SAINT GRÉGOIRE LE GRAND, PAPE

fêté le 12 mars

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 3 p. 360 à 381


Le saint dont nous entreprenons d'écrire l'histoire mérite le glorieux titre de Grand, par toutes les raisons qui peuvent élever un homme au-dessus de ses semblables : car il fut grand en noblesse et par toutes les qualités qui viennent de la naissance et des ancêtres; grand dans les privilèges de la grâce dont le ciel le combla. Grand dans les merveilles que Dieu opéra par son moyen, et grand par les dignités de cardinal, de légat, de pape, où la divine Providence et ses mérites l'élevèrent.
Il naquît à Rome vers l'an 510. Gordien, son père, était sénateur et jouissait d'une fortune considérable. Mais il renonça au monde après la naissance de ce fils, et se consacra à Dieu; lorsqu'il mourut, on le comptait parmi les sept cardinaux-diacres qui avaient soin, chacun dans son quartier, des pauvres et des hôpitaux. Sylvie, sa mère, suivant la même impulsion de la grâce, sanctifia aussi la dernière partie de sa vie, en servant Dieu dans un petit oratoire, près du portique de saint Paul. Grégoire était petit-fils de Félix III, pape très saint, et neveu de la bienheureuse vierge Tarsile, qui mérita d'entendre, à l'heure de sa mort, la musique céleste, et de voir Jésus Christ, qui vint recevoir son âme bienheureuse.
Il avait reçu, de ses illustres parents, les plus heureuses dispositions pour la science et la vertu. Il apprit avec tant de facilité les lettres divines et humaines, qu'il était l'admiration de la ville de Rome. Ses actions étaient toujours accompagnées de modestie, et ses mouvements très réglés dans les années de sa jeunesse. Pendant la vie de son père, il prit part au gouvernement de l'État : l'empereur Justin II l'éleva à la première magistrature de Rome; il dut en porter les insignes, qui consistaient en une robe de soie, enrichie d'une magnifique broderie et toute couverte de pierres précieuses. Mais il est probable que son cÏur était comme celui d'Esther, détaché de ce luxe, de cette pompe inséparable de son rang. Il est probable qu'il n'estimait déjà que les choses du ciel, puisqu'il trouvait tant de plaisir dans l'entretien des hommes de Dieu, des saints religieux, dans la prière et la méditation. Mais Dieu exige de lui davantage; il l'éclaire, il le presse; Grégoire se rend, il rompt après la mort de son père, les derniers liens qui l'attachent au siècle.
Il fonde six monastères en Sicile, et un autre à Rome, dans son propre palais, sous le nom de Saint-André (il porte aujourd'hui le nom de son saint fondateur, et appartient aux Camaldules; c'est de là, dit M. de Montalembert, qu'est sorti, après treize siècles, un autre Grégoire, pape et moine, Grégoire XVI), y introduit la règle de saint Benoît et y prend lui-même l'habit en 575, sous l'abbé Valentin, à l'âge de trente-cinq ans, après avoir distribué aux pauvres ce qui lui reste de son patrimoine. Ainsi, dit son historien1, et après lui M. le comte de Montalembert, Rome qui avait vu cet opulent patricien traverser ses rues avec des habits de soie, étincelants de pierreries, le vit avec bien plus d'admiration, couvert d'un grossier vêtement, servir les mendiants, — mendiant lui-même, — dans son palais devenu monastère et hôpital.
Il n'avait conservé qu'un seul reste de son ancienne splendeur : cÕétait une écuelle d'argent, dans laquelle sa mère lui envoyait tous les jours de pauvres légumes pour sa nourriture. Ce luxe ne dura pas longtemps. Un pauvre marchand qui avait, disait-il à notre saint, fait naufrage et tout perdu, le supplia de le secourir. Grégoire donna ordre de lui compter six pièces de monnaie; mais le pauvre répliquant que c'était bien peu de chose, Grégoire lui en fit donner encore autant. Cependant le même mendiant se présenta de nouveau deux jours après au saint, et le pria d'avoir pitié de son extrême misère. L'homme de Dieu, s'attendrissant sur les pressants besoins du pauvre, commanda à son procureur de lui donner encore six pièces; mais ce dernier ne les ayant pas comptées, le saint, dont le cÏur était tout rempli de charité et incapable de rien refuser, donna au mendiant le dernier débris de son argenterie, l'écuelle dont nous avons parlé. À la suite de cette action, il fit un si grand nombre de miracles, qu'il soupçonna sous le naufragé quelque habitant du ciel. En effet, longtemps après, il eut une vision dont nous parlerons plus loin.
Notre saint se livrait avec tant d'ardeur à la lecture des livres saints; ses veilles, ses mortifications étaient telles, que sa santé y succomba, et que sa vie même fut compromise. On l'obligea à prendre une nourriture plus fréquente et plus substantielle, ce qui l'affligeait beaucoup. Il était surtout inconsolable de ne pouvoir pas même jeûner le samedi saint, en ce jour où les petits enfants mêmes jeûnent, dit Paul, diacre. Ayant communiqué son chagrin au pieux moine Eleuthère, ils réunirent tous deux leurs prières pour obtenir de Dieu la délivrance d'un si grand malheur, et ils furent exaucés au-delà de leurs demandes.
Saint Grégoire avait un zèle si ardent pour le salut des âmes, qu'il s'étendait sur tout le monde. Il passa un jour par un marché où il vit de jeunes enfants d'une ravissante beauté que l'on exposait en vente. Apprenant qu'ils étaient Anglais, et que les habitants de ce pays n'avaient pas encore reçu la foi de Jésus Christ, il en eut une si grande compassion, qu'il pleura, ajoutant ces paroles : «Quoi, faut-il que Satan possède les âmes de ces anges corporels !» Il s'en alla aussitôt trouver le pape Benoît I er et le supplia instamment de lui donner sa bénédiction apostolique pour aller prêcher l'évangile à ces insulaires. Le Pape lui accorda sa demande, et le saint, avec quelques autres serviteurs de Dieu, se mit aussitôt en chemin pour cette mission; mais quand on eut appris son départ dans la ville, le peuple en murmura si fort, que le pape, allant à l'église de Saint-Pierre, se trouva environné d'une multitude de gens qui criaient : «Saint-Père, vous avez extrêmement offensé saint Pierre; vous avez perdu Rome en permettant que Grégoire en sortir». De sorte que Benoît fut obligé de le rappeler et de le faire revenir en son monastère. Le saint en eut un extrême regret, et conserva toujours dans son âme un grand zèle pour la conversion des Anglais. Quelque temps après, il fut contraint de paraître en public, et de sortir de sa retraite; d'abord le pape Benoît I er, en 577, le créa cardinal-diacre ou régionnaire. Ceux qui étaient revêtus de cette dignité, au nombre de sept, présidaient aux sept régions principales de Rome. Il ne céda que bien malgré lui à l'autorité du pontife. «Quand un navire, disait-il, n'est pas bien amarré au port, la tempête l'enlève au rivage même le plus sûr : me voilà replongé dans l'Océan du monde, sous un prétexte ecclésiastique. J'apprends, en la perdant, à apprécier la paix du monastère, que je n'ai pas su défendre assez quand je la possédais». Ce fut bien pire quand le pape Pélage II l'envoya comme apocrisiaire , ou nonce , auprès de l'empereur Tibère I, pour traiter de quelques affaires de grande importance, dont la négociation demandait un homme aussi saint et aussi prudent. Se voyant obligé de sortir de son monastère, il emmena avec lui quelques-uns de ses religieux, pour continuer, en leur compagnie, les saints exercices qu'il avait coutume de pratiquer dans le cloître. Il fut reçu de l'empereur avec tout le respect imaginable, et obtint le secours de ses armes pour la défense de l'Italie opprimée par les Lombards : ce qui était le principal motif de sa légation. Ce fut en ce voyage qu'il contracta une étroite amitié avec saint Léandre, archevêque de Séville.
Il réfuta les erreurs d'Eutychès, patriarche de Constantinople, et reçut sa rétractation. Pendant ces six années, il édifia la cour de Constantinople par sa simplicité et sa modestie. Dieu le délivra en cette ville d'une maladie dangereuse et d'un naufrage pendant son retour. Il ramenait un général contre les Lombards, Smaragde, et de précieuses reliques pour l'Italie, sur tout pour son monastère, entre autres le bras de saint André et la tête de saint Luc, apôtres. Il fut donc reçu comme un ange du ciel, ramenant la paix et le bonheur dans son pays. Peu de temps-après (584), les religieux de saint-André l'élurent abbé. Il goûta encore quelque temps dans cette maison les délices de la solitude.
«Tendrement chéri de ses frères, il s'associait paternellement à leurs épreuves, à leurs croix intérieures, pourvoyait à leurs nécessités temporelles et spirituelles, et admirait surtout la sainte mort de plusieurs d'entre eux. Il en a raconté les détails dans ses Dialogues, et semble y respirer d'avance le parfum du ciel. Mais l'affectueuse bonté qui l'inspira toujours, ne l'empêchait pas de maintenir avec une scrupuleuse sévérité les exigences de la règle. Il fit jeter à la voirie, le corps d'un moine qui était aussi un habile médecin, et chez lequel on trouva trois pièces d'or, au mépris de l'article de la règle, qui interdisait toute propriété individuelle. Les trois pièces d'or furent jetées sur le cadavre, en présence de tous les religieux, qui durent répéter à haute voix le texte du verset : Pecunia tua tecum sit in perditionem : Que ton argent périsse avec toi !2 Une fois cette justice accomplie, la miséricorde reprit le dessus dans le cÏur de l'abbé, qui fit célébrer pendant trente jours de suite la messe, pour délivrer cette pauvre âme de lÕenfers.
