S. NICÉPHORE, PATRIARCHE DE CONSTANTINOPLE

fêté le 13 mars

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 3 p. 393 à 395


T
héodore, père de Nicéphore, était secrétaire de l'empereur Constantin Copronyme; mais son attachement inviolable à la doctrine de l'Église touchant les saintes icônes, renversa sa fortune et lui fit perdre la position qu'il avait à la cour de Constantinople. Le prince, furieux de trouver dans un de ses serviteurs une opposition invincible à l'impiété des iconoclastes, s'en vengea sur lui de la manière la plu cruelle : il le priva de sa charge et le bannit après l'avoir condamné à souffrir des tourments horribles.
Le jeune Nicéphore, qui fut élevé sous les yeux de son père, s'animait continuellement à la pratique de la vertu par les exemples domestiques qu'il avait sans cesse occasion de remarquer. La mort lui ayant enlevé son père de bonne heure, Eudoxie, sa mère, continua de cultiver avec soin ses heureuses dispositions : elle le formait à la piété, tandis que différents maîtres prenaient soin d'orner son esprit par l'étude des lettres. Nicéphore n’eut pas plus tôt paru dans le monde, qu'il s'y fit universellement estimer par sa vertu ainsi que par l'étendue et la variété de ses connaissances. Son mérite pénétra jusqu'à la cour. Constantin VI et Irène sa mère, qui gouvernaient alors l'empire et qui étaient zélés pour la saine doctrine, l'honorèrent de leur confiance et lui donnèrent la charge que son père avait eue sous Constantin Copronyme. Il répondit parfaitement à l'idée qu'on avait conçue de lui, en s'acquittant de son emploi avec une capacité extraordinaire; mais il ne se contentait pas de servir l'État par ses talents, il travaillait encore de toutes ses forces à la défense de la foi et à l'extinction de l'hérésie des iconoclastes. Il se fit admirer des pères du septième concile général, où il assista en qualité de commissaire de l’empereur.
Ce zèle pour l'orthodoxie, joint à de grandes vertus et à une science peu commune, le firent juger digne de succéder à saint Taraise, patriarche de Constantinople, mort en 806. L'Église ne pouvait que gagner beaucoup à ce choix, comme l'événement le prouva. Nicéphore donna, le jour de son sacre, le témoignage le plus authentique de la pureté de sa foi et de son horreur pour l'impiété du temps : il tint à sa main, durant toute la cérémonie, un écrit qu'il avait composé pour la défense des saintes images, et le mit ensuite en dépôt derrière l'autel, comme un gage de la fermeté avec laquelle il était déterminé à maintenir jusqu’à la mort la tradition de l'Église.1
À peine fut-il assis sur la chaire patriarcale, qu'il entreprit la réformation des mœurs de son diocèse. Il y réussit en ajoutant la force de l'exemple à celle des exhortations. Il était infatigable lorsqu'il s'agissait de remplir ces fonctions de son ministère. La douceur et la patience furent les principales armes qu'il employa contre le vice, et il ne s’en servit point inutilement; mais la gloire qui lui revint du changement opéré dans les mœurs de ses diocésains, n'approche point encore de celle dont le couvrit la fermeté invincible avec, laquelle il souffrit les persécutions que les ennemis de la foi lui suscitèrent.
Léon l'Arménien, gouverneur de l'Anatolie, ayant été proclamé empereur en 813, l'Église se trouva plongée dans de nouveaux troubles. Ce prince, entièrement livré aux iconoclastes, ne s'occupa que des moyens de répandre leurs erreurs. La ruse, l'artifice, la violence, rien ne lui coûtait, pourvu qu'il vînt à bout de ses desseins. Il sentait de quel poids eût été parmi les orthodoxes l'approbation de Nicéphore; aussi mit-il tout en usage pour l'obtenir; mais le saint patriarche ne fut pas plus touché de ses caresses que de ses menaces. «Prince, disait-il à l'empereur, vos efforts sont inutiles; nous ne pouvons changer les anciennes traditions; nous respectons les saintes images, comme la Croix et le livre des évangiles». C'était un raisonnement sans réplique. En effet, les premiers iconoclastes, convenant qu’on pouvait honorer la Croix et le livre des évangiles, devaient conséquemment avouer qu'on pouvait aussi honorer les saintes images, puisqu'il ne s'agissait de part et d'autre que d'un culte de relation. Mais il n'est pas rare de voir les hérétiques tomber en contradiction avec eux-mêmes. La généreuse réponse de Nicéphore fut suivie d'une courte mais éloquente apologie de la foi catholique : il y prouva que les orthodoxes ne blessaient en rien l'honneur suprême dû à la Divinité, puisque c'est à Dieu que se rapporte le culte qu'ils rendent aux anges, aux saints et aux prophètes. Il en est de même, ajouta le patriarche, du respect que nous avons pour les choses inanimées qui servent au service divin, tels que sont les temples, les vases sacrés et les images.
