SAINTS ANDOCHE, THYRSUS ET FÉLIX

(Sous Marc-Aurèle, vers l'an de Jésus Christ 178)

fêtés le 24 septembre

 

Après que le très illustre évêque et martyr Irénée se fut envolé vers le ciel, il apparut, avec une multitude de martyrs, à Polycrate vers le milieu de la nuit. Son aspect inspirait une religieuse terreur; mais il venait apporter des paroles de paix. Il lui dit : «Père, reconnaissez-vous votre fils, que vous avez élevé ? Saint pontife, reconnaissez Irénée, autrefois votre diacre. Le Roi du ciel et de la terre a accompli la promesse qu'Il nous avait faite, Il est notre Rédempteur, et aucune des espérances qu'Il nous avait données n'a été vaine. Écoutez donc, ô père, les paroles de votre fils. Envoyez maintenant deux prêtres, Andoche et Bénigne, avec le diacre Thyrsus, aux villes de la Gaule. Ce sont des hommes pleins de vertus et de sagesse, à qui le ciel réserve comme à nous un glorieux triomphe. Qu'ils répandent dans ces contrées la grâce du baptême; car il n'y reste plus qu'un petit nombre de chrétiens, et vous savez, père très-saint, que cette nation, obéissant aux inspirations du Seigneur, désire ardemment servir le Christ.» Ainsi parlait Irénée, et Polycrate le reconnaissait; en même temps, les deux saints prêtres, dans un autre appartement, l'entendaient et le voyaient au milieu de leur sommeil. Quand il eut fini ces saintes paroles, Irénée et ses compagnons retournèrent au ciel, en chantant avec joie les hymnes de leurs victoires. En même temps, la chambre de Polycrate fut remplie des parfums les plus suaves, et ceux qui les sentirent purent se croire transportés dans le séjour embaumé du paradis.

Le lendemain, dès le matin, Polycrate s'adressant aux frères, leur raconta ce qui était arrivé, et les fit partir en les accompagnant de ses voeux. Andoche, Bénigne et Thyrsus, fortifiés par la grâce de Jésus Christ, acceptèrent avec grande joie l'ordre saint que le Sauveur leur envoyait, et prolongeant leurs veilles durant toute la nuit, ils chantèrent des psaumes et des hymnes au Seigneur. Polycrate les conduisit jusqu'au vaisseau et leur fit ces touchants adieux : «Que l'ange du Seigneur vous accompagne; que l'Esprit saint soit dans vos coeurs. Une grande gloire vous attend au ciel, ô pieux frères. Annoncez aux gentils le Verbe du Seigneur; prêchez à tous l'Avènement de Jésus Christ. Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! Vous avez auprès du Seigneur des aides et des intercesseurs nombreux, qui prient sans cesse pour vous. Que l'éloignement des lieux et les difficultés d'une longue route ne vous effraient pas; que les regrets de la famille n'enchaînent pas votre coeur; enfin, que ni les menaces, ni l'impiété du cruel césar ne troublent point votre paix. Conservez dans vos coeurs la parole du bienheureux apôtre Paul : «Les souffrances de cette vie ne sont rien comparées à la gloire future que Dieu fera éclater dans ses saints.» Polycrate ajouta encore : «Frères, dites-nous le dernier adieu.» Puis, avec larmes : «Que le Christ vous reçoive dans la gloire du paradis, et qu'un jour vous veniez devant son tribunal, chargés des fruits de vos travaux; qu'Il vous réunisse à ses glorieux athlètes, dans l'heureux séjour des justes, où la lumière est éternelle et où règne la vie; où la foi, transformée par les splendeurs célestes, est devenue la claire vision de la Face de Dieu; où enfin vivent à jamais, revêtus de lumière, les heureux habitants du paradis.»

