LES ACTES DE SAINT BABYLAS ET DE TROIS ENFANTS SES DISCIPLES
Cet intéressant récit est d'une haute antiquité, et est très célébré.
fêtés le 4 septembre
Numérien, gouverneur d'Antioche, après avoir sacrifié à ses démons impurs, voulait entrer dans la maison du Seigneur. Mais, à la nouvelle de cette entreprise sacrilège, le bienheureux Babylas, évêque de l'Église catholique, comme le bon pasteur qui veille sur ses brebis, éleva la voix et dit à son peuple réuni : «Mes petits enfants, soyez fermes dans la foi et priez sans cesse; car le loup menace d'entrer dans le bercail; mais le Seigneur Jésus Christ a le pouvoir de confondre devant vous son audace.» En même temps il sortit aux portes de l'église, et attendit le gouverneur. Celui-ci arriva bientôt, les mains encore souillées de ses sacrifices, et voulut forcer l'entrée. Mais le serviteur de Dieu Babylas le repoussa, et dit : «L'homme sacrilège et impur ne saurait entrer dans l'église du Seigneur.» À la vue de cette noble fermeté du saint évêque, et craignant d'ailleurs la grande réputation dont il jouissait dans la ville, Numérien le fit arrêter, sans bruit, et garder jusqu'au lendemain.
Le lendemain, ayant pris place sur son tribunal, il se fit amener Babylas et lui dit : «Malheureux, à quoi pensais-tu, lorsque, pour m'éloigner de ton église, tu as étendu la main contre moi ? Ignores-tu que c'est un prince qui te parle ? J'en jure par ma puissance qui n'a point ici d'égale, tu n'échapperas pas à mes mains. Je veux voir si ton Dieu saura te défendre.» Babylas répondit : «Il est vrai que je ne suis qu'un homme de rien; cependant il a plu à Dieu de m'établir le pasteur de son peuple. C'est pourquoi, lorsque j'ai vu le loup venir et vouloir entrer dans le bercail du Seigneur, j'ai dû me hâter de le repousser, de peur de me rendre coupable, aux Yeux de Dieu, de la perte même d'une seule de ses brebis.» Numérien dit : «Ainsi, misérable victime que la mort attend, j'étais pour toi un loup et non un maître ?» Babylas répondit : «Dieu pour nos péchés t'a fait notre maître, afin de nous ramener à Lui par les verges de ta cruauté; mais le Christ Jésus, que tu méprises, que j'honore, c'est Lui qui t'a donné cette puissance dont tu es fier. Il t'a fait ce que tu n'étais pas, afin que tu apprisses à Le connaître. Malgré cela, tu provoques sa Colère et tu préfères adorer les créatures plutôt que Celui qui leur a donné l'être et la vie.»
Numérien dit : «Tu perds la raison et tu nous couvres d'injures. Nos grands dieux ne te semblent donc être que des créatures ?» Babylas répondit : «Ce sont les oeuvres des mains des hommes, les inventions de Satan qui, autrefois un des anges du Seigneur, s'est vu chasser du ciel, à cause de sa jalousie, et a perverti par l'idolâtrie la race humaine. Mais Dieu a le pouvoir de le perdre, lui et tous ses ministres.»
Numérien dit : «Ce sont là de tes fables; mais nos livres établissent nos mystères et notre culte sacré. C'est pourquoi je t'ordonne d'obéir et de sacrifier. Si tu refuses, ton obstination ne demeurera pas impunie. Tu n'es pas meilleur que nos ancêtres, qui se sont couverts de gloire en faisant ce que nous voulons imiter aujourd'hui.» Babylas répondit : «Vos mystères sont impurs et votre culte affreux. Pour votre gloire, elle est caduque et fuit avec le temps. Mais le Dieu tout-puissant qui est au ciel peut me donner la force de souffrir tous les tourments que tu voudras m'infliger.» Numérien dit : «Quel est donc ce Dieu tout-puissant dont tu invoques le secours ?». L'évêque répondit : «C'est la Vertu, la Sagesse et le Verbe du Père.» Numérien dit : «Quoi donc ? Et avec cela Il est aussi un homme ?» Babylas répondit : «Il est l'Éternité de la vie, et la Possession bienheureuse de tous les êtres qui ont été créés par Dieu.» Numérien dit : «Comme un sage docteur, tu as répondu avec sagesse, et tu n'as pas démenti ta réputation. Il ne te manque qu'une chose : de connaître nos dieux.» Babylas répondit : «Ô tyran, les louanges que me donne ton fol orgueil sont pour moi des injures. Je ne cherche que la louange de Jésus Christ mon Seigneur.» Numérien dit : «Je ne puis entendre plus longtemps de tels discours; et je vais charger ton cou d'un collier de fer et tes pieds de chaînes, parce que tu ne cesses de m'outrager, moi, ton seigneur et ton maître.» Babylas répondit : «Je reçois avec joie tout ce que ta fureur t'inspirera contre moi; car je ne suis pas digne d'être appelé le serviteur de mon Dieu, ni compté parmi ceux qui ont souffert pour son Nom; ils sont heureux ceux-là de leurs supplices, parce que leur récompense est grande auprès de Dieu.»
