SAINT SYAGRE, ƒVƒQUE D'AUTUN

FtŽ le 27 aožt

690. Ð Pape : Saint GrŽgoire le Grand. Ð Roi de Fiance : Clotaire II.

Syagre naquit ˆ Autun d'une des plus illustres familles des Gaules; car il comptait parmi ses anctres cet Afranius Syagrius, ŽlevŽ sous l'empire ˆ la haute dignitŽ du consulat, et cet autre Syagrius, petit-fils du consul, ˆ qui saint Sidoine Apollinaire rappelle sa noblesse dans une lettre pleine d'une aimable plaisanterie. L'oraison de saint Syagre, dans l'ancien BrŽviaire d'Autun, mentionne aussi la haute illustration de sa naissance. On a prŽtendu, mais ˆ tort Žvidemment, qu'il Žtait frre de la reine Brunehaut. Quelques-uns le disent parent du grand saint Didier, Žvque de Vienne. On n'a de preuves positives ni pour ni contre cette dernire assertion; mais il est fort possible que leurs familles, toutes deux trs distinguŽes, toutes deux d'Autun, aient ŽtŽ unies par les liens du sang. Nous ne savons rien de sa jeunesse, sinon qu'il Žtait plus remarquable encore par sa piŽtŽ que par sa noblesse, et que, renonant de bonne heure ˆ tous les plaisirs, ˆ tous les avantages, ˆ toutes les espŽrances du monde, il entra dans la sainte milice pour se consacrer entirement au service des autels, aux intŽrts de la gloire de Dieu et au salut des ‰mes. FormŽ sans doute comme saint Germain dans l'abbaye de Saint-Symphorien, cette grande Žcolo du clergŽ, il fut, comme lui aussi, cher ˆ saint Agrippin qui le fit diacre, et ˆ saint Nectaire qui l'ordonna prtre.
Aprs la mort de Remi, Ð d'autres disent BŽnigne, Ð successeur d'Euparde qui lui-mme avait remplacŽ saint Nectaire, nul ne fut jugŽ plus digne que Syagre d'occuper le siŽgŽ d'Autun. Saint Germain se fit un devoir et un bonheur de venir tout exprs de Paris pour prendre part ˆ sa consŽcration (560). L'importance de l'antique Žglise et l'illustration de la grande citŽ dont il devint l'Žvque, l'autoritŽ et la haute influence qu'il exerait dans sa patrie devenue son diocse, l'estime et la vŽnŽration qui l'entouraient, l'Žminence de son mŽrite universellement reconnue, sa rŽputation et la noblesse de sa famille, lui donnrent bient™t un grand crŽdit ˆ la cour. Il fut tout-puissant, d'abord auprs de Gontran, et ensuite auprs de Brunehaut.
Egalement distinguŽ par sa science et par son zle, il rŽunissait autour de lui, soit dans son palais, soit dans l'abbaye de Saint-Symphorien des jeunes gens appartenant aux plus nobles familles qui venaient se mettre sous sa direction pour tre guidŽs dans leurs Žtudes et dans les sentiers de la perfection clŽricale. On peut citer entre autres Eustache ou Eustade, Žvque de Bourges, Didier, Žvque de Vienne, dont nous avons dŽjˆ parlŽ, et un autre Didier, Žvque d'Auxerre. De tels disciples suffiraient pour illustrer leur ma”tre. En voici encore un auquel s'attache un vif intŽrt. Aumachaire ou Aunaire, jeune seigneur ŽlevŽ ˆ la cour du roi Gontran, prŽvenu de la gr‰ce, renona tout ˆ coup aux plus brillantes espŽrances, s'enfuit secrtement au tombeau de saint Martin ˆ Tours; et lˆ, se dŽpouillant des livrŽes du monde, entra dans le clergŽ pour se consacrer tout entier au service de Dieu. Ayant entendu parler de Syagre comme de l'Žvque des Gaules le plus Žminent par sa science et par ses vertus, c'est entre des mains si habiles et si saintes qu'il alla remettre son ‰me. Le vŽnŽrable pontife, plein d'admiration et de tendresse pour un jeune homme capable d'un si grand sacrifice, l'accueillit comme un pre accueille le plus aimŽ des fils, fut heureux de le garder auprs de sa personne et lui communiqua ses lumires et sa saintetŽ.