Aussitôt les deux apôtres montèrent sur une petite barque, et promptement le flot de la mer les amena à Marseille. À peine à terre, ils se dirigèrent vers la ville de Lyon. Là, ils trouvèrent un saint prêtre, Zacharie, qui vivait caché dans les cryptes, au milieu des tombeaux des martyrs. Avec lui, ils redirent dans la prière la parole du Seigneur, joyeux et pleins d'espérance, que le Christ continuerait à guider leurs pas, quand un ange les avertit de se rendre à Autun. Il y avait alors dans cette ville un ancien préfet, d'une illustre famille, Faustus, qui, sous la chlamyde, à cause des menaces d'un injuste césar, honorait en secret Jésus Christ notre Seigneur. Connaissant par leur ange la plénitude de la charité et de la foi de ce bienheureux personnage, ils s'adressèrent à lui. Faustus, en les voyant, les reçut comme un trésor que le Ciel lui envoyait; et, lorsqu'il sut qu'ils étaient prêtres, il les conjura humblement de vouloir bien accorder la grâce du baptême à tous ses amis et à sa famille.

Sur ces entrefaites, le très cruel empereur Marc-Aurèle ordonna que, dans tout l'empire, les chrétiens qui ne sacrifieraient point aux idoles périraient par le glaive, après avoir été soumis à toute espèce de tortures. Mais la foi, quand elle est pleine et sincère, ne tremble point devant la puissance ennemie et ne s'effraie pas de ses menaces.

Le noble personnage dont nous avons parlé, Faustus, avait alors un fils nommé Symphorien. Il demanda aux deux saints de le consacrer par la grâce du baptême. Ceux-ci se rendirent avec joie à ce pieux désir; Bénigne le baptisa et Andoche le reçut au sortir de la fontaine sacrée. L'Esprit saint remplit l'âme de Symphorien; et lorsqu'il eut atteint l'âge de vingt ans environ, il mérita de recevoir la glorieuse et immortelle couronne du martyre, après avoir donné toute sa vie l'exemple des plus éclatantes vertus. Nous avons dit que, quelque temps auparavant, tous les amis et la famille de Faustus avaient reçu par les bienheureux martyrs la grâce du baptême. Jésus Christ fit paraître en eux sa puissance d'une manière merveilleuse. Ils rendaient la vue aux aveugles, chassaient les démons des corps des possédés et guérissaient les infirmes.

Cependant l'empereur Marc-Aurèle se dirigea vers la ville de Sens, après avoir adressé à tous les magistrats un édit dont voici les termes : «Quiconque se dira chrétien, nous voulons qu'on le soumette à tous les supplices, qu'on déchire ses membres dans les tortures; et ceux qui, après cela, refuseront de sacrifier à nos dieux, nous ordonnons que le glaive mette fin à leur impiété et leur tranche la tête.» Non loin d'Autun, Faustus possédait un vaste territoire, nommé Sédélocus. Il avait là sa maison, élevée sur une éminence. Andoche et Thyrsus s'y rendaient sans crainte, et enseignaient à tous, dans leurs prédications, la science du salut. Là vivait aussi un commerçant venu de I'Orient, nommé Félix, qui déjà était chrétien; chaque jour il distribuait aux pauvres les fruits de son commerce. Il voulut donner l'hospitalité au saint prêtre et à son diacre. Mais la renommée de leur vertu les avait déjà fait connaître dans toute la contrée. Tout à coup Marc-Aurèle sortit de la ville de Sens, et s'arrêtant devant la maison dont nous avons parlé, ordonna qu'on dresse ses tentes. Alors, un des officiers du cruel empereur entra dans la maison de Félix, et y trouva les deux saints Andoche et Thyrsus, annonçant la parole du Christ. À cette vue, frémissant de colère, il retourna auprès de l'empereur et lui annonça que ces lieux étaient habités par des chrétiens. Marc-Aurèle n'écouta plus que sa rage; il ordonna qu'on les lui amène. Or, pendant qu'on exécutait ces ordres, Félix disait à Andoche : «Père, ne souffrez pas que je sois privé de la couronne dont le Christ va récompenser votre piété; aidez-moi de vos prières, conduisez-moi, et que je partage avec vous la précieuse couronne de votre martyre.» Ils prièrent donc tous ensemble et marchèrent avec assurance. On les amena les mains liées derrière le dos, en présence du très injuste césar.

