SAINT MEINRAD, ERMITE ET MARTYR EN SUISSE
(VERS L'ANNÉE 863)
fêté le 21 janvier
(Meinrad naquit au château de Sulchen, en Souabe, de famille noble, parente des Hohenzollern. Après avoir passé dix ou
onze ans dans la maison paternelle, il fit ses études au monastère bénédictin de Reichenau. Il entra ensuite dans les ordres et se fit moine à Reichenau (822) à l'âge de vingt-cinq ans. Sa science et ses vertus le firent bientôt choisir pour enseigner. À trente et un ans il se retira dans une solitude sur les bords du lac de Zurich, n'emportant qu'un missel, l'évangile, la règle de saint Benoît et les oeuvres de Cassien. Bientôt sa solitude devint, à son grand regret, un lieu de pèlerinage. Il se retira alors au sein d'une forêt voisine. Les visiteurs allèrent encore l'y trouver en foule : ce fut l'origine du pèlerinage de Notre-Dame d'Einsiedeln.)
Il y avait plus de 25 ans que Meinrad habitait le désert, servant le Seigneur dans les jeûnes et l'abstinence de toutes les jouissances de ce monde, quand, à l'instigation de celui qui, sous l'apparence d'un serpent, avait trompé nos premiers parents et les avait fait chasser du paradis, deux hommes se dirigèrent vers sa cellule pour l'assassiner. Arrivés à une petite ville située sur les bords du lac Tigurin, ils s'informèrent du chemin qui conduisait à la cellule du solitaire. Quand on le leur eut indiqué, ils se levèrent au milieu de la nuit suivante, et se mirent en marche par la route qu'on leur avait montrée. Pendant longtemps ils errèrent hors du chemin qui menait directement à la cellule; enfin, arrêtés par le démon, ils parvinrent au but de leur voyage et aperçurent l'ermitage lorsque le jour baissait.
Meinrad priait et célébrait la liturgie. Au moment où ces deux assassins, dont l'un s'appelait Richard et était Allemand, et l'autre Pierre, né en Souabe, approchaient de la cellule, les
deux corbeaux que nourrissait le vénérable moine se mirent à fuir devant eux, comme si un renard les avait poursuivis, poussant des cris aigus et insolites, que multipliaient à l'infini les échos de la forêt, à tel point que les misérables meurtriers eux-mêmes en étaient étonnés, stupéfaits, et considéraient la chose comme un vrai prodige.
Néanmoins les assassins ne renoncèrent pas à leur infâme projet et vinrent frapper à la porte de la chapelle, où l'homme de Dieu implorait le Seigneur par de ferventes prières, après avoir reçu le corps de Jésus Christ, qu'il prévoyait devoir être son viatique pour le très prochain voyage de la mort. L'homme de Dieu, sachant que ses meurtriers étaient à la porte, ne se hâta pas d'aller leur ouvrir : il différa un moment pour prolonger son oraison. Enfin il acheva sa prière, et, prenant toutes ses reliques, il les baisa amoureusement et recommanda avec instance son combat suprême au Seigneur et à ses saints. Les scélérats qui étaient dehors le regardaient par un trou de la muraille et voyaient ses préparatifs. Le courageux athlète, soutenu par Dieu, sortit pour engager la lutte et se présenta à ses meurtriers. Après les avoir salués gracieusement, il leur dit : «Mes amis, comment venez-vous si tard ? Que ne vous êtes-vous hâtés un peu plus, afin d'assister à ma messe ? J'aurais prié avec plaisir pour vous notre commun Seigneur. Mais enfin entrez maintenant : allez d'abord prier le Seigneur et ses saints de nous être propices, et puis revenez me trouver, je verrai ce que, par la libéralité de Dieu, je pourrai vous offrir de bon coeur pour vous réconforter, et puis vous accomplirez ce pour quoi vous êtes venus ici.» Les assassins entrèrent dans l'oratoire, mais non avec l'intention que leur suggérait le saint; puis ils retournèrent vers le solitaire avec la résolution d'exécuter leur mauvais dessein. L'homme de Dieu, en les apercevant, leur offrit sa tunique et sa coule pour se réchauffer; puis il leur servit du pain et de l'eau en disant: «Recevez de moi ces petits présents, et quand vous aurez terminé ce qui vous a amenés ici, je vous permets d'emporter ce que vous voudrez. Car je sais que vous êtes venus pour me tuer; mais je vous demande une seule grâce : quand vous aurez mis fin au cours de ma vie en ce monde, vous allumerez ces cierges que vous voyez et que j'ai préparés exprès, vous poserez l'un à la tête et l'autre au pied de mon cadavre, et puis vous détalerez au plus vite de ce lieu, de peur que vous ne soyez saisis par les nombreux visiteurs qui viennent ici régulièrement et qui vous feraient certainement expier votre crime.»