Cependant on continuait ˆ recourir de toutes parts et jamais en vain au grand Pontife qui occupait avec tant de distinction le sige d'Autun. Un religieux nommŽ BaudŽnus, du monastre de Saint-ArŽdius (probablement Saint-Ange de Gap), arriva un jour ˆ Autun, demandant ˆ lui parler. Il venait du fond de la Provence et tenait ˆ la main une liasse de papiers. ÒSeigneur, dit-il quand on l'eut introduit, notre monastre est persecutŽ par des ennemis qui veulent le dŽpouiller, malgrŽ nos titres de propriŽtŽ que voici. Plein de confiance en votre bontŽ et connaissant tout le crŽdit dont vous jouissez ˆ la cour, je viens implorer votre assistance.Ó Syagre l'accueillit avec sa charitŽ et sa bienveillance ordinaires, puis le rassura en lui disant qu'il se chargeait de son affaire. Le roi, sur la demande du saint hiŽrarque, apposa sa signature sur les titres, et le bon religieux s'en alla content. Ð Une autre fois, un pre dŽsolŽ alla trouver Fortunat, Žvque de Poitiers : ÒMon fils, lui dit-il, vient d'tre jetŽ en prison; veuillez, je vous en conjure, obtenir sa libertŽ par l'entremise du grand Žvque d'Autun.Ó Fortunat Žcrivit aussit™t ˆ Syagre, lui raconta le fait, exposa l'objet de sa demande et ajouta : ÒCe pauvre homme, aigri par la douleur, aprs avoir exhalŽ devant moi ses plaintes amres, vous a dŽsignŽ
comme le seul qui puissiez apporter un remde ˆ ses maux. Il croit qu'un mot de votre part suffira.Ó Syagre, qui trouvait toujours avec bonheur les occasions de faire le bien, ne manqua pas de profiter de celle-ci et obtint sans doute une gr‰ce qui lui Žtait demandŽe par un ami intime.
Notre saint se trouve mlŽ ˆ toutes les grandes affaires de son temps. Le monastre de Sainte-Croix, fondŽ ˆ Poitiers par sainte Radegonde, venait d'tre le thŽ‰tre d'une lutte singulire. Cette affaire prit de telles proportions que les plus grands Žvques des Gaules furent obligŽs de s'en mler. Aussi trouvons-nous plus d'une fois le nom de Syagre citŽ dans les dŽbats; et cet illustre Pontife fut un de ceux qui contriburent le plus ˆ rŽtablir la paix un moment troublŽe par des princesses ambitieuses mme sous le voile. Il ne montra pas son zle seulement dans cette circonstance o on le vit avec GrŽgoire de Tours jouer un r™le important, et obtenir par ses soins et sa prudence un heureux rŽsultat : jamais, toutes les fois que de graves intŽrts de I'ƒglise ou des peuples le demandrent, il n'Žpargna ni son temps ni sa peine. Les plus longs voyages ne lui cožtaient rien quand
il s'agissait de se rendre ˆ ces augustes assemblŽes o se traitaient les plus grandes questions relatives ˆ la foi, ˆ la morale, ˆ la discipline, o tout s'organisait, o tout s'Žpurait aussi bien dans l'ordre civil et social que dans l'ordre ecclŽsiastique; car les conciles Žtaient ˆ cette Žpoque comme des conseils d'Etat. Syagre porta trs souvent ses lumires et sa haute influence ˆ ses frres dans l'Žpiscopat rŽunis en grand nombre ˆ Paris, ˆ Vienne, ˆ Lyon et ˆ M‰con, o, pleins de l'esprit de l'ƒglise toujours amie de la paix et des pauvres, ils s'occupent des besoins de ceux-ci et cherchent ˆ rapprocher les rois toujours divisŽs. La signature de l'Žvque d'Autun suit immŽdiatement celle du mŽtropolitain.