Alors Numérien dit à Victorinus, le général de ses troupes : «Je t'abandonne ce Babylas, pour que tu le soumettes à de cruelles tortures. Et d'abord, parce qu'il m'a gravement injurié, je veux que, pour sa honte et la honte de son peuple, on lui charge le cou d'un collier de fer, et les pieds de chaînes également en fer.» Victorinus répondit : «J'en jure par votre clémence, autrefois j'ai voulu dénoncer au tribunal révéré de votre autorité sacrée cet homme et son peuple insensé; parce que leur enseignement est impie et contraire à nos lois.» Numérien reprit : «En attendant, exécute contre cet évêque incrédule les ordres que je t'ai donnés. Plus tard, j'aviserai à punir aussi son peuple.» Victorinus chargea donc le cou de Babylas d'un collier de fer et ses pieds de chaînes également de fer; puis il l'exposa en public, à la vue de tout le monde. Alors Babylas, élevant les yeux au ciel, s'écria : «Je rends grâces à mon Dieu, qui m'élève au sublime honneur de confesser son Nom. Je crois au Christ mon Sauveur, et j'ai placé en Lui mon espérance; c'est Lui qui me donnera la force et la patience contre vos attaques et celles de votre père, Satan, dont l'esprit vous anime.»
Cependant Numérien de plus en plus le pressait de sacrifier à ses idoles, quand tout à coup il voit trois jeunes enfants s'empresser vers le vieillard. C'étaient trois frères que Babylas instruisait dans la piété. À la nouvelle de l'arrestation de leur maître, ils étaient accourus pour le consoler, et ne voulaient point l'abandonner dans les fers. Numérien, surpris de ce spectacle touchant, les fit saisir et amener devant son tribunal. Il allait commencer à les interroger; Babylas lui dit : «Tu accuses ma doctrine; les réponses de ces enfants t'apprendront quelle semence je répands dans les âmes, et quel est le don de Dieu que le Seigneur m'a ordonné d'enseigner.» Numérien demanda d'abord aux enfants s'ils avaient encore leur mère. «Oui, répondirent-ils; et, avec notre mère qui nous a élevés, nous avons pour maître le saint évêque Babylas, qui nous sert de père.» Numérien se fit amener la mère des enfants; et quand elle fut devant lui, il lui demanda : «Quel est ton nom ?» - «Théodula, répondit-elle.» Numérien dit : «Sont-ce là tes fils ?» Elle répondit : «Oui, c'est moi qui leur ai donné le jour; mais je les ai offerts à Dieu, pour être régénérés par les soins de notre bon pasteur, Babylas, notre évêque et seigneur. C'est lui qui les a instruits dans la science de Dieu.» Numérien dit à ses gardes : « Frappez à la joue cette femme, sous les yeux de ses fils, et lui dites de parler avec plus de respect.» Les enfants, en voyant frapper leur mère, s'écrièrent tout d'une voix : «Tyran, ne frappe pas ainsi notre mère sans raison. Elle a droit à des égards, et elle a dit la vérité; oui, c'est elle qui nous a donné le jour; et ensuite elle nous a confiés à Babylas, notre bon maître.» Mais le gouverneur, irrité, fit suspendre par les bras les trois enfants, avec ordre de donner au plus âgé douze coups, au second neuf, et au plus jeune sept. Alors les trois enfants élevant la voix : «Ô Dieu, disaient-ils, sois béni, parce qu'il nous est donné de souffrir pour ton Christ, notre Seigneur, à l'exemple de Babylas, notre père.» Numérien dit à leur mère : «Quel âge a ton aîné ?» Théodula répondit : «Douze ans.» Numérien dit : «Le second ?» Elle répondit : «Neuf.» Numérien dit : «Et le troisième ?» Elle répondit : «Sept.» Puis elle s'écria : «Tu es grand, ô mon Dieu; car Tu as permis aujourd'hui que chacun de mes fils reçût, pour la gloire de ton Nom, autant de coups qu'il a d'années.»
