SAINT LUCIUS 1 er, PAPE ET MARTYR

fêté le 4 mars

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 3 p. 146 à 148


«Lucius était Toscan d'origine; il naquit à Lucques et eut pour père Licinus É Il siégea depuis le consulat de Gallus et de Volusien (252) jusqu'à celui de Valérien III et de Gallien II (254). Après avoir été exilé pour la foi, Dieu permit qu'il retournât à son Église. Il prescrivit par un décret que deux prêtres et trois diacres accompagneraient partout l'évêque, pour constituer auprès de sa personne une espèce de cour ecclésiastique. Il fut décapité le 3 mars 254, par ordre de Valérien. En se rendant au lieu du supplice, il confia le gouvernement de l'Église à Étienne, son archidiacre. En deux ordinations, au mois de décembre, il imposa les mains à quatre prêtres, quatre diacres et trois évêques, destinés à diverses églises. Il fut enseveli dans le cimetière de Calliste sur la voie appienne. Après lui le siège épiscopal demeura vacant pendant trente-cinq jours».
C'est en ces termes que le Liber Ponfificalis, ou chronique des Papes, résume les actes du pontificat de saint Lucius : entrons dans quelques détails.
Lucius avait déjà accompagné dans l'exil le pape saint Corneille, son prédécesseur. Sa promotion au trône pontifical ne fit que le désigner plus spécialement à la proscription du César Gallus, dont la politique à l'égard des chrétiens frappait de préférence les pasteurs, pour mieux atteindre le troupeau. Saint Lucius I er fut donc exilé comme l'avait été saint Corneille, et reçut, au lieu de son bannissement, des lettres de saint Cyprien, évêque de Carthage, qui le félicitait de sa glorieuse confession. Le lieu de son deuxième exil nous est resté inconnu. On sait que le temps de son premier bannissement s'était passé à Cività-Vecchia.
La peste frappait alors aux portes de l'Empire. Dèce le Jeune, qui venait de mettre à mort saint Corneille, en fut à Rome l'une des premières victimes. Mais c'était en Afrique surtout que le fléau sévissait avec une horrible intensité. Le courage des fidèles chancela un instant, en face de ce nouveau genre de péril. Saint Cyprien adressa alors à son clergé et à son peuple, pour relever les courages abattus, son magnifique livre de la Mortalité.
Le contraste entre la conduite des fidèles et celle des idolâtres, pendant la durée du fléau, fut une des preuves les plus saisissantes de la divinité du christianisme. Les chrétiens étaient partout où l'on avait besoin d'un secours : ils soignaient les pestiférés sans distinction de famille ni de culte.
Loin d'ouvrir les yeux et de bénir du moins cet héroïsme, le monde officiel romain profitait de l'occasion pour répandre une calomnie nouvelle. Si les chrétiens se montraient partout, disait-on, c'était pour propager la peste : sous prétexte de secourir la population, ils l'empoisonnaient. L'un des plus
ardents de ces infâmes dénonciateurs fut, en Afrique, Démétrianus, condisciple et rival d'école de saint Cyprien. Celui-ci, qui l'appelait un aboyeur, répondit fièrement à ses outrages et flétrit la lâcheté cupide des païens en face du fléau. Les pamphlets de Démétrianus ont péri à jamais : la victorieuse épître que Cyprien lui écrivit en réfutation, demeurera comme un monument éternel de la dégradation des païens , du 3 e siècle, véritables monstres à face humaine, qui profitèrent d'une calamité publique pour s'enrichir et s'enivrer de luxure ou de vin sur les cadavres des victimes.
Ce qui se passait à Carthage avait lieu de même en Asie, en Grèce, en Italie, dans les Gaules. C'est à cette époque que sainte Reine fut martyrisée en Bourgogne. C'est dans cette peste que saint Grégoire de Néocésarée conquit et justifia son glorieux surnom de Thaumaturge. Il parcourut toutes les maisons envahies par le fléau. Partout où il se présentait, il invoquait le nom de Jésus Christ et la peste s'enfuyait.
Malgré la peste, malgré les invasions des Numides au Midi, des Scythes au Nord, Gallus, qui régnait alors sur le monde, n'avait qu'une préoccupation, celle d'anéantir les chrétiens. Ce rêve caressé par tant d'autres avant et après lui, n'était pas aussi facile à réaliser qu'il se l'imaginait. Il périt misérablement dans un combat qu'il dut livrer à un de ses capitaines rebelles. Valérien lui succéda.
Dans l'intervalle, le souverain des catacombes, le pontife exilé, saint Lucius, profitait de ces révolutions politiques pour rentrer aux acclamations du peuple fidèle dans sa ville épiscopale.