Le pieux roi Gontran eut toujours pour Syagre la plus haute estime, la plus grande vŽnŽration et une dŽfŽrence sans bornes. Il lui en donna des marques en toute circonstance, et encore deux ans avant sa mort, en 591, lorsqu'il voulut l'emmener ˆ Paris pour le baptme de Glotaire, son neveu et son filleul. Mais le plus beau titre de gloire pour Syagre et le plus imposant tŽmoignage rendu ˆ son mŽrite, furent l'affection et la confiance de saint GrŽgoire. Ce grand pape ayant remarquŽ de jeunes esclaves blonds,
au visage doux et pensif, d'une beautŽ pleine de noblesse et d'attrait, mis ˆ l'encan sur le marchŽ de Rome, conut aussit™t un projet digne de son zle immense, celui de gagner ˆ JŽsus Christ un pays qui donnait naissance ˆ cette race d'Žlite. ÒQuel dommage, disait-il, que de tels hommes ne soient pas chrŽtiens !Ó Or, ces jeunes esclaves Žtaient des Anglo-Saxons. Avant son pontificat, il avait voulu aller en personne leur porter le bienfait de la foi. Mais les Romains craignant de le perdre pour jamais, firent si bonne garde sur les routes qu'il ne put suivre sa magnanime et sainte inspication. Une fois ŽlevŽ sur la chaire de saint Pierre, il envoya bient™t (596), pour ŽvangŽliser l'Angleterre, le moine Augustin et quelques autres religieux c'Žtait lˆ son oeuvre chŽrie. Aussi choisit-il entre tous les Žvques des Gaules, Syagre d'Autun, Virgile d'Arles et Didier de Vienne, pour leur
recommander ses bien-aimŽs missionnaires.
Saint GrŽgoire n'avait pas trop prŽsumŽ du zle et de la charitŽ de ces grands Žvques il fut parfaitement compris et secondŽ par eux. On prŽtend mme que Syagre, non content d'aider de ses secours et d'accueillir parfaitement les missionnaires ˆ Autun, alla beaucoup au-delˆ de ce qui lui Žtait demandŽ il voulut, aprs tre allŽ avec eux prier aux tombeaux de saint Symphorien et de nos autres saints, les accompagner en personne
jusqu'en Angleterre.
Saint GrŽgoire montra encore combien il comptait sur Syagre pour tre secondŽ dans le gouvernement de lÕƒglise des Gaules, par une longue lettre qu'il lui adressa ainsi qu'ˆ Virgile, ˆ Didier et ˆ EthŽrius (Ythaire) de Lyon, pour le charger de convoquer rŽgulirement des conciles, de travailler avec ses trois dignes collgues ˆ extirper la simonie et l'ordination des indignes, ˆ maintenir dans le clergŽ la plus grande puretŽ de moeurs et la plus exacte discipline. On voit par cette lettre quel cas le souverain Pontife faisait de Syagre, quelle haute idŽe il avait en mme temps de son crŽdit et de son
influence, combien il l'honorait; car il le nomme le premier, bien que les trois autres prŽlats fussent des mŽtropolitains. C'est lui aussi qu'il charge, par une distinction exceptionnelle, d'envoyer ˆ Rome par l'abbŽ Cyriaque les actes du prochain concile local dont il avait tant recommandŽ la convocation. SecondŽ du puissant concours de Syagre, il ne craint pas de
poser une main ferme sur l'ƒglise de France. Evidemment l'Žvque d'Autun est ˆ ses yeux le premier Žvque de cette grande ƒglise et tient le premier rang dans son estime. Il sait d'ailleurs que nul ne peut l'aider plus efficacement que ce vŽnŽrable prŽlat, ˆ la fois si saint et si ŽclairŽ qui jouissait dans les Gaules de la plus vaste rŽputation, y exerait le plus lŽgitime ascendant et possŽdait ˆ la cour une autoritŽ sans Žgale. C'est pourquoi il le charge encore de plusieurs affaires importantes, relatives ˆ d'autres Žvques. Enfin, c'est ˆ lui qu'il s'adresse pour arranger avec les rois francs une difficultŽ concernant la crŽation du diocse de Maurienne.
