LES ACTES DE SAINT MAMAS

(Vers l'an de Jésus Christ 274 )
Ces Actes très anciens ont été connus de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze, qui font allusion, dans leurs discours pour la fête du saint martyr, à certaines particularités qu'ils renferment.

fêté le 2 septembre

Saint Mamas, ou le Grand Martyr (car c'est par ce surnom qu'il est désigné chez les Syriens et chez les Grecs, peut-être à cause du contraste de la petitesse des membres d'un enfant avec la grande lutte qu'il eut à soutenir), saint Mamas était né en Paphlagonie, d'une famille illustre par son origine, mais plus encore par sa piété et par sa foi. Son père se nommait Théodote et sa mère Rufine; tous deux, de famille patricienne, joignaient à la noblesse d'un grand nom l'éclat d'une vie irréprochable et sainte. Enflammés de l'amour divin et ne pouvant cacher les ardeurs de leur zèle, ils pratiquaient courageusement en public toutes les oeuvres de la religion, et s'efforçaient en toutes manières, par leurs exhortations, d'arracher un grand nombre d'âmes au gouffre de l'impiété, pour les convertir à la foi du Christ. Ceci fut cause qu'ils furent accusés auprès d'Alexandre, qui gouvernait alors la ville de Gangres; car ce gouverneur avait reçu de l'empereur l'ordre d'employer tout son zèle à étendre et à faire respecter le culte des dieux; aussi tous les chrétiens qu'il trouvait, il les soumettait à de cruelles tortures, et ceux dont il ne pouvait ébranler la foi dans les supplices, il les faisait mourir de la mort la plus cruelle. Il fit donc venir Théodote devant son tribunal, et voulut le forcer à sacrifier aux idoles. Théodote ayant refusé, il allait employer contre lui la torture; mais il fut forcé d'y renoncer; car il ne lui était pas permis de soumettre aux tourments les patriciens sans un ordre de l'empereur. Théodote fut donc conduit par ses ordres à Césarée de Cappadoce, et remis aux mains de Faustus, gouverneur de cette province. Faustus, d'une impiété plus exaltée et d'une cruauté plus violente que n'était Alexandre, fit jeter Théodote en prison dès son arrivée.

Cependant l'épouse de Théodote, Rufine, quoiqu'elle fût enceinte, avait sans hésiter suivi son mari et s'était enfermée avec lui dans sa prison. Pendant qu'ils étaient ainsi réunis, Théodote, considérant la faiblesse de sa chair, et n'ignorant pas la cruauté du tyran, désira mourir près de son épouse, plutôt que de s'exposer, en affrontant de plus cruels tourments, à faire quelque chose de contraire à la Volonté de Dieu et d'indigne de sa noblesse. C'est pourquoi, élevant dans une prière fervente ses mains et son coeur au ciel, il dit : "Seigneur Dieu des armées, Père de ton Fils bien-aimé, je Te bénis et Te glorifie de m'avoir jugé digne d'être jeté en prison pour ton Nom. Cependant, Seigneur, je T'en conjure, Toi qui connais toutes choses et spécialement ma grande fragilité, reçois mon âme dans ce cachot, de peur que l'ennemi n'ait à se réjouir un jour d'avoir prévalu contre moi." Telle fut sa prière; et Dieu, qui a formé Lui-même le coeur de chaque homme et pénètre toutes nos pensées, reçut le sacrifice de sa bonne volonté et l'exauça sur-le-champ. Bientôt en effet cette âme sainte, par la miséricordieuse Providence du Seigneur, s'échappait de son corps qu'elle abandonnait dans la fange d'une affreuse prison, et s'envolait au ciel.