Aussitôt le susdit Richard porta ses mains souillées sur le corps du bienheureux, amaigri et débilité par les jeûnes, et, après lui avoir lié les mains, il ordonna avec menaces à son compagnon de fustiger le saint. Celui-ci se mit à battre sur le dos et les flancs le saint, qui tendait les mains vers le Seigneur. Les coups duraient depuis longtemps et le martyr était exténué, quand le misérable Richard, s'élançant vers son complice lui cria : «Lâche que tu es ! frappe donc sur la tête pour qu'il reçoive un coup mortel. Si tu tardes à le faire, je vais l'achever moi-même» ; et saisissant un bâton, il se mit à frapper avec fureur sur la tête du saint martyr, Meinrad, assommé, s'affaissa à terre presque sans vie; et les deux assassins, se précipitant sur lui, lui serrèrent la gorge entre leurs mains jusqu'à ce qu'il eût rendu le dernier soupir. Au moment où le dernier souffle s'exhala de son corps, un parfum de suave odeur se répandit dans la cellule et l'embauma comme si on y avait amassé les parfums les plus exquis.
Les meurtriers déshabillèrent alors le saint et le portèrent sur la couche où il prenait d'ordinaire son repos, le recouvrirent d'un linge, et posèrent les cierges, comme l'avait demandé l'homme de Dieu. Ils coururent ensuite à la chapelle pour y prendre la lampe qui y brûlait continuellement, et allumer ces cierges; mais à leur grand étonnement, ils le trouvèrent à leur retour parfaitement allumés. Ce prodige le terrifia tellement qu'ils n'osèrent toucher à rien de ce qui appartenait au service de l'autel. Ils se contentèrent de ramasser les vêtements du saint et quelques couvertures de son lit, et prirent la fuite.
Tandis qu'ils se sauvaient, les corbeaux, qui venaient chaque jour recevoir leur nourriture des mains du serviteur de Dieu, se mirent à les poursuivre, comme pour venger la victime; ils firent résonner la forêt de leurs cris perçants, s'approchant la plus près possible de la tête des meurtriers pour vendre les coupables diables. Quelques jours après, les assassins furent arrêtés : le crime quÕils avaient perpétré dans les ténèbres fut manifesté au grand jour et Dieu ne voulut pas qu'ils échappassent plus longtemps au châtiment que méritait leur crime. Condamnés par la sentence des juges et du peuple fidèle, ils furent brûlés vifs sous le gouvernement du comte Adalbert. Les cierges allumés par la main de Dieu continuèrent à brûler et consumèrent le linceul; mais dés que la flamme eut touché le corps du saint, elle sÕéteignit. Le bruit de cette mort se répandit promptement dans tout le pays, et l'abbé Walter, accompagné de ses moines, étant venu enlever les saintes reliques, les transporta au monastère d'Auge, et les y ensevelit honorablement. Notre martyr souffrit le 12 des calendes de février, l'an 863, la 280 année du règne de Louis, roi des Francs.