Saint Grégoire nous dit qu'après la messe du trentième jour, le défunt apparut à l'un de ses frères, et lui apprit qu'il venait d'être délivré des peines qu'il endurait depuis sa mort3.
La sollicitude de Grégoire dut bientôt franchir l'enceinte de son monastère. Rome fut désolée par de terribles inondations, suivies d'un fléau plus grand, la peste, qui répandit le deuil et la solitude dans presque toutes les maisons, et priva l'Église de son chef. Le pape Pélage mourut en 590. Le clergé, le sénat et le peuple demandèrent tout d'une voix que le diacre Grégoire lui succédât. Il fut le seul à s'opposer à son élection, mais en vain. Il eut beau écrire à l'empereur Maurice de s'y opposer; Germain, préfet de Rome et frère de notre saint, arrêta le courrier, retint les lettres, et en écrivit d'autres au nom du clergé, du sénat et du peuple, suppliant le prince de confirmer un choix si juste et si canonique. Cependant, la peste augmentait et faisait un si grand dégât dans la ville, qu'il semblait que Dieu eût répandu toute sa colère sur les Romains. Saint Grégoire les exhorta à faire pénitence et à reconnaître que ce châtiment venait du ciel à cause de leurs péchés. Il fit faire une procession générale, pendant trois jours, où parurent pour la première fois tous les abbés des monastères de Rome avec leurs moines, et toutes les abbesses avec leurs religieuses. L'image de la sainte Vierge, peinte par saint Luc, fut portée dans cette solennité, et l'on raconte que, partout où passait cette auguste figure, l'air corrompu s'écartait et lui cédait la place, et que saint Grégoire aperçut sur le sommet du mausolée de l'empereur Adrien, un ange qui remettait son épée dans le fourreau. (L'image de cet ange, debout sur te superbe monument, lui a fait donner le
nom de château Saint-Ange, et perpétue encore aujourd'hui la vision de saint Grégoire). Notre saint connut par là que le courroux du Dieu vivant était apaisé, et que la miséricorde allait prendre la place de la justice, En effet, la peste cessa.
Ne voyant plus d'autre moyen d'échapper au souverain pontificat, Grégoire s'enfuit déguisé. Mais l'Époux sacré de l'Église, qui l'avait nommé dans le ciel, le fit découvrir au moyen d'une colonne de lumière, qui paraissait au-dessus de lui et l'accompagnait partout où il allait. Il fut enlevé d'une caverne où il s'était caché, amené à Rome malgré toute sa résistance, et enfin couronné dans l'église de Saint-Pierre, le 3 septembre l'an de notre Seigneur 590.
Lorsque la nouvelle de son exaltation fut répandue dans toute la chrétienté, on lui écrivit un grand nombre de lettres pour le féliciter. Il y répondit par des larmes et des gémissements : «J'ai perdu, écrivait-il à Théoctiste, sÏur de l'Empereur, tous les charmes du repos. Je parais monter au dehors, je suis tombé au dedans É Quoique je ne craigne rien pour moi, je crains beaucoup pour ceux dont je suis chargé É L'empereur (Maurice), en approuvant mon élection, ne m'a pas donné le mérite et les vertus nécessaires». Au patrice Narcès : «Je suis tellement accablé de douleur, que je puis à peine parler». Il ajoute qu'il est toujours triste, parce qu'il voit de quelle région tranquille il est tombé, et dans quel abîme d'embarras. À André, du rang des illustres : «En apprenant ma promotion à l'épiscopat, pleurez, si vous m'aimez, car il y a ici tant d'occupations temporelles, que je me trouve par cette dignité presque séparé de l'amour de Dieu».
Longtemps après, un jour que, plus accablé que jamais par le poids des affaires séculières, il s'était retiré dans un lieu secret pour s'y livrer dans un long silence à sa tristesse, il y fut rejoint par le diacre Pierre, son élève, son ami d'enfance et le compagnon de ses chères études. «Vous est-il donc arrivé quelque chagrin nouveau, lui dit le jeune homme, pour que vous soyez ainsi plus triste qu'à l'ordinaire ?» — «Mon chagrin, lui répondit le pontife, est celui de tous mes jours, toujours vieux par l'usage et toujours nouveau par sa croissance quotidienne. Ma pauvre âme se rappelle ce qu'elle était autrefois dans notre monastère, quand elle planait sur tout ce qui passe, sur tout ce qui change; quand elle ne songeait qu'au ciel; quand elle franchissait par la contemplation le cloître de ce corps qui l'enserre; quand elle aimait d'avance la mort comme l'entrée de la vie. Et maintenant il lui faut, à cause de ma charge pastorale, supporter les mille affaires des hommes du siècle et se souiller dans cette poussière. Et quand, après sÕêtre ainsi répandue au dehors, elle veut retrouver sa retraite intérieure, elle n'y revient qu'amoindrie. Je médite sur tout ce que j'ai perdu, me voici battu par l'océan et tout brisé par la tempête. Quand je pense ma vie d'autrefois, il me semble regarder en arrière vers le rivage. Et ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'ainsi ballotté par lÕorage, je puis à peine entrevoir le port que j'ai quitté .»
Ces plaintes ne venaient pas seulement de son humilité; ce vaste esprit voyait toute l'étendue du mal que Dieu l'appelait à guérir. L'Élise était dans le plus déplorable état, souffrant en Afrique du donatisme, en Espagne de l'hérésie arienne, en Angleterre de l'idolâtrie, en Gaule de la simonie et des crimes de Frédégonde et des erreurs de Brunehaut; en Italie des Lombards, peuple arien et rival de la puissance byzantine; en Orient, de l'arrogance des patriarches de Constantinople, de la mauvaise volonté des empereurs, qui ne pouvant plus défendre ni gouverner l'Italie, étaient jaloux de voir les papes remplir ce rôle. Il sut conduire sa barque, ainsi agitée, avec une énergie et une habileté des plus rares. Romain, l'exarque de Ravenne, c'est-à-dire gouverneur de l'Italie, au nom de l'empereur de Constantinople, rompt avec mauvaise foi un traité qu'il avait fait avec les Lombards. Aussitôt ceux-ci, commandés par leurs dues Arnulte et Arigis, envahissent le contre et le midi de l'Italie. L'exarque ne protège point Rome ni Naples, et cependant il défend au pape de traiter avec les Lombards, qui assiègent Rome et répandent tout autour cette désolation, cette stérilité qu'on n'a jamais pu réparer depuis. Alors Grégoire se multiplie : capitaine, roi, pontife, père des Romains, il reprend l'exarque de sa mauvaise foi, ce qui lui attire la colère de l'empereur grec, assemble les troupes, paie leur solde, fournit aux barbares les contributions qu'ils exigent, nourrit et console son peuple. Enfin, après neuf ans d'efforts, il réussit à conclure, entre les Lombards et les Grecs, une paix qui se rompt bientôt. Il traite alors en son propre nom, et obtient du roi des Lombards une trêve pour Rome et son territoire. Il fait plus. Théodelinde, épouse d'Agilulfe, qui lui devait la couronne, était chrétienne et amie, fidèle du saint pape : ils unissent leurs efforts et ramènent de l'arianisme à la foi catholique, toute la nation des Lombards. Saint Grégoire délivra ensuite le territoire romain de tous les petits tyrans sortis du sein de l'anarchie; et telle est lÕorigine de la puissance temporelle des papes. — «Seuls gardiens de Rome, ils en sont devenus maîtres 1!». Mais un joug bien plus insupportable que celui des barbares pesait sur l'Italie : c'était la domination grecque, l'empire d'Orient. Grégoire travailla habilement et courageusement à l'alléger, à l'adoucir; il dénonça dans une lettre à l'impératrice, les fraudes, les rapines des fonctionnaires impériaux : en Sardaigne, ils vendaient à prix d'argent, aux païens, le droit de sacrifier aux idoles, et continuaient à prélever cet impôt sur ceux qui se faisaient baptiser; en Corse, ils accablaient les pauvres de tels impôts, qu'ils les réduisaient à vendre leurs enfants pour payer, et à chercher un refuge chez les Lombards. On saignait ainsi l'Italie sous prétexte de la défendre. Aussi Grégoire osa dire à lÕimpératrice : «On pourrait suggérer à l'empereur qu'il vaudrait mieux supprimer quelques dépenses en Italie, afin de supprimer les larmes des opprimés en Sicile». Il ne fut pas moins ferme quand il s'agit de donner une leçon dÕhumilité à Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui prenait dans ses actes le titre d'Ïcuménique ou universel, mot jusque-là réservé aux conciles généraux ou représentant toute l'Église. Se nommer ainsi, c'était s'attribuer à soi seul l'épiscopat, et ne regarder les autres évêques que comme ses inférieurs, ses vicaires. Jean ne donnait sans doute pas à ce nom une signification aussi étendue, mais il eut tort de prendre un titre si nouveau et si fastueux, lui, l'évêque d'un siège non fondé par les apôtres, et qui n'avait d'autre mérite que d'être dans la capitale de lÕempire, c'est-à-dire très exposé à devenir trop dépendant de la cour impériale, à tomber dans la domesticité, selon le terme de M. de Montalembert. L'humilité de saint Grégoire lui fournit des armes invincibles pour combattre cette prétention. Il chargea son nonce à Constantinople de faire des remontrances au patriarche; il lui écrivit, il écrivit à l'empereur : «Comprenez, dit-il à Jean, a quelle présomption c'est de vouloir s'appeler d'un nom que jamais vrai saint n'a osé s'attribuer. Ne savez-vous pas que le concile de Chalcédoine offrit cet honneur aux évêques de Rome, en les nommant universels ? Mais pas un n'a voulu le recevoir, de peur qu'il ne semblât sÕattribuer l'épiscopat à lui seul et l'ôter à tous ses frères». Dans une lettre à son nonce Fabien, il découvre l'artifice de Jean, qui faisait écrire l'empereur au pape pour lui. «Il espère, dit-il, autoriser sa vaine prétention, si j'écoute l'empereur, ou l'irriter contre moi, si je ne l'écoute pas. Mais je marche le droit chemin, ne craignant en cette affaire que Dieu seul. Ne craignez rien non plus; méprisez pour la vérité tout ce qui paraît grand en ce monde, et, vous confiant en la grâce de Dieu et au secours de saint Pierre, agissez avec une souveraine autorité. Puisqu'ils ne peuvent défendre l'Italie des glaives des barbares, puisque l'Église a été obligée de sacrifier ses biens pour défendre l'État, c'est une trop grande honte qu'ils nous demandent, de sacrifier encore notre foi».
