SAINTE MONEGONDE, RECLUSE À CHARTRES, PUIS À TOURS

fêtée le 2 juillet

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 7 p. 615 à 617


Sainte Monégonde naquit à Chartres, ville très célèbre pour lÕancienne dévotion que ses habitants ont portée à Notre-Dame, avant même l'Incarnation; car on croit que les druides (c'est ainsi que les Gaulois appelaient leurs prêtres), firent ériger, bien avant la naissance du Sauveur, une statue qui portait cette inscription : VIRGINI PARITURÆ, c'est-à-dire, À LA VIERGE QUI ENFANTERA. Ce fut aussi en cette ville que, pour contenter l'inclination de ses parents, notre sainte s'engagea dans le mariage : elle eut deux filles. Mais la joie qu'elle avait de se voir mère ne fut pas de longue durée; car Dieu lui ayant enlevé ses enfants, peu de temps après leur naissance, elle fut privée, par leur mort, de toute la consolation qu'elle avait en ce monde. L'affliction qu'elle conçut de cette perte fut si grande, qu'elle ne cessa point de pleurer jour et nuit, sans que son mari, ses amis, ni aucun de ses parents pussent apporter aucun soulagement à sa douleur; mais enfin, rentrant en elle-même, et considérant que sa tristesse était excessive et pouvait déplaire à Dieu, elle prit la généreuse résolution d'essuyer ses larmes et de dire le reste de ses jours avec Job : «Le Seigneur me les avait données, le Seigneur me les a ôtées; il a fait ce qu'il a voulu : que son saint nom soit à jamais béni !» Ensuite, ayant obtenu de son mari la permission de mener une vie retirée, elle se renferma dans une petite cellule qu'elle fît bâtir exprès : là, ne voyant le jour que par une lucarne, elle vivait dans un détachement général de toutes les vanités du monde et de toutes les délices des sens, pour ne plus penser qu'à son Dieu, en qui seul elle voulait mettre toute son espérance. En effet, tout son temps se passait à s'entretenir avec lui et à répandre son cÏur devant sa divine majesté par de ferventes prières. Elle ne s'était réservée, pour tout secours temporel, qu'une petite fille qui avait soin de lui apporter un peu de farine d'orge avec de l'eau; elle s'en faisait elle-même pour sa nourriture une espèce de pâte, dans laquelle elle mettait de la cendre : encore n'en mangeait-elle qu'après s'être auparavant affaiblie par de longs jeûnes.
Monégonde vivait ainsi contente dans sa retraite, lorsque Dieu, pour éprouver sa patience, permit que sa petite servante l'abandonnât : la sainte resta ainsi cinq jours sans que personne lui apportât aucun aliment; mais, au lieu de s'en inquiéter, elle demeurait tranquille et unie à Dieu, espérant que, comme il avait autrefois envoyé la manne du ciel, et fait sortir de l'eau d'un rocher, pour nourrir son peuple dans le désert, il aurait la bonté de subvenir à sa nécessité, afin qu'elle ne fût pas contrainte de quitter sa solitude. Elle était dans ces pieuses pensées, quand elle sÕaperçut qu'il tombait de la neige autour de sa cellule. C'était là tout ce qu'il lui fallait; car étendant la main par sa fenêtre, elle en recueillit assez pour composer sa pâte ordinaire : elle passa par ce moyen encore cinq autres jours.
Il y avait auprès de sa cellule un petit jardin, dans lequel elle se promenait quelquefois pour donner quelque relâche à son esprit, qu'elle tenait toujours appliqué à Dieu. Un jour qu'elle y était entrée pour prendre un peu l'air, une femme, qui l'aperçut, s'arrêtant à la considérer avec trop de curiosité, fut frappée à l'heure même d'aveuglement. Elle reconnut bien que ce malheur lui était arrivé en punition de sa faute : elle vint trouver la sainte, et, lui exposant sa disgrâce, elle la conjura de lui obtenir miséricorde. Monégonde, touchée de compassion, se mit à l'heure même en prière, disant : «Malheur à moi, vile créature et pauvre pécheresse ! faut-il donc que cette femme ait perdu la vue à mon occasion!» Cette courte prière, qui partait d'une profonde humilité, pénétra aussitôt les cieux : car Monégonde ne l'eut pas plus tôt achevée, que, faisant le signe de la croix sur cette pauvre femme, elle lui rendit la vue.
Ce miracle, qui fut suivi de quelques autres, attira bientôt à sa cellule un grand concours de personnes qui venaient implorer l'assistance de ses prières : ce qui l'obligea de penser à une autre retraite. Comme elle ne s'était enfermée que pour fuir plus sûrement les honneurs du monde et pour mener une vie cachée, se voyant exposée dans son petit ermitage aux visites des créatures, elle quitta sa patrie, sa famille, son mari et toutes ses connaissances, et se rendit auprès du tombeau du grand saint Martin, à Tours, où elle se renferma dans une autre cellule. Mais l'honneur, qui n'est pas moins opiniâtre à suivre ceux qui le fuient, qu'à s'éloigner de ceux qui en sont avides, ne la quitta jamais, ni dans son voyage, ni dans son