Saint Cyprien, informé de cet heureux événement, lui écrivit une lettre de félicitation, d'accord avec les autres évêques d'Afrique. Voici un fragment de cette lettre : «Il y a quelque temps, frère bien-aimé, nous vous écrivions pour vous féliciter du double honneur auquel la miséricorde divine vous réservait en vous appelant à diriger l'Église, et à l'illustrer en même temps par votre confession glorieuse. Aujourd'hui je vous adresse de nouveau mes félicitations, à vous, à vos compagnons, à toute la chrétienté. Béni soit le Seigneur qui vous a ramené de l'exil. Le pasteur est rendu à son troupeau, le pilote au gouvernail, le chef à son peuple. Il semble donc que votre bannissement a été ménagé par la Providence, non pour que l'Église restât veuve de son évêque, mais pour que l'évêque revînt à son Église plus grand et plus honoré. Si les jours d'épreuve ont été abrégés pour vous, l'autorité de votre épiscopat n'a fait que s'accroître. Pontife, en montant à l'autel de notre Dieu, vous n'aurez plus besoin de paroles pour confirmer la foi du peuple; votre passé est assez éloquent É Et plût à Dieu, frère bien-aimé qu'il me fût donné, en ce moment, de me mêler à la foule pieuse qui acclame votre retour ! quelle allégresse chez tous les frères ! Quel immense concours de tous les fidèles de Rome pour vous recevoir et vous embrasser ! Tous les yeux sont fixés sur vous. Tous les cÏurs volant sur votre passage, tel est le spectacle que je contemple en esprit, et qui me fait songer aux joies inénarrables dont le second avènement de Jésus Christ sera le signal. De même que Jean le précurseur annonça la venue du Christ, ainsi le pontife confesseur qui nous revient aujourd'hui, nous apparaît comme le précurseur du souverain Juge. — Mes collègues, ainsi que les chrétientés de nos provinces, me chargent de vous transmettre par cette épître leurs sentiments de joie et de fidèle attachement. Dans nos sacrifices et nos prières, nous ne cessons de rendre grâces à Dieu le père et à Jésus Christ son fils, notre Seigneur, lui demandant de vous conserver et d'accroître encore la gloire que vous avez acquise par cette première confession de son saint nom. Peut-être Dieu ne vous a-t-il rappelé à Rome que pour donner à votre futur martyre un théâtre plus éclatant É »
La prédiction de saint Cyprien devait se vérifier bientôt. — Saint Lucius I er, en présence des désastres causés par la peste, multiplia les efforts de sa charité, et envoya des secours à toutes les chrétientés du monde. Un zèle aussi éclatant ne pouvait passer inaperçu. Le peuple de Rome s'habituait peu à peu à tourner ses espérances vers les vicaires de Jésus Christ comme vers ses véritables chefs. Ces tendances devaient exciter la jalousie païenne. Les prêtres de Jupiter Capitolin, les sénateurs idolâtres, la majorité officielle, les satellites du pouvoir, en un mot, organisèrent une véritable émeute contre saint Lucius. Traîné devant les tribunaux et sommé de sacrifier aux dieux de l'Empire, le pape répondit par un généreux refus. Aussitôt la populace soudoyée, qui remplissait le prétoire, éclata en injures et en vociférations. On se précipita sur le vénérable pontife; on l'entraîna en l'accablant d'outrages. Lucius se laissa conduire comme un agneau docile, et après avoir subi de nombreuses tortures, il eut la tête tranchée par le glaive du bourreau le 4 mars de l'année 254.
Il nous reste de saint Lucius I er quelques décrets que Gratien a recueillis. Ils se trouvent au tome 1 er des conciles, et tous, comme saint Cyprien, qui aimait particulièrement le Saint-Siège, l'écrivit au pape Étienne, sont dignes de vénération et de respect.
Le pape Pascal I er leva son corps de terre, avec ceux de saint Urbain, pape, de sainte Cécile, de saint Valérien, de saint Tiburce et de saint Maxime : il les transporta du cimetière dans la ville l'an 822, et les plaça sous l'autel de sainte Cécile où ils demeurèrent ensevelis pendant près de huit siècles, jusqu'à ce que, en 1599, ils furent de nouveau découverts sous le pontificat de Clément VIII, par les soins du cardinal Sfondrate, titulaire de Sainte-Cécile. Ils furent exposés, depuis le 20 octobre, à la vénération publique pendant un mois entier, puis enfermés dans de nouvelles châsses, et replacés solennellement le jour de la fête de sainte Cécile, le 22 novembre.
Saint Lucius est honoré comme patron à Copenhague, à Roskild et à Scelande en Danemark.
La première translation de saint Lucius par le pape Pascal III, coïncide justement avec le départ de la première mission qui, sous la conduite de saint Anschaire de Corbie, alla évangéliser le Danemark. Plusieurs églises de ce royaume ont eu pour patron saint Lucius. La raison de ceci est assurément que le pape aura donné des reliques de son saint prédécesseur aux missionnaires du Nord. Du reste, il est certain que l'église de Roskild a possédé autrefois le chef de saint Lucius, donné par le pape Grégoire VII. Mais, le temple aux grandes tours, aux splendides nefs, est vide depuis longtemps; plus de tombeaux, plus de reliques, plus de chants, plus de fidèles. Le froid de la mort, voilà ce qui a remplacé le culte du Dieu vivant et de ses saints.
Saint Lucius, priez pour le Danemark !


Diverses histoires de l'Église et Histoire de l'Église catholique en Danemark, par l'abbé G. J. Karup.