LE MARTYRE DE SAINTE DROSIS

Décrit par saint Jean Chrysostome (tome 5, Homélie 71)
 

fêtée le 22 septembre

 

J'avoue que je me sens pour les martyrs une dévotion tendre et affectueuse; j'aime à célébrer leurs fêtes : j'aime à publier leurs louanges, à décrire leurs combats, surtout lorsque des femmes en sont les héroïnes. Car plus le vase qui reçoit la grâce est fragile, plus cette grâce est précieuse, qui le conserve, qui le fortifie, qui fait qu'il résiste. Plus celui qui combat est faible, plus les trophées qu'il s'élève après sa victoire sont glorieux. Que pourront dire à l'avenir les hommes, qu'allégueront-ils pour excuser leur lâcheté, lorsque des femmes montrent un courage viril, lorsqu'on les voit se préparer à combattre pour la piété et la religion avec une ardeur et une assurance peu communes ? Il n'y a donc plus d'âge, il n'y a plus de sexe, il n'y a plus de condition qui puisse servir d'excuse à une vie molle, à un chrétien lâche. On peut espérer de vaincre, on le doit, dès qu'on se sent un coeur animé d'un vrai zèle, d'une foi ardente. La grâce, et par conséquent l'assurance de la victoire ne saurait manquer à quiconque ressent en lui-même ces dispositions, comme elle ne manqua pas à la bienheureuse Drosis, qui en était toute remplie.

Cette illustre vierge avait un corps faible, elle était d'un sexe qu'on croit pouvoir attaquer impunément; son âge enfin tendre et peu avancé ne lui donnait ni autorité ni force; cependant la Grâce entrant dans son âme, en chasse la timidité et la faiblesse, lui donne comme une teinture de valeur et de fermeté, et la dispose à se jeter dans les périls sans les craindre. Certes, il n'est point d'homme sur la terre moins capable d'être ébranlé par la crainte que celui qui craint Dieu; que ses ennemis emploient pour le combattre et le fer, et le feu, et les bêtes farouches; percé, brûlé, déchiré, il se rira de ses ennemis; il les regardera avec une fierté méprisante. Telle fut notre jeune martyre. Car, après que le tyran eut fait allumer en sa présence un grand feu, il ne voulut pas d'abord l'y faire jeter, ni même lui faire couper la tête, de peur qu'une mort trop prompte ne finît trop tôt le combat; mais voulant l'intimider pour la vaincre après avec plus de facilité, il lui met devant les yeux un bûcher ardent préparé pour elle. La flamme s'élève avec impétuosité, mais loin de jeter la frayeur dans l'âme de Drosis, elle ne fait que l'enflammer du désir d'en être consumée, et qu'augmenter l'ardeur de ce feu sacré que son chaste coeur a conçu pour Jésus Christ. Elle se ressouvint des trois enfants de la fournaise, elle s'imagina être avec eux au milieu des flammes, les combattre, les fouler aux pieds, et recevoir avec ces trois jeunes combattants une quatrième couronne. Ainsi que les objets paraissent à un frénétique tout autres qu'ils ne sont en effet, qu'il se jette sans rien craindre sur la pointe des épées, qu'il se lance hardiment au milieu d'un feu, dans un précipice, et que son esprit offusqué des noires vapeurs de sa maladie ne voit pas des périls qui font frémir les autres; de même notre héroïne, possédée d'une divine fureur, et poussée, si j'ose m'exprimer ainsi, d'une sainte frénésie que lui cause l'ardent amour qu'elle a pour Dieu, n'aperçoit rien de tout ce qui est devant ses yeux; mais comme ravie en extase et tout occupée de la gloire et des plaisirs qui l'attendent dans le ciel, elle ne voit rien sur la terre qui lui paraisse digne de son attention ou de sa crainte. Elle croit que la flamme qui s'élève au-dessus du bûcher (où enfin elle vient de monter) n'est tout au plus qu'une exhalaison qui va se résoudre en une pluie douce et agréable. Je regarde donc ce brasier comme une eau claire où un excellent ouvrier vient tremper un acier fin dont il veut faire un ouvrage curieux; ou, plus naturellement, comme un fourneau où la belle âme de Drosis est mise, ainsi qu'un or très pur, pour en sortir plus épurée. Sa chair se fondait, ses nerfs se réduisaient en cendres, ses os se calcinaient, son sang et sa graisse coulaient de toutes parts et son âme en devenait plus éclatante. Quelques-uns de ceux qui étaient témoins de son supplice, voyant qu'elle se consumait, s'imaginaient que dans peu elle ne serait plus, et elle ne faisait, au contraire, que s'embellir. Qu'un homme peu expérimenté dans la fonte de métaux voie de l'or dans un fourneau se fondre, couler et se mêler parmi des cendres, il pense en lui-même que cet or est entièrement perdu; mais l'orfèvre a bien une autre pensée : il sait que ce précieux métal n'en sera que plus beau, plus pur, plus fin; il s'en sert pour enchâsser des diamants et des perles. C'est ainsi que les païens, apercevant que le feu faisait insensiblement perdre au corps de notre martyre sa figure, que ce corps ne se distinguait plus d'un monceau de cendres, croyaient qu'elle n'était plus elle-même qu'un peu de poussière; mais les fidèles en jugeaient bien autrement; ils n'ignoraient pas qu'elle subsistait plus que jamais, et ils regardaient avec plaisir son âme s'élever au ciel toute brillante.