Rufine, épuisée par les angoisses, mit au monde avant terme un fils, l'enfant de ses douleurs. Ainsi s'ajoutaient à ses regrets sur la mort de son mari, toutes les inquiétudes d'une mère sur son nouveau-né. Les horreurs de la prison et la cruauté du gouverneur épouvantaient aussi son âme et la faisaient trembler pour sa persévérance. Cependant, supérieure à tant d'épreuves, elle recommande à Dieu son enfant, et rend au corps de son mari, autant qu'elle le peut, les derniers honneurs. Mais bientôt elle pleure de se voir seule, abandonnée dans un cachot et privée de son époux : "Ô Dieu, s'écrie-t-elle d'une voix étouffée par ses gémissements et par ses larmes, Toi qui de tes Mains as formé l'homme et tiré la femme de son côté, daigne, Seigneur, m'arracher à la corruption de ce siècle et me réunir pour toujours à mon époux." Ainsi priait Rufine; à peine avait-elle achevé sa prière, qu'elle rendait à Dieu son âme et allait jouir elle aussi du bonheur éternel.

L'enfant restait seul dans la prison, gisant entre le corps de son père et celui de sa mère. En ce même moment, Dieu envoya une vision à une noble dame de la cité, nommée Amya, qui joignait aux richesses de ce siècle tous les précieux trésors de la grâce. Elle vit devant elle un jeune adolescent qui lui dit : "Va trouver le gouverneur Faustus, et demande-lui les corps des saints que le sommeil de la mort a visités dans la prison; au milieu d'eux tu trouveras un petit enfant qui pleure; prends-le, et qu'il devienne ton fils; aie pour lui tous les soins d'une mère." Amya était veuve et n'avait pas d'enfants. Elle comprit aussitôt que cette vision venait de Dieu; elle alla trouver le gouverneur, et en obtint facilement ce qu'elle demandait; car la grâce divine avait préparé Faustus à tout accorder, en même temps qu'elle secondait Amya, pour lui faire accomplir, sans délai, l'ordre qu'elle venait de recevoir. Elle se rendit donc en toute hâte à la prison, et en enleva les corps des saints avec l'enfant. Les corps des saints, elle les ensevelit avec les plus grands honneurs dans son propre jardin; mais l'enfant, elle l'adopta pour son fils, le nourrit, l'éleva, l'entoura de plus de tendresse que si elle lui eût donné le jour. À mesure que l'enfant grandit, l'amour d'Amya sembla grandir encore; elle se flattait qu'il serait un jour pour elle la récompense de toutes ses peines et le soutien de sa vieillesse.

À l'âge de deux ans, il commença à parler, et le premier mot qui s'échappa de ses lèvres encore si tendres fut celui de mamma, qui signifie mère; il l'adressait à Amya, et celle-ci dès lors ne le nomma plus que Mamas; c'est le nom qui lui est resté et sous lequel tous le connaissent. Quand il eut accompli sa cinquième année, Amya le confia à des maîtres chargés de lui enseigner les lettres. Sa passion pour l'étude, sa mémoire prodigieuse, la pénétration de son esprit ne tardèrent pas à lui donner une grande supériorité sur tous ceux de son âge; aussi la lecture et les enseignements de ses maîtres l'occupaient tout entier. Sur ces entrefaites, Aurélien était parvenu à l'empire, et presque aussitôt il avait décrété que non seulement les hommes et les femmes, mais encore et tout spécialement les enfants seraient contraints de sacrifier aux démons; il avait pensé qu'à raison de la faiblesse de leur âge, il serait plus facile de leur faire renier le Christ et de les attirer à son impiété. En effet, les autres enfants cédèrent à la volonté de l'empereur; mais tous les condisciples de Mamas, formés par ses exemples et ses paroles, imitèrent sa sagesse et refusèrent même d'écouter le décret de l'empereur. C'est que chaque jour, en effet, avec une intelligence supérieure à son âge, l'enfant leur apprenait que Jésus Christ est le vrai Dieu, qui a tiré du néant tous les êtres et les gouverne par son Pouvoir souverain; qu'à la fin du monde Il rendra à chacun selon ses oeuvres, les châtiments ou les récompenses; et que par conséquent à Lui seul l'homme doit offrir une hostie raisonnable, dans un sacrifice à la fois intérieur et extérieur. Il leur montrait ensuite comment ceux que les impies vénèrent et qu'ils appellent des dieux, ne sont que de vains simulacres voués au ridicule et à la honte la plus abjecte.