Maintenant il nous reste ˆ parler des magnifiques Ždifices et des fondations pieuses auxquels se rattache le nom de Syagre. Presque en mme temps que Childebert et saint Germain de Paris fondaient la cŽlbre basilique de Saint-Vincent (depuis Saint-Germain des PrŽs), qui fut confiŽe aux religieux de Saint-Symphorien, une Žglise dŽdiŽe Žgalement ˆ saint Vincent s'Žlevait aux portes du monastre autunois. Syagre fut sans doute le fondateur de ce monument religieux qui venait s'ajouter ˆ tant d'autres sur ce sol sacrŽ. Il voulait, ˆ l'exemple de saint Germain, associer le culte du jeune martyr d'Autun au culte, alors fort rŽpandu, du jeune diacre martyr de Saragosse. Les premiers rois mŽrovingiens, lorsqu'ils Žtablirent leur rŽsidence ˆ Ch‰lon, abandonnrent aux Žvques d'Autun le prŽtoire et le castrum de la citŽ. C'est lˆ que saint Nazaire avait dŽdiŽ une basilique sous
le vocable de saint Nectaire et en avait fait sa cathŽdrale. Syagre, qui unissait au zle pour la splendeur du culte, le gožt des arts, l'amour du beau et du grand, mit ses soins et son bonheur ˆ orner le nouvel Ždifice, ˆ l'agrandir, ˆ le rendre digne de l'illustre Žglise d'Autun et de la superbe citŽ qu'embellissaient encore les imposantes constructions gallo-romaines. Il y ajouta, du c™tŽ de l'Orient, une grande abside qui fut dŽcorŽe avec une
richesse et une splendeur extraordinaires. Les lambris Žtaient brillants d'or, et partout de magnifiques mosa•ques Žtalrent leurs dessins variŽs. On Žpuisa toutes les ressources de l'art, dans une ville remplie de riches dŽpouilles de l'antiquitŽ, et o s'Žtaient conservŽs des traditions savantes, un gožt plus ŽpurŽ que nulle part ailleurs. Ces traditions, jointes au zle pour la maison de Dieu, produisirent des merveilles. Aussi la beautŽ de la cathŽdrale d'Autun devint ds lors trs cŽlbre. Non content de dŽcorer magnifiquement la maison de Dieu, notre saint Žvque y assura la splendeur du culte par le don de la terre considŽrable de Laisy.
DŽjˆ sans doute Syagre avait ŽtŽ aidŽ pour la dŽcoration de son Žglise par la royale munificence de Brunehaut, princesse en qui tout fut grand, les vues, les oeuvres, les passions et les crimes ; mais bient™t il le fut plus largement encore pour la fondation de trois Žtablissements religieux dont l'importance Žgalait l'Žtendue, le grandiose et la magnificence. ConformŽment ˆ la manire d'agir observŽe autrefois par le grand Žvque de Tours, recommandŽe par le pape saint GrŽgoire, invariablement suivie par l'ƒglise, toujours fidle ˆ son plan de transformer sans dŽtruire, il voulut tourner au profit de la foi nouvelle les anciennes habitudes dŽveloppŽes par le culte des faux dieux, attaquer sur leur propre terrain les croyances pa•ennes, sanctifier par des Ždifices chrŽtiens les lieux souillŽs par les idoles, et faire de cette manire ˆ JŽsus Christ une rŽparation plus frappante, plus solennelle. Il construisit donc avec les ruines et sur l'emplacement mme du temple de BŽrŽcynthe, lˆ o l'on croit qu'Žtait dŽjˆ un baptistre, la grande abbaye de Sainte-Marie, appelŽe aussi plus tard Saint-Jean le Grand, o s'abrita un essaim nombreux de chastes vierges consacrŽes ˆ Dieu. Ainsi une atmosphre, jadis corrompue par les exhalaisons du paganisme, serait purifiŽe par l'encens de la psalmodie montant sans cesse devant Dieu et par le cŽleste parfum de cette blanche fleur qu'on appelle la virginitŽ chrŽtienne; ainsi dispara”traient sous des flots de prires et seraient lavŽes par les innocentes larmes de la pŽnitence, les taches imprimŽes sur ce sol par une immonde dŽesse dont le culte fut trop longtemps une insulte ˆ la vertu; ainsi seraient rappelŽs le martyre et la gloire du jeune Symphorien assez hŽro•quement hardi et vertueux pour honorer le christianisme et l'humanitŽ, en refusant mme en face de la mort son
hommage ˆ l'inf‰me idole. Syagre voulut donner ˆ la nouvelle abbaye un nom saint et chŽri, afin de rappeler que l'Žglise d'Autun fut fondŽe par les disciples de Celui qui avait eu Marie pour mre adoptive, et prŽsenter en mme temps le plus beau type de la vierge consacrŽe ˆ Dieu.
