SAINT CORNEILLE, PAPE ET MARTYR

(en 202 sous Gallus et Volusien)

fêté le 16 septembre

L'Église de Rome, après avoir demeuré un an et quelques mois sans pasteur, se consola de ce retard par l'élection de Corneille, qui avait toutes les qualités nécessaires pour la conduite d'un vaisseau agité par une tempête que l'empereur Dèce avait excitée. Il parvint à ce premier trône de l'Église par la science et la vertu, les seuls degrés par où l'on y montait en ces bienheureux siècles. «Il en était d'autant plus digne,» dit saint Cyprien, «qu'il témoigna par une pudeur virginale et par une humilité sincère, qu'en cette élection, où plusieurs évêques se trouvèrent, on lui faisait violence et qu'il ne se croyait pas capable de porter le grand fardeau qu'on lui mettait sur les épaules.» Il était romain de nation, fils de Castin, et était passé par toutes les fonctions ecclésiastiques, où son zèle, sa prudence s'étaient fait admirer de tous les fidèles. Aussi, ce furent ces seules vertus qui l'engagèrent à accepter cette charge, où l'on ne pouvait entrer en ce temps-là qu'en s'exposant à toutes sortes de supplices.

Il eut d'abord un furieux schisme à combattre : Novat, évêque d'une Église d'Afrique, dont on ne sait point le nom, y donna commencement Ce schismatique se montrait tout à fait indigne de cette prélature. Saint Cyprien, qui avait une grande aversion de la médisance, dit de lui qu'il était amateur de nouveautés, avare, arrogant et superbe. Il nous le représente comme un boute-feu capable d'embraser tout le monde; comme un séditieux, propre à exciter des tempêtes et à faire faire de tristes naufrages à la foi, et comme l'ennemi juré de la paix et de la tranquillité publiques. Il ajoute que les pupilles dont sa charge l'obligeait d'être le père, trouvaient en lui un brigand impitoyable; les veuves, un séducteur de leur pudicité et les pauvres, un coeur de barbare, insensible à leur misère; qu'il avait laissé mourir de faim son propre père, et qu'après sa mort il ne s'était pas mis en peine de lui rendre le devoir de la sépulture. Pour éviter la punition de ses crimes, il s'enfuit à Rome, où il trouva un instrument propre à son dessein. Ce fut le prêtre Novatien, homme d'une ambition cachée, mais très ardente et capable de tout entreprendre. La philosophie et l'éloquence par lesquelles il s'était acquis une grande réputation l'avaient tellement enflé qu'il éclata en plaintes et en murmures à l'élection de Corneille, comme on lui avait fait injure de ne pas le choisir lui-même pour le souverain pontificat. Novat l'échauffa et l'aigrit encore davantage sur ce sujet par des louanges artificieuses qu'il lui donna et par le mépris de celui qu'on lui avait préféré. Ils s'unirent ensemble d'un malheureux lien d'ambition et de vengeance, et commencèrent à semer parmi les fidèles des calomnies atroces contre ce saint pontife, pour le décrier et le rendre odieux. Enfin, ils surent si bien colorer leur mauvais dessein, que plusieurs même de ceux qui durant la persécution, avaient glorieusement confessé la foi, se laissèrent abuser. Novatien avait toujours protesté qu'il fuyait l'épiscopat; mais la suite fit bien voir qu'il cachait sous ces protestations un désir désordonné d'y parvenir. Il écrivit à trois évêques d'Italie, simples et ignorants, pour les prier de venir au plus tôt à Rome y pacifier les troubles de l'Église, leur témoignant qu'il n'y avait qu'eux qui fussent capables de les faire cesser. Dès que ces prélats furent arrivés, il les fit recevoir par des personnes de sa faction, qui les invitèrent à un grand festin qu'on leur avait préparé; puis quand ils furent troublés par le vin qu'on leur fit boire avec excès, il entra dans la salle du banquet; et là même il se fit ordonner évêque par une ridicule imposition de leurs mains. Jamais homme ne fut plus inhabile à cette dignité; car, outre qu'il avait été possédé du démon et délivré par exorcismes, il avait reçu le baptême au lit de la mort : et, dans la persécution précédente, il avait renié sa prêtrise pour se conserver la vie : irrégularités capitales, selon les canons. Un des évêques qui avaient fait cette ordination profane se repentit bientôt après de sa faute, et l'ayant confessée humblement avec beaucoup de larmes, il fut reçu à la pénitence et mis au nombre des laïques.

