SAINT MARTIAL, APÔTRE , PREMIER ÉVÊQUE DE LIMOGES

fêté le 30 juin

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 7 p. 516 à 527


Nous ne pouvons être repris de donner à saint Martial le titre d'Apôtre, après que le pape Jean XIX et les conciles de Limoges et de Bourges, dans le 9 e siècle lui ont donné ce titre, après que tout récemment encore, la sacrée congrégation des Rites et le pape Pie IX l'ont maintenu dans ce titre d'honneur. C'était aussi l'usage des Églises d'Aquitaine, de France, d'Angleterre, de Constantinople et du Mont Sinaï, où, de temps immémorial, on l'invoquait dans les litanies et les autres prières publiques, au rang des apôtres et avant tous les martyrs, comme il fut vérifié dans ces conciles et surtout au second de Limoges. Ce n'est pas qu'il soit du nombre des douze qui ont composé le collège apostolique; car c'est à tort que quelques-uns l'ont voulu confondre avec saint Matthias; mais il est appelé apôtre, parce que, d'après les traditions immémoriales de l'Aquitaine, étant disciple de notre Seigneur,
et ayant reçu de lui sa mission, il a travaillé avec les principaux apôtres, de même que saint Barnabé, saint Luc et saint Marc, à la conversion des infidèles, à la destruction de l'idolâtrie, à l'établissement du royaume de Jésus Christ, et à la fondation de l'Église chrétienne. Une ancienne légende de saint Martial, récemment publiée, ne renferme qu'un abrégé des principaux
traits de sa vie, savoir : sa mission du temps de saint Pierre, la résurrection de saint Austriclinien, son compagnon d'apostolat, le baptême et le martyre de sainte Valérie, la conversion des habitants de Limoges, la mort bienheureuse du saint évêque, et le récit de quelques miracles opérés à son tombeau. Il existe une légende plus étendue, qui a été faussement attribuée à saint Aurélien, son successeur, mais qu'on peut considérer néanmoins comme un recueil des anciennes traditions du pays, sur la vie et les miracles de l'apôtre de l'Aquitaine. Cette légende a été acceptée, en effet, comme l'expression de la croyance publique, par les évêques et les abbés, qui siégeaient dans les divers conciles où l'on décida la question de l'apostolat de saint Martial. Nous allons en donner le résumé, en y ajoutant d'autres traditions qui avaient cours dans ces siècles de foi qu'on appelle la moyen âge.
Saint Martial était hébreu d'origine et de la tribu de Benjamin. Le poète Fortunat, dans des vers qu'il a composés à sa louange, lui adresse ces paroles : «La tribu de Benjamin vous vit naître d'un sang illustre»; et Grégoire de Tours lui-même, qui s'est mépris sur la véritable époque de sa Mission, reconnaît qu'il «était venu d'Orient», avec les deux prêtres qui l’accompagnèrent dans la Gaule. D'après quelques anciens manuscrits de la légende d'Aurélien, il naquit à Rama,1 petite ville de Palestine dont il est souvent parlé dans l'Écriture. Son père et sa mère, qui vivaient, dans l'observance exacte de la loi de Moïse, l'élevèrent dans la crainte de Dieu; et quand Jésus Christ commença à prêcher et à faire de grands miracles dans la Galilée et dans la Judée, il eut le bonheur de le voir et de l'entendre avec ses parents. La parole de ce grand Maître opéra si puissamment dans leur cœur, qu'ils crurent en lui et le reconnurent pour le Sauveur et pour le Messie, et ils furent du nombre de ceux dont il est parlé dans l'Évangile, qu'il baptisa, non pas par lui-même, mais par ses disciples. On dit que ce fut saint Pierre qui leur administra ce sacrement, aussi différent du baptême de saint Jean que l'ombre est différente du corps, la figure de la vérité et l'ébauche de l'ouvrage parfait et achevé. Martial, après son baptême, quelque jeune qu'il fût, s'attacha inséparablement à notre Seigneur.
Plusieurs docteurs du moyen âge, parmi lesquels nous citerons Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin,2 disent que saint Martial était ce petit enfant que notre Seigneur mit au milieu de ses disciples, pour leur apprendre à être humbles, lorsqu'ils vinrent lui demander qui d'entre eux serait le plus grand dans le royaume des cieux; d'autres écrivains du moyen, âge, rapportent que c'était lui qui apportait les cinq pains d'orge et les deux poissons que notre Seigneur multiplia si miraculeusement dans le désert, selon cette parole de saint Philippe : «Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ?» Toutefois ces deux traditions ne sont point rapportées dans la légende écrite sous le nom d'Aurélien.
Ce que cette légende rapporte et ce qu'on trouve aussi dans la balle du pape Jean XIX, c'est que saint Martial eut l'honneur de servir notre Seigneur à table, lorsqu'il mangea pour la dernière fois l'Agneau pascal, et qu'après avoir lavé les pieds de ses disciples, il institua le sacrement adorable de l'Eucharistie. Disciple du Fils de Dieu, il le vit après sa résurrection, assista au glorieux triomphe de son Ascension, reçut le saint Esprit au jour de la Pentecôte, puis s'attacha à saint Pierre, dont il étai le parent selon la chair et le fils spirituel. Saint Abbon, abbé de Fleury an 10 e siècle, a chanté, dans une Séquence, ces pieuses traditions : «Dans la scène mystique, Martial fut le convive du Christ, et prit ce qui resta du pain céleste; et, joyeux, il présenta les linges quand le Sauveur se lava pour essuyer les pieds à ses disciples; et loin de s'enfuir de leur réunion sacrée, il fut un membre pieux de cette troupe timide dans laquelle Thomas ne se trouva point; bien plus, quand le Christ remonta vers le ciel, il mérita d'être béni avec la foule des assistants; et il ne méprisa point le chœur des apôtres qui louaient Dieu; mais il reçut avec eux les grâces du saint Esprit et le don des langues, et ainsi fortifié, il parvint à Antioche dans la compagnie de Pierre : de là il se rendit dans la grande ville de Rome».