L'empereur, naturellement impérieux, fut indigné de la résistance qu'il éprouvait. Il usa d'un stratagème qu'il crut devoir être plus efficace que les moyens qu'il avait employés. Il ordonna secrètement à quelques soldats de traîner avec mépris une image de Jésus Christ, qui était sur la grande croix appliquée à l'une des portes de la ville; son ordre ayant été exécuté, il défendit de remettre une autre image, sous prétexte d'empêcher une pareille profanation. Le patriarche vit bien qu'un violent orage menaçait l’Église; mais il ne se découragea point. Rempli de confiance en Dieu, il redoubla la ferveur de ses prêtres, exhorta les orthodoxes à demeurer formes, assembla autour de lui plusieurs saints personnages, et se prépara à tout événement.
Léon, informé de ce qui se passait, réunit dans son palais quelques évêques iconoclastes, et fit dire à Nicéphore de s'y rendre au plus tôt avec ceux de ses confrères qui tenaient pour son parti. Le patriarche obéit, et vint au palais avec plusieurs autres évêques orthodoxes. Lorsqu'ils furent en la présence de l'empereur, ils le conjurèrent de ne pas se mêler du gouvernement de l'Église et de le laisser à ceux que Jésus Christ en avait établis pasteurs. «Si l'affaire en question, dit Émilien de Cysique, est une affaire ecclésiastique, qu'on la traite dans l'église, suivant la coutume, et non dans le palais». Euthymius de Sardes, ayant pris la parole, ajouta : «Depuis plus de huit cents ans que Jésus Christ est venu au monde, on le peint et on l'adore dans son image. Qui serait assez hardi pour abolir une pratique fondée sur une tradition aussi ancienne ?» Saint Théodore Studite parla après les évêques, et dit à l'empereur : «Seigneur, ne troublez point l’ordre de l'Église. Dieu y a mis des apôtres, des prophètes, des pasteurs et des docteurs; mais il n’a point parlé des empereurs. Le gouvernement de l’État vous est confié, comme, celui de l'Église l'est aux pasteurs». Léon, transporté de fureur, chassa les évêques orthodoxes et leur défendit de reparaître en sa présence. Il en voulait surtout à Nicéphore; il ne pensa donc plus qu'aux moyens de le perdre, et il ne tarda pas à en trouver.
Les évêques iconoclastes, s'étant assemblés dans le palais impérial, tinrent un prétendu concile, auquel Nicéphore fut cité. Le patriarche ne comparut point, parce que la citation n'était pas canonique; il répondit seulement à ceux qui étaient chargés de la lui faire : «Qui vous a donné cette autorité ? est-ce le pape, ou quelqu'un des autres patriarches ? vous n'avez aucune juridiction dans mon diocèse». Il leur lut ensuite le canon qui déclare excommuniés ceux qui osent exercer quelque acte de juridiction dans le diocèse d'un autre évêque, puis leur ordonna de se retirer. Cette réponse aurait dû intimider les partisans de l'erreur; mais l'hérésie ne respecte les lois de l'Église qu'autant qu'elle peut les faire servir à ses desseins. Les évêques iconoclastes continuèrent donc leur assemblée, et
prononcèrent une sentence de déposition contre Nicéphore. L'empereur, pour satisfaire sa haine en mettant le comble à l'injustice, l'envoya en exil. Heureux encore d'avoir échappé aux pièges qu'on avait tendus secrètement à sa vie !
Michel le Bègue, qui succéda à l'empereur Léon, en 820, favorisa comme lui les iconoclastes et persécuta les orthodoxes, de sorte que Nicéphore fut laissé dans le lieu de son exil. Il mourut le 2 juin 828, au monastère de Saint-Théodore, qu'il avait fait bâtir. Il était âgé d'environ soixante-dix ans et en avait passé près de quatorze en exil. Son corps fut rapporté à Constantinople en 816, par l'ordre de l’impératrice Théodore. La cérémonie de cette translation se fit la 13 mars, jour auquel le nom du saint se trouve dans le martyrologe romai
n.


1 On trouve dans les Annales de Baronius, sous l'an 811, et dans le septième tome des Conciles du père Labbe, la confession de foi que saint Nicéphore envoya au pape Léon III, aussitôt après son installation. Le saint y exposait clairement les mystères de la foi, ainsi que la doctrine de l’Église touchant l'invocation des saints et le culte que l’on doit à leurs icônes et à leurs reliques.