On admirera ce langage, si l'on se rappelle que Grégoire était sujet de l'empereur de Constantinople, et que personne n'eût alors osé parler avec une si noble indépendance. Écrivant à l'empereur lui-même : «Quoi, s'écrie-t-il, saint Pierre qui a reçu les clefs du ciel, le pouvoir de lier et de délier, la charge et la primauté de toute l'Église, n'a pas été appelé apôtre universel, et voici que mon pieux confrère Jean voudrait se faire nommer évêque universel ? Il faut bien m'écrier : Ô temps ! Ô mÏurs! toute l'Europe est à la discrétion des Barbares. Les villes sont renversées, les châteaux en ruine, les provinces dépeuplées; la terre n'a plus de bras qui la cultivent; les idolâtres sévissent sur les fidèles jusqu'à la mort, et des prêtres qui devraient se prosterner sur le parvis dans les larmes et la cendre, cherchent à se faire des titres de vanité.» Il rappelle à l'empereur que le siège de Constantinople a été occupé par Nestorius et Macédonius, hérétiques et hérésiarques. «Si donc, dit-il, celui qui occupe ce siège était évêque Ïcuménique, toute l'église tomberait avec lui. Pour moi, je suis le serviteur de tous les évêques, tant qu'ils vivent en évêques; mais si quelqu'un élève la tête contre Dieu et contre la loi de nos pères, j'espère qu'il ne fera pas courber la mienne, même avec le glaive». Il opposa à cette dangereuse vanité de l'évêque de Constantinople quelque chose de plus fort encore que ses réprimandes : ce fut sa propre humilité. «Il avait imprimé le sceau de cette humilité même, en prenant, le premier parmi les papes, dans l'intitulé de ses actes officiels, ce beau nom de serviteur des serviteurs de Dieu, qui est devenu le titre distinctif de ses successeurs». Il reprit Rusticienne de ce que dans les lettres qu'elle lui écrivait, elle se nommait sa servante, et la pria de changer de style, parce qu'il ne voulait être le, seigneur de personne, mais le serviteur de tout le monde. Il est rapporté dans le Pré spirituel, que Jean, abbé de Perse, homme saint et d'un très grand mérite, étant venu à Rome pour visiter les tombeaux des glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul, rencontra un jour saint Grégoire dans la rue, et vint se jeter à ses pieds — mais le saint Pape le prévint, se prosterna lui-même aux pieds de l'abbé, et ne consentit point à se relever sans que, l'abbé se relevât aussi. Pour en revenir à Jean, patriarche de Constantinople, on croit qu'il se rendit aux admonitions du saint Pape, car il est certain qu'il continua de reconnaître l'autorité du Saint-Siège, et de renvoyer au pape le jugement définitif des causes ecclésiastiques. Dans un de ces cas, Grégoire découvrit et démontra aux envoyés de Jean que le concile de Chalcédoine et celui d'Ephèse se trouvaient falsifiés dans lÕéglise de Constantinople; il leur recommanda donc de rechercher des exemplaires plus anciens de ces conciles, et il leur dit en passant que la vérité se conserve bien mieux chez les Latins que chez les Grecs, car les Latins, qui n'ont pas tant d'esprit, usent moins d'impostures; solide critique et d'histoire et de mÏurs. Dans un autre cas, il renvoya absous, après lÕavoir jugé dans un concile, Jean, prêtre de Chalcédoine, contre lequel on avait prononcé une injuste sentence, au nom du patriarche de Constantinople : précédemment un moine faussement accusé de manichéisme, et battu de verges, par ordre du même patriarche, en ayant appelé au pape, celui-ci l'avait jugé de nouveau, cassé la sentence du patriarche, et fait à ce dernier une sévère réprimande, l'exhortant à renvoyer un favori qui abusait de sa confiance, et à demander pardon à Dieu; si vous refusez, lui disait-il, de garder les canons de l'Église, je ne sais qui vous êtes.
Nous ne pouvons nous lasser de considérer ce grand saint, qui, à tous les instants et sur tous les points du globe, veille, scrute toutes choses, et s'il aperçoit que la liberté des âmes, que l'honneur de Dieu, que les intérêts de la religion, de la civilisation souffrent, vient aussitôt à leur secours. L'empereur et ses mille fonctionnaires empiétaient sans cesse sur des choses que notre saint était obligé de défendre. En 592, l'empereur Maurice défendit, par un édit, aux soldats d'embrasser la vie monastique. Saint Grégoire reçut cet édit comme tous les patriarches pour le notifier aux laïques de son district. Il écrivit à lÕempereur pour lui représenter qu'il attentait aux lois de Dieu et aux droits de la conscience; il lui rappelle habilement l'origine de ce pouvoir dont il abuse, et l'invite à penser au jugement dernier, où le Christ lui dira : «Je tÕai fait de secrétaire, comte des gardes; de comte, césar; de césar, empereur; ce nÕest pas assez, je t'ai fait père dÕempereur. J'ai soumis mes prêtres à ta puissance, et toi tu retires tes soldats de mon service. Dites, seigneur, continue-t-il, dites à votre serviteur ce que vous pourrez répondre à Celui qui, au jour du jugement, vous parlera ainsi !». Le sujet demeurait toujours fidèle dans ce grand pape. Il donna à sa remontrance le nom de supplique, et il l'accompagna de tous les termes obséquieux alors en usage : de plus, il expédia la loi, contre laquelle il réclamait, dans les diverses provinces. «Par là, disait-il à Maurice, j'ai rempli mon double devoir; obéi à l'empereur en publiant son édit, et rempli mon ministère en représentant que cet édit ne s'accordait point avec les intérêts de la gloire de Dieu». Si cette réclamation déplut d'abord à l'empereur, elle l'éclaira pourtant; il modéra la rigueur de sa loi en permettant de recevoir les soldats à la profession monastique après un noviciat de trois ans. Saint Grégoire l'annonça et en témoigna sa joie, dans une lettre aux évêques de l'empire.
Maurice fut du reste un des empereurs grecs qui eurent le plus de respect pour les canons; notre saint pape loue sa piété et son zèle pour l'Église. Mais il fut cruellement puni de son avarice. Douze mille prisonniers grecs, quÕil refusa de racheter aux Avares, furent massacrés. Il se repentit de ce crime sans se corriger du vice qui en était le principe. En 602, il réduisit son armée à vivre de pillage, au pays ennemi, pendant l'hiver. Les troupes se révoltèrent et mirent sur le trône un officier nommé Phocas, qui fit égorger l'empereur avec ses six fils, puis son frère, l'impératrice et ses trois filles. Ce monstre, comme l'appelle M. de Montalembert, envoya, après ce massacre, son image et celle de sa femme à Rome, où le sénat et le peuple, selon leur honteuse habitude, les reçurent avec acclamation. On reproche à notre saint de s'être associé à ces acclamations, et d'avoir écrit à Phocas une lettre de félicitation, où il blâme la conduite de Maurice. On avoue que c'est la seule tache qu'on trouve sur cette glorieuse vie; on reconnaît dÕailleurs que les intentions de saint Grégoire étaient pures, que les termes dont il se sert, étaient en quelque sorte du style officiel de ce temps-là pour chaque changement de règne. On admet que ce qu'il blâme dans Maurice était blâmable; que, par ce blâme, il conseillait à Phocas de ne pas tomber dans les mêmes fautes; qu'il devait, dans l'intérêt de l'Italie, ne pas irriter le nouvel empereur; qu'après les félicitations d'usage, il l'exhortait à faire régner la justice, la paix et la liberté parmi ses sujets. Avec ces réserves, nous sommes d'avis qu'on ne devrait pas tenir aujourd'hui, et que saint Grégoire ne tiendrait certainement pas, s'il vivait, la même conduite. Pendant qu'il suivait l'intégrité de la foi, la liberté de l'Église, du côté du Bas-Empire, notre saint n'oublia pas les peuples barbares qui venaient d'envahir presque tout l'occident et le midi de l'Europe. Il se fit leur ami, leur éducateur, leur maître, pour les civiliser, et les faire entrer dans le sein de l'Église. Nous ne pouvons qu'esquisser ces nobles entreprises. Virgile, évêque d'Arles, lui ayant écrit et fait écrire par le roi d'Austrasie, Childebert, pour lui demander le pallium, le Pape lui accorde sa demande (595), le nomme son vicaire en ces contrées, sans préjudice du droit des métropolitains, et le prie de s'entendre avec le roi et tous les évêques pour extirper deux vices qui rongeaient le sacerdoce gallo-franc : la simonie et l'élection des laïques à l'épiscopat. Il écrivit pour le premier sujet plusieurs lettres aux évêques et au roi. Il dit au jeune Childebert, pour lui faire comprendre son rôle de roi catholique, environné d'ariens, de païens, et commandant à des sujets encore à moitié barbares : «Autant la dignité royale est au-dessus des autres hommes, autant votre royaume l'emporte sur les autres royautés des nations. C'est peu d'être roi quand d'autres le sont, mais c'est beaucoup d'être catholique, quand d'autres n'ont point de part au même bonheur. Comme une grande lampe brille de tout l'éclat de sa lumière dans les ténèbres d'une profonde nuit, ainsi la splendeur de votre foi rayonne au milieu de l'obscurité volontaire des peuples étrangers. Afin donc de surpasser les autres hommes, par les Ïuvres comme par la foi, que votre Excellence ne cesse pas de se montrer clémente envers ses sujets. S'il y a des choses qui vous offensent, ne les punissez point sans discussion. Vous commencerez à plaire davantage au Roi des rois, quand, restreignant votre autorité, vous vous croirez moins de droit que de pouvoir». Ce langage ne paraît-il pas d'une lumière, d'une mansuétude, d'une sagesse surhumaines, si l'on pense que nous sommes à l'époque de Frédégonde et de Brunehaut, époque ténébreuse et sanglante, où nos rois étaient plutôt des monstres que des hommes ? Les papes ont su voir, dans ce chaos, et en tirer le royaume très chrétien.