Rome a conservé le souvenir du passage et des prédications de saint Martial. Une tradition de la plus haute antiquité, consignée dans l'ancien bréviaire de Sainte-Marie in Via Lata, lui attribue la fondation de l'Oratoire souterrain de cette église, un des sanctuaires primitifs de Rome chrétienne.
Nous lisons dans cette légende que «saint Pierre étant venu à Rome, fut accompagné entre autres du bienheureux Martial, disciple de Jésus Christ, qui prêchait avec lui la foi chrétienne par les rues et les places publiques, et faisait beaucoup de conversions; et ainsi le nombre des fidèles augmentait de plus en plus dans la ville. Et parce que saint Pierre demeurait assidûment avec les principaux de Rome, qui admiraient sa nouvelle doctrine, saint Martial demeurait dans un autre quartier de la ville, dans le lieu qui est appelé Via Lata, où il construisit un petit oratoire, dans lequel il célébrait les saints mystères, et répandait des prières avec les autres fidèles du Christ; et faisant jaillir de son cœur des paroles suaves sur la foi du Christ, il baptisait un grand nombre de néophytes. Quelque temps après, l'apôtre saint Paul vint à Rome, avec un grand nombre de disciples, parmi lesquels se trouvait l'évangéliste saint Luc, et la ville de Rome fut éclairée admirablement par leurs prédications, ainsi que par un soleil resplendissant. Mais saint Pierre, voyant que la foi était fondée et affermie dans Rome, et que la ville était déjà remplie de pieux docteurs, résolut de faire annoncer l'évangile aux provinces adjacentes et d'amener les infidèles à la foi. C'est pourquoi il envoya le bienheureux Martial à Ravenne et «dans les pays au-delà des Monts», pour y prêcher la foi du Christ.
Un commentaire de cette légende, imprimé à Rome au 17 e siècle, dit que saint Martial, fondateur de l'Oratoire de Sainte-Marie in Via Lata, est le même saint Martial qui a prêché l'évangile aux habitants de Limoges, de Toulouse et de Bordeaux.
Le zèle que saint Martial avait déployé, dans la compagnie de saint Pierre, pour la propagation de la foi, détermina donc ce grand apôtre, dont la vue s'étendait sur toute, la terre, à le choisir pour porter la connaissance de Jésus Christ dans les Gaules. Il partit de Rome, accompagné de saint Austriclinien et de saint Alpinien, que saint Pierre lui donna pour collègues, portant dans sa bouche le glaive de la parole de Dieu, pour combattre les philosophes, la superstition des Druides, la puissance des princes et des démons, et, en même temps, pour éclairer les âmes et les embraser du feu de la charité.
Mais après quelques jours de voyage, il se vit privé du secours que l'apôtre lui avait donné, par la mort d'un de ses compagnons, saint Austriclinien, à Cracchianum, sur la rivière. d'Else, aujourd'hui Granciano, près de la ville de Colle di Val d’Elza, en Toscane. Cet accident imprévu la troubla d'abord, et servit d'épreuve à son généreux courage. Il se décida alors à retourner sur ses pas, pour en informer saint Pierre, et le prier de suppléer au dommage qu'il souffrait par la perte d'un secours si considérable. L'apôtre le consola et le fortifia dans sa première résolution; et, pour lui rendre le secours qu'il avait perdu, il lui donna son bâton, lui recommandant de le mettre sur le corps du mort, avec une ferme confiance qu'il ressusciterait. Martial le prit avec beaucoup de respect, obéit sans résistance à la voix de son maître, s'en revint promptement à Gracchianum, et toucha Austriclinien avec ce bâton. Comme sa foi était incomparablement plus grande que celle de Giézi, serviteur d'Elisée, qui avait eu un ordre semblable d'appliquer le bâton de ce prophète sur le cadavre du fils de la Sunamite, son action fut aussi plus heureuse et plus efficace : Austriclinien en sentit aussitôt la vertu; il ouvrit les yeux, se leva et pleine santé, et se trouva en état de continuer son voyage, apostolique.
Les anciens actes de saint Martial, en rapportant cette résurrection, s'expriment de la sorte : «La chose arriva comme saint Pierre l'avait annoncé, ainsi que l'atteste la renommée populaire. À peine saint Martial eut-il touché avec le bâton de saint Pierre le cadavre de son compagnon, que les membres que la chaleur du sang avait abandonnés, furent rendus sur le champ, à une nouvelle vie; Austriclinien commença à voir de ses propres yeux la lumière dont il avait perdu la jouissance en mourant. Pourquoi ce miracle, sinon pour faire briller dans tout son éclat la foi de Pierre au nom duquel il se fit ?»
