LES ACTES DE SAINT FERRÉOL

(L'an de Jésus- Christ 304)

fêté le 18 septembre

La race des chrétiens, que Dieu chérit, mais que le diable abhorre, était poursuivie dans toutes les provinces; on s'efforçait par la violence de les amener à de sacrilèges cérémonies. Dans la ville de Vienne, un certain Crispinus, alors président, pour obéir aux ordres des empereurs, voulut les contraindre à sacrifier. Il s'assit sur son tribunal; et, avec la réflexion d'une méchanceté calculée, il décréta qu'il honorerait les chrétiens obéissants, mais qu'il punirait ceux qui oseraient lui résister. Des officiers cruels se firent sans pitié les ministres de ses fureurs contre les serviteurs de Dieu. Or il arriva que parmi leurs nombreuses victimes ils lui amenèrent le bienheureux martyr Ferréol. À sa tenue, à ses armes, on reconnaissait un soldat; mais il avait refusé d'en accomplir le service; c'est pourquoi il avait été dénoncé comme chrétien, et le président voulait le forcer à sacrifier. «Ferréol, lui disait-il, le premier et avant tous les autres, tu dois sacrifier aux lois des invincibles empereurs; la solde par laquelle ils paient tes services militaires t'impose en retour à leur égard la fidélité; leur majesté commande le respect, et les honneurs dont ils entourent ta personne exigent de toi le dévouement absolu dans l'obéissance. C'est une nécessité pour toi d`obéir à mes conseils, si tu veux éviter le châtiment réservé à des refus insensés. Je te commande donc en ce moment d'obéir aux dieux; pourquoi tarder plus longtemps ?» Le bienheureux Ferréol répondit : «Je suis chrétien; je ne dois pas sacrifier aux dieux. J'ai servi les empereurs à la guerre aussi longtemps que je l'ai pu faire sans blesser ma religion. Jusqu'ici je n'ai eu qu'à obéir à des lois justes, et j'ai fait mon devoir; mais je n'ai jamais obéi à des ordres sacrilèges. C'est contre des coupables, et non contre des chrétiens, que je me suis engagé au service militaire. La solde que tu veux me rappeler, je ne la réclame pas. Je laisse au soldat sacrilège d'attendre sa pâture de la main d'un sacrilège empereur. Je n'ambitionne pas les avantages d'une vie qui passe. C'est assez qu'il me soit permis de rester fidèle à ma religion et de vivre en chrétien. Si l'on me refuse cette grâce, je suis prêt à mourir.

Le président lui dit : «Ferréol, d'où te vient cette confiance en la mort ? Après avoir foulé aux pieds nos lois et insulté nos princes, peut-être le désespoir a pénétré dans ton âme. Mais notre affection pour toi peut effacer les blasphèmes que ta bouche a témérairement proférés contre les dieux et contre les princes. Aie seulement un repentir sincère de ce que tu as dit, et consens à satisfaire aux lois en abjurant la secte des chrétiens, et en sacrifiant aux dieux. Ferréol répondit : «Réserve tes égards et l'indulgence que tu me promets au soldat qui voudra combattre encore pour toi ou tes empereurs. Ce n'est point faire injure à la loi d'un homme que de lui préférer la Loi de Dieu. Dis plutôt que celui-là est coupable qui, au mépris de la Divinité, prodigue ses adorations à des êtres insensibles et périssables. Pour moi, c'est le Créateur, et non la créature, que j'adore. Celui dont la puissance a tout tiré du néant, nous enseigne Lui-même que ce n'est point dans les ouvrages de la main des hommes qu'il faut chercher Dieu. Pour témoin de sa parole, Il a le ciel et la terre : le ciel avec tous les astres qui l'illuminent de leur splendeur, la terre avec tous les êtres que nous y voyons à nos pieds; car toutes les créatures servent à sa Gloire. Dieu, en les créant pour nous, leur a imposé la mission de nous être utiles, mais non pas celle de nous asservir. Vous, au contraire, vous jetez le trouble dans l'ordre qu'Il a établi, préférant le temps à l'éternité, la mort à la vie, la brute à l'être intelligent, le mensonge à la vérité : tant est profond l'abîme où vous a entraîné l'orgueil. Aussi vous avez été condamnés à souffrir pour l'éternité avec les esprits méchants. Mais Dieu, qui commande à toute créature et dont l'empire est éternel, a donné à ses serviteurs par Jésus Christ son Fils d'oser espérer dans la mort; car par Lui Il nous a donné l'espérance de la résurrection, nous ordonnant de croire que la perte de la vie présente doit servir à augmenter en nous la jouissance d'une vie meilleure.»

