille du roi, dont parle le psalmiste - et consiste moins dans sa forme d'expression que dans son contenu mystérieux. Une beauté cachée et chaste qui se révèle à celui qui purifie ses sens.
Cette beauté exclut toute sensualité et toute sentimentalité et semble même austère (comme toute l'Orthodoxie d'ailleurs). Cependant elle ne manque pas de tendresse, d'affectivité, d'intimité. De la beauté charnelle elle est l'antipode comme la femme chaste l'est de la prostituée.
Si l'homme moderne est si attiré vers l'icône ce n'est pas tellement à cause de son contenu théologique, qu'il ignore le plus souvent, mais plutôt à cause de sa beauté spirituelle qui se révèle à travers la beauté artistique. Même si cette dernière n'est pas parfaite, c'est la beauté céleste qui lui donne grâce, comme une femme âgée dont la grandeur d'âme rend gracieuses même les rides.
La beauté spirituelle de l'icône doit être toujours parfaite, car toute imperfection serait signe d'erreur, d'hérésie. La beauté artistique, esthétique, elle par contre est toujours perfectible comme tout ce que l'homme fait, et c'est précisément cette imperfection qui fait ressortir la Beauté divine parfaite.