À cette époque, Mamas, qui atteignait sa quinzième année, perdit Amya, que tous appelaient la bonne matrone. Elle le laissait, en mourant, héritier de tous ses biens. Mais un certain Démocrite, zélateur très ardent du culte des idoles, venait de remplacer le gouverneur Faustus, dont nous avons parlé plus haut, et avait fait son entrée à Césarée. Il ne tarda pas à apprendre que le bienheureux Mamas non seulement n'honorait pas les dieux, mais qu'il détournait de leur culte ses condisciples et tous ceux de son âge. Cette nouvelle le remplit de colère contre l'enfant; et il ordonna qu'on le présentât à son tribunal. D'abord il lui demande s'il est chrétien; ensuite si c'est bien lui qui refuse de sacrifier aux dieux, et qui de plus empêche ses compagnons d'obéir à l'empereur. Mamas, sans se laisser effrayer, répond avec un courage et une prudence au-dessus de son âge : "Gouverneur, je connais les pièges que tu me tends pour me séduire, au milieu des épaisses ténèbres dont tu t'enveloppes, et qui ne te laissent plus voir la lumière de la vérité; car tu as abandonné le Dieu vivant et véritable, et tu sacrifies à des idoles sourdes et inanimées. Dieu me garde de me laisser tromper par tes fourberies, d'abandonner d'un pas le Christ mon Seigneur, ou de cesser jamais, par la crainte de tes menaces, de convertir à sa loi tous ceux que je pourrai."

Démocrite fut effrayé de tant de courage dans un enfant, et désespérant de lui faire abandonner la vraie foi par ses caresses, il eut recours aux menaces. Il le fit donc conduire au temple de Sérapis, et ordonna qu'on le forçât de sacrifier à l'idole. Mamas alors, avec la noble fermeté d'un homme que les menaces n'effraient pas : "Il ne t'est pas permis, lui dit-il, de me soumettre à la torture, ni même de me faire des menaces; la femme illustre qui m'a élevé et qui m'a servi de mère, et dont tous connaissent le rang et la noble origine, me met à l'abri de tes coups." Et il lui nommait Amya. À ce nom, Démocrite interrogea les spectateurs et sur cette femme et sur le jeune Mamas, pour savoir si la réponse était vraie; après quoi, il le fit charger de chaînes et l'envoya à Aurélien, qui était alors à Égée; en même temps il fit remettre à l'empereur des lettres qui l'instruisaient de tout. Aurélien eut à peine lu ces lettres, qu'il se fit présenter l'enfant. Il chercha d'abord de mille manières à le gagner, tantôt en lui faisant de magnifiques promesses et lui offrant les plus grands honneurs, tantôt en le menaçant d'une sanglante flagellation, et en étalant sous ses yeux tous les instruments de la torture. "Cher Mamas, lui disait-il, si tu veux sacrifier au grand Sérapis, tu seras avec nous le premier dans notre palais; tu jouiras de toutes les délices de l'empire; tu seras comblé de gloire, et tous les gens de bien t'admireront et loueront ta sagesse; tandis que les méchants porteront envie à tes honneurs. Mais si au contraire tu ne veux pas écouter les conseils de ma tendresse, je te condamnerai aux plus affreux supplices; les hommes avec des ongles de fer, les bêtes avec leurs dents, te déchireront; tu seras la proie des flammes."

L'enfant ne se laissa point séduire par les caresses, ni vaincre par la frayeur; sa foi même sembla devenir plus ardente, et il répondit avec un grand courage : "Jamais, empereur, je ne m'abaisserai à cette folie, d'adorer avec vous et de regarder comme dignes de nos respects des images sourdes et muettes, et privées de sentiment. Ah ! Il faudrait bien plutôt condamner cette faiblesse étrange, cet égarement grossier d'une intelligence qui souffre qu'à de telles vanités on rende encore un culte et des honneurs. Cesse donc et tes brillantes promesses et tes menaces terribles. Si je me laisse gagner par les biens que tu promets, je sacrifie des joies éternelles; mais si tu accomplis contre moi la menace que tu me fais de tant de supplices, tu m'assures un poids immense de gloire. En un mot, la mort pour le Christ m'est plus précieuse que la jouissance de tous les honneurs et de toutes les richesses du monde." En entendant cette réponse, Aurélien, furieux contre l'enfant, ordonna qu'on broya son corps sous les coups. Les chairs du jeune martyr volaient en lambeaux; pour lui, qui, dans cette première fleur de la vie, montrait la sagesse et la fermeté d'un vieillard, il semblait reposer comme dans un doux sommeil; il restait immobile, et sur son visage se peignait la joie dont son coeur était rempli.