Les relations de ce père de la famille chrétienne n'étaient pas moins cordiales avec la nation espagnole. L'Espagne, évangélisée dès les premiers siècles, était devenue arienne avec les Wisigoths, qui l'avaient envahie dans le commencement du 6 siècle; mais la foi catholique finit par triompher et s'assit même sur le trône avec Récarède, en 587. Saint Léandre, évêque
de Séville, fut le principal auteur de cette conversion des Wisigoths. Étant l'intime ami de notre saint, il lui écrivit, lui et plusieurs évêques, et plus tard aussi le roi, pour annoncer au pape cette heureuse nouvelle; puis ils lui demandent ses ouvrages, surtout le Pastoral et les Expositions sur Job; ils le consultent sur des cas embarrassants, ils lui demandent des avis comme on ferait au directeur de sa conscience. «Je vous supplie, par la grâce de Dieu, qui surabonde en vous, lui écrivait Licinien, évêque de Carthagène, de ne point rejeter ma prière, mais de vouloir bien m'apprendre ce que je confesse ignorer : car, ce que vous enseignez, nous sommes dans la nécessité de le faire». Puis, après lui avoir exposé les cas dont il désire recevoir la solution, il ajoute : «Daignez nous envoyer et l'ouvrage sur Job, et vos autres livres, dont vous parlez dans votre Pastoral, car nous sommes à Vous, et nous aimons à lire ce qui vient de vous». La roi Récarède envoya à saint Grégoire un calice d'or, orné de pierreries, en le priant, dans sa lettre, de vouloir bien l'offrir au prince des apôtres. «Nous prions aussi votre Altesse, ajoute ce prince, de nous honorer de ses saintes lettres, quand elle en aura l'occasion».
«Vous n'ignorez pas, je le pense, avec quelle sincérité je vous aime, ceux que la distance sépare, la grâce du Christ les unit comme s'ils se voyaient. Ceux-là mêmes qui ne vous contemplent pas de près, savent par la renommée combien vous êtes bon». Le saint pape, dans sa réponse, remercie tendrement le roi de ses sentiments et le félicite d'avoir converti la nation des Goths. Il s'accuse, par un excès d'humilité, d'être, lui, paresseux et inutile, et tremble de paraître au jugement dernier, les mains vides, tandis que le roi y paraîtra suivi d'une multitude de nouveaux fidèles, qu'il vient d'attirer à la grâce. Il l'exhorte à conserver, au milieu d'un si beau succès, l'humilité du cÏur et la pureté du corps, car il est écrit. «Quiconque s'élève sera humilié»; lorsque, pour nous enfler l'esprit, dit-il, l'esprit malin nous rappelle le bien que nous avons fait, rappelons-nous nos fautes. Quant à la pureté du corps, l'Apôtre a dit : «Le temple de Dieu est saint, et c'est votre corps qui est ce temple; un chrétien doit s'abstenir de la fornication et posséder son corps comme un vase sacré, dans la sainteté et dans l'honneur, et non point dans la convoitise. Il faut aussi qu'à l'égard de vos sujets, continue-t-il, votre gouvernement soit tempéré par une grande modération, de peur que la puissance n'aveugle l'esprit, car un royaume est bien gouverné, quand la gloire de gouverner ne domine point l'âme. Il faut encore se précautionner contre la colère et ne point faire trop vite tout ce qui est permis, car la colère, lors même qu'elle punit les fautes des coupables, ne doit point précéder la raison, sa maîtresse, mais la suivre comme une servante, et ne se présenter devant elle que quand elle en reçoit l'ordre. En effet, quand la colère s'est une fois emparée de l'âme, on regarde comme permis tout ce qu'on fait de cruel. Aussi est-il écrit : que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à parler, et lent à se mettre en colère. Je ne doute pas que, par la grâce de Dieu, vous n'observiez tout cela; mais, trouvant l'occasion de vous présenter quelques avis, je mÕassocie furtivement à vos bonnes actions, afin que dorénavant vous soyez plus seul à les faire». Telle était l'influence de ce saint page; nous ne sommes certes l'ennemi d'aucun contrôle, qui modère dans ses excès, sans l'entraver dans son exercice légitime, la puissance des rois : mais ne gagneraient-ils pas, eux et leurs sujets, à recevoir encore aujourd'hui filialement des leçons célestes qui n'ont point pour but de réprimer les actes, mais de les épurer dans leur source, dans le cÏur ?
Cette sollicitude paternelle de notre saint s'étendit encore sur l'Afrique, où il écrivit quarante lettres, rétablissant la juridiction troublée, rendant la justice, portant le dernier coup à l'hérésie des Donatistes, et faisant racheter des captifs sur le marché de Barca, car c'était là le principal usage que l'Église romaine faisait du revenu des riches patrimoines qu'elle possédait en Afrique, en Gaule et en Italie. L'Église a été, dès qu'elle l'a pu, propriétaire, parce qu'il n'y a pas de meilleur moyen d'avoir régulièrement ici-bas l'indépendance nécessaire à une religion qui ne doit pas être sujette des puissances terrestres. Deux choses rendent les propriétés de l'Église les plus sacrées de toutes : leur origine, qui fut ordinairement une donation, et leur usage, qui est de secourir les pauvres et d'aider à la propagation de la foi. Toujours par ses instructions aussi solides que paternelles, mais aussi par sa charité, par son invariable équité, il ramena à l'unité catholique presque tous les schismatiques de l'Istrie. Voici quelques exemples de son admirable conduite. Ayant appris que deux évêques d'Istrie, Pierre et Providentius, désiraient le venir trouver, pour lui demander des explications, si on leur promettait de ne leur faire aucune peine, il leur écrivit, au mois d'août 595, une lettre pleine de charité : il les presse de venir à lui avec toute confiance, eux et tous ceux qui voudraient, promet de les satisfaire pleinement, et, soit que Dieu leur fasse la grâce de se réunir à lui, soit qu'ils aient le malheur de continuer dans leur dissension, il les renverra chez eux, sans qu'il leur soit fait aucun mal. Les habitants de Côme, pressés par Constantius, évêque de Milan et ami de saint Grégoire, de se réunir à l'Église, répondirent que la manière dont on les traitait ne les attirait pas, que plusieurs catholiques retenaient leurs biens injustement, entre autres l'Église romaine, qui avait usurpé sur eux une certaine terre. Le saint pape, ayant été informé de ces plaintes par Constantius, lui répondit : Si cette terre leur appartient, nous voulons qu'elle leur soit rendue, quand même ils ne se réuniraient pas à l'Église. L'évêque Natalis, à qui saint Grégoire reprochait, entre autres choses, ses festins trop somptueux, essaya de se justifier par des passages de l'Écriture comme celui-ci : «Que celui qui ne mange point ne juge pas celui qui mange». Grégoire répondit : «Ce passage ne convient point du tout, car il nÕest pas vrai que je ne mange point, et saint Paul ne parle ainsi que pour ceux qui jugent les autres dont ils ne sont point chargés. Vous souffrez avec peine que je vous aie repris de vos grands repas; et moi, qui suis au-dessus de vous par ma place, quoique non par mes mÏurs, je suis prêt à recevoir la correction de tout le monde, et je ne compte pour amis que ceux dont les discours me font effacer les taches de mon âme avant la venue du Juge terrible».
Mais une des choses où le zèle de saint Grégoire parut avec plus d'éclat, fut la conversion des Anglais. Il choisit un moine nommé Augustin, prieur du monastère de Saint-André de Rome, qu'il envoya en Angleterre accompagné de plusieurs autres. On croit qu'ils étaient quarante; mais le démon prévit la perte qu'il allait faire : il leur mit dans l'esprit des difficultés qui qui leur parurent invincibles; ils s'arrêtèrent donc en chemin et envoyèrent saint Augustin au souverain pontife pour lui représenter les motifs qu'ils avaient de ne pas passer outre. Le saint, bien loin de condescendre à leur faiblesse et d'écouter les raisons que la pusillanimité leur avait suggérées, leur écrivit, l'an 596, la lettre qui suit : «Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, et serviteur de notre Seigneur Jésus Christ.
Comme il eût été plus expédient de ne pas entreprendre le bien que de l'abandonner après l'avoir entrepris, il faut, mes très chers frères, que vous vous efforciez d'achever, avec la grâce de Dieu, la bonne Ïuvre que vous avez commencée. Ne vous épouvantez pas de la longueur du chemin ni des embûches des méchants; poursuivez généreusement et avec ferveur le dessein que vous avez entrepris par l'ordre de Dieu, parce qu'assurément les plus grands travaux seront récompensés d'une plus grande gloire dans le ciel. Obéissez en toute chose avec humilité à votre supérieur Augustin, qui s'en retourne vers vous, et que j'ai désigné pour être votre abbé, étant persuadé que tout ce que vous ferez par son conseil sera profitable à votre âme. Que Dieu tout-puissant vous conserve et vous assiste de sa grâce, et qu'il me la donne à moi pour jouir au ciel du fruit de vos travaux, et participer à la récompense que vous en recevrez : car, bien que je ne puisse aller avec vous, j'ai néanmoins la volonté de travailler aussi bien que vous».