Cependant Numérien fit sortir la mère, et ordonna qu'on lui amenât Babylas. Il lui dit : «Maître des insensés, docteur des enfants, tu pensais que j'allais faire, par ces enfants, l'épreuve de la vérité de ta doctrine; cette épreuve s'est tournée contre toi. Les enfants amenés devant moi ont promis de sacrifier aux dieux.» Babylas répondit : «C'est avec justice que ton mensonge va retomber sur ta tête; mais ce n'est point un crime nouveau; tu es le fils du diable, qui a été menteur dès le commencement». Numérien dit : «Par Esculape, je méprise tes discours et tes outrages; et si tu ne consens pas à sacrifier, je te fais pendre sur-le-champ.» Babylas répondit : «Je ne puis que rire à de pareilles menaces; car je suis prêt non seulement à me laisser pendre, mais encore crucifier pour le Christ, afin de mériter la grâce de Le posséder. Les âmes des justes et des confesseurs sont dans les Mains de Dieu, et le mal ne saurait les toucher. Achève cependant ce que tu as résolu.» Numérien dit : «En quoi donc suis-je digne de tes risées ?» Babylas répondit : «Si tes autres dieux t'ont entendu nommer le seul Esculape, ils seront irrités contre toi. Pour moi, je gémis et je pleure de vous voir tous enchaînés dans de semblables folies.» Numérien dit : «Et si le Christ t'a entendu toi aussi, car tu n'as nommé qu'un seul Dieu, que fera-t-Il, penses-tu ?» Babylas répondit : «Quoique tu ne sois pas digne d'entendre la science des chrétiens, cependant, à cause du peuple qui nous écoute, je dois parler et faire connaître à tous ton ignorance et ta folie. Quand les chrétiens nomment le Christ, ils confessent en même temps le Père; et quand ils nomment le Père, ils confessent en même temps le Fils; car le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père; et le Fils n'est point séparé du Père, ni le Père du Fils.»
Alors Numérien ordonna qu'on le suspendît avec les trois enfants, et Babylas dit : «Me voilà donc, ô mon Dieu, moi et les enfants que Tu m'as donnés.» Numérien le fit cruellement frapper; la tête du martyr s'inclinait sous le poids de la chaîne qu'il portait au cou. Cependant tout le peuple, témoin de son supplice, le suppliait, en disant : «Aie pitié de ton âge et sacrifie, pour échapper aux tourments.» Mais Babylas leur répondit : «Si je plains ce juge insensé sur son tribunal, je m'afflige encore davantage de vous voir consentir à sa folie et perdre ainsi vos âmes. Car, pour moi, je ne sens pas les tourments; c'est le Christ qui souffre en moi, Lui qui m'inspire la patience, en attendant qu'Il me donne la vie éternelle.»
Numérien ordonna qu'on redoublât contre lui les coups. À cette vue, les enfants suspendus avec lui criaient à haute voix : « Ô tyran, le plus impie des hommes, pourquoi fais-tu souffrir si cruellement et sans raison notre bon pasteur et maître, qui honore le Seigneur de toutes choses ? Apprends du moins que tes supplices augmentent sa gloire devant Dieu et devant les hommes. Nous en prenons à témoin le Christ, qui est son salut, tu n'échapperas pas à la Main de Dieu; mais tu seras livré au feu de l'enfer, où seront les pleurs et les grincements de dents.»
