SAINT ATTALE, ABBÉ DE BOBBIO

fêté le 10 mars

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 3 p. 340 à 342


Saint Attale, second abbé de Bobbio, en Lombardie, naquit en Bourgogne, de parents fort illustres par leur piété et par leur noblesse. Son père, remarquant qu'Attale avait beaucoup de dispositions pour les lettres, le mit sous la conduite d'Arigius, évêque de Gap, afin qu'il apprit en même temps la vertu et les sciences. Mais Attale, voyant qu'il profitait peu dans le palais épiscopal, et aspirant à une plus haute perfection, résolut secrètement d'embrasser la vie monastique et se retira au monastère de Lérins. Il y vécut quelque temps avec une merveilleuse pureté; mais, voyant que les religieux de cette maison se relâchaient des rigueurs de leur règle, il crut qu'il devait chercher un autre lieu de refuge pour s'y retirer. Il quitta donc Lérins et alla trouver saint Colomban, qui avait fondé depuis peu le monastère de Luxeuil, pour y être reçu au nombre de ses religieux. Ce saint personnage, remarquant dans Attale une inclination toute portée à la vertu, fut ravi de l'avoir, et se rendit très soigneux de son avancement spirituel. Il le mena aussi avec lui en Lombardie lorsquÕil fut exilé de France par Thierry. Notre saint fit de si grands progrès sous la discipline d'un si bon maître, qu'après la mort de saint Colomban il fut jugé digne de gouverner le célèbre monastère de Bobbio, que le même saint avait fondé durant son exil par le secours dÕAgilulf, roi des Lombards. Mais Attale ne rencontra pas peu de difficulté lorsqu'il voulut maintenir les religieux dans l'étroite observance de leur règle; quelques-uns d'entre eux murmurèrent hautement contre lui, se plaignant de la sévérité de sa conduite et de la pesanteur du joug qu'il leur imposait. En vain, il fit son possible pour les remettre dans le devoir, et y employa la douceur avec toutes les marques d'un amour vraiment paternel; en vain il leur montra que les saints pères avaient tous marché par la voie de la mortification et par le mépris des choses de cette vie présente, il ne put jamais rien gagner sur eux. Plusieurs secouèrent entièrement le joug de l'obéissance, et, sous prétexte de mener une vie solitaire, ils sortirent du monastère pour être en liberté, chargeant ce saint, abbé d'une infinité de calomnies et d'impostures; mais la justice divine ne laissa pas longtemps impunis ces rebelles.
En effet, bientôt après, le principal auteur de ce désordre et celui qui parlait de cet excellent supérieur avec le plus d'impudence, fut saisi d'une fièvre si violente, qu'il reconnut bientôt que c'était un coup de la main de Dieu qui le punissait de son péché; c'est pourquoi il demanda, avec de grands cris, qu'il lui fût permis de parler au saint abbé et de lui demander pardon : mais le moyen lui en fut ôté par une mort précipitée. Quelques-uns de ses compagnons, touchés de repentir à la vue d'un si terrible châtiment, allèrent se jeter aux pieds de celui qu'ils avaient offensé, et le supplièrent de leur pardonner leur témérité. Attale leur accorda leur grâce avec beaucoup de générosité, en les recevant comme des ouailles sauvées de la gueule du loup; il les rétablit chacun en leur ordre. Quant aux autres qui, par honte ou par obstination, ne voulurent point retourner au monastère, où ils devaient obtenir la rémission de leur crime, ils finirent leur vie misérablement et avec des marques visibles de la justice divine : l'un fut tué d'un coup d'épée, et deux autres se noyèrent.
À la suite de ces punitions si exemplaires, Dieu autorisa la conduite de son serviteur par plusieurs actions miraculeuses, qui le rendirent de plus en plus considérable. Le moulin du monastère était en grand danger d'être emporté par un débordement de la rivière de Bobbio, qui a donné le nom à cette abbaye; il y envoya Sinoalde, diacre, et, lui mettant en main sa crosse, il le chargea de faire le signe de la croix, et de commander aux eaux de prendre un autre cours. Sinoalde y alla, et trouva plus d'obéissance en cet élément que le saint homme n'en avait trouvé dans l'esprit de ses mauvais religieux. Il arrêta les ondes et revint aussitôt raconter ce prodige au saint abbé, qui lui défendit d'en parler pendant sa vie. Un religieux, qui labourait la terre à une demi-lieue du monastère, s'étant coupé le pouce de la main gauche, eut recours au saint abbé pour être guéri. Le saint le renvoya chercher son pouce qu'il avait laissé sur le lieu; et, le frottant avec de la salive, il le rejoignit si parfaitement, qu'on eût dit qu'il n'avait point été coupé. Il rendit aussi la santé à un enfant abandonné des médecins. L'historien Jonas, qui raconte ces faits, en fut témoin oculaire.