Ce n'Žtait point assez pour Syagre d'avoir ouvert un vaste et saint asile aux chastes Žpouses de JŽsus Christ, le vŽnŽrable hiŽrarque voulait encore perpŽtuer ˆ Autun les traditions de charitŽ venues aussi, comme celle de la virginitŽ chrŽtienne, d'Ephse et de Smyrne. C'est pourquoi il fonda un hospice, saint asile ouvert aux malades, aux pauvres, aux voyageurs, aux nombreux plerins qu'attiraient les miraculeux tombeaux de saint Symphorien et de saint Cassien. Ce nouvel Žtablissement Žtait Žgalement voisin d'un temple, celui de Minerve, ˆ ce que l'on croit, ou selon d'autres celui d'Apollon, afin de remplacer la sagesse antique, orgueilleuse, froide, sche, sans entrailles, par l'humble et douce charitŽ ŽvangŽlique, toujours compatissante et active. Le pieux Ždifice occupait, d'aprs la tradition, le lieu mme o fut la demeure de Fauste et d'Augusta, o saint Symphorien reut le jour et plus tard le baptme, o s'Žleva dans Autun, sous le vocable du prince des ap™tres, le premier autel en l'honneur de JŽsus Christ. Le nouveau palais des pauvres, ŽdifiŽ par la charitŽ, reut le nom de l'ap™tre d'Autun, victime lui aussi de ce sublime amour de Dieu et des hommes qu'on appelle le zle sacerdotal. Les souvenirs chrŽtiens se pressaient donc autour de l'hospice de Saint-Andoche comme dans l'abbaye de Sainte-Marie; ils y faisaient aussi oublier les souvenirs pa•ens; ils purifiaient, ils consacraient ce sol autrefois profanŽ.
Enfin ce fut sur les ruines du temple et de l'Žcole druidique de Saron que Syagre Žrigea le vaste monastre, monument d'une imposante grandeur, paisible retraite ouverte ˆ une de ces colonies d'hommes d'Žlite, ˆ qui saint Beno”t venait de donner un code admirable et d'apprendre ˆ mener sur la terre une vie presque cŽleste, utile aux hommes, glorieuse ˆ Dieu, o s'unissaient par une heureuse alliance, pour conduire le chrŽtien ˆ la perfection ŽvangŽlique, la solitude et la vie commune, le travail, l'Žtude et la prire. La nouvelle abbaye ne pouvait recevoir un autre nom que celui du grand Saint qui avait fondŽ le premier monastre des Gaules, ŽvangŽlisŽ le pays Žduen et brisŽ en cet endroit mme la vieille idole gauloise. Syagre fit pour l'Žvque de Tours ce qu'Euphrone avait fait pour saint Symphorien : l'un et l'autre voulurent consacrer par de pieux monuments ce sol tout
plein de deux mŽmoires insŽparablement unies, celle de l'ap™tre et celle du martyr. Deux abbayes s'Žlevrent ˆ c™tŽ l'une de l'autre, la fille de saint Euphrone et sa digne soeur, l'abbaye de Saint-Martin.
Le monastre de Saint-Martin fut construit pour recevoir trois cents moines. L'Žglise Žtait b‰tie en gros blocs de pierre de taille, comme les portes de la citŽ. Le vieux temple de Savon, converti par saint Martin en une Žglise sous le vocable de saint Pierre et de saint Paul, entra, comme un souvenir, dans la construction nouvelle. Le mur oriental fut dŽmoli et remplacŽ par une abside ˆ vožte basse, rappelant les catacombes. D'ailleurs l'Ždifice ressemblait assez aux anciennes basiliques du quatrime sicle. Il avait en dedans cent huit pieds de long sur cinquante-quatre de large, et offrait trois parties
distinctes. La premire partie, Ð un portique avec colonnes et un grand arc ˆ plein cintre, Ð Žtait sŽparŽe de la seconde par un mur transversal percŽ de trois portes, dont l'une, celle du milieu, Žtait surmontŽe d'une peinture dŽdicatoire o l'on voyait la royale fondatrice, Brunehaut, offrant de la main droite des religieux, et de l'autre, le monastre ˆ saint Martin et ˆ saint Beno”t. La seconde partie, ou corps de l'Ždifice, Žtait divisŽe, par deux rangs de colonnes de marbre, en trois nefs correspondant aux trois portes et terminŽes chacune par une abside. La troisime