Le gouverneur, irrité, fit également redoubler les tortures contre les enfants. Alors tous trois s'écrièrent d'une seule voix : «Malheureux, tu ne rougis pas de te voir confondu, devant ce peuple, par des enfants. Tu souffres plus que nous; car l'auteur de tes tourments, c'est Celui qui peut en un moment t'ôter la vie; pour nous, Il nous aide, et nous ne sentons point les coups dont tu nous frappes.» Alors Numérien ordonna qu'on descendît Babylas du gibet où il était suspendu, et il le fit éloigner, afin d'interroger les enfants à part. «Mes petits enfants, leur dit-il, écoutez-moi; je vous donnerai des biens plus précieux que tout ce que peut vous donner votre maître.» Mais ces enfants, éclairés par l'Esprit saint, répondirent : «Perfide, tu nous tends des pièges pour nous perdre; cesse de nous promettre la mort; car tous tes présents sont pleins des feux de l'enfer, et ils t'entraîneront toi-même à ta ruine. Notre maître nous a promis, d'après l'Évangile, le royaume des cieux, si nous rendons à Dieu un glorieux témoignage.» Numérien dit : «Qu'on ramène Babylas devant moi.» Puis s'adressant à lui : «Sont-ce là tes enfants ?» Babylas répondit : «Ce sont mes enfants selon Dieu; car je n'ai point eu de rapport avec cette femme.» Numérien dit : «D'où vient donc qu'ils te ressemblent ?» Babylas répondit : «Je n'ai pas d'autre désir que de les voir me ressembler en tout, excepté dans mes péchés.» Numérien dit : «Je te le répète, mets-toi à l'abri des supplices qui t'attendent, et sacrifie du moins aujourd'hui, et tu vivras. En même temps, persuade à ces enfants, encore si tendres, d'épargner leurs vies.» Babylas répondit : «Insensé, ne crois point nous persuader par un conseil si plein de folie; Dieu inspirera à ces enfants une constance qui confondra ton orgueil.» Alors le gouverneur, irrité, prononça la sentence; Babylas et les enfants devaient avoir la tête coupée.
Après la lecture de l'arrêt, Babylas, s'adressant au peuple assemblé, lui dit : «Par le Seigneur qui voit tout, je vous adjure d'ensevelir avec moi les fers qui me chargent le cou et les pieds, pour servir un jour de témoignage contre la cruauté de ce tyran, à qui Dieu réserve un feu éternel que rien ne saurait éteindre.» Puis il sortit de la ville, en chantant des psaumes, et disant : «Ô Dieu, Tu nous as sauvés de ceux qui nous persécutaient; Tu as confondu ceux qui nous haïssent. Mes enfants, louons tous ensemble le Seigneur, tous les jours, dans les siècles des siècles.» Et les enfants répondirent : «Amen», et ils ajoutaient : «Nous ne t'abandonnons pas, ô bienheureux père, dont la sagesse nous a élevés; tu nous as appris à connaître le Christ et à souffrir pour Lui.» Puis, élevant leurs yeux vers le ciel, ils disaient tout d'une voix : «Seigneur Jésus Christ, nous Te rendons grâces de n'avoir pas permis que tes enfants fussent séparés de Babylas, leur bienheureux père, ni dans ce siècle, ni dans l'autre.»
Cependant le martyr du Christ, Babylas, demanda au bourreau, venu pour abattre leurs têtes, de frapper avant lui ces généreux enfants et de le réserver pour dernière victime. Puis il les embrassa, et, les serrant avec tendresse sur son coeur, il dit : «Ô Dieu, me voilà, moi et les enfants que Tu m'as donnés.» Les enfants serraient dans leurs petits bras la tête de leur père, lui baisaient les mains, et disaient : «Ô père, notre maître et seigneur, nous voulons mourir avec toi. Tu nous as instruits dès le commencement; nous voulons avec toi recevoir la couronne, en confessant généreusement jusqu'à la fin Celui dont tu as confessé le Nom devant les grands et les puissants du siècle.» Pendant qu'ils parlaient ainsi, le saint martyr priait; et admirant dans de si tendres enfants cette foi et cette confiance que Dieu seul avait pu donner, il s'écria, dans le transport de sa joie : «Je Te bénis, Dieu des vrais chrétiens. Par le moyen de ton indigne serviteur, ou plutôt par la vertu de ton Nom et pour sa gloire, Tu as conduit jusqu'à la perfection ces enfants qui T'appellent leur père. Oui, il est vrai, Seigneur, de la bouche des enfants, et de ceux mêmes qui sont encore à la mamelle, Tu as tiré une louange parfaite.»
Ensuite il déposa un baiser sur le front de chacun d'eux, et les livra aux bourreaux, pour qu'ils fussent frappés sous ses yeux. Et quand leurs têtes furent tombées, il se livra lui-même et fut décapité comme eux. On ensevelit son corps et celui des enfants, et on déposa dans son tombeau les fers qui avaient enchaîné ses pieds et son cou. Ainsi termina le martyre du très saint évêque et serviteur de Dieu, Babylas, avec les trois enfants, dans la ville d'Antioche, le neuf des calendes de février, Numérius étant gouverneur de la province, mais le Seigneur Jésus étant le seul roi, à qui est due la gloire dans les siècles des siècles. Amen.