On voit encore, près le pont de Granciano, une ancienne église dédiée sous l'invocation de saint Martial, et élevée sur le tombeau d’Austriclinien; on y lit une inscription qui rappelle les traditions les plus glorieuses pour le saint apôtre; et tout près de là, la ville de Colle a été érigée en titre épiscopal en l'honneur du disciple de Jésus Christ.
Le pays que saint Martial avait reçu la mission d'évangéliser s'étendait entre le Rhône, la Loire et l'Océan atlantique, et comprenait cette grande partie des Gaules que les anciens appelaient l'Aquitaine. Après avoir traversé de vastes contrées en semant sur son chemin la parole divine, l'apôtre arriva, avec ses deux disciples, sur les frontières du Limousin. Il entra dans la ville de Toulx, qui n'est aujourd'hui qu'une bourgade située sur une montagne,3 mais qui alors était un château ou ville fortifiée, dont la triple enceinte et les ruines, qui subsistent encore, attestent l'ancienne étendue. On lit dans la légende d'Aurélien qu'un homme riche de cette ville, qui eut le bonheur de recevoir saint Martial et de le loger plusieurs jours dans sa maison, ne fut pas privé de la récompense de son hospitalité; il avait une fille unique, possédée d'un furieux démon qui lui faisait souffrir de grands maux et la réduisait à un état déplorable : le saint en eut pitié, et, la délivrant de ce terrible ennemi, la rendit saine et sauve à son père; il ressuscita aussi le fils du prince, ou gouverneur romain de cette ville, et après avoir conféré le baptême à ce jeune, homme et à un grand nombre d'habitants, il alla au temple des faux dieux et en abattit les statues.
De Toulx, l'Apôtre se rendit dans le bourg d'Abun4 avec l'espérance d'y travailler avec le même succès; mais les prêtres des idoles, ne pouvant souffrir que le culte qui leur faisait gagner leur vie fût aboli, le frappèrent cruellement, lui et ses bienheureux compagnons. Par un juste châtiment du ciel, ils devinrent aveugles, et, reconnaissant leur crime, ils demandèrent pardon à saint Martial, qui leur rendit la vue. Après que sur une parole de l'apôtre, la statue de Jupiter eut été réduite en poussière, un grand nombre de païens, convertis par ses miracles, reçurent le baptême et brisèrent les images sculptées des démons. Saint Martial guérit encore en ce lieu un paralytique; et, ayant fait connaître à ceux qu'il avait baptisés qu'il avait reçu l'ordre d'aller plus loin, il se sépara de ses néophytes après les avoir recommandés à Dieu, et se rendit à la cité de Limoges, la principale et la plus peuplée de toutes les villes du Limousin.
Voici ce que nous lisons dans l'ancienne vie de saint Martial
«À son arrivée à Limoges, il trouva la multitude adonnée au culte des idoles; il se mit à prêcher avec tant d'instance la parole de Dieu, qu'il fit sur le Peuple l'impression la plus salutaire; au bout de peu de temps, un grand nombre de païens demandèrent à être régénérés dans les eaux du
baptême, et à recevoir sur le front l'impression sacrée de la croix de Jésus Christ; par ses exhortations fréquentes l'homme de Dieu produisit, au lieu de cette cité, des fruits abondants de salut.
«Une jeune fille, nommée Valérie, plus noble par sa foi que par son illustre origine, eut le bonheur de plaire à Dieu par ses vertus. Elle était déjà fiancée, elle devait contracter un mariage en rapport avec sa haute naissance; mais en écoutant fréquemment la parole divine, elle préféra le céleste Époux à un époux terrestre, et, à la voix de Martial, elle parvint à la grâce du baptême; et l'on rapporte que, comme elle était devenue chrétienne et n'avait pas voulu contracter le mariage projeté, elle fut mise à mort par son fiancé, encore païen».
C'est ainsi que s'exprime cette ancienne vie
La légende d'Aurélien entre dans de plus grands détails. Saint Martial et ses compagnons, entrant dans la cité de Limoges, reçurent l'hospitalité chez une noble dame, dont la fille unique se nommait Valérie. Il y avait dans la maison un homme si furieux, qu'on était obligé de le tenir lié de beaucoup de chaînes : mais saint Martial ayant fait sur cet homme le signe
de la croix, ses chaînes se brisèrent et il fut entièrement guérie. La noble matrone, en voyant ce miracle, pria l'homme de Dieu de la baptiser; et elle reçut le baptême avec sa fille et la troupe nombreuse de ses serviteurs.