Disons plus, le bûcher sur lequel elle monta devint pour elle un théâtre d'honneur, où, avant même la résurrection, elle parut victorieuse de ses ennemis. Car à mesure que le feu agissait sur sa chair, il la faisait pétiller, et ce bruit mettait en fuite les puissances de l'enfer. Voyez ce soldat couvert de ses armes; écoutez le cliquetis qu'elles font lorsqu'il marche au combat; ce son guerrier qu'elles produisent a je ne sais quoi qui inspire de la frayeur, du moins aux âmes timides. Il en est de même de la peau de Drosis, elle fait fuir les démons par le bruit qu'elle rend dans le feu. Mais ce n'est pas le seul moyen dont elle se sert pour les chasser; car après que la flamme a eu pénétré ses membres, la fumée qui s'élève de tout son corps embrasé, rencontrant en l'air ces malheureux esprits, leur donne la chasse, ils n'en peuvent souffrir l'odeur; et si la fumée impure des sacrifices a pu corrompre et infecter l'air même, cette autre fumée qui monte du bûcher de Drosis lui rend sa première pureté. Oserais-je faire une comparaison entre deux choses entièrement opposées, entre un bûcher et une fontaine ? Car de même que l'admirable Drosis, pour se laver dans une fontaine, se serait auparavant dépouillée de ses habits, ainsi, voulant nettoyer son âme de toutes ses taches et la rendre plus belle aux yeux de son Époux, elle l'a purifiée dans les flammes, après avoir quitté sa robe, je veux dire son corps. La voilà que les anges accompagnent, avec plus de joie qu'ils n'accompagnaient l'âme de Lazare lorsqu'elle prit son vol dans le sein d'Abraham. Ne pourrions-nous pas encore appeler ce bûcher un vaisseau rempli d'une teinture de pourpre, où Drosis serait venue teindre sa robe pour être reçue dans la salle des noces ?

Ô merveilleux bûcher ! Quel trésor ne renfermes-tu pas en toi ? Une cendre plus précieuse que l'or, d'une odeur plus agréable que les parfums les plus exquis, plus brillante que les rubis et les diamants. Certainement les reliques des martyrs ont un pouvoir que ni l'or, ni les perles n'auront jamais. L'or ne saurait chasser les maladies. A-t-on vu la mort obéir à l'or, et, à son seul attouchement, abandonner un corps dont elle se serait déjà emparée ? Non, sans doute; et c'est ce que font tous les jours les reliques des saints martyrs.