Mais l'empereur, en homme habile et fécond en tromperies, feignit d'avoir pitié de l'enfant et de vouloir l'arracher aux supplices plus cruels qu'on lui préparait, essayant ce prétexte de le faire sacrifier aux dieux : "Je ne te demande qu'une parole, lui disait-il; dis que tu consens à sacrifier, et tu es délivré de toutes ces tortures. - Moi ! répondit Mamas, non; quand même tu me préparerais, ô empereur, des supplices et plus nombreux et plus terribles que ceux que tu étales en ce moment à mes yeux, jamais ni mon coeur, ni mes lèvres ne renieront le Christ, le seul vrai Roi. Mais je te dois une grande reconnaissance, parce que c'est toi qui approches de mon front la couronne pour laquelle je combats. Puissent donc les mains des bourreaux, qui doivent être pour moi l'instrument d'un si grand bonheur, ne point se lasser; au contraire, reprendre de plus en plus des forces nouvelles !" Quand Aurélien vit que l'enfant semblait supérieur aux coups dont il le faisait frapper, il ordonna qu'on appliquât sur ses membres déchirés des torches ardentes, afin que le feu, pénétrant peu à peu les chairs, lui fit sentir plus longtemps ses douleurs aiguës. Aussitôt, en effet, des torches furent approchées du corps du martyr; mais la flamme, respectant l'athlète du Christ, se rejeta avec violence sur les soldats.

Ainsi la flamme extérieurement semblait caresser les membres du martyr sans lui faire aucun mal, tandis qu'intérieurement elle dévorait l'âme du tyran par le plus cruel supplice; car plus elle s'éloignait du saint enfant, plus le persécuteur se consumait dans sa rage insensée. Alors il le fit frapper à coups de pierres; mais pour Mamas, dans les transports de son espérance des biens futurs, ces pierres étaient comme une pluie de roses. Enfin, le tyran comprit que tous ses tourments seraient inutiles contre le courage du jeune athlète; il ordonna donc qu'on lui attachât au cou une masse de plomb, et qu'on le précipitât au fond de la mer. Alors, ô Mamas, Dieu encore ne t'oublia point; Il avait ordonné à ses anges de veiller sur toi. Aussitôt, en effet, un ange du Seigneur apparaissant sous une forme humaine, jeta parmi les soldats une telle frayeur, que tous prirent la fuite; puis il délivra Mamas et lui commanda de se retirer sur une montagne voisine de Césarée, et d'y fixer sa demeure.

Arrivé sur cette montagne, il y resta quarante jours sans prendre de nourriture. Au bout de ce temps, il entendit une voix qui lui dit : "Mamas, descends dans la plaine." Et il descendit aussitôt dans la plaine; il y trouva une verge, et à côté de la verge le livre des évangiles. Après avoir lu dans le livre sacré, il dit : "Seigneur, à qui m'ordonnes-Tu d'annoncer ton évangile ?" Une voix lui répondit : "Construis-toi une demeure sur la montagne, et Je te ferai connaître ceux que tu dois évangéliser." Mamas se fit donc de ses propres mains un oratoire, puis il chercha à vivre de son travail. C'est alors que Dieu lui communiqua sa Toute-Puissance sur les animaux sauvages; ils lui donnaient leur lait; et le saint en faisait des fromages; et, parce qu'il n'ignorait pas qu'il est plus heureux de donner que de recevoir, il n'en gardait qu'un petit nombre pour son usage; les autres, il les portait à la ville de Césarée, et les distribuait aux pauvres.