Puis Martial s'étant rendu avec ses disciples dans la vaste enceinte du théâtre, où le peuple était assemblé, pour y prêcher l'évangile du royaume de Dieu, les prêtres des idoles, craignant que ces heureux commencements ne fussent suivis d'une prompte conversion de toute la ville, conçurent une telle rage contre nos saints, qu'ils se saisirent d'eux, les firent battre de verges et les jetèrent en prison. Mais le lendemain, Martial s'étant mis en prière, il parut au milieu du cachot une lumière céleste qui en éclaira les ténèbres et le changea en un temple de gloire; et, en même temps, les fers tombèrent des pieds et des mains de ces bienheureux prisonniers, et les portes s'ouvrirent pour leur donner la liberté de se retirer. Cependant toute la ville fut agitée d'un furieux tremblement de terre, accompagné d'un tonnerre épouvantable qui la mit en feu; on vit que Dieu tirait vengeance de l'affront fait à ses serviteurs; bien plus, les deux principaux prêtres des idoles, qui avaient mis la main sur eux, furent trouvés morts sur la place par la violence de cette tempête, sans que ni leurs vœux sacrilèges, ni leurs sacrifices impies eussent pu les sauver de la justice divine. Les habitants, touchés de ces prodiges, et craignant d'être enveloppés dans cette terrible punition, coururent promptement à la prison pour implorer le secours des saints apôtres. Martial leur promit qu'ils n'éprouveraient point de mal, pourvu qu'ils voulussent croire en Jésus Christ, et s'offrit même de ressusciter les deux prêtres frappés du tonnerre, afin de leur faire voir la puissance infinie du Dieu qu'il leur prêchait. En effet, à peine leur eut-il commandé de se lever et de dire publiquement au peuple ce qu'il fallait faire pour être sauvé, qu'ils revinrent tous deux en vie, et devinrent en même temps les prédicateurs de la vérité. Ils détestèrent l'erreur dans laquelle ils avaient vécu jusque-là, et où ils avaient entretenu tant de malheureux qui s'étaient perdu et protestèrent qu'il n'y avait point d'autre Dieu, ni au ciel ni sur la terre, que celui que Martial était venu leur annoncer. L' un d'eux, nommé Aurélien, fut plus tard le successeur de saint Martial. Un si grand miracle fit un merveilleux changement dans toute la ville; la plupart des idolâtres se convertirent, les statues des faux dieux furent renversées et mises en pièces, et le temple des idoles, où se trouvaient les statues de Jupiter, de Mercure, de Diane et de Vénus, fut changé en une église pour honorer le vrai Dieu. C'est aujourd'hui l'église cathédrale, dédiée en l'honneur du premier martyr saint Étienne. On dit que les personnes qui furent baptisées montèrent jusqu'au nombre de vingt-deux mille : ce qui ne doit pas paraître incroyable, puisque nous voyons qu'en d'autres lieux le nombre des martyrs a souvent été plus grand.
Cependant la pieuse matrone, qui avait donné l'hospitalité à saint Martial et à ses compagnons, vint à mourir. Sa fille, Valérie, était fiancée au gouverneur de la province, que la légende d'Aurélien appelle le due Étienne, sans doute parce que ce nom lui fut donné lorsque plus tard il reçut le baptême à son tour. La jeune vierge méprisa cet époux terrestre pour mériter d'être l'épouse du roi du ciel, et, ayant appris de saint Martial, son maître, les avantages de la virginité sur le mariage, elle consacra la sienne à Jésus Christ, et fit vœu de la garder inviolablement toute sa vie. Son fiancé, étant de retour à Limoges, et connaissant cette résolution, en fut touché d'une extrême douleur; puis la fureur succédant à la tristesse, il résolut de se venger, par la mort de cette innocente vierge, de l'affront qu'il prétendait recevoir de ce refus. Il la fit conduire hors de la cité, et ordonna à un de ses officiers de lui trancher la tête.5
On lit dans la légende de sainte Valérie, une particularité qu'on trouve aussi dans les légendes de quelques autres martyrs des premiers siècles — c'est que cette glorieuse vierge, ayant été décapitée, prit sa tête entre ses mains et la porta comme en triomphe jusqu'à l'autel où saint Martial célébrait les saints mystères.
La légende d'Aurélien raconte que, au moment du supplice de Valérie, on vit son âme sainte monter au ciel dans un globe de feu, accompagnée par le concert harmonieux des anges : «Vous êtes heureuse, martyre du Christ : venez dans la splendeur qui ne connaît pas de fin !»
Surpris de ces prodiges, l'officier qui avait tranché la tête à Valérie courut les raconter à son maître. À peine en eut-il fait le récit, qu'il tomba mort à ses pieds, afin que sa mort fît voir à ce seigneur la grandeur du crime qu'il avait commis. Étienne, épouvanté, fit venir Martial en son palais, et, lui ayant promis de faire pénitence s'il rendait la vie à son officier, il fut témoin de cette résurrection et exécuta solennellement la promesse qu'il avait faite. Sa conversion fut suivie de celle d'un grand nombre de soldats de son armée et d'habitants de la ville qui ne s'étaient pas rendus aux premiers miracles de notre saint. Et pour réparer dignement ses fautes passées, le gouverneur aida Martial à étendre et à propager le christianisme dans tout le pays.
Notre apôtre, après avoir travaillé avec de si heureux succès à réduire la ville de Limoges sous le joug de Jésus Christ, entreprit la conquête des autres villes et provinces de cette partie des Gaules, qu'on appelait alors l'Aquitaine; nous citerons parmi ces villes Angoulême, Bordeaux, Toulouse, Poitiers. Le titre glorieux qui lui est demeuré, d'Apôtre de l'Aquitaine, fait assez voir que ses courses apostoliques ne furent pas inutiles, qu'il y alluma de tous côtés le flambeau de la foi, qu'il y fit connaître et aimer Jésus Christ, qu'il y établit des Églises, ordonna des prêtres et des évêques, et fit les autres fonctions de son apostolat.
C'est une tradition immémoriale dans la province d'Angoumois, que saint Martial, se rendant à Bordeaux pour y prêcher l'évangile, passa par la cité d'Angoulême, y séjourna quelque temps, y convertit le peuple à la foi du vrai Dieu, y baptisa saint Ausone et l'ordonna premier évêque de cette ville.
