SAINT BONT OU BONET,1 CHANCELIER DE FRANCE, ÉVÊQUE DE CLERMONT EN AUVERGNE
(623-710)

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 1 p. 359 à 362

fêté le 15 janvier


Voici un saint qui peut servir de modèle à beaucoup, mais principalement à ceux qui sont dans les plus hautes dignités, puisque nous avons en sa personne un homme de cour pieux, un magistrat incorruptible, un gouverneur de province vigilant et miséricordieux, un évêque rempli de l'esprit de Jésus Christ et des vertus apostoliques, un moine d'une austérité et d'une dévotion parfaitement exemplaires. Il naquit en Auvergne, de parents illustres par leur piété et fort considérés pour leur noblesse. Son père s'appelait Théodat, et sa mère Siagria : l'un et l'autre descendaient des anciens sénateurs de Rome. Lorsque cette pieuse femme le portait dans son sein, elle se jeta aux pieds d'un saint prêtre qui l'était venu visiter, le priant de lui donner sa bénédiction : «Mais vous plutôt, répondit le prêtre, bénissez-moi, ô saint père et seigneur vénérable». Ces paroles surprirent extrêmement Siagria, qui les trouvait peu convenables à son sexe et à la qualité de celui qui parlait; mais le serviteur de Dieu apaisa son trouble, lui faisant connaître que ce n'était pas à elle qu'il demandait la bénédiction, mais à son enfant qui devait être un jour un des plus dignes gouverneurs de provinces et l'une des plus éclatantes lumières de l'Église. Cette prédiction obligea ses parents à veiller particulièrement à son éducation, et à le faire instruire dans toutes les sciences qui ont coutume de préparer les esprits aux plus grandes choses.
Théodat étant mort, Bont, quoique jeune encore, quitta son pays et vint à la cour de Sigebert II qui régnait alors en Austrasie. À peine ce prince le connut-il, qu'il le prit en affection particulière. Il le fit premièrement son grand échanson; puis, reconnaissant en lui toutes les qualités requises d'un homme d'État, il l'éleva à la charge de référendaire, qui est la même que celle de chancelier, lui mettant son anneau d'or ou son sceau entre les mains. Il exerça cet emploi avec tant d'intégrité pendant l'espace de trente ans, qu'il s'acquit l'estime et le respect de tout le monde. Menant la vie d'un moine dans sa conduite particulière où brillaient la chasteté et l'innocence, il fit régner par tout le royaume d'Austrasie, la justice et la religion. Thierry III, roi de Neustrie, ayant réuni l'Austrasie à la Neustrie, après la mort de Dagobert II; son cousin, fils de Sigebert, donna à Bont le gouvernement de Provence ou de Marseille, qui passait alors pour le plus important de la monarchie franque (680). Il gouverna ce pays pendant neuf ans avec tant de douceur et de bonté, qu'il en fut considéré comme le père. Il y défendit expressément la vente des esclaves qui était encore en usage dans le pays, et lui-même racheta de ses deniers tous ceux qu'il put connaître et les mit en liberté. Il prit aussi un grand soin de mettre d'accord les différents partis et de réconcilier les personnes et les familles qui étaient en dissension. À ces vertus publiques qui regardaient le bien de ses sujets, il en joignit de particulières pour le règlement de son intérieur : telles qu'étaient la pénitence, l'oraison et la pureté de cÏur : il ne se faut donc pas étonner si Dieu le tira enfin de ses emplois séculiers pour en faire un ministre de ses autels.
Saint Avit, second du nom, son frère aîné, était alors évêque de Clermont en Auvergne; se voyant déjà avancé en âge et accablé de maladies, il proposa à son clergé, par inspiration divine, d'élire en sa place ce saint gouverneur de Provence, dont les mérites leur étaient assez connus. Son élection fut unanime, et le roi Thierry y donna volontiers les mains, étant bien aise que celui qu'il avait choisi pour magistrat fût jugé digne du sacerdoce. Saint Bont partit donc de Marseille et se rendit en Auvergne, où il fut consacré évêque. Cette onction épiscopale fut pour lui un principe de sanctification. Il parut, en un instant, non pas comme un homme qui aspire à la perfection, mais comme un homme qui l'a déjà acquise, ce qui est propre aux évêques. Il passait trois jours et même quatre sans