Les religieux ayant reçu cette lettre, reprirent courage, résolurent de passer outre, et abordèrent enfin heureusement en Angleterre, grâce aux prières et aux mérites de celui qui les envoyait. Ils y furent très bien reçus, et firent connaître Jésus Christ à Ethelbert, roi de Cantorbéry, et à une grande partie de ses sujets : Dieu bénit tellement leur zèle, qu'ils demandèrent de nouveaux ouvriers à Grégoire, afin de faire une moisson plus abondante. Le saint en reçut une très grande joie et leur envoya encore d'autres religieux pour y prêcher l'Évangile. Mellite, Juste, Paulin et Rufinien furent de ce nombre, et portèrent avec eux tout ce qui était nécessaire pour la décoration des églises : des vases sacrés, de riches ornements, de précieuses reliques avec des livres propres au service divin. Il nomma Augustin archevêque de l'île, et lui envoya le Pallium; il ordonna douze évêques suffragants de Cantorbéry; il ne voulut pas qu'on abattit les temples des Gentils, mais seulement qu'ils fussent purifiés avec de l'eau bénite, et consacrés au vrai Dieu vivant. Il recommanda à saint Augustin d'introduire peu à peu la religion chrétienne en ce pays-là, et de ne pas arracher tout
d'un coup et avec violence, quelques coutumes, quand même elles ne seraient pas tout à fait louables, pourvu qu'elles ne se trouvassent pas absolument incompatibles avec la religion; de dissimuler et de passer par dessus, jusqu'à ce que cette nouvelle plante fût plus forte et capable d'embrasser entièrement toute la rigueur de la discipline ecclésiastique. Il l'avertit aussi de ne pas trop s'attacher aux coutumes de l'Église, mais de prendre des autres Églises ce qu'il jugerait être le plus profitable, selon la disposition et la nécessité du pays; «parce qu'il ne faut pas, dit-il, aimer les choses à cause des lieux, mais aimer les lieux pour les bonnes choses qui y sont».
Nous passons sous silence plusieurs autres instructions qu'il donna à ce zélé disciple et à ses compagnons, à qui Dieu accorda la grâce des miracles pour achever de gagner cette nation à la religion chrétienne. Ces soins incomparables du saint pontife lui ont fait mériter le titre d'Apôtre de lÕAngleterre. Car, quoique cette île eût auparavant reçu la connaissance de Jésus Christ, puisque l'hérésie de Pélage s'y était glissée dès le temps du grand saint Augustin; néanmoins, comme ces peuples, qui étaient Bretons, avaient depuis été subjugués par les Anglais, qui donnèrent un nouveau nom à l'île, ils avaient aussi changé de religion et étaient retombés en leur ancienne idolâtrie : ainsi ils avaient besoin d'un nouvel apôtre. On appelle saint Grégoire lÕapôtre de l'Angleterre, comme nous appelons chez nous saint Rémi l'apôtre de la France, quoiqu'il ne soit pas le premier qui ait prêché l'évangile.
Saint Augustin rendait un compte exact à saint Grégoire des affaires de sa mission, et ils s'écrivaient l'un l'autre; voici ce que le saint pape lui mande dans une de ses lettres : «Je sais que Dieu tout-puissant a fait, par votre moyen, de grands miracles au milieu de cette nation qu'il a élue; c'est pourquoi il est nécessaire que vous jouissiez modestement de ce don céleste et redoutable, et que vous ne le possédiez qu'avec crainte et frayeur; vous devez vous réjouir de ce que l'âme des Anglais est attirée par ces miracles extérieurs à la grâce intérieure; mais vous devez craindre que ces prodiges ne vous donnent des pensées de présomption, et ne vous fassent tomber dans la vaine gloire». Et dans les Morales, il dit : «Les Anglais, qui ne savaient auparavant qu'une langue barbare, ont commencé à louer Dieu en langue hébraïque; et l'Océan, qui était auparavant enflé et furieux, est maintenant sujet et vassal des serviteurs de Dieu. Les peuples fiers, que les princes de la terre ne pouvaient dompter par les armes, ont été subjugués par la simple parole des prêtres : et la nation infidèle, qui ne redoutait point les escadrons armés, depuis qu'elle est fidèle, tremble à un mot d'hommes pauvres et humiliés !»4
Maintenant, que nous avons essayé de peindre la vigilance et l'action souveraine de Grégoire sur les principales régions du monde, laissons le père Giry nous raconter ses vertus et ce qu'il fit pour ainsi dire au cÏur même de l'Église. Il nÕest pas aisé d'exprimer sur le papier les merveilles qu'a faites ce très digne hiérarque; soit que nous considérions l'ordre qu'il a établi dans lÕÉglise pour la réformation des mÏurs et pour l'édification des fidèles; soit que nous regardions ce qui concerne l'assistance des pauvres, la consolation des affligés, le rétablissement de la discipline ecclésiastique, et le lustre et l'ornement de la religion chrétienne.
Il mit d'abord un fort bel ordre dans son palais, n'ignorant pas que la maison du prince doit être un modèle et un exemple, de vertu pour les sujets. Il n'y reçut point de séculiers, mais seulement des ecclésiastiques d'une piété, d'une bonté, d'une doctrine et d'une prudence reconnues. Il y admit aussi quelques religieux, afin de vivre lui-même toujours en moine autant qu'il lui serait possible. Il n'avait point égard, dans la collation des bénéfices, ni aux richesses, ni à la pauvreté des personnes, mais seulement à la sainteté de la vie, à l'excellence de la doctrine et aux autres qualités requises pour bien s'acquitter de ses devoirs. Aussi, pendant son pontificat, les arts et les sciences, soit humaines, soit divines, furent en une si grande réputation dans Rome, que plusieurs patriciens quittèrent l'épée pour se donner à l'étude. Il assembla un concile, où quantité d'abus furent retranchés, et plusieurs choses salutaires et avantageuses utilement établies pour le service de Dieu et pour l'édification des fidèles. Il eut un soin particulier de l'office divin et des cérémonies ecclésiastiques qui y doivent être observées, et régla les antiennes, les oraisons, les épîtres et les évangiles qui se disent pendant le cours de l'année à la messe, ainsi qu'on peut le voir dans son Antiphonaire et dans son Sacramentaire.
Ce fut, selon quelques-uns, ce grand pape qui institua les grandes litanies, ou (ce qui est plus certain) qui ordonna que la procession générale, qui se faisait déjà en chantant les litanies, fût conduite à Saint-Pierre, ainsi que nous l'apprenons de lui-même, au commencement du second livre du Registre, cité par le cardinal Baronius en ses Remarques sur le martyrologe, au 25 avril, où il parle de l'institution de cette cérémonie. Il augmenta aussi les principales stations de Rome, et réforma le chant ecclésiastique, qui s'appelle, encore aujourd'hui, à cause de cela, le chant Grégorien. Pour cet effet, il fit bâtir deux maisons : l'une, proche de Saint-Jean-de-Latran, et l'autre près de Saint-Pierre, pour y instruire des enfants destinés au chÏur; son zèle pour le service de Dieu était si ardent, que, même dans les plus grandes douleurs de la goutte, dont il était extrêmement incommodé, il se faisait transporter à la maison où étaient ses élèves, et les enseignait, couché sur un petit lit, tenant une petite baguette à la main pour reprendre ceux qui manquaient : humilité digne du vicaire de Jésus Christ, qui nous a si fort recommandé la pratique de cette vertu. Le diacre Jean, qui, le premier, a écrit cette histoire, rapporte que, de son temps, on montrait encore avec dévotion le lit sur lequel le saint se faisait porter, et la boussine dont il se servait pour corriger ces jeunes enfants. Dieu approuva par des miracles le grand zèle de ce saint pape pour le culte de la religion.
Un jour, voulant consacrer à l'usage des catholiques l'église de Sainte-Agnès, profanée par les Ariens, pour le faire avec plus de solennité, il porta en procession les reliques de saint Sébastien et de cette sainte, et les posa lui-même sous l'autel; pendant qu'il y chantait la messe, un animal immonde sortit, dit-on, de l'église tout grondant et faisant un grand bruit : ce qui fit croire que le démon, qui y avait établi sa demeure, fut obligé de s'enfuir en la présence des saintes reliques. Plusieurs lampes de cette église s'allumèrent d'elles-mêmes, sans que personne y mit la main. Une nuée très éclatante éclaira tout l'autel, et il se répandit une odeur très agréable dans l'église; quoique cette église fût ouverte, personne n'osait y entrer, tant ce météore miraculeux avait imprimé de respect et de révérence dans le cÏur des fidèles.