partie, ou le sanctuaire, Žtait sŽparŽe de la nef par une balustrade en marbre, au-dessus de laquelle s'Žlanait l'arc triomphal soutenu par deux magnifiques colonnes Žgalement en marbre. La vožte de l'abside prŽsentait de brillantes mosa•ques sur des fonds d'or et d'azur; l'arc triomphal, des arabesques et des bas-reliefs; et la nef, des lambris ˆ compartiments dorŽs. Le pavŽ du sanctuaire Žtait en mosa•que, et celui de la nef en marbre. L'autel, petit et fort bas, comme les autels antiques, ŽrigŽ par saint Martin dans le temple de Saron, Žtait adossŽ au mur terminant l'abside. La sainte Vierge, dont le culte avait ŽtŽ apportŽ en ces lieux, avec une si tendre vŽnŽration, par des
ap™tres tenant de si prs ˆ saint Jean, ne pouvait tre oubliŽe dans la nouvelle Žglise : on lui dŽdia la crypte, chapelle souterraine et funŽraire, rappelant la Confession o l'on recueillait les prŽcieux restes des martyrs. Lˆ elle semblait veiller, comme une bonne mre, sur le sommeil de ses enfants couchŽs dans leurs lits de pierre en attendant le rŽveil de l'ŽternitŽ. Heureuse et consolante pensŽe de mettre ainsi sous la protection et comme sous l'oeil de la douce Mre de JŽsus, les morts qui dorment dans la paix du Seigneur.
Quelque temps aprs, le souverain Pontife, pour rŽcompenser un prŽlat si grand par ses lumires, ses vertus et son zle, par les services qu'il avait rendus ˆ l'Eglise, par les bonnes oeuvres dont il avait ŽtŽ le promoteur ou l'instrument, et qui depuis longtemps possŽdait toute son estime, toute sa confiance, lui accorda le pallium; mais Syagre ne jouit pas longtemps de la dŽcoration privilŽgiŽe que lui avait envoyŽe le vicaire de JŽsus Christ.
Un an aprs, eu 600, il alla recevoir de JŽsus Christ lui-mme la rŽcompense Žternelle. Aucun Žvque de cette Žpoque, si fŽconde pourtant en saints, ne jouit parmi ses contemporains et ne laissa dans la postŽritŽ une plus grande rŽputation de science et de vertu. Fortunat de Poitiers fait de lui le plus grand Žloge; il le qualifie de trs digne et trs saint Žvque. Adon de Vienne l'appelle un homme de la plus Žminente saintetŽ. Un concile de Metz lui donne aussi le titre de saint; et, citant un ancien canon relatif aux Juifs, il ne s'appuie que de l'autoritŽ de Syagre, comme si le concile dont il s'agit et o siŽgeaient cependant plusieurs mŽtropolitains, se fžt rŽsumŽ tout entier dans la personne de ce grand prŽlat qui Žtait ˆ la tte de tout l'Žpiscopat des Gaules. Sans jamais flatter les passions des princes, il sut employer et n'employer que pour le bien sou immense crŽdit
auprs d'eux.

CULTE ET RELIQUES

Saint Syagre fut inhume dans l'Žglise de l'hospice Saint-Andoche qui Žtait une crŽation de sa charitŽ et qu'il avait dotŽ de ses propres biens. Pre des pauvres, il avait voulu sans doute reposer au milieu de sa famille adoptive. Lˆ, tous les jours, ceux qui lui devaient un asile et des secours aimaient ˆ prier sur sa tombe et bŽnissaient sa mŽmoire. On y conserva la plus grande partie de ses chres et prŽcieuses reliques, entre autres sa tte qui fut enfermŽe plus tard dans un reliquaire d'argent en forme de buste, donnŽ par l'abbesse de Saint-Jean le Grand. Car on lit dans l'obituaire de Saint-Andoche, vers l'an 1400, au 25 mars ÒJeanne de Montigny, abbesse de Saint-Jean d'Autun, qui a donnŽ le chief d'argent o est mie le chief de Monsieur saint Syagre.Ó Le Val-de-Gr‰ce, ˆ Paris, possŽdait aussi quelques reliques insignes de notre saint Žvque. Dans un hameau
de la paroisse de Grury, il y avait une chapelle sous son vocable, ˆ la nomination de la famille de Jarsaillon. La paroisse de Mallet ftait comme patrons saint Syagre et saint Sulpice.

tirŽ de : Les Petits Bollandistes; Vies des saints tome 10 p. 248-254