Quoique notre saint fît tout son possible pour cacher sa sainteté, son humilité, cependant, ne put empêcher qu'il ne fût considéré comme la merveille de son siècle. Il avait une grande douceur envers ses inférieurs, une modération et une honnêteté extrêmes à l'égard de ses égaux, une sagesse admirable pour récompenser les mérites, une souveraine condescendance pour instruire les ignorants et pour relever et soutenir les faibles, une prudence et un talent particuliers pour accommoder les différends, un courage inflexible pour s'opposer aux superbes et pour combattre les ennemis de la vérité, une intelligence consommée pour toutes sortes d'affaires, et une charité universelle pour tous ceux qui dépendaient de lui ou qui traitaient avec lui. Sa patience ne se lassait jamais dans les adversités, et son cÏur ne sÕenflait ni ne s'élevait jamais dans les prospérités; en un mot, c'était un excellent modèle, où toutes les vertus chrétiennes et morales paraissaient avec éclat.
Comme saint Colomban, son prédécesseur, Attale combattit avec vigueur l'arianisme qui infectait encore l'Italie, surtout le Milanais. Aussi Ariowald, roi des Lombards, qui professait cette hérésie, haïssait beaucoup notre saint et ses moines. Un jour que l'un d'eux passa sans le saluer, car, à cette époque, on suivait souvent à la lettre le précepte de saint Jean : «Ne saluez pas même celui qui est excommunié », le roi ordonna à quelqu'un de ses gens de l'attendre sur le chemin où il devait passer pendant la nuit, et de le tuer. Cet ordre fut exécuté. Mais Dieu ressuscita le mort, et le meurtrier, saisi par le démon, souffrit d'horribles douleurs; Attale seul put le délivrer. Un autre religieux, que le saint Abbé avait chargé de détruire les restes du paganisme à Tortone, fut saisi par les habitants, qui le jetèrent dans l'eau, et entassèrent sur lui d'énormes pierres. Par un effet de la puissance divine, le martyr sortit de l'eau sain et sauf, tandis que la plupart des persécuteurs moururent de mort violente.
Cinquante jours avant sa mort, Attale eut avis, par révélation, de se tenir prêt pour un grand voyage; et ne comprenant pas si, en effet, Dieu le destinait pour quelque terre étrangère, ou si la mort devait finir son pèlerinage en ce monde, il mit tout en ordre dans son monastère, et fit tous les préparatifs nécessaires pour entreprendre une longue course, et se mettre en chemin si c'était la volonté de Dieu. Mais se sentant saisi de la fièvre vers la fin du terme marqué, il comprit que ce voyage regardait l'éternité. Enfin, connaissant par le redoublement des accès, que sa dernière heure était proche, il se fit mettre à la porte de sa cellule, où il y avait une croix qu'il
touchait toujours en entrant et en sortant, avant de faire sur lui ce signe du salut; il la salua amoureusement et de toutes les affections de son âme, puis, versant des torrents de larmes, il pria humblement la divine Bonté de lui pardonner toutes ses fautes passées, et de ne pas l'exclure de son paradis. Ensuite, il congédia les assistants, et demanda qu'on le laissât seul quelque temps; néanmoins, saint Blimond, cet illustre abbé de Saint-Valery, dont nous avons donné la vie le troisième jour de janvier, demeura secrètement auprès de lui, afin de le secourir au besoin. Saint Attale se croyant seul, donna à son cÏur une entière liberté d'exprimer ses sentiments. Il implora avec larmes la divine miséricorde, et la conjura de le regarder d'un Ïil de pitié. Au milieu de ses soupirs, levant les yeux au ciel il le vit ouvert et le considéra l'espace de plusieurs heures; après quoi, ayant fait appeler ses religieux, il les pria de le reporter dans sa cellule. Le lendemain, il les fit tous assembler, leur fit une pressante exhortation à la persévérance, leur dit plusieurs choses pour les consoler; et enfin, leur ayant donné sa dernière bénédiction, il rendit son âme à celui qui l'avait créé, le 10 mars 627. Il fut enterré dans le monastère de Bobbio, à côté de son illustre maître Colomban. Plus tard, on déposa dans le même tombeau le corps de saint Bertulfe, et les trois saints partagèrent depuis les mêmes honneur.


Jonas, écossais, qui fut son disciple après l'avoir été de saint Colomban, écrivit sa vie, ainsi qu'elle se trouve au troisième tome du vénérable Bède, d'où Surins l'a recueillie. Les doctes continuateurs de Bollandus la rapportent au second tome de ce mois, après lÕavoir collationnée sur quatre anciens manuscrits.