La ville de Bordeaux se reconnaît redevable à saint Martial des premières annonces de la foi. C'est une tradition recueillie dans la légende d'Aurélien, que l'apôtre d'Aquitaine y a prêché l'évangile et opéré des miracles. Un archevêque de Bordeaux, au 10 e siècle, disait dans une éloquente prière : «Ne croyons-nous pas que notre ville épiscopale, la cité de Bordeaux, a été par vous acquise à Jésus Christ, et qu'une femme que vous aviez baptisée, imposant votre bâton pastoral sur le prince de la cité, le guérit d'une maladie invétérée ?» Nous voyons encore, dans l'épître aux Bordelais, que les autels des démons furent réduits en poussière, et que le souverain prêtre des idoles, converti à la foi, fut consacré par saint Martial, premier prêtre de cette Église naissante. De Bordeaux, le saint apôtre alla prêcher l'évangile à Mortagne, dans la Saintonge : on y voit encore, en face de la Gironde, un ermitage creusé dans le rocher, dont la chapelle est dédiée sous son invocation, et où l'on dit qu'il résida quelque temps.
Pierre le Vénérable, parlant des premiers apôtres de la Gaule, assure que saint Martial a prêché à Limoges, à Bordeaux et à Poitiers. On dit que lorsqu'il se trouvait dans cette dernière cité, le Sauveur lui apparut, et lui dit : «Sache que, à cette heure même, Pierre est crucifié pour la gloire, de mon nom : c'est pourquoi fonde ici une église en son honneur».
La chronique composée au moyen âge sous le nom de Dexter, l'ami et le contemporain de saint Jérôme, dit que saint Martial a été l'apôtre des habitants de Limoges, de Cahors et de Toulouse. Cette dernière ville avait écrit sa tradition sur la façade de Saint-Sernin, où l'on voyait autrefois une statue de l'apôtre de l'Aquitaine, avec une inscription qui lui donnait pour auxiliaire saint Saturnin; enfin, l’épître aux habitants de Toulouse est un autre monument du moyen âge qui montre l'antiquité de cette tradition.
D'anciens documents du diocèse de Mende représentent saint Sévérien, premier évêque du Gévaudan, comme disciple de saint Martial; de vieilles légendes assurent qu'il a dédié des autels à la Vierge Marie, au Puy-en-Velay, à Rhodez, à Mende, à Clermont et à Rocamadour : en un mot, toutes les églises de l'Aquitaine le regardent comme leur apôtre et leur fondateur.
Des manuscrits anciens, que l'on conservait autrefois à Ceignac, constatent que saint Martial vint dans ce lieu, à peu de distance de Rhodez, qu'il y dressa une croix et y fit bâtir un sanctuaire en l'honneur de la Vierge. Ce sanctuaire, l'un des plus anciens et des plus vénérés du diocèse de Rhodez, s'appela Notre-Dame des Monts, à raison des montagnes qui l'entourent, ou Notre-Dame de Ceignac. Peu à peu, un village se forma autour de ce sanctuaire; puis une paroisse y fut érigée; et, la chapelle primitive se trouvant insuffisante, on bâtit à côté une plus grande église, sous le vocable de Sainte- Madeleine. Plus tard, le temps ayant ruiné ces deux églises, on les remplaça par une nouvelle, sous l'invocation de la sainte Vierge; c'est l'église actuelle, sauf d'abord le sanctuaire et la première travée, qui, refaits en 1455, si l'on en croit les notices historiques, sont du style ogival secondaire, ainsi que les trois premières chapelles, tandis que le reste de la nef, en style roman, accuse le 13 e siècle; sauf, en second lieu, les deux dernières chapelles, qui ont été ajoutées postérieurement, et la voûte de la partie de la nef faite en berceau, ouvrage du 18 e siècle; sauf, enfin, les beaux vitraux modernes, qui forment la rosace de la façade, et qui présentent, dans les autres ouvertures, des médaillons à personnages, d'un goût exquis et d'un effet ravissant.
Au plus haut du retable qui couvre l'abside circulaire, est une Assomption, où l'on a fait figurer, dans un coin du tableau, le duc d'Arpajon, comme un des principaux bienfaiteurs de l'église; et, dans la partie inférieure du retable, sont trois niches, dont celle du milieu, surmontée d'une couronne
fleurdelisée, contient une très grande Vierge avec l'enfant Jésus sur le bras gauche; celle de droite renferme l’ancienne Vierge miraculeuse de Coignac, tenant aussi sur le bras gauche son divin Enfant, et au-dessus on lit : Antiquæ imagini Virginis deiparæ miraculis insigni. D. D. D.; enfin, celle de gauche montre sainte Anne ayant sur les bras, d’un côté l'Enfant Jésus, et de l'autre la Vierge Marie, avec l'inscription Inclitæ parentis Dei genitricis imagini. D. D. D.
La première chapelle à droite présente, d'une part, les douleurs de Marie au saint sépulcre, et, de l'autre, sur le gradin de l'autel, son couronnement dans le ciel. La seconde s'appelle la chapelle de Rhodez, à raison du tableau placà au-dessus de l'autel, et qu'offrit la ville de Rhodoz, en 1653, pour avoir été sauvée de la peste.