Sur ces entrefaites, le gouvernement de Cappadoce fut donné à un certain Alexandre, différent de celui dont nous avons parlé plus haut. C'était un homme de nature féroce, qui aurait rougi de se voir moins cruel qu'aucun autre, et qui en impiété avait l'ambition de surpasser tous les tyrans. Aussi ne put-il tolérer la sagesse et la piété de Mamas, dont la renommée célébrait les vertus; après avoir pris avec soin tous les renseignements, il ordonna à des soldats de le chercher et de le lui amener. Le saint, à qui cet ordre fut révélé, vint lui-même au-devant d'eux; les soldats, qui ne le connaissaient pas, lui demandèrent où demeurait Mamas. Mamas leur répondit : "Reposez-vous un peu d'abord; descendez de cheval, et acceptez un léger repas; quant à ce Mamas que vous cherchez, je vous promets de vous le faire trouver." Les soldats ne refusèrent point l'offre, et le saint s'empressa de tout préparer; puis il leur versa de l'eau sur les mains, et servit largement à ses nouveaux convives le pain et le fromage. Cette délicieuse collation allait finir, quand les bêtes sauvages de la montagne vinrent à l'heure accoutumée se ranger autour de Mamas. Elles se présentaient à lui pour qu'il tirât leur lait, et elles y mettaient tant de douceur et d'aisance à la fois, qu'on eût dit qu'il les avait élevées lui-même et formées depuis longtemps à cet exercice. Les soldats, saisis de crainte et de stupeur à ce spectacle, se levèrent précipitamment, et coururent auprès du saint pour chercher un asile. Il calma doucement leur frayeur et les exhorta à reprendre courage.

Ensuite, pour les délivrer des soins qu'ils se donnaient à le chercher : "C'est moi, leur dit-il, qui suis ce Mamas que vous avez ordre de trouver; cessez donc de vous inquiéter. Retournez devant moi à la ville, je vous y suivrai sans délai. Les soldats crurent à sa parole, et sans soupçonner un moment sa sincérité, ils reprirent la route par laquelle ils étaient venus. Pour le saint martyr, il appela d'un signe un des lions qui vivaient avec lui sur la montagne, et lui dit : "Viens avec moi; et quand j'entrerai dans la lice, tous les enfants des Juifs et des gentils dont la langue sacrilège blasphémera le Nom du Fils unique de Dieu, jette-toi sur eux d'un bond rapide et déchire-les." Après cet ordre donné à la bête sauvage, il descendit de la montagne, et atteignit aux portes de la ville les soldats qui l'attendaient. Il se présenta avec eux devant Alexandre.

Celui-ci, en le voyant, lui dit : "N'est-ce pas toi ce Mamas que la voix publique accuse de magie ?" Mamas lui répondit d'un ton modeste et grave : "Oui, je suis Mamas, et je sers le Christ; mais mon Maître, qui donne le salut à ceux qui espèrent en Lui et font sa Volonté, condamne à un feu inextinguible les magiciens et les enchanteurs sacrilèges et idolâtres. Pourquoi m'appelles-tu devant ton tribunal ? - Parce que, reprit le gouverneur, je ne veux pas me rendre complice de ces maléfices avec lesquels tu triomphes de la cruauté des bêtes les plus sauvages, au point de vivre avec elles comme on vit en société avec les hommes, et de les faire obéir à tes volontés mieux que ne ferait un homme doué de raison." Le martyr répondit : "Quiconque sert mon Dieu, non seulement ne vit point avec les idolâtres et les enchanteurs; il ne voudrait même pas communiquer un moment avec eux sous le même toit. Et voilà pourquoi j'ai choisi de vivre avec les bêtes sauvages plutôt qu'avec vous. Quant aux maléfices et aux enchantements dont tu me soupçonnes d'user pour les rendre docile; à me servir, je ne sais pas même ce que signifient ces mots, et je n'ai jamais rien appris de semblable; mais, quoique ces bêtes soient privées de raison, cependant elles savent respecter mon Dieu et rendre honneur à ceux qui Le servent; vous, au contraire, vous êtes en tout plus déraisonnables qu'elles; puisque, malgré l'exemple qu'elles vous donnent d'honorer le commun Seigneur de toutes choses, vous ne savez pas reconnaître votre créateur."