Novatien, après son ordination, écrivit à plusieurs évêques, et particulièrement à saint Cyprien, pour tâcher de les surprendre et de les attirer à sa communion. Ses lettres n'étaient que des invectives contre Corneille, mêlées d'une doctrine perverse et hérétique. Il se plaignait, entre autres choses, que le saint pape recevait trop facilement à la communion ceux qui avaient sacrifié aux idoles, et disait qu'il fallait les en exclure pour toujours, et la refuser aussi à ceux qui étaient tombés dans des fautes énormes après le baptême, en laissant les uns et les autres au jugement de Dieu. Ainsi, sous un faux prétexte d'honorer sa Justice, il offensait sa Miséricorde et jetait le désespoir dans les âmes au lieu d'y porter la crainte et l'horreur du péché. Corneille, que son intérêt particulier n'eût point fait agir, voyant que cette pernicieuse doctrine allait faire perdre beaucoup d'âmes assembla un concile à Rome, dans lequel il fut décidé que l'on garderait un juste accommodement dans la prolongation ou la diminution du temps de la pénitence, afin, d'un côté, de ne pas lâcher la bride au péché, et, de l'autre, de ne pas ôter aux pécheurs l'espérance de la rémission. On ajouta que les prêtres qui auraient renoncé à la foi pourraient bien être reçus à la communion, mais non pas dans l'exercice de leur ordre. À la suite de ce décret, plusieurs personnes qui avaient été séduites par les artifices des Novatiens, demandèrent à rentrer dans l'Église. Le saint pape, pour les recevoir, assembla les prêtres de Rome avec cinq évêques, et, par leur avis, il accorda à ces brebis égarées, parmi lesquelles plusieurs avaient confessé le Nom de Jésus Christ dans la persécution, la grâce de la réconciliation, dont leurs prières et leurs larmes, jointes à la surprise qui avait été faite à leur simplicité par les schismatiques, les firent juger dignes; mais, pour exterminer entièrement l'erreur des Novatiens, il convoqua encore au même lieu un synode de soixante évêques, et peut-être davantage de prêtres et de diacres : par un commun consentement, elle fut condamnée, et tous ceux qui la suivaient furent frappés d'anathème.

Lorsque saint Corneille eut ainsi remporté la victoire sur les schismatiques, il s'éleva contre l'Église une autre persécution bien plus cruelle que la précédente, qui fut allumée par les empereurs Gallus et Volusien. Il en parle en ces termes dans sa lettre à Lupicin, évêque de Vienne : «Vous saurez que l'arche du Seigneur est fort agitée par le vent de la persécution, que les chrétiens sont tourmentés de tous côtés par des supplices inouïs auxquels les empereurs les condamnent. Il y a, dans Rome, un lieutenant expressément établi pour les faire périr. Nous ne pouvons plus célébrer les divins Mystères ni publiquement, ni dans les caves qui ne sont pas tout à fait secrètes. Plusieurs ont déjà été couronnés du martyre. Priez Dieu qu'il nous fasse la grâce d'achever fidèlement notre course, qui ne durera plus guère, selon la révélation que nous en avons eue. Saluez en notre nom tous ceux qui nous aiment en Jésus Christ».

Il fut d'abord relégué à Centumcelles, aujourd'hui Civita-Vecchia; mais comme il n'avait plus de patrie sur la terre, il ne regarda point cet éloignement comme un exil. De ce lieu il écrivit plusieurs lettres à saint Cyprien, qui lui fit aussi de belles réponses; il lui donna de grandes éloges pour le zèle et la fermeté qu'il faisait paraître à défendre la foi, à encourager les fidèles et à soutenir généreusement les intérêts de l'Église. Mais, ce pieux commerce de lettres ayant été découvert par Dèce, que l'on informa d'ailleurs des visites que les chrétiens rendaient souvent à leur saint pasteur, il le fit venir à Rome, et, après lui avoir reproché, par une calomnie ordinaire aux tyrans, qu'il avait des intrigues avec les ennemis de l'État, et qu'il leur écrivait contre son service, il lui proposa de deux choses l'une : ou sacrifier aux dieux de l'empire ou de s'attendre à perdre la vie. Corneille s'étant moqué de ces menaces, il lui fit frapper la bouche avec des cordes plombées, puis l'envoya au temple de Mars avec ordre, s'il refusait de sacrifier aux idoles, de lui trancher la tête.

Avant cette exécution, Céréalis, qui le gardait, le pria de passer par sa maison pour voir Salustie, sa femme, qui était paralytique depuis quinze ans. Corneille y étant entré, se mit en prières pour elle; après quoi il lui dit avec une foi vive : «Au nom de Jésus Christ de Nazareth, levez-vous et soutenez-vous sur vos pieds». Et, à l'heure même, elle se leva en pleine santé, criant à haute voix : «Jésus Christ est le vrai Dieu et le vrai Fils de Dieu.» Le pape lui administra le baptême et à toute sa famille, ainsi qu'aux soldats de Céréalis, qui se convertirent à la vue d'un si grand miracle. Ces conversions irritèrent de nouveau l'empereur, qui fit conduire ces néophytes avec Corneille au temple de Mars, pour y sacrifier aux idoles. Mais ces généreux serviteurs du vrai Dieu ayant craché contre les statues au lieu de les adorer, ils furent aussitôt décapités. La nuit suivante, la bienheureuse, Lucine, avec quelques ecclésiastiques de Rome, enlèvera leurs corps et les ensevelie dans une crypte de son praedium, dépendante du cimetière de Calliste, sur la voie Appienne.

Le corps de saint Corneille a été transféré et apporté dans la ville de Compiègne, et déposé dans l'église Saint-Jacques.