Marc-Aurèle leur dit : «De quel pays êtes-vous ? Quel est votre nom ? Et quel Dieu voulez-vous adorer ?» Le bienheureux Andoche répondit : «Nous sommes venus de l'Orient; le saint évêque Polycrate notre père nous a envoyés. Nous honorons le Christ Créateur du ciel, de la mer et de la terre, et de tout ce qu'ils renferment. Mon nom est Andoche; Thyrsus et Félix sont les noms de mes frères.» Marc-Aurèle dit : «Quoi ! Vous êtes venus de si loin pour provoquer la puissance de nos dieux et de nos déesses ?» Andoche répondit : «Nous sommes venus pour obéir au Christ, dont nous annonçons aux gentils la parole immortelle.» Marc-Aurèle dit : «Est-ce que , dans votre pays, ou du moins dans cette province, vous n'avez pas connu nos édits et ceux de nos prédécesseurs, qui condamnent à divers supplices, et enfin à la mort par le glaive ceux qui n'auront pas sacrifié à nos dieux ?» Le bienheureux Andoche répondit : «C'est un crime d'abandonner le Dieu Créateur, pour honorer des pierres, du bois, de vaines idoles muettes et sourdes.» Aurélien dit : «Et tu appelles des idoles muettes et sourdes l'invincible Jupiter, et Mercure et Saturne ?» Andoche répondit : «Évidemment, ceux que tu nommes ainsi sont des démons; car pour leurs images, il ne paraît pas qu'elles puissent ni voir, ni marcher, ni rien toucher.»

Marc-Aurèle dit : «Sacrifiez à nos dieux; je vous récompenserai largement sur le trésor public, et je vous donnerai les premières dignités de mon palais. N'ayez pas la folie de vouloir mourir pour votre Christ, qui a été crucifié par les hommes.» À ces mots, les trois saints martyrs s'écrièrent tout d'une voix : «Nous préférons mourir pour le Christ; rien ne nous séparera de notre Maître. Auprès de Lui, dans le royaume des cieux, les justes seront plus brillants que le soleil; pour eux, dans ce séjour de bonheur, une lumière éternelle, une vie sans fin, et des biens tels que l'oeil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, que le coeur de l'homme n'a pu comprendre; telles sont les récompenses que Dieu a préparées à ceux qui L'aiment. Mais ceux qui servent tes dieux iront dans les ténèbres extérieures, dans un feu inextinguible que le Seigneur a préparé au diable ton père et à ses anges. Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents; ils désireront la lumière et ne la verront pas. Pour toi, si tu veux croire au Christ, tu ne seras point jeté dans ces lieux.» Alors l'injuste césar les livra aux bourreaux, en disant : «Si aujourd'hui ils ne sacrifient pas, qu'on les soumette aux nombreux supplices des coupables.» Les bienheureux martyrs furent donc battus de verges; puis on les suspendit par les mains aux branches d'un ormeau, et l'on attacha à leurs pieds des roues chargées de pierres.