Le gouverneur, incapable de répondre à ces justes reproches, eut recours aux injures et aux menaces. "Quelle est donc, lui dit-il, cette folie et cette audace qui t'entraîne jusqu'à oser violer les ordres de l'empereur et à nous prodiguer à nous-mêmes l'insulte ? Mais les tourments t'apprendront ce que tu as à faire. " Et aussitôt il le fit suspendre et déchirer par lambeaux. Pendant cet atroce supplice, le courage du martyr ne faiblit pas un moment; il ne laissa pas échapper un signe de faiblesse, pas une parole indigne de son caractère. Le coeur toujours ferme, il souriait en regardant les bourreaux, comme s'il n'eût ressenti aucune douleur; c'est que, tout entier au désir du ciel, il contemplait avec bonheur le paradis qui allait s'ouvrir pour lui. Cependant le gouverneur faisait redoubler les tortures; tout à coup une voix divine descendit du ciel et vint fortifier le saint martyr qui, désormais rendu insensible à l'excès des souffrances dont on l'accablait, resta vainqueur de tous les supplices. Beaucoup de chrétiens entendirent cette voix, et en furent affermis dans la foi du Christ. Quand Alexandre vit que le noble enfant ne comptait pour rien les cruels ongles de fer qui le déchiraient, il entra en fureur, le fit descendre du chevalet, et ordonna qu'on le jetât dans une fournaise ardente.

Mais en ce moment, d'autres soins l'appelant tout à coup ailleurs, il jugea plus utile à ses projets impies de retenir pour un temps en prison le martyr du Christ. Il espérait qu'un peu de repos rappellerait Mamas à lui-même et qu'il deviendrait plus sage; les souffrances qu'il avait déjà endurées, les flammes de la fournaise dont on l'avait menacé, le rendraient plus facile dans un second interrogatoire, et rabattraient beaucoup son inflexible obstination. On enferma donc le généreux enfant dans une prison, où déjà quarante chrétiens étaient enchaînés. Là, au milieu d'eux, il se mit à prier; à sa prière, leurs chaînes se rompirent, les portes de la prison s'ouvrirent d'elles-mêmes, et il leur ordonna de sortir. Quant à lui, fortifié pour de nouveaux combats par la présence d'un ange, il resta seul. À cette nouvelle, le gouverneur, abandonnant tout autre soin, ordonna d'allumer un grand feu, puis ayant fait amener le martyr devant son tribunal, il lui dit : "À cause des grandes et nombreuses affaires qui m'accablent, j'ai dû te donner un peu de repos; tu as eu le temps de songer à toi et à tes intérêts; vois donc la hauteur de ces flammes qui s'échappent de la fournaise, et prends ton parti. C'est la dernière fois que je te parle; crains qu'une aveugle obstination ne te condamne à des soupirs et à des regrets trop tardifs."

Le martyr répondit avec fermeté : "Depuis longtemps, gouverneur, je t'ai fait connaître ma volonté. Qui peut t'arrêter encore ? Mets fin à ton oeuvre, et ne prolonge pas d'inutiles menaces." À ces mots, on jette Mamas dans la fournaise mais Dieu qui, autrefois à Babylone, fit pleuvoir une rosée céleste sur les trois enfants et ne permit point à la flamme de les toucher, assista de même cet autre enfant, qui lui aussi était au Seigneur. On vit en effet le martyr du Christ, couvert d'une rosée céleste, se promener au milieu du feu comme dans un jardin émaillé de fleurs, et ne pas sentir même les plus légères atteintes de la flamme. Il y resta trois jours entiers, ne cessant de chanter à Dieu des hymnes et des cantiques d'actions de grâces. Au bout des trois jours, la flamme s'était éteinte faute d'aliment, et le tyran, qui ne savait pas même pardonner à la mort, donna l'ordre d'arracher des cendres de la fournaise les os du martyr et de les lui apporter. Les bourreaux, en s'approchant, entendirent le saint célébrer à haute voix les Merveilles de Dieu; frappés d'étonnement et de crainte, ils se hâtèrent d'aller redire à leur maître ce qu'ils avaient vu et entendu. Celui-ci, à cette nouvelle, s'écria : "Par le grand Sérapis et tous les autres dieux, l'enchantement est manifeste !" Tant la juste vengeance de Dieu avait aveuglé son coeur. En pleine lumière, comme s'il avait été au milieu de ténèbres palpables, il ne pouvait ni voir, ni sentir ce qui pour les autres était plus clair que le jour. Tous ceux en effet qui en furent témoins, même ceux qui semblaient le moins capables d'une aspiration vers la vérité, en voyant que l'athlète du Christ n'avait pas sur lui la moindre trace de la flamme, glorifièrent Jésus Christ, comme le seul Auteur de ce miracle.

