SAINTE AUREA, VIERGE ET MARTYRE

A CORDOUE, EN L'ANNÉE 856
 
fêtée le 19 juillet

La noble vierge Aurea était soeur des saints martyrs Adulphus et Jean. Depuis trente ans et plus, elle vivait absorbée par la pratique de notre sainte religion, dans le monastère de Cuteclar, bâti anciennement sous le vocable de la sainte et glorieuse Vierge Marie. Inaccessible à toute crainte humaine, elle ne dissimulait point sa religion, et vivait publiquement, au vu et su de tout le monde, en bonne chrétienne. Comme elle était de noble origine et s'entourait du faste imposant qui distingue la race arabe, aucun étranger n'osait s'attaquer à la foi de la vierge. Mais il arriva que quelques-uns de ses parents, inspirés, je pense, de Dieu, pour lui procurer la couronne du martyre qui lui était réservée depuis la création du monde, et l'envoyer, jouir au ciel des honneurs du triomphe, vinrent de la province de Séville, d'où Aurea était originaire, dans l'intention de vérifier les bruits qui circulaient touchant sa foi et sa manière de vivre. Dissimulant traîtreusement leur dessein, ils déclarèrent hypocritement qu'ils venaient visiter leur parente, et demandèrent l'hospitalité dans le monastère. Ayant constaté que non seulement la vierge était chrétienne, mais encore qu'elle était ornée du voile insigne de la consécration, ils allèrent immédiatement la dénoncer au juge, qui, lui aussi, était parent de la famille d'Auréa.
Piqué par ce rapport, le juge ordonna de faire comparaître la vierge en sa présence, et la réprimanda doucement de ce qu'elle ravalait ainsi par l'esclavage de la foi chrétienne la haute noblesse de sa naissance et déshonorait par de viles actions la dignité de sa famille. «Mais tu peux encore, ajouta-t-il, dépouiller sur-le-champ ces haillons et revêtir des ornements dignes de ton rang, si tu consens, dans ton intérêt, à te consacrer au culte de notre religion, à obéir aux conseils que te donne notre coeur, à nous suivre et imiter en tout, et à tendre là où nous tendons nous-mêmes. Mais si tu méprises nos avis et repousses les objets de notre culte, si tu persistes à suivre, par la profession d'une même foi, ceux que depuis longtemps tu as pris pour modèles, tu auras à endurer les tortures les plus aiguës, les supplices les plus inouïs, comme il convient de punir un crime aussi grand qu'est le tien, et enfin tu périras misérablement.» On dit qu'alors la vierge céda à la pression du juge, et qu'elle promit de faire tout ce qu'il lui demandait. Comme il est préférable de ne point parler de ce qu'on ignore et de ne point s'aventurer dans des conjectures hasardeuses, je n'ose me prononcer sur le motif qui put arracher à la martyre future ce reniement; fut-ce la crainte des tourments ? fut-ce le désir de mettre auparavant ordre à ses affaires ? Je ne sais. Toutefois les événements qui suivirent, c'est-à-dire le courage avec lequel elle persista plus tard dans la confession de sa foi et mérita de conquérir la palme, nous permettent de croire qu'elle ne succomba point à une crainte charnelle.
Aussitôt après avoir entendu de la bouche de la vierge la promesse de se conformer en tout aux préceptes de la loi musulmane, le juge lui permit de se retirer; et la bienheureuse, profitant de sa liberté, retourna chez elle. Elle continua, comme par le passé, à vivre selon le Christ, sans vouloir abandonner la foi ni se séparer de la société des fidèles. Au contraire, elle rechercha plus que jamais la compagnie de ceux qui brillaient par leur esprit de religion, elle s'efforça de réparer sa faute par le repentir et les larmes; elle mit toute sa confiance dans la miséricorde du Rédempteur, espérant qu'il ne repousserait pas une pauvre femme repentante, lui qui avait arraché au supplice de la lapidation la femme adultère, qui avait choisi comme chef des apôtres saint Pierre, après l'avoir arraché aux flots de la mer, et qui avait admis en sa compagnie, pour aller ensuite en paradis, un voleur coupable de parricide. Elle avait confiance que ce crime passager d'une servante inutile ne l'emporterait point sur l'immense et incomparable bonté du Seigneur, dont la miséricorde est inépuisable, dont la rédemption prévient les indignes par le don de la grâce, et qui justifie par ses propres mérites ceux qui n'ont point amassé de richesses par un rude labeur. La vierge s'appliquait à développer en elle la componction; elle répandait d'abondantes prières, poussait continuellement des soupirs vers le ciel; elle persévérait dans le deuil et suppliait Dieu de ne pas, au jour du jugement, la condamner pour son crime au supplice de l'enfer, et de ne pas la priver éternellement de la compagnie de ses frères martyrs, les bienheureux Adulphus et Jean, des mérites desquels elle se réclamait.