séjour car elle guérit partout plusieurs malades par la vertu de son oraison, qu'elle ne fondait que sur la connaissance de son indignité; ces grands miracles ne manquèrent point de faire éclater de tous côtés son éminente sainteté. La réputation en vint même jusqu'à Chartres : ce qui fit que son mari l'alla trouver à Tours, et la ramena en sa première cellule. Cependant, peu de temps après, soit que son mari fût décédé, soit qu'il y donnât son consentement, elle le quitta une seconde fois pour reprendre celle de Tours, où elle passa paisiblement le reste de ses jours dans les jeûnes, les veilles et les prières, et sans aucun commerce avec les personnes du monde. Sa charité, néanmoins, ne pouvant se renfermer dans son cÏur, elle reçut en sa compagnie quelques filles pieuses qui étaient attirées à la solitude , avec elles elle faisait tous ses exercices spirituels, afin que, travaillant de concert à la pratique de la vertu, elles pussent se rendre plus agréables à Jésus Christ.
Nous ne rapporterons pas ici en détail le grand nombre de miracles que Dieu fit par son entremise; c'est assez de dire en général qu'elle a guéri un très grand nombre de malades avec un peu de salive; qu'elle a purifié des personnes couvertes d'ulcères, et que, par le signe de la croix, elle a délivré les énergumènes, rendu la santé aux moribonds, donné l'usage des membres aux paralytiques et celui des yeux aux aveugles. Dieu ayant ainsi récompensé dès cette vie la piété de Monégonde par le don des miracles, il l'appela à lui pour couronner encore plus amplement dans le ciel son incomparable vertu. Ses pieuses compagnes, voyant que cette dernière heure était proche, lui dirent, en fondant toutes en larmes : «Est-ce que vous nous abandonnez entièrement ? Souvenez-vous que vous êtes notre mère, et que c'est vous qui nous avez assemblées ici pour servir Dieu; dites-nous donc à qui vous nous recommandez après votre mort, nous qui sommes vos chères filles». — «Si la paix règne parmi vous, leur dit-elle, et si vous continuez à travailler à votre sanctification, Dieu même sera votre protecteur, et vous aurez pour pasteur de vos âmes le grand saint Martin, évêque de votre ville. Je ne m'éloignerai pas non plus de vous; mais dès que vous m'appellerez à votre secours, je me trouverai au milieu de votre charité». — «Les malades, reprirent les saintes filles, ne manqueront pas de venir, selon leur habitude, demander votre bénédiction; que ferons-nous quand nous ne vous aurons plus ? voulez-vous qu'ils s'en retournent d'ici sans aucun soulagement, après y avoir reçu tant de grâces par votre
entremise ? Nous vous supplions de bénir au moins un peu de sel et d'huile, afin que, les appliquant sur eux, ils ressentent toujours les effets de votre intercession». Monégonde ne put leur refuser ce qu'elles souhaitaient, et ce fut la dernière action de sa vie; car, après cette bénédiction, elle mourut en paix, le second jour de juillet, dans le sixième siècle de l'Église. Les choses qu'elle avait bénies servirent depuis à la guérison d'une infinité de malades.
Son corps fut inhumé dans cette même cellule qu'elle avait sanctifiée par ses larmes, par ses prières et par ses pénitences, et son tombeau fut honoré de plusieurs grands miracles que saint Grégoire de Tours rapporte, et dÕune partie desquels il assure avoir été témoin. Nous nous contenterons d'un seul, qui fait voir la profonde humilité de notre sainte après sa mort même. Un aveugle se fit conduire à son sépulcre, où, après une longue prière pour obtenir sa guérison, il fut surpris du sommeil : alors sainte Monégonde lui apparut et lui dit que, sans oser se comparer aux saints, elle lui obtenait présentement l'usage de l'un de ses yeux; mais que pour l'autre, il devait aller au sépulcre du grand saint Martin, et qu'il y serait parfaitement guéri. En effet, l'aveugle à son réveil se trouva guéri d'un Ïil, et s'étant rendu promptement au tombeau de saint Martin, il y reçut l'usage de l'autre : nous voyons par là que Dieu a pour agréable que nous ayons recours à quelque saint particulier, pour obtenir, par son moyen, le soulagement que nous demandons. Le diocèse de Tours ne possède plus de reliques de sainte Monégonde. En 1562, les protestants, maîtres de la ville, pillèrent les églises et brûlèrent les corps des saints. Celui de sainte Monégonde, conservé à Saint-Pierre -Puellier, dans le quartier de Saint- Martin, ne fut pas épargné. Le culte de sainte Monégonde n'a, pas péri dans ce diocèse. Dans l'ancien Bréviaire, on célébrait sa fête le 2 juillet, au moins comme mémoire et par la récitation d'une neuvième leçon. Depuis que l'on a adopté la liturgie romaine, cette fête, renvoyée du 2 juillet, est fixée dans le calendrier propre au 7 du même mois, sous le rite double :trois leçons sont consacrées à sa légende.