Cependant Alexandre se fit présenter une seconde fois Mamas et redoubla contre lui les outrages et les blasphèmes, répétant à grands cris, dans son aveugle fureur, les noms de magicien, d'enchanteur et de démoniaque. Mamas ne répondait pas. Le gouverneur le fit conduire au lieu où le peuple avait coutume de se réunir pour les combats des bêtes sauvages; et le martyr, au comble de la joie, suivit en souriant. On lâcha d'abord contre lui un léopard et un ours, qui déjà avaient fait de nombreuses victimes. L'ours inclina la tête avec les signes du respect, et se roulant aux pieds du saint, paraissait baiser avec vénération les traces de ses pas; quant au léopard, dépouillant sa nature sauvage, il se dressa d'un air caressant sur le saint martyr et essuya doucement la sueur qui couvrait tout son corps. On eut dit qu'il était sensible aux injures faites à Mamas, et qu'il voulait à sa manière le consoler. Ainsi se montraient douces et prévenantes pour notre glorieux athlète les bêtes sauvages que l'impie avait déchaînées pour le dévorer. Bien différent fut le lion de la montagne, à qui le saint avait donné ses ordres et qu'il avait armé contre les impies. Tout à coup il arrive grinçant des dents et frémissant de rage; il se jette sur la foule des spectateurs; de sa dent meurtrière, de ses ongles cruels, il déchire les uns, tue les autres, et disperse tout ce qui reste; la frayeur était au comble. Après cette scène, un grand nombre d'infidèles glorifièrent le Dieu de Mamas, dont ils sentaient la Puissance se déployer envers son serviteur.

Un coeur de pierre se serait attendri; celui du tyran ne fit que s'endurcir; il devenait de plus en plus cruel. Désespéré de ne pouvoir triompher par aucun genre de supplice du courage de Mamas, il appelle un de ses bourreaux, le plus robuste et aussi le plus cruel dans son impiété; et lui ordonne de lancer à deux mains contre le martyr un trident de fer, dont par hasard il était armé. La blessure fut profonde, et le sang s'échappait à gros bouillons. À cette vue, une femme chrétienne, animée d'un saint respect, s'approcha, et reçut dans un vase quelques gouttes de ce sang qu'elle conserva avec honneur. Cependant les entrailles du martyr tombaient de son corps entrouvert. Il les retient de ses propres mains, et joyeux d'apercevoir enfin le terme qu'il poursuit depuis si longtemps, il traverse le théâtre et sort de la ville; c'était le sacrifice de lui-même qu'il portait ainsi et allait offrir hors du camp, à l'exemple de Jésus Christ, son Maître. Arrivé à la distance de deux stades, il entra dans une grotte, et voilà que tout à coup lui est montrée la couronne que le ciel lui prépare; en même temps une voix descend du ciel et lui crie : "Monte, athlète du Christ, monte au ciel; parce que tu as noblement combattu, le Seigneur t'attend pour te couronner." Aussitôt cette âme sainte, détachée des liens du corps, est emportée au milieu des choeurs des anges, dans les tabernacles éternels, pour y louer à jamais, au sein d'ineffables délices, le Christ qu'elle a généreusement servi. C'était le quatre des nones de septembre. Puissions-nous monter un jour avec Mamas, par la grâce toute-puissante de notre Rédempteur, à qui est la gloire, l'honneur et le règne, en union avec le Père et l'Esprit saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Amen.