Mais durant tout le jour, au milieu de cet affreux supplice, ils ne cessèrent point de chanter : «Ô Dieu, disaient-ils, viens à notre aide; Seigneur, hâte-Toi de nous secourir.» Cependant leur corps demeurait intact, comme si on ne les eût point torturés. Le lendemain, I'injuste césar se les fit présenter de nouveau et leur dit : «Sacrifiez enfin à nos dieux; vous voyez quels châtiments vous a attirés votre désobéissance.» Ils répondirent : «Malheureux ! reconnais donc que tes menaces et tes supplices sont pour nos corps comme un doux rafraîchissement. Tu nous as battus de verges, et nous n'avons pas renié l'auteur de la lumière; tu nous as suspendus à un arbre, et nous n'avons pas cessé de confesser la foi du Christ. Regarde-nous maintenant; nous sommes demeurés sans blessures, sous les Yeux du Dieu qui nous protège; car notre Christ, que tu ne veux pas reconnaître, a promis de protéger ses serviteurs.» Marc-Aurèle, irrité de cette réponse, fit préparer un bûcher; et, après qu'on y eut mis le feu, il dit : «Ou vous sacrifiez aux dieux, ou je vous ferai jeter, pieds et mains liés, dans les flammes.» Mais aussitôt les trois saints, d'un commun élan, répondirent : «Prends nos corps; ils sont en ton pouvoir pour un temps. Fais tout ce que le diable aura dicté à ta cruauté; frappe, tue, brûle et mange. Tu ne nous empêcheras pas de professer la foi du Christ, qui te réserve à toi le châtiment de ta perfidie.»

On leur lia donc les pieds et les mains, puis Marc-Aurèle les fit jeter dans le bûcher. Mais le feu respecta leurs corps, leurs liens tombèrent, et les martyrs, inébranlables dans la foi, chantaient au milieu des flammes : «Ô Dieu, Tu nous as éprouvés par le feu, Tu nous as fait passer par le creuset comme l'argent; nous avons traversé le feu et l'eau, et Tu nous as conduits au lieu du rafraîchissement.» Tout à coup un violent éclat de tonnerre ébranla le ciel, un torrent de pluie s'abattit sur la flamme; et, un instant après, personne n'eût dit qu'il y avait eu là un bûcher allumé. Délivrés par ce miracle, ils se présentent de nouveau, sans crainte, devant Marc-Aurèle, et lui disent : «Reconnais-nous, malheureux, et apprends quelle est la Puissance du Christ. Tu nous vois de tes yeux, pour la seconde fois échappés sains et saufs à tes supplices. Crois au Christ, et tu ne craindras pas les horreurs du dernier jour; car autant l'homme multiplie le péché sans remords, autant le Seigneur est riche en miséricorde et prompt à pardonner.» Marc-Aurèle dit : «Nos dieux vous ont assistés, et vous dites que vous avez été défendus par le Secours du Christ !» Le bienheureux Andoche répondit : «Tu as un coeur de pierre, pour refuser encore de croire au Créateur du ciel et de la terre et à ses miracles.»

Alors le très impie césar, n'écoutant que sa rage, les fit tous trois à la fois frapper sur le cou avec d'énormes leviers; ainsi finirent-ils en ce monde une vie glorieuse et riche de vertus, pour aller recevoir avec les joies de l'éternité la couronne que le temps ne saurait flétrir. Ce fut le huit des calendes d'octobre que les saints martyrs de Dieu, le prêtre Andoche, le diacre Thyrsus et Félix, consommèrent leur sacrifice. Aussitôt après, I'empereur Marc-Aurèle se rendit dans la ville d'Autun. Cependant Faustus apprenant ce que le diable, par le ministère de l'empereur, venait de faire contre les saints de Dieu sur des terres qui lui appartenaient, vint de nuit avec son fils Symphorien, qui avait alors environ quinze ans; il ensevelit les corps des martyrs, et chaque jour, à leur tombeau, Dieu manifeste sa Puissance par de nouveaux miracles. C'est là que Symphorien venait répandre des larmes, là qu'il prolongeait ses prières et ses veilles, sans qu'il fût possible de l'éloigner de ce saint lieu, jusqu'à ce que lui-même, avec le Secours du Christ, perfectionné dans la Grâce de Dieu et revêtu de la cuirasse de la foi, alla recevoir à son tour la couronne du martyre qu'il avait méritée, par la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient l'honneur et la louange, la gloire et la puissance, avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.