SAINTE POMPOSA, MONIALE, MARTYRE A CORDOUE
(en l'année 853)
Par saint Euloge
fêtée le 19 septembre
Tandis que la nouvelle du martyre de sainte Colombe parvenait aux oreilles de tous les fidèles et se répandait non seulement dans toute la ville, mais encore dans ses environs, une vierge vénérable, nommée Pomposa, sortit du monastère de Saint-Sauveur, bâti au pied du mont Pinno Mellario, dans lequel elle s'était enfermée avec ses parents, ses frères et ses amis pour servir le Christ, et vint s'offrir elle aussi au martyre. C'est de ce monastère qu'était également sorti le bienheureux prêtre Fandilla, martyrisé un peu auparavant. Cette vierge bienheureuse, qui habitait Cordoue, était parvenue à décider toute sa famille à abandonner les biens périssables de ce monde pour faire voeu de chasteté et travailler à l'acquisition des biens éternels.
Les parents vendirent donc leur patrimoine et firent bâtir ce monastère, qu'on appela Pinno Mellario à cause des nombreux gâteaux de miel qu'y fabriquent les abeilles, cela de toute antiquité et aujourd'hui encore. Ils se livrèrent en ce lieu aux exercices de la vie monastique, et la vierge Pomposa surpassa tous ses compagnons par l'éclat de sa sainteté. Ainsi, celle qui par l'âge tenait le dernier rang s'éleva jusqu'au premier par son innocente simplicité. Elle était tellement absorbée dans la méditation des saintes Écritures, qu'elle n'en était distraite ni le jour ni la nuit; et il fallut les tempêtes menaçantes de la persécution pour la détourner de cette occupation. Quand quelque mal la menaçait, on la voyait s'y résigner docilement avec la prodigieuse humilité qui la distinguait. Elle s'adonnait aux veilles, se soumettait à des peines rigoureuses, faisait de longues prières, pour obtenir de Dieu la grâce de garder inviolablement les voeux qu'elle avait faits.
Nous avons appris de son abbé, le moine et serviteur du Christ, Félix, quantité de traits relatifs à sa vie sainte, mais nous n'en rapporterons rien, de crainte de fatiguer le lecteur. Nous nous empressons d'arriver immédiatement à l'action héroïque qui sans aucun doute lui ouvrit les portes du ciel. Comme elle aspirait à la plus haute sainteté et servait Dieu avec la plus rigoureuse fidélité, dès qu'elle apprit le martyre de la bienheureuse Colombe, elle fut prise aussitôt d'un ardent désir de conquérir une semblable couronne; cette nouvelle la ravit de joie, et elle se mit à chercher secrètement le moyen d'aller se présenter au tribunal du juge. Admirons ici la puissance de la vocation du Seigneur, dont la providence sait disposer les événements de façon qu'aucun de ceux qui sont prédestinés à la gloire du martyre ne soit privé de sa couronne; de façon qu'aucun de ceux dont la place est marquée dans l'assemblée des saints ne puisse être retenu dans les filets des hommes. On rapporte, en effet, que longtemps auparavant cette même vierge avait eu le désir de voler au martyre, mais qu'elle en fut empêchée par les dispositions habiles des siens, qui la soumirent à une rigoureuse surveillance tant que dura la violence de la persécution.
Mais à quoi peut servir la surveillance des hommes, puisque, selon l'Écriture, «si le Seigneur ne fait lui-même la garde, c'est en vain que surveillent ceux qui pensent pouvoir, par eux-mêmes, garder quelque chose» ? En effet, une nuit que les frères allaient se coucher, après les vigiles de la nuit, l'un d'eux, par un dessein de la Providence, eut l'inspiration de prendre la clef et d'ouvrir la porte du monastère, ce qui ne se faisait jamais, et se contenta de la tenir attachée par un petit clou. La bienheureuse Pomposa se rendit la nuit même à cette porte, l'ouvrit et chemina dans les ténèbres, guidée par une lumière céleste; elle parcourut pendant la nuit l'espace désert qui séparait le monastère de la ville de Cordoue, et y entra au point du jour.
Son premier soin fut d'aller se présenter devant le tribunal du juge; elle fit devant lui une profession explicite de foi chrétienne et insulta l'impudique prophète. Le juge la condamna sur-le-champ à périr par le glaive, et elle fut exécutée devant les portes du palais le 13 des calendes d'octobre, l'ère 891. On précipita son cadavre dans le fleuve; mais des bateliers, payés par les fidèles, parvinrent à le repêcher et le déposèrent au fond d'une fosse qu'ils remplirent de sable.
Environ une vingtaine de jours après, quelques moines, avec l'aide du Christ, réussirent à le tirer de là, et le transportèrent dans le monastère de la vierge Eulalie, où il fut solennellement enseveli, par les soins des prêtres et des religieux, aux pieds de sainte Colombe. En cela encore nous voyons un effet de la Providence divine : car celles qui, durant leur vie, s'aimèrent d'une si ardente charité, eurent le bonheur de reposer après leur mort dans un même sépulcre. Gloire soit donc au Christ qui règne dans les siècles des siècles ! Amen.