Il se fit aussi un autre prodige pour la confirmation de la vérité de l'Eucharistie. Notre saint célébrait un jour le saint sacrifice de la Rédemption; la femme qui avait offert le pain à consacrer, s'approcha pour communier; mais lorsqu'il proférait ces paroles : «Que le corps de notre Seigneur Jésus Christ conserve votre âme pour la vie éternelle», il s'aperçut que cette femme souriait; il la priva de la communion, reporta le saint Sacrement à l'autel et acheva la messe; après quoi il commanda à la femme de déclarer, en présence de tout le peuple, pourquoi elle avait commis l'irrévérence de rire, étant sur le point de recevoir le corps de Jésus Christ. Elle répondit, après plusieurs instances, que c'était parce qu'il avait dit que ce pain, qu'elle avait pétri de ses mains, était le corps de Jésus Christ. Le saint, entendant cela, se mit à genoux au pied de l'autel, et commença des prières avec le peuple, conjurant le père des lumières d'éclairer l'âme de cette pauvre femme incrédule. Et aussitôt les espèces se changèrent en chair; Grégoire la fit voir à toute l'assistance et cette femme infidèle, qui se convertit par ce miracle; et le saint ayant fait une seconde oraison, l'hostie reprit sa première figure. Ces merveilles ne servirent pas peu à confirmer les chrétiens dans la foi à la présence réelle de Jésus Christ dans la sainte Eucharistie.
En ce même temps, des ambassadeurs étant à Rome, le supplièrent de leur faire part de quelques reliques, afin d'honorer leurs églises; le saint pontife prit un linge blanc, le fit toucher aux corps des saints, et, l'ayant mis dans une boîte, suivant une coutume d'alors, il la scella avec beaucoup de révérence et la donna aux ambassadeurs pour l'emporter dans leur pays. Lorsqu'ils furent en chemin pour s'en retourner, curieux de savoir ce qu'ils emportaient, ils trouèrent le linge seul, sans nulle relique. Fort étonnés, ils revinrent à Rome et se plaignirent au pape de ce qu'il les avait abusés, en leur donnant un haillon au lieu des ossements des saints. Le saint père prit le linge et le posa sur l'autel, et, s'étant mis à genoux, pria la Bonté divine de faire voir ce qui était contenu en ce linge, afin d'instruire les fidèles avec quelle révérence et quelle foi ils doivent recevoir tout ce qui est donné pour relique par le Saint-Siège; puis il se leva, et, en présence les ambassadeurs, perça le linge avec un couteau, et il en sortit aussitôt du sang en abondance; les ambassadeurs, confus, reprirent ce linge sacré, avec la boîte, et s'en allèrent en leur pays avec toute la satisfaction possible.
Cette coutume d'envoyer du linge qui avait reposé sur les reliques sacrées, ou touché les corps saints, était alors fort pratiquée dans Rome, comme nous voyons en la réponse que notre saint fit à l'impératrice Constance. Elle lui avait demandé la tête de saint Paul, pour la mettre dans une église magnifique qu'elle faisait bâtir à Constantinople, sous le nom de cet Apôtre des Gentils; saint Grégoire lui répondit que les souverains pontifes n'avaient pas coutume de donner les reliques des corps saints, ni même de les toucher, sinon avec beaucoup de respect; mais, qu'au lieu de reliques, ils envoyaient un bandeau, ou un linge, par lequel la main de Dieu opérait des merveilles. Il lui envoya, comme un rare présent, des limures des chaînes de saint Paul, ainsi qu'on peut le voir en son épître, qui mérite bien d'être lue, pour apprendre avec quelle vénération il faut toucher les saintes reliques.
Sa vigilance ne regardait pas seulement le service et l'ornement extérieurs de l'Église; elle ne s'étendait pas moins sur les temples vivants de Dieu, qui sont les fidèles, ayant soin tout ensemble du spirituel et du temporel de ses ouailles. Sa charité envers les pauvres était selon le cÏur de Jésus Christ — aussi fut-elle récompensée par des faveurs considérables. Comme c'était son ordinaire de faire manger quelques mendiants à sa table, un jour il voulut, par humilité, donner lui-même à un pauvre pèlerin de quoi se laver : mais pendant qu'il prit l'aiguière et le bassin, le pauvre s'évanouit, et, la nuit suivante, notre Seigneur lui apparut et lui dit : «Vous me recevez ordinairement en mes membres, mais vous me reçûtes hier en ma personne !». Une autre fois, il avait commandé à un aumônier d'amener douze pauvres à dîner; quand il se mit à table, il en trouva treize : il voulut savoir pourquoi l'on avait excédé le nombre qu'il avait prescrit; l'aumônier lui répondit qu'il n'en avait amené que douze, et qu'ils n'étaient pas davantage : en effet, cet homme nÕen voyait que douze. Le saint vit bien qu'il y avait quelque mystère en cela, et, jetant les yeux sur le treizième, il le considéra attentivement, et remarqua qu'il avait changé plusieurs fois de figure pendant le repas, ayant paru jeune au commencement, et paraissant à la fin comme un vénérable vieillard. Après le dîner, il le tira à part et le conjura de lui dire son nom et qui il était. Il lui répondit : «Pourquoi voulez-vous savoir mon nom, qui est admirable ? Je suis, pour ne le vous point celer ce marchand infortuné à qui vous fîtes donner douze écus d'aumône et l'écuelle d'argent de votre mère. Croyez assurément que c'est pour cette bonne Ïuvre que Dieu a voulu que vous fussiez successeur de saint Pierre, et que ce qu'il avait déterminé de toute éternité, s'exécutât en vous. Comme vous êtes fidèle imitateur de Pierre, et que vous avez autant de soin des pauvres, il a eu un soin particulier de vous». — «Comment savez-vous cela ?» lui dit saint Grégoire. «Parce que je suis», répondit le pauvre, «l'ange même que Dieu avait envoyé pour vous éprouver». À ces paroles, saint Grégoire se trouva extrêmement surpris, mais l'ange lui dit : «Ne craignez point, Grégoire, le Dieu du ciel m'a envoyé vers vous pour vous assister et vous garder jusqu'à la fin, et vous accorder, par son ministère, tout ce que vous lui demanderez». Alors le saint hiérarque se prosterna le visage contre terre, disant avec crainte et révérence : «Si Dieu m'a fait pasteur de son Église pour si peu de chose, je puis bien espérer davantage de sa main libérale, si je le sers de grande affection et si je partage aux pauvres tout ce qui est à lui». Cette vision augmenta merveilleusement le zèle qu'il avait à secourir les nécessiteux; il n'y avait point d'église, ni de monastère, ni d'hôpital, ni de maison de dévotion, qui ne se ressentît de sa libéralité. Il avait écrit dans un livre les noms des pauvres qui étaient dans Rome, aux faubourgs et aux lieux circonvoisins, et il leur donnait l'aumône selon leur qualité et leur nécessité. Il envoyait tous les jours quelque plat de sa table aux malades et aux pauvres honteux. Ayant su que l'on avait trouvé un pauvre mort dans un village écarté de la ville, il en fut si contristé que, craignant que cet homme ne fût mort de faim ou de quelque autre incommodité, par sa faute, il demeura, par pénitence, quelques jours sans dire la messe.
Sa charité se répandait par toute l'Italie et jusqu'aux provinces les plus éloignées du domaine de l'Église : car les receveurs qui y étaient établis de sa part, avaient charge de distribuer aux pauvres ce qu'il leur prescrivait; et il y mettait un si bel ordre, que ceux qui prendront la peine de lire ses épîtres, sur ce sujet, en seront ravis : il y dit des choses fort belles et très touchantes sur l'aumône. Il entretenait, dans la ville de Rome, trois mille moniales. Il disait de ces saintes filles, qu'on avait de grandes obligations à leurs larmes et à leurs prières, et que c'étaient elles qui, par leur crédit auprès de Dieu, avaient détourné les armes des Lombards.
Il envoya à Jérusalem un abbé appelé Probe, avec une notable somme d'argent, pour y faire bâtir un hôpital, qu'il entretint toujours, durant sa vie, de tout ce qui était nécessaire. Il eut soin aussi de fournir, tous les ans, des vivres et des habits aux religieux du Mont Sinaï, dont un nommé Pallade, était supérieur.
Son zèle pour la gloire de l'Église lui faisait avoir l'Ïil sur les évêques et sur les autres prélats, s'informant exactement de leur conduite, et les reprenant généreusement quand ils manquaient à leur devoir. Il écrivit à un évêque qui négligeait les pauvres : «Sachez que ce n'est pas assez, pour rendre un fidèle compte à Dieu, d'être retiré, studieux et adonné à l'oraison, si vos Ïuvres ne sont profitables à vos diocésains, si vous n'avez la main ouverte pour subvenir aux nécessités des pauvres; un prélat doit regarder la pauvreté d'autrui comme la sienne propre. C'est à tort que vous portez le nom d'évêque, si vous faites autrement».
Il ordonna que les seuls ecclésiastiques eussent l'administration des églises et de leur revenu, et que la même personne ne pût posséder plusieurs charges; afin, suivant la doctrine de l'Apôtre, que chaque membre du corps ecclésiastique eût son office propre, et que chacun pût servir Dieu en un même esprit.
Il défendit de donner la conduite des monastères aux ecclésiastiques, disant que c'était là le moyen de les ruiner. Il ne voulait pas qu'eux, ni les religieux, intercédassent facilement auprès des juges pour les malfaiteurs; mais, s'ils le faisaient, que ce fût avec grande prudence, en sorte que leur réputation ne perdît rien de son lustre, et que l'on ne se pût imaginer que l'Église favorisât les crimes et retardât l'exécution de la justice. Il reprit sévèrement les évêques simoniaques et les laïques qui montaient aux évêchés sans avoir passé par les autres degrés de l'Église. Il était ennemi des présents; il en fit rendre qu'on lui avait envoyés et fit reporter de l'argent à ceux mêmes qui les lui avaient faits. Il reprit Janvier, évêque de Cagliari, d'avoir excommunié un homme pour quelque injure qu'il avait reçue de lui; il dit que l'évêque ne doit excommunier personne pour son intérêt particulier, ni employer à se venger une autorité qu'il n'a que pour le bien général de l'Église. Didier, archevêque de Vienne, lui avait demandé le Pallium : le saint Pape lui écrivit de ne pas expliquer au public les poètes ni les autres auteurs profanes, parce que cela ne convenait nullement à son âge ni à sa dignité.