Le trésor de Notre-Dame de Ceignac n'est pas moins curieux que l'église même. On y voit une statuette de la Vierge, en argent, ayant à sa base un verre arrondi qu'on applique sur les yeux malades; un coffret renfermant plusieurs reliques, sur le devant duquel est une figure de la Vierge en relief, qu'on fait baiser aux pèlerins; vingt lampes d'argent avec des rentes pour leur entretien; deux calices en vermeil; deux autres en argent; une croix avec deux chandeliers, un ciboire, un ostensoir, quatre burettes avec leurs bassins; le tout également en argent et d'une valeur de plus de cent mille francs. La plus grande partie de ces richesses venaient des soigneurs d'Arpajon, dont le château était voisin. Ces hauts et puissants soigneurs avaient une. dévotion spéciale pour Notre-Dame de Coignac; ils l'honoraient pendant leur vie, aspiraient à reposer dans son sanctuaire après leur mort; l'église renferme encore plusieurs de leurs tombeaux. Jean III, baron d'Arpajon, est remarquable entre tous : il institua un chapelain dans l'église, pour y dire la messe chaque vendredi et chaque samedi après les fêtes de la sainte Vierge, et à chaque anniversaire de son décès; il donna un canon pour y faire, une cloche; il obtint du Saint-Siège une indulgence plénière, valable pendant cent ans, pour la visite de l'église, accompagnée de la communion, à une des fêtes de la sainte Vierge; enfin, il prescrivit, par son testament du 22 janvier 1516, de l'enterrer dans Notre-Dame de Ceignac et d'y placer sa statue sur son tombeau, entre celles de saint Jean-Baptiste et de saint Christophe, l'y représentant à genoux, les mains jointes, vêtu et armé comme il l'était lorsqu'il fut pris par les Anglais en Picardie.
Les simples fidèles, comme les grand seigneurs, aimaient à déposer leur humble offrande aux pieds de Notre-Dame de Ceignac et ne croyaient jamais pouvoir assez lui exprimer leur reconnaissance. C'est qu'en effet, on ne saurait dire le nombre de miracles opérés par l'invocation de Notre-Dame de Ceignac. Le premier que racontent les notices historiques, et qu'elles placent en 1150, est la guérison d'un prince de Hongrie, seigneur palatin. Privé de la vue, il demandait depuis de longues années sa guérison à la sainte Vierge, lorsque celle-ci, dit la tradition, lui apparut et lui annonça qu'il recouvrerait la vue à Notre-Dame des Monts, près de Rhodez. Le prince aussitôt se met en marche avec une escorte de cent hommes; assailli en route par la tempête, il perd son escorte et arrive à Notre-Dame des Monts, accompagné seulement de trois hommes. Il y fait célébrer la messe, et, entendant derrière lui un bruit d'armes, il se retourne instinctivement, et voit sa bannière avec ses fidèles Hongrois qu'il croyait perdus : un cri de bonheur lui échappe. Grâce à Marie, il a recouvré la vue, il a recouvré son escorte; en reconnaissance de ces deux bienfaits, il donne sept lampes à l'église avec un vase précieux, où étaient gravés son nom et la date du pèlerinage, et obtient de l'évêque que Notre-Dame des Monts s'appellera désormais Notre-Dame de Ceignac, en mémoire des cent hommes miraculeusement retrouvés en ce lieu. Encore aujourd'hui, il y a dans l'église un monument de ce fait : ce sont trois statues en bois, représentant la Vierge, devant elle le prince à genoux; derrière le prince, son écuyer, et, au dessus, une inscription rappelant le miracle.
En 1604, vers la Saint-Jean, un orage des plus menaçants s'annonçant dans les airs, le clergé de Ceignac parcourt en procession le village, en conjurant Marie de protéger une terre qui lui était consacrée; et, tandis que toutes les paroisses voisines sont horriblement ravagées par la grêle, Ceignac seul n'éprouve aucun dommage; ce qui frappa tellement l'évêque qu'il ordonna que toutes les paroisses du diocèse y iraient en procession; et son ordre fut fidèlement exécuté. Le récit de tous ces faits se conservait autrefois dans les archives de Ceignac, écrit de la main du prêtre qui avait dirigé la procession.
En 1628, la ville d'Alby fut délivrée de la peste, qui déjà était à ses portes,, par le vœu qu'elle fit d'aller visiter, en corps, Notre-Dame de Ceignac; et elle exécuta ce vœu, le 26 mars de l'année suivante.
En 1653, la ville de Rhodez avait déjà perdu, par le même fléau, plusieurs de ses habitants; elle fait vœu d'aller, aussi en corps, visiter Notre-Dame de Ceignac, et de lui donner deux cents livres pour l'ornement de l'église. Son vœu est aussi exaucé; et, l'année suivante, non seulement elle l'accomplit fidèlement, mais elle voulut rendre perpétuel le souvenir du miracle par un tableau qui se voit encore dans l'église de Ceignac, et qui représente le Père éternel lançant un javelot, au dessous la Vierge, l'Enfant Jésus, la croix et saint Amand.
À ces miracles publics s'ajoutèrent d'autres en faveur des particuliers, surtout pour obtenir la contrition de leurs fautes, la réconciliation entre les époux divisés, la fécondité des femmes stériles, et l'heureuse issue des embarras qu'on rencontre si souvent dans la vie.
De nos jours encore, on visite avec fruit Notre-Dame de Ceignac. Le séminaire de philosophie, qui est à Rhodez, y va, tous les deux ans, en chantant des cantiques ou récitant des prières pendant toute la route. Le petit séminaire de Saint-Pierre s'y rend également. Près de vingt paroisses y vont professionnellement chaque année; et, de plus, il y vient de douze à quinze mille pèlerins, soit des diverses parties du diocèse, soit des diocèses voisins. On y fait célébrer douze à quinze cents messes par an; et les ex-voto appendus aux murs de l'église attestent le nombre des bienfaits qui y ont été obtenus.
