SAINT PIERRE CHRYSOLOGUE, archevêque de Ravenne

fêté le 2 décembre

tiré de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 14 p. 20 à 22


S
aint Pierre Chrysologue était d'Imola, capitale de la Romagne, en Italie. Sa jeunesse s'étant passée dans l'exercice des vertus et dans l'étude des lettres, il fut fait diacre par Corneille, son évêque, qui était bien persuadé de son mérite. Sa promotion à l'épiscopat fut toute miraculeuse. Jean, premier de ce nom, évêque de Ravenne, étant décédé, le clergé et le peuple s'assemblèrent pour lui élire un successeur; ils donnèrent leurs suffrages à un ecclésiastique aussi nommé Jean, qu'ils crurent digne de cette charge, et envoyèrent leurs députés vers le pape saint Sixte III, pour demander sa confirmation. Pendant qu'ils étaient en chemin, ce pontife, qui était un très saint homme, eut une vision dans laquelle l'apôtre saint Pierre et saint Apollinaire, premier évêque de Ravenne, l'avertirent de ne point confirmer celui qui avait été élu, mais de nommer en sa place le diacre d'Imola, nommé Pierre, dont ils lui firent le portrait. Il vit bien que c'était là un coup du ciel. Aussi, lorsque les députés parurent devant lui avec le même Corneille, évêque d'Imola, et Pierre, son diacre, il leur déclara que l'élection que l'on avait faite n'était pas agréable à Dieu, et que le ciel avait élu le diacre Pierre, qu'il voyait devant ses yeux. Les habitants de Ravenne eurent d'abord un peu de peine de ce changement; mais, voyant depuis qu'il venait d'en haut, ils l'acceptèrent de bon cĻur et se réjouirent même que Dieu leur eût choisi de sa main un si digne pasteur.
Pierre, qui n'avait pas moins d'humilité que de grandeur d'âme, fut le seul qui s'opposât à sa promotion. Il pria instamment sa sainteté de ne point mettre sur ses épaules un fardeau si pesant et si redoutable; et ses prières eussent sans doute gagné quelque chose sur l'esprit de ce bon pape, si la vision qu'il avait eue ne l'eût convaincu qu'un si saint homme devait être mis sur le chandelier de l'Église. Ce fut ce qui le fit tenir bon contre toutes les instances de Pierre. Il lui commanda de se soumettre aux ordres de Dieu, et, l'ayant enfin réduit à cette soumission, il lui imposa les mains, le consacra archevêque et l'envoya au plus tôt gouverner le peuple que la divine Providence lui avait confié.
La première chose qu'il fit après son entrée fut de représenter à ses diocésains que, puisqu'il avait enfin acquiescé à son ordination pour le salut de leurs âmes, ils devaient aussi, de leur part, sÕefforcer de profiter des bonnes instructions qu'il ne manquerait pas de leur donner; qu'il était venu vers eux comme médecin pour les guérir, comme pasteur pour les conduire, comme mère pour les nourrir, et comme père pour les défendre et leur procurer le salut éternel; et qu'il fallait, par conséquent, qu'ils eussent à son égard la docilité et la soumission nécessaires pour se rendre toutes ses fonctions profitables. Il s'en acquitta si dignement que, par les discours forts et touchants qu'il fit à son peuple, et qui étaient comme un fleuve d'or qui coulait de sa bouche, il mérita le glorieux surnom de Chrysologue.
Pendant que notre saint travaillait à former des temples spirituels à Jésus Christ, il employait aussi ses soins à lui en édifier de matériels on à réparer ceux qui étaient tombés en ruine. Surtout il fit bâtir une célèbre église en l'honneur de saint André, apôtre, et quelques édifices publics pour la commodité de la ville. Il assista à la mort de saint Barbatien, prêtre, qui faisait par ses miracles l'étonnement de tout son diocèse; il lava son corps, l'embauma et l'enterra près du grand-autel de saint Jean Baptiste, qu'il avait lui-même dédié. Il prit aussi le soin d'enterrer le corps de saint Germain d'Auxerre, qui mourut de son temps à Ravenne, et qui fut depuis ramené dans sa ville épiscopale. Il hérita de son pauvre camail et de son cilice, et il se crut plus heureux d'une si riche succession, que s'il avait acquis tous les trésors de la terre.
En ce temps-là l'impie Eutychès commença à faire éclater sa pernicieuse hérésie, par laquelle il confondait les natures en Jésus Christ, et de deux n'en faisait qu'une seule, soit par le mélange de l'une avec l'autre, soit par la perte de l'une dans l'autre. Pour avoir des fauteurs de ses erreurs, il écrivit aux principaux évêques d'Occident qu'il voulait engager dans son parti, et, comme notre saint brillait entre les autres, tant pour la dignité de son siège que par sa doctrine et sa piété, il fut un de ceux à qui il adressa ses lettres; mais Pierre lui fit la réponse que méritait sa malice. Il le reprit de son opiniâtreté, lui remontra son aveuglement, et, après cette juste réprimande, il l'exhorta à souscrire à la doctrine du Saint-Siège. Cette réponse se trouve au commencement des Actes du concile de Chalcédoine, où on l'a insérée comme une pièce excellente et une puissante preuve que c'est saint Pierre et ensuite Jésus Christ, qui parlent par la bouche du souverain pontife.
Le zèle de ce bienheureux archevêque parut aussi par la soin qu'il apporta à retrancher de son diocèse plusieurs superstitions païennes qui s'y pratiquaient encore de son temps. Il déclama particulièrement dans ses homélies contre l'usage de ces masques abominables qui représentaient les fausses divinités, et contre la coutume de célébrer en l'honneur de Jésus Christ, lorsqu'il était arrivé quelque bonne fortune, les jeux cicenses qui étaient des restes du paganisme. Ses remontrances là-dessus furent si efficaces, qu'il extermina entièrement ces divertissements impies et sacrilèges. Enfin, après avoir gouverné saintement l'Église de Ravenne pendant dix-neuf ans, il eut révélation que le temps de sa mort était proche; et, comme il avait une dévotion singulière pour saint Cassien, martyr, il fit un voyage à Imola, où il y avait une église dédiée en son honneur, pour la prier de lui obtenir la grâce de finir heureusement ses jours. Pendant qu'il y était, il tomba malade, et, après avoir exhorté ceux de son diocèse à élire un bon évêque en sa place, et à ne jamais s'écarter de la voie, des commandements de Dieu, il rendit tranquillement son âme entre les mains de Jésus Christ : ce qui arriva le 2 décembre vers l'an 450.
Son corps, suivant son désir, fut enterré dans la même église de Saint-Cassien; mais un de ses bras a été porté à Ravenne, où on le voit dans un reliquaire d'or enrichi de pierres précieuses. La voix du peuple, qui avait toujours admiré la sainteté de sa vie, le canonisa, et l'Église l'a inséré dans ses martyrologes.