rien manger. Sa vie était un recueillement continuel. Il donnait le jour aux emplois de sa charge, et presque toute la nuit à la prière; et quoiqu'il n'eût pas encore embrassé la vie monastique, il en imitait déjà la retraite pendant le Carême. Sa charité pour les pauvres et pour les pèlerins était extrême; jamais il n'en renvoya un seul sans secours, et toute la différence qu'il faisait entre eux était qu'il se rendait plus miséricordieux et plus libéral envers les plus nécessiteux. Comme la nourriture spirituelle est encore plus nécessaire que le pain du corps, il la distribuait abondamment à son peuple, tantôt par lui-même, tantôt par des prêtres servants, qui lui servaient en effet de pieds et de langues. Il visitait assidûment son diocèse, et prenait un soin particulier de bien instruire ses ecclésiastiques et de les porter à une vie irréprochable; ce qu'il faisait par de fréquentes conférences sur les saints canons, auxquelles il les obligeait d'assister. Son oraison était toujours accompagnée de larmes, et il en versait une telle abondance que son habit en était tout trempé. Étant dans son église, il ne se mettait pas sur son trône épiscopal, mais sur un siège fort bas; et, quoiqu'il sût très bien soutenir sa dignité lorsqu'il le jugeait nécessaire, le plus souvent, néanmoins, il se réduisait à un état si abject, que ceux qui ne le connaissaient pas ne l'eussent jamais pris pour l'évêque.
Pendant qu'il s'étudiait à s'humilier et à se rendre petit devant les hommes, Dieu prit plaisir à relever son mérite par de grands miracles. Tout le pays d'Auvergne étant affligé d'une grande sécheresse, il ordonna un jeûne et une procession pour obtenir de la pluie, et à peine eut-il achevé la liturgie, qu'il en tomba une si grande abondance, qu'on ne put ce jour-là sortir de l'église. Plusieurs malades furent guéris en buvant de l'eau dans laquelle il avait trempé ses mains. Son seul attouchement redressa un boiteux. Il délivra deux possédés sans savoir qu'ils le fussent, en leur conférant le sacrement de la Confirmation. Une femme bretonne, en invoquant Dieu par ses mérites, se trouva délivrée, sans sortir de son pays, de la cécité, de la paralysie d'un bras et de l'impuissance de marcher dont elle était affligée. Mais ce qu'il y a de plus admirable en la vie de ce grand saint, c'est la faveur signalée qu'il reçut de la sainte Vierge, la nuit de la fête de sa Dormition. Il était demeuré dans l'église de Saint-Michel pour y passer cette nuit en prière; comme il était dans ses plus grandes ferveurs, cette Reine du ciel et de la terre y parut dans un grand éclat, accompagnée d'un nombre infini des saints et d'Esprits bienheureux qui remplissaient tout le lieu d'un concert merveilleux. Ils préparent aussitôt toutes choses pour chanter la liturgie, et quelques uns ayant demandé à la sainte Vierge qui serait le célébrant, elle répondit que son serviteur Bont était présent et qu'il n'en fallait point chercher d'autre. À ces paroles, le saint, se serrant contre un pilier, pour se cacher, la pierre s'amollit, et reçut l'impression de tout son corps, témoignage éternel de son humilité. Les anges le prirent et le menèrent devant leur Souveraine. Elle lui commanda, d'une manière, fort gracieuse, d'offrir le divin sacrifice; le saint, ne pouvant s'y refuser, fut revêtu sur-le-champ habits sacerdotaux, et conduit solennellement à l'autel. Les saints lui servirent de ministres en cette grande action, qu'ils ne peuvent contempler quÕavec frayeur, et toute la liturgie fut chantée avec un chant céleste, par cette multitude de bienheureux qui accompagnaient la Mère de Dieu. Après la liturgie, elle laissa à son bien-aimé serviteur la chasuble qu'on lui avait donnée, lui recommandant de la garder comme un gage de sa bienveillance et de sa tendresse envers lui, et cette chasuble se voyait encore à Clermont au siècle dernier; elle était d'une étoffe fort légère et délicate; mais ce trésor, ainsi qu'un grand nombre de corps saints, est devenu la proie des flammes en 1793.