Indépendamment des grâces que Notre-Dame de Ceignac accordait à ses visiteurs, on était encore attiré à son sanctuaire par deux autres motifs : le premier était, sans parler d'une foule d'autres reliques, des morceaux du vêtement, du voile et de la pierre du sépulcre de la sainte Vierge, de la crèche de notre Seigneur et de son berceau, de ses vêtements, de la table où il mangea avec ses disciples, du pain de la dernière cène, de la pierre sur laquelle il pria à Gethsémani, du roseau de sa passion, du fiel qu'on lui offrit à boire et de l'éponge imbibée de vinaigre, enfin de la vraie croix. Le second motif était les indulgences dont jouissait ce sanctuaire dès 1420; une indulgence plénière, appelée de temps immémorial le grand Pardon, était attachée à la visite de Notre-Dame de Ceignac pour toutes les fêtes chômées de la sainte Vierge, ainsi que pour le dimanche dans l'octave de l'Assomption, qui est la fête patronale; et Grégoire XVI, en renouvelant cette indulgence en 1837, l'a étendue au jour de l'Ascension. En 1655, Alexandre VII attacha à la visite des sept autels de l'église les indulgences des sept stations de Rome pour douze fois par an. En 1843, Notre-Dame de Ceignac, par son affiliation à Notre-Dame des Victoires, de Paris, participa aux mêmes privilèges; et en 1854, affiliée à Notre-Dame de Lorette, elle fut mise en possession de toutes les indulgences attachées à la Santa Casa.
L'ancienne vie de saint Martial n'indique pas d'une manière précise l'année de son bienheureux trépas; mais on lit dans la légende d'Aurélien, que l'an 40, après la résurrection de notre Seigneur, qui était la soixante-quatorzième année du salut, saint Martial, après vingt-huit ans d'épiscopat, se trouvant à Limoges, y reçut l'heureuse nouvelle des approches de sa mort, qui devait le faire jouir de la récompense de ses travaux. Il le fit aussitôt savoir à ses disciples et à ses diocésains, et les ayant assemblés, il les exhorta à persévérer constamment dans la foi et dans la confession de la vérité qu'il leur avait enseignée, et leur donna sa bénédiction. Ensuite, ayant prié pour eux, et ayant imploré pour lui-même la miséricorde de Celui qu'il avait servi avec tant de fidélité, il remit son âme entre ses mains, pour être couronnée de la gloire qui lui avait été préparée dès le temps de la création du monde.
On dit que, sur le point d'expirer, entendant éclater autour de lui les gémissements et les sanglots, il leva sa main défaillante, et dit à ses disciples : «Silence ! n'entendez-vous pas les beaux chants qui viennent du ciel ? Assurément le Seigneur vient, ainsi qu'il l'a promis». Et, en ce moment, le lieu où il était fut inondé comme par des flots de soleil, et on entendit une voix qui disait : «Âme bénie, sors de ton corps, viens jouir avec moi des douceurs d'une lumière immortelle !» Et lorsque l'âme de Martial montait au ciel au milieu de ces clartés, on entendit un chœur d'esprits bienheureux qui répétait ce verset d'un psaume : «Heureux celui que vous avez choisi et que vous avez appelé à vous : il habitera dans vos parvis éternels».
Son corps fut inhumé dans le lieu même où sainte Valerie avait reçu la sépulture, et où s'éleva plus tard la basilique de Saint-Pierre-du-Sépulcre, premier fondement de la célèbre abbaye de Saint-Martial. Il s'y fit dans la suite de nombreux miracles : Grégoire de Tours en rapporte deux. Le premier fut opéré sur une fille, dont les doigts, en punition de quelque péché, s'étaient tellement attachés à la paume de la main, qu'il lui était impossible de les redresser. Elle vint au sépulcre du glorieux Apôtre; elle y veilla et pria avec beaucoup de ferveur, et, la nuit même du jour de sa fête, elle obtint la guérison de son infirmité. Le second miracle fut opéré sur un homme qui était devenu muet pour avoir fait un faux serment dans l'église; il se rendit au tombeau du saint, et, ayant longtemps gémi dans son cœur, pour obtenir le pardon de sa faute, il sentit comme une main qui lui touchait la langue et le, gosier et répandait une vertu secrète; ce qui fut si efficace, qu'après qu'il eut fait faire par un prêtre, le signe de la Croix sur sa bouche, il commença à parler comme auparavant.