Il ne permettait pas aux évêques de résider hors de leurs diocèses, sinon lorsque la nécessité le demandait, encore n'était-ce que pour quelque temps. Il n'approuvait pas non plus qu'ils s'embarrassassent dans les affaires eu monde qui ne regardaient pas les fonctions de leur charge. Il veillait avec un soin extrême à ce que les religieuses gardassent leur vÏu dans toute sa pureté : c'est pourquoi il blâma fort Vitalien, évêque de Manfredonia, d'avoir permis qu'une religieuse quittât l'habit et retournât au monde; et il réprimanda Romain, exarque d'Italie, d'avoir consenti au mariage de quelques religieuses, le menaçant de la colère de Dieu, s'il n'en faisait pénitence. Il avertit aussi Venance, qui avait quitté l'habit religieux, que, si Ananie et Saphire étaient morts aux pieds de saint Pierre pour avoir retenu et recelé une partie de l'argent qu'ils avaient reçu de leur héritage consacré à Dieu, il pouvait, avec beaucoup plus de raison, appréhender la rigueur de sa justice, pour lui avoir dérobé, non pas des deniers, mais lui-même et ce qu'il lui avait promis, lorsqu'il s'était consacré entièrement à son service. Il ne pouvait souffrir que les ecclésiastiques fissent rien contre la sainteté de leur caractère. Il écrivit à André, évêque de Tarente, qui était accusé d'être tombé dans une faute grave contre les mÏurs chrétiennes, que, s'il se sentait coupable, il devait se démettre de son évêché, parce que, bien que les hommes ne le pussent pas convaincre de ce péché, il ne pouvait pas le cacher à Dieu ni éviter les rigueurs de sa justice.
Saint Grégoire prêchait lui-même à son peuple, et, lorsque les maladies ou quelque empêchement légitime lui ôtaient cette consolation, il composait des sermons et des homélies, et les faisait prononcer en public par quelque autre. Enfin, il était si soigneux, si vigilant et si infatigable à s'acquitter de la charge de bon pasteur, qu'il semble presque impossible qu'un homme seul ait pu faire tant et de si différentes choses à la fois : procurer la paix par sa médiation, penser à la guerre, régler les ecclésiastiques et les séculiers, traiter avec Dieu en l'oraison, et avec les hommes en la conversation. S'appliquer au gouvernement du spirituel et du temporel de l'Église, prêcher si souvent, dicter des lettres si admirables à tant de personnes de diverses conditions; en un mot, composer les beaux ouvrages qui nous restent de lui. Aussi lÕÉglise, durant sa vie, étendit ses rameaux en divers endroits, et pour me servir des termes du prophète : «La vigne du grand Dieu des armées couvrit presque toute la terre»; (Ps 79,12) plusieurs saints
fleurirent et éclatèrent en miracles durant son pontificat, comme nous le pouvons apprendre par ce qu'il en dit lui-même dans ses Dialogues. Sa fermeté à défendre la pureté des mÏurs, mit souvent sa vie en danger. Il excommunia un chevalier romain qui, étant tombé en adultère, avait répudié sa femme légitime. Ce misérable, voulant se venger de lui, eut recours aux magiciens. Pour l'exécution de ce dessein, ceux-ci lui promirent qu'un jour que le saint irait à la ville, ils feraient entrer un esprit malin dans le corps de son cheval, afin que celui-ci, l'ayant jeté par terre, lui marchât sur la ventre et lui ôtât la vie. Ce détestable dessein fut exécuté de la manière quÕil avait été projeté : un démon se saisit du cheval et lui fit faire des bonds si étranges, qu'il ne put être arrêté par ceux qui étaient auprès du Saint-Père; mais Grégoire découvrant, par une inspiration divine, la source du mal, fit le signe de la croix et chassa le démon hors du corps de son cheval. Les magiciens, en punition de leur malice, perdirent la vue corporelle; mais cet accident leur ouvrit les yeux de l'âme, et, leur faisant connaître l'énormité de leur crime, ils renoncèrent à tout commerce avec le démon, et demandèrent le baptême. Le saint pontife le leur donna, sans néanmoins leur rendre la vue, de crainte qu'ils ne revinssent à leurs maléfices et à la lecture des livres d'enchantements et de magie; aimant mieux les faire entretenir aux dépens de l'Église que de leur donner un sujet de se perdre.
Comme nous l'avons déjà dit, Grégoire joignait à un grand courage pour la défense des intérêts de Dieu, une si profonde humilité et une douceur si merveilleuse, que c'est un prodige de voir si bien unies ensemble, en une même personne, deux choses si différentes : la fermeté et la constance d'un souverain pontife à soutenir et à conserver les droits du Saint-Siège, avec l'humilité d'un simple particulier qui se considérait comme le dernier des hommes. C'était une merveille digne des yeux de Dieu, de le voir tantôt donner des lois, et commander aux prêtres, aux magistrats et aux princes même de les garder, et cela, avec une telle autorité, qu'il les privait de leurs dignités s'ils nÕobéissaient; et tantôt s'humilier et s'abaisser comme s'il était le moindre de tous et le plus indigne d'honneur. Car, ainsi qu'il le dit lui-même, les supérieurs ne doivent pas se laisser aveugler par leur puissance, mais regarder qu'ils ont une nature humaine commune avec leurs inférieurs; et, au lieu de se réjouir de se voir les supérieurs des hommes, ils doivent se faire un plaisir de pouvoir leur être utiles par les fonctions de leur charge.
L'humilité de saint Grégoire faisait qu'il appelait les prêtres ses frères, les autres ecclésiastiques, ses très chers enfants, et les laïques ses seigneurs et, quoiqu'il fut la souverain pontife, le pasteur et le patriarche universel de toute l'Église, il ne voulut pas souffrir néanmoins, comme nous avons dit, qu'on lui donnât ce titre, mais il prit seulement la qualité de Serviteur des serviteurs de Dieu, de laquelle il usait en ses lettres apostoliques, et, depuis, tous les autres papes ont suivi ce bel exemple de modestie. Dans une lettre qu'il écrivit à Grégoria, dame d'honneur de l'impératrice, il lui parle en ces termes : «Quant à ce dont vous me menacez, que vous me serez toujours importune jusqu'à ce que je vous écrive que Dieu ma révélé qu'il vous a pardonné vos péchés, vous me demandez une chose difficile et inutile; difficile, parce que je ne suis pas digne d'avoir des révélations; inutile, parce que vous ne devez pas être assurée du pardon de vos péchés jusqu'au dernier soupir de votre vie, lorsque vous ne les pourrez plus pleurer; tant que cette heure tardera à venir, soyez toujours en crainte et en appréhension pour vos fautes : lavez-les tous les jours de vos larmes» . Écrivant à Étienne, évêque, il dit : «Vous faites paraître par vos lettres que vous avez beaucoup d'estime pour moi, et plus que je n'en mérite; le Sage nous avertit de ne point louer l'homme durant sa vie; cependant, encore que je ne
sois pas digne d'entendre les choses que vous dites de moi, je vous supplie, de m'en rendre digne par vos prières, afin qu'ayant dit de moi du bien qui n'est point, il soit en moi dans la suite, parce que vous me l'avez dit».
De cette humilité naissait le mépris qu'il faisait de lui-même. Il parle en ces termes à l'empereur Maurice, dans une lettre qu'il lui écrivit au plus fort de sa persécution : «Je suis un grand pécheur; mais si j'offense continuellement mon Dieu, j'espère qu'au jour de son redoutable jugement, il me
pardonnera mes péchés pour lesquels je suis affligé en cette vie; et je crois, ô empereur, que vous apaisez la justice divine en me persécutant comme vous faites, puisque je ne suis qu'un serviteur lâche et paresseux». De cette même humilité procédait un grand détachement de toutes les choses de la terre, car, quoiqu'il possédât beaucoup de biens, son cÏur n'y était nullement attaché. Un ermite, qui était demeuré longtemps dans les déserts, en perpétuelle oraison et en pénitence, avait prié notre Seigneur de lui faire connaître la récompense qu'il pouvait espérer pour avoir abandonné toutes les commodités de cette vie, afin de le servir dans une si étroite pauvreté; il entendit une voix durant son sommeil : cette voix lui dit qu'il pouvait espérer le même prix qui était dû à la pauvreté du pape Grégoire. Le solitaire s'affligea extrêmement de cette réponse, craignant que sa pauvreté ne fût pas agréable à Dieu, puisqu'il ne promettait point d'autre récompense que celle qu'il donnait à un homme élevé à la première dignité du monde, et qui possédait des trésors immenses; il s'en plaignit pendant plusieurs jours, qu'il passa dans les soupirs et les gémissements, jusqu'à ce que Dieu lui apprit, par un second oracle, que ce n'était pas la possession des biens qui faisait le riche, mais la seule convoitise, et qu'ainsi il ne devait pas préférer sa pauvreté aux richesses de Grégoire, puisqu'il aimait son chat plus que Grégoire n'avait d'affection pour tous les biens et les trésors qu'il possédait; car Grégoire, au lieu de les aimer, les méprisait et en faisait libéralement part aux pauvres.