Le président dit : « Je vois que tu as renoncé à ta vie; mais ce n'est pas assez. Quand on ne veut pas se laisser fléchir par les conseils de l'humanité, il faut encore savoir mépriser la torture; si tu ne veux pas la prévenir en sacrifiant, tu apprendras bientôt combien ses douleurs sont cruelles. «Voyant donc que les menaces ne pouvaient ébranler le bienheureux Ferréol, il le fit en sa présence cruellement battre de verges. Mais en vain les bourreaux se succédèrent, tous dans leur ordre, les uns après les autres : le martyr demeura inflexible. Alors le président le fit charger de chaînes et jeter en prison. «C'est un rebelle, dit-il; qu'on l'enferme dans un cachot affreux, qui soit par son abandon et sa saleté le plus grand de tous les supplices. Il a outragé la majesté des princes : qu'il sente son crime; il a méprisé les dieux : qu'il soit privé de la lumière. Je ne veux pas que sous le poids de ses chaînes il puisse se tenir debout; il faut que, même assis, il en soit accablé, ou plutôt il faut que, précipité à terre, il s'épuise dans les longs replis qui vont l'envelopper, jusqu'à ce que, tout étant préparé pour une question plus sévère, nous commencions à lui faire parcourir les tourments établis par la loi contre les criminels.» À peine cet ordre fut-il donné, que les officiers du président chargèrent de chaînes le bienheureux Ferréol, et ils le jetèrent en prison. Des gardes lui furent donnés pour veiller sur lui. Ils avaient mission de le retenir et de le réserver pour un deuxième interrogatoire.

Il demeura deux jours en cette prison; le matin du troisième, pendant que les gardes étaient plongés dans un profond sommeil, le serviteur de Dieu voit ses chaînes se détacher d'elles-mêmes; il reconnaît qu'il est libre. Il s'approche doucement de la porte : elle était ouverte. Aussitôt donc, accomplissant la parole de l'Évangile, il fuit la persécution et se hâte de gagner quelque lointaine contrée. Déjà il sortait de la ville par la porte de Lyon, quand tout à coup il s'arrête, incertain sur la route qu'il doit prendre et sur la manière dont il dérobera les traces de ses pas à ceux qui pourraient le poursuivre. Dans cette incertitude, il fait une prière, et aussitôt après sa résolution était prise. Il allait traverser le Rhône à la nage. Le passage était difficile; mais les éléments ne sont-ils pas soumis aux serviteurs de Dieu ? Et quels sont les obstacles que n'adouciraient pas les prières d'un martyr ? Armé de la foi et sûr de la Promesse du Seigneur, il entra plein de confiance dans le fleuve. Au moment où il s'étendit sur les eaux, elles abaissèrent doucement devant lui leurs vagues impétueuses; et sur leur dos rendu plus solide, le corps du martyr demeura suspendu et à l'aise. Quelques légers efforts lui suffirent pour aborder de l'autre côté du fleuve. À peine avait-il ainsi touché heureusement le rivage, qu'il précipita ses pas; et franchissant la colline qui fermait le lit du Rhône, il arriva en courant sur les bords de la Gère. Mais là ses persécuteurs l'atteignirent; ils lui attachèrent les mains derrière le dos et le traînèrent jusqu'au lieu où nous vénérons aujourd'hui son corps; car c'est là qu'il succomba victime de la cruauté de ses gardes, qui avaient cédé à un subit emportement de fureur. La dévotion des religieux habitants de la cité, pour s'assurer un protecteur, l'ensevelit, avec la plus grande vénération, non loin du Rhône. C'est là que souvent des villes entières viennent lui offrir leurs voeux et implorer son secours, et que souvent aussi des bienfaits merveilleux récompensent leur foi, par la miséricordieuse Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui est la puissance dans les siècles des siècles. Amen.