Quoique saint Bont reçût, à tous moments, des marques extraordinaires de l'amour de Dieu, néanmoins, il y avait toujours une chose qui lui faisait de la peine depuis plus de dix ans qu'il était évêque de Clermont : c'est qu'il avait été élevé sur la chaire de son frère à la sollicitation de ce dernier, ce qu'il regardait comme une sorte d'hérédité dans les charges ecclésiastiques, hérédité défendue par les saints canons. Il résolut d'aller trouver saint Villon ou Théau,2 à Solignac, pour lui proposer sa difficulté et avoir son avis. Le serviteur de Dieu lui dit librement et sans le flatter, de se démettre de sa charge, puisque son élection avait été défectueuse. La saint, qui, d'ailleurs, soupirait ardemment après une vie privée et solitaire n'hésita pas; il mit ordre aux affaires de son église, fit établir un autre évêque en sa place,3 distribua tous ses biens aux hôpitaux, aux églises et aux monastères, alla se renfermer en l'abbaye de Manlieu, qui était proche, et commença d'y servir Dieu avec une nouvelle ferveur. Il passa près de quatre ans dans cette maison, édifiant les autres par son humilité et sa mortification. Mais, par une résolution surprenante et courageuse dans un reclus de quatre-vingts ans, il entreprit le pèlerinage de Rome, et les grandes actions qu'il fit en chemin montrèrent bientôt que c'était l'esprit de Dieu qui le conduisait. À Lyon, il réconcilia l'archevêque Godin et le duc de Bourgogne,4 qui avaient ensemble de vieilles querelles. De là il se rendit au monastère de l'Île-Barbe, qu'il pourvut miraculeusement de vivres et honora de plusieurs autres miracles. Partout où il rencontrait des monastères, il ne manquait pas d'y choisir son logement, la compagnie des moines lui étant incomparablement plus agréable que celle des personnes du monde. En Italie, il obtint une victoire, très signalée à Aripert II, roi des Lombards, contre Luitpert, son ennemi.5 S'étant embarqué pour aller à Rome, il fut assailli d'une horrible tempête, qui menaçait son vaisseau d'un naufrage, après avoir déjà fait périr un autre vaisseau qui l'accompagnait; mais il l'apaisa par ses prières, qui furent plus fortes que la rage de ce superbe élément.
Étant à Rome, il satisfit à sa dévotion en visitant tous les lieux consacrés par le sang des martyrs; de là il reprit le chemin de Lyon (706), ramenant avec lui plusieurs captifs qu'il avait rachetés du reste de ses biens. Sur toute la route il fit encore de grands miracles; mais, pour empêcher qu'on ne lui en attribuât la gloire, il se servait, pour les opérer, d'une huile qu'il avait apportée, du sépulcre de l'apôtre saint Pierre. Il demeura le reste de sa vie, qui fut encore de quatre ans, dans le monastère de Lyon. Pendant ce temps il réconcilia Nodobert, son successeur, avec un adversaire qui lui portait envie. Sur la fin de sa vie il fut tourmenté de la goutte, ce qui lui donna lieu de montrer une patience admirable. Il reçut révélation du jour et de l'heure de sa mort; la sentant approcher, il s'y disposa par la réception des divins sacrements, et regardant le ciel par la fenêtre de sa cellule, qu'il fit ouvrir exprès, il rendit, tout baigné de larmes, sa belle âme à Dieu, le 15 janvier 710, à l'âge d'environ quatre-vingt-six ans.
Son corps fut porté, avec beaucoup d'honneur, dans l'église de Saint-Pierre, célèbre abbaye de moniales de Saint-Benoît, et ce jour-là il guérit une paralytique qui toucha son cercueil. L'an 723, il fut transporté à Clermont, dont il avait été évêque, et déposé dans l'église de Saint-Maurice, qui depuis a porté le nom de Saint-Bont. Cette translation fut encore honorée de beaucoup de miracles; mais la plupart demeurèrent inconnus, parce que le saint, conservant dans le ciel l'inclination qu'il avait eue à demeurer caché, n'accordait la guérison aux malades qu'à condition qu'ils la tiendraient secrète, de sorte qu'aussitôt qu'ils la publiaient ils retombaient dans leur infirmité.

1 Bonitus, Bonifacius, Bonus, Eusebius.

2 fêté le 7 janvier.

3 Nodobert.

4 Nous avons conservé ce titre de due qui se trouve dans tous les auteurs. Mais il ne faut pas oublier quÕà cette époque la Bourgogne n'avait ni duc, ni roi indigène; elle faisait partie de la monarchie franque et était gouvernée tantôt par un roi mérovingien tantôt par un maire du palais.

5 Il sÕagit de la bataille de Pavie, qui fut donnée l'an 705.