Sa patience ne paraissait pas avec moins d'éclat que son humilité; c'était une chose digne d'admiration de voir comment il souffrait les calamités publiques qui arrivèrent de son temps, la guerre sanglante que les Lombards firent aux Romains, les persécutions et les mauvais traitements de ses ennemis, et les maladies douloureuses dont il fut attaqué. Voici ce qu'il en dit dans ses épîtres : «Il y a presque deux ans que je suis sur un lit, tourmenté de si grandes douleurs de goutte, qu'à peine me puis-je lever les jours de fêtes pour célébrer la messe; je ne suis pas plus tôt levé que la violence de la douleur me fait remettre au lit, et me presse de telle sorte, qu'elle me fait soupirer. Quoique cette douleur soit plus ou moins supportable, jamais elle n'est si petite qu'elle me quitte entièrement, ni si aiguë qu'elle me fasse tout à fait mourir; ainsi, mourant tous les jours, je ne puis cesser de vivre. Je ne m'étonne pas de ce qu'étant si grand pécheur, Dieu me tient si longtemps en prison». Il dit dans une autre épître : «Je vous prie de ne point cesser de faire oraison pour moi, qui suis un pauvre pécheur; parce que la douleur que je souffre sur mon corps, et l'amertume dont mon cÏur est rempli en voyant la désolation et le ravage que causent les barbares, m'affligent extrêmement; ce n'est pas qu'au milieu de tant de maux je cherche une consolation temporelle je ne demande que l'éternelle; mais comme je ne saurais l'obtenir par moi-même de mon souverain Seigneur, je ne l'attends que par le moyen de vos oraisons».
Nous apprenons, dans ses autres épîtres, qu'il était tellement miné par les maladies, qu'il avait le corps aussi atténué et aussi sec que s'il eût déjà dans le tombeau; rien n Ôtait capable de le consoler que le désir et lÕespérance de mourir bientôt. Il conjurait tous ses amis de prier pour lui, afin de lui obtenir la patience et la constance dans ses souffrances, «de peur que mes fautes», disait-il, «qui pourraient être guéries par les douleurs, ne se renouvellent par mes plaintes». Enfin, lorsqu'il fut purifié par tant de traverses, il plut à Dieu, qui donne récompense aux âmes justes, de satisfaire ses désirs et de délivrer sa belle âme, pour lui donner la couronne de gloire qu'il avait si bien méritée par ses vertus héroïques. Il avait gouverné le siège apostolique treize ans, six mois et quelques jours. Il mourut l'an 604, la seconde année de l'empire de Phocas, le 12 mars, jour auquel l'Église célèbre sa fête, et fut enterré dans l'église de Saint-Pierre.
Les Docteurs de l'Église, qui lui ont succédé, lui ont donné des éloges magnifiques : ils l'appellent «un homme de très grande érudition, le prince des théologiens, la lumière des philosophes, la splendeur des orateurs, la miroir de la sainteté, l'organe du saint Esprit». Saint Ildefonse, archevêque de Tolède, parle de lui en ces termes : «Il fut tellement doué des mérites de tous les anciens, que nous ne trouvons rien de semblable à lui dans l'antiquité : il a vaincu Antoine en sainteté, Cyprien en éloquence, Augustin en science, etc.» Saint Isidore écrit que pas un des docteurs de son temps, ni des anciens, ne pouvait entrer en comparaison avec lui. Et le huitième concile de Tolède dit que, dans les choses morales, saint Grégoire doit être préféré presque à tous les docteurs de l'Église.
Les persécutions contre ce saint pape ne finirent pas à sa mort : Dieu voulait rendre sa sainteté plus éclatante et plus célèbre par les miracles qui se feraient à ce sujet. En effet, un jour le peuple, dans un temps de famine, s'adressa au pape Sabinien, pour lui remontrer le soin et la charité que saint Grégoire, son prédécesseur, avait fait paraître en de semblables calamités, espérant le porter, par là, à les secourir; ce pape, se sentant piqué de ce reproche tacite, donna ordre à des flatteurs de publier que Grégoire avait été un homme vain et prodigue, et que, par sa mauvaise administration, lÕÉglise était tellement épuisée de finances, qu'elle ne pouvait suffire à cette extrême nécessité. Cette plainte injuste passa si avant, que l'on commença à amasser tous les livres du saint pour les brûler; on en brûla même quelques-uns, selon le diacre Jean, ou bien l'on fut près de les brûler, selon le cardinal Baronius. Ceux que nous avons furent conservés par lÕindustrie de Pierre, diacre, qui avait été fort familier avec le saint pontife; c'est lui que saint Grégoire introduit, discourant, en ses Dialogues. Ce saint diacre, voyant l'injuste dessein de Sabinien, assura qu'il avait souvent aperçu le saint Esprit en forme de colombe, sur la tête de saint Grégoire, lorsqu'il écrivait, et que c'était commettre un crime horrible contre le ciel et un sacrilège contre l'esprit de Dieu, de vouloir brûler des livres qui avaient été composés sous son inspiration; et, pour les convaincre qu'il disait la vérité, il ajouta qu'il était prêt à maintenir et à confirmer sa déposition par un serment solennel en présence de tout le monde; que, s'il mourait après avoir juré, ils devaient croire qu'il leur avait dit vrai, et conserver avec vénération les livres de ce grand pape; mais que, s'il ne mourait pas, ils le tiendraient pour un menteur, et il serait le premier à brûler les livres. Sa proposition fut acceptée : Pierre affirma, par serment, ce qu'il avait avancé, et mourut comme il l'avait dit, en achevant de jurer. Tout le monde fut extrêmement effrayé de ce prodige, et depuis, on eut toute la vénération possible pour celui que Dieu avait justifié par un miracle si évident. Voilà pourquoi les peintres représentent une colombe blanche auprès de l'oreille de notre saint pape, pour nous signifier que le saint Esprit est l'auteur de ce qu'il écrit.
Il se fit plusieurs autres miracles par les mérites de ce grand serviteur de Dieu, particulièrement contre les personnes qui profanèrent son monastère par leur vie déréglée, qui dépensèrent inutilement, ou ménagèrent mal son revenu, qui ôtèrent aux pauvres ce quÕil leur avait laissé, ou qui commirent quelques autres actions contre la respect et la vénération qu'on devait à sa mémoire.
Outre la colombe, dont nous venons de parler, on donne, dans les arts, un grand nombre d'autres attributs à saint Grégoire. Pou de vies offrent des scènes aussi grandioses : Telle est celle de la procession qu'il fit pour obtenir du ciel la cessation de la peste à Rome; dans les airs, au-dessus du môle d'Adrien qui prendra dès lors le nom de Château-Saint-Ange, apparaît un ange, qui remet l'épée dans le fourreau et divers esprits chantent dans les airs. On peut faire entrer dans cette scène l'image de Notre-Souveraine que le saint pape fit porter dans cette procession et qui est encore honorée aujourd'hui à Sainte-Marie-Majeure. — Le chant des anges était celui-ci : Réjouissez-vous, Reine du ciel, Regina cÏli lætare alleluia. Le pape compléta l'antienne en ajoutant ces mots qui la terminent aujourd'hui : Ora pro nobis Deum; priez Dieu pour nous : l'artiste pourra donc écrire ces paroles caractéristiques du saint, soit sur un cartouche, soit sur une banderole.
Saint Grégoire le Grand a encore reçu comme attribut une église sur la main, soit pour rappeler qu'il a été le soutien de l'Église, soit pour le désigner comme fondateur de monastères.
La Liturgie dite de saint Grégoire est célèbre : Nous décrivons la scène que rappellent ces mots, d'après une vieille gravure en bois, antérieure au XV e siècle. Saint Grégoire revêtu de la chasuble est agenouillé sur le marchepied de l'autel, entre un diacre et un sous-diacre, qui portent une torche. Le calice est au milieu de l'autel sur un corporal étendu; le livre est ouvert du côté de l'évangile et vers l'angle opposé se voit la tiare papale. Les accessoires rappellent les diverses circonstances et instruments de la passion, qui s'y trouve représentée avec d'infinis détails. Mais quelle est la signification de tout cet ensemble dans lequel figure saint Grégoire ?
On place encore près de lui des papiers ou des livres de notation musicale. Pour montrer qu'il a fixé les bases de la liturgie et réglé le chant ecclésiastique. Chacun sait qu'on nomme chant grégorien le système de tonalité, et de modulations qui dominent dans la musique de l'Église.


1 Paul Diacre. c. 2.

2 Ac 8,20 — Dial. 1, 6

3 Il parait, par la vie de saint Théodose le Cénobiarque, par l'oraison funèbre de lÕempereur Valentien, composée par saint Ambroise, et par plusieurs autres monuments de l'autiquité ecclésiastique, que dans les premiers siècles du christianisme on offrait des prières et des sacrifices solenels pour les défunts, le troisième, le septième, le trentième et quelquefois le quarantième jour après leur mort. On a donné le nom de grégoriennes aux messes que l'on dit trente jours de suite peur l'âme de quelque défunt, en mémoire de ce que saint Grégoire tu avait fait dire un égal nombre pour le repos du moine juste. (Voir Gavantus et les autres rubricaires.)

4 Saint Grégoire avait formé une petite bibliothèque pour saint Augustin, apôtre de l'Angleterre, et ce dernier la mit dans son monastère de Cantorbéry. Il en reste encore un livre des évangiles, qui est dans la bibliothèque bodléieune à Londres : il y en a aussi un exemplaire dans la bibliothèque de Corpus Christi à Cambridge. Les autres livres que saint Grégoire avait donnés 4à saint Augustin étaient des Psautiers, le Pastoral, le Passionarium sanctorum, etc. voir le catalogue des Mss. saxons, par M. Wanley, à la fin du Thesaurus du docteur Hickes, p. 172.
On gardait aussi autrefois, dans 16 monastère de Cantorbéry, des ornements précieux, des vases, des reliques et un Pallium que saint Grégoire avait donnés à saint Augustin. On voit encore dans la bibliothèque harléienne, à Londres, l'inventaire manuscrit de tous ces effets, qui avait été fait par Thomas Elmham, sous le règne de Henry V. Il a été publié par la savante dame Elstob, à la fin d'un panégyrique de saint Gregoire, en langue saxonne.