SAINT JULIEN L'HOSPITALIER, DIT VULGAIREMENT LE PAUVRE
fêté le 12 février
tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 2 p. 478 à 480
On ignore le lieu et le temps auxquels vécut saint Julien l'Hospitalier, ou le Pauvre. Les Espagnols le réclament pour leur compatriote et font ses parents originaires d'Aragon.1 D'après eux, ils se seraient mariés à la suite d'un enlèvement, et ceci expliquerait la fatalité dont cette famille fut poursuivie : notre saint aurait vu le jour à Naples, où son père et sa mère s'étaient retirés.
Nous emprunterons à saint Antonin, archevêque de Florence, les détails qui suivent :
Vivant encore sous la conduite de ses parents, et poursuivant un cerf à la campagne, Julien entendit une voix, comme sortant de la bouche de cet animal, qui lui dit : «Pourquoi me poursuis-tu, toi qui ôteras la vie à ceux qui te l'ont donnée ?» Ce jeune homme, extrêmement affligé de cette prédiction, résolut dès lors de s'enfuir bien loin de la maison de son père, de crainte de tomber quelque jour dans le malheur dont il se voyait menacé. Il sortit donc secrètement, et se retira en un pays éloigné, chez un seigneur qui, reconnaissant la prudence de ce serviteur volontaire, le prit en grande affection, et, pour le retenir toujours à son service, lui fit épouser une jeune veuve, et leur donna une maison champêtre à gouverner, où ils vécurent en bonne intelligence et dans une exacte observance des commandements de Dieu et de l'Église.
Il arriva un jour que le père et la mère de Julien, qui vivaient encore, ne pouvant plus supporter la longue absence de leur fils, dont ils n'entendirent point de nouvelles, résolurent de voyager eux-mêmes par le monde et de le chercher. Après quelque temps, ils rencontrèrent enfin sa maison, d'où, par hasard, il était alors absent. Sa femme reçut avec beaucoup de courtoisie ces deux pauvres vieillards, comme elle avait coutume de le faire pour tous les autres passants; et, s'informant des causes de leur voyage, elle apprit par leurs discours qu'ils étaient le père et la mère de son mari c'est pourquoi elle les reçut le mieux qu'il lui fut possible; et, n'ayant pas de lieu plus commode pour les mettre coucher, elle leur donna son propre lit. La nuit étant passée, elle s'en alla de grand matin à l'église pour y faire ses prières, selon sa coutume.
Cependant Julien, qui ne savait rien de ceci, revint chez lui et entra dans sa chambre : apercevant un homme dans son lit avec une autre personne, il s'imagina qu'il avait devant les yeux deux adultères; saisi de douleur, il tira son couteau et le plongea dans le sein de l'un et de l'autre, qu'il laissa raides morts. Cela fait, il sortit tout effrayé; mais il la fut encore bien plus, quand il aperçut sa femme qui revenait de la liturgie, et qu'il apprit le funeste accident qui lui était arrivé, et comment il était tombé dans le malheur qu'il avait fui avec tant de diligence. Il ne voulut plus rentrer dans sa maison, mais résolut d'aller sur l'heure en quelque désert pour y faire pénitence.
Sa femme ne put qu'à peine l'arrêter pour avoir le loisir de vendre le peu de bien qu'ils possédaient. Lorsqu'ils eurent fait quelque argent, ils allèrent à Rome se faire absoudre par la pape, puis se retirèrent auprès d'une rivière dont le passage était extrêmement dangereux, et firent bâtir sur le bord un hôpital en faveur des pèlerins. Là, ils vécurent l'un et l'autre dans une pénitence continuelle et au service des pauvres; surtout Julien, qui leur faisait passer le fleuve par charité, et leur donnait ensuite l'hospitalité en son hôpital. Une nuit, au milieu de l'hiver, il entendit comme la voix d'un pauvre qui l'appelait pour passer le fleuve. À cette voix, il se réveilla, sauta de son lit, et alla promptement passer ce pauvre, qui paraissait tout malade et tout chargé de lèpre; il l'amena en sa maison et le mit auprès du feu; mais, voyant qu'il ne le pouvait réchauffer, il s'avisa de le coucher dans son lit. Alors le malade parut brillant comme un soleil, et, prenant congé de son hôte, il l'assura que son péché était expié par ces pieux devoirs d'hospitalité qu'il exerçait envers les pauvres. À quelque temps de là, saint Julien et sa femme, chargés de bonnes Ïuvres et de mérites, passèrent de cette vie de misères à une plus heureuse.
En mémoire de sa vie charitable et de son soin pour les pauvres, on l'a surnommé saint Julien le Pauvre ou l'Hospitalier. CÕétait autrefois une dévotion fort répandue que les voyageurs embarrassés récitassent un Pater en son honneur pour obtenir un bon gîte. Il était aussi en beaucoup d'endroits le patron d'hospices où l'on n'avait qu'à se présenter comme voyageur pauvre, pour être hébergé pendant trois jours. Cet ancien et louable usage subsiste encore à Anvers.
É
1 Il est tout au moins certain que sa légende y est plus populaire que nulle autre part ailleurs : la littérature s'en est emparée et a produit, sur ce thème, des chefs-d'oeuvre : citons la pièce de Lope de Vega, intitulée : Et animal profeta, et la romance qui se trouve au t. 2 du Romancero general.