Elle se mit donc à fréquenter courageusement l'église, et, désormais fortifiée par la vertu du Seigneur, elle se sentit délivrée de toute attache terrestre et n'eut plus qu'un désir aller faire partie de la cour céleste. Aussi cherchait-elle un moyen de se faire accuser de nouveau, afin de subir un second interrogatoire. Cependant le rusé serpent rageait de voir que celle qu'il avait réussi, quelques jours auparavant, à arracher à l'assemblée des fidèles adorait comme auparavant le Dieu son Créateur, que toutes ses machinations n'avaient abouti à rien, et que s'il était parvenu à troubler l'esprit de la vierge de façon à lui faire renier de bouche la vérité, il n'avait pu l'arracher de son coeur. Sans doute il se plaignit de son échec dans l'assemblée des démons et dit : Cette fille m'a honoré par hasard du bout des lèvres l'autre jour, mais maintenant que son coeur est fortifié par la vertu d'en haut, elle est complètement hors d'atteinte de mes enchantements. C'est pourquoi il poussa un de ses suppôts à persécuter la bienheureuse vierge.
Plusieurs gentils, ayant donc examiné la manière de vivre de la vierge Aurea, trouvèrent que la servante du Christ vivait comme auparavant selon la religion chrétienne. Aussitôt ils allèrent déposer une plainte contre elle au tribunal du juge; ils affirmèrent sa culpabilité, firent ressortir la gravité de sa ruse et demandèrent avec instances qu'on vengeât l'injure faite à l'autorité et qu'on réprimât sévèrement de semblables abus.
Le juge entra dans une grande colère et donna ordre à ses féroces satellites d'amener aussitôt la vierge en sa présence. Dès qu'elle arriva, il lui reprocha avec une voix tonnante le mépris de la religion qu'elle avait récemment embrassée, le manquement aux promesses qu'elle avait faites solennellement, et de n'avoir tenu aucun compte de la sentence du tribunal. La vierge, qui connaissait d'avance par révélation la lutte qu'elle avait à engager, répondit au juge avec l'aplomb et l'éloquence qui la distinguaient : «Jamais je ne me suis séparée du Christ, mon Dieu, jamais je n'ai abjuré sa religion, jamais je n'ai embrassé, même pour un moment, vos rites profanes, encore que dernièrement j'aie failli par la langue en votre présence. Mais mon coeur a confiance dans le Seigneur, qui m'a relevée par le remède de ses promesses : «Quiconque croit en moi, dit-il en effet, fut-il mort, vivra certainement.» Ainsi, quoique en paroles je sois tombée dans les lacets de l'apostasie, je n'ai pas cessé de porter en mon coeur la substance vivifiante de notre sainte foi. À peine m'étais-je retirée de ta présence, que je repris avec larmes et douleur le culte que j'avais appris dans mon enfance; je confessai ma foi, je revins à mes anciennes résolutions. Il ne te reste donc qu'une chose à faire : me punir de mort à cause de ma religion, selon les décrets de ta loi; mais si tu préfères laisser impunie une telle action, laisse-moi pratiquer en toute liberté la religion du Christ mon Seigneur.»
Le juge, exaspéré par la déclaration de la vierge, résolut d'en référer au roi sur sa cause, et, en attendant, ordonna de la mettre aux ceps et de la charger de chaînes écrasantes. Le roi rendit contre elle la sentence, et le lendemain le juge, ayant fait décapiter la bienheureuse Aurea, suspendit son cadavre par les pieds au gibet d'un scélérat qui avait été condamné à mort pour homicide quelques jours auparavant; puis il ordonna de le jeter dans le fleuve du Guadalquivir, et jamais on n'en retrouva trace. Le Christ notre Dieu et Seigneur, qui aide ceux qui combattent et couronne les martyrs, qui donne du courage à ceux qui défaillent, leur inspirant l'idée de recourir à lui, les invitant à frapper à la porte de sa miséricorde, le Christ, selon ses desseins de prédestination qui sont plus anciens que le monde et s'accomplissent au milieu des éventualités diverses de cette vie, a reçu en paix sa servante et lui a remis la couronne du martyre, le 14 des calendes d'août de l'ère susmentionnée ! Honneur, gloire, vertu et puissance au Christ, dans les siècles des siècles. Amen.