Un miracle bien plus célèbre, c'est celui de la guérison du mal des Ardents. En 994 une contagion, appelée la peste du feu, exerçait d'affreux ravages dans l'Aquitaine. C'était un feu invisible et secret, qui dévorait les membres auxquels il était attaché, et les faisait tomber du corps. Cette putréfaction des corps vivants répandait dans les airs une odeur insupportable. Les pestiférés mouraient par milliers. Les évêques de l'Aquitaine s'assemblèrent à Limoges, afin d'obtenir de Dieu, par l'intercession de saint Martial, la cessation de ce fléau terrible. Arrivé l'un des premiers, l'archevêque Gombaud alla s'agenouiller devant le tombeau de l'apôtre vénéré, et là, éclatant en larmes et en sanglots, et étendant des mains suppliantes, il fit à haute voix cette éloquente prière, que l'histoire nous a conservée :
«Ô pasteur de l'Aquitaine, vous qui l'avez éclairée des lumières de la foi, levez-vous pour secourir votre peuple !… Ne permettez pas que ces tortures infernales règnent auprès de votre corps sacré ! Ô Martial ! miroir des vertus, ô prince des pontifes, où est donc ce que nous lisons de vous, que vous avez été dans la cène le ministre du Sauveur, quand il lavait les pieds à ses disciples ?… Certainement la tradition de nos anciens pères nous a transmis que vous aviez reçu le don des langues avec les autres disciples … Montrez-vous donc le disciple de Celui qui est la source de la miséricorde ! Oui, j'en prends à mon tous ceux qui m'écoutent, si avant que je m'éloigne de cette ville, vous n'éteignez pas cette flamme dévorante dans le cœur de ceux qui sont ici, si je ne vous vois pas guérir cette multitude, je ne croirai plus rien des choses admirables qu'on dit de vous ! Jamais plus je ne reviendrai dans cette cité pour implorer votre patronage ! C'est en vain qu'on me dira que vous vous appelez le disciple du Seigneur ! C'est en vain qu'on me dira que Dieu vous a envoyé comme apôtre aux nations de l'Occident ! C'est en vain qu'on me dira que vous avez baptisé le peuple de Bordeaux, dont je suis l'évêque, je ne le croirai plus, si je n'obtiens pas la faveur que j'implore pour le salut de cette multitude affligée. Et votre bâton pastoral, que l'on conservait jusqu'à présent dans ma ville épiscopale comme un précieux trésor, cette relique sera vile à mes yeux si vous ne réjouissez pas mon cœur par la guérison de tous ces pauvres malades !»
Une prière faite avec tant de foi méritait d'être exaucée. En effet, la contagion cessa ses ravages, et une joie immense se répandit dans les cœurs.
Nous avons dit, en commençant, de quelles sources nous tirerions les principales actions de saint Martial. Il y a deux siècles, on rejeta comme apocryphe la légende composée sous le nom d'Aurélien, successeur de saint Martial dans l'épiscopat, l'un des deux prêtres des idoles qui moururent d'un coup de foudre et qu'il avait rendus à la vie. En rejetant cette légende, on ne se contenta pas de contester au saint évêque le titre d'apôtre, comme on avait fait dans le 11 e siècle, mais on combattit encore l'antiquité de sa mission et sa qualité de disciple de Jésus Christ. Mais quoique cet écrit ne soit pas d'Aurélien, disciple et successeur de saint Martial, comme le montrent certaines manières de parler qui sont beaucoup plus récentes, cela ne doit point préjudicier à la vérité de l'histoire que nous avons racontée. Cet écrit est au moins un recueil des anciennes traditions du pays sur saint Martial : car la biographie d'un saint que tout un pays connaît est nécessairement conforme à ce que la tradition locale dit de ce saint. D'ailleurs les discussions et les définitions des divers conciles qui ont recherché les titres de l'apostolat de saint Martial, la déclaration de deux souverains pontifes, Jean XIX et Clément VI, les témoignages de tant de Martyrologes, de Rituels et de Litanies qu'on lisait publiquement dans l'Église, il y a plus de huit cents ans, nous doivent suffire pour croire indubitablement que saint Martial est un des disciples de notre Seigneur, et qu'il est venu dans les Gaules envoyé par saint Pierre. Il est vrai que Grégoire de Tours a mis plus tard sa mission, mais on a réfuté le texte de cet historien d'une façon si péremptoire, qu'il n’est plus permis de s'en servir pour combattre l'antiquité du premier établissement des Églises de France. Et en effet, s'il fallait y déférer, les évêques des conciles que nous avons cités, qui n'ont pu ignorer le texte de cet historien, n'auraient eu garde de définir, au contraire, que saint Martial doit être apôtre, parce qu'étant des soixante-douze disciples de Notre Seigneur, il a reçu de lui mission de prêcher l'évangile et de coopérer avec les douze apôtres à la conversion du monde : ce que nous voyons, néanmoins, qu'ils ont fait sans contestation. D'ailleurs la découverte récente des anciens actes de saint Martial est venue démontrer que la tradition immémoriale du Limousin, écrite avant Grégoire de Tours, était que saint Martial avait reçu, du temps de saint Pierre, sa mission apostolique.


1 Un cosmographe du 16 e siècle, André Thêvet, dit avoir vu à trois lieues de Rama, au village d'Arouha, une église bâtie en l'honneur de saint Martial, que l'on disait natif de ce lien. (Cosmog,. Univers., t. 1, P. 169.)

2 Nous pouvons citer encore Anselme de Laon, Pierre Comestor, Gérald de Fratchet, Adam de Clermont, Durand de Mende, Nicolas de Lyre, Ludolphe le Chartreux etc.

3 Toulx-Sainte-Croix, canton de Boussac (Creuze), et non pas Tulle (Corrèze), comme l’ont avancé quelques auteurs peu versés dans les traditions du pays. Voir sur les ruines et les monuments de la ville celtique de Toulx les Recherches de M. Barailon, membre correspondant de l'institut, p. 316 et 331.

4 Chef-lieu de canton (Creuse), sur la voie romaine de Lyon à Limoges.

5 Sainte Valérie est honorée comme première martyre de l'Aquitaine dans la diocèse de Limoges, où l’on célèbre en son honneur, le 10 décembre, un office double de second classe.