LES ACTES DE SAINT ALEXANDRE, ÉVÊQUE
(Sous Antonin)
fêté le 21 septembre
Sous le règne de l'empereur Antonin, comme les infidèles s'efforçaient en toutes manières d'exterminer les chrétiens, le bienheureux évêque Alexandre, rempli de la grâce de Dieu, travaillait, selon son pouvoir, à détourner les hommes du culte des idoles, pour les ramener dans la voie de la vie éternelle. Or, un jour qu'on portait au tombeau le corps d'un jeune homme, le bienheureux Alexandre, qui survint au milieu du convoi, dit aux parents du mort : «Si vous croyez au Père, au Fils et au saint Esprit, et si vous recevez le baptême, votre fils revivra.» Ceux-ci répondirent à leur tour : «Si nous voyons par ton entremise éclater les uvres de Dieu, nous croirons, nous et ceux qui nous accompagnent.» Sur cette assurance, le saint ordonna de déposer à terre le cercueil, et, par un signe de la main, fit faire silence; puis, se prosternant, il fit avec larmes cette prière : «Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, qui avez rendu la lumière aux aveugles, et la santé aux lépreux, et qui, par votre puissance, avez commandé à la mort, n'avez-vous pas dit à vos disciples : «Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et il vous sera ouvert !» Me voici : je demande, je cherche, je frappe; exaucez, ô mon Dieu, la prière de votre serviteur. L'occasion demande que vous montriez publiquement votre Pouvoir. De même donc que vous avez rappelé Lazare du tombeau, ressuscitez cet enfant, pour qui je vous conjure aujourd'hui. Exaucez, Seigneur, ma prière, afin que les nations ne puissent dire de nous : «Où est leur Dieu ?»
Il se tourna ensuite vers le corps, et dit : «Au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, lève-toi.» Le mort obéit aussitôt; et, se levant, il dit à haute voix : «Entendez, ô mes parents; que tous écoutent le récit de ce qui m'est arrivé: il m'a semblé être emmené par deux hommes noirs, dont le visage exprimait l'indignation et la colère. Ils m'ont fait traverser comme un grand désert, et m'ont ensuite déposé dans un endroit obscur. Là, il y avait un puits fermé de sept sceaux, et ils m'ont livre, pour être jeté dans ce puits, quand tout à coup la terre a tremblé, et les profondeurs mêmes de l'enfer ont été ébranlées. Un jeune homme, dont le visage brillait comme un éclair, a crié d'une voix forte : «Rendez cet enfant car il est rappelé à la vie par Alexandre, serviteur de Dieu. Après quoi ils ont ramené mon âme dans mon corps.»
S'adressant ensuite à l'évêque, il s'écria : «Alexandre, mon seigneur, baptise-moi au nom de Jésus Christ, pour que je n'aille plus revoir cet abîme affreux que j'ai vu aujourd'hui, ce puits où sont jetés tous ceux qui n'ont point reçu le baptême ni confessé Jésus Christ.» Tous furent déterminés par ce prodige à se faire chrétiens. Et comme on était vers le commencement du mois de mars, la solennité de Pâques fut fixée pour le jour de leur baptême. Or, non seulement le saint évêque ressuscita ce mort, mais il rendait aussi, au nom du Christ, la vue aux aveugles, et par ses prières et ses jeûnes guérissait beaucoup d'autres malades, auxquels il donnait ensuite le baptême.
Sur ces entrefaites, l'empereur ayant été informé de tout ceci, ordonna à Cornélien, premier officier de son palais, de prendre cent cinquante soldats pour saisir l'évêque. Cornélien, remplissant sa mission, nous trouva dans l'église, un dimanche, occupés à instruire le peuple de Dieu, car le sacrifice n'avait pas encore été célébré. Étant donc entré pour demander qui était Alexandre, il fut saisi de crainte à la vue de la foule des fidèles, et fit connaître respectueusement le motif qui l'amenait. Alexandre lui répondit : «Nous n'ignorons pas la cause de ta venue : allons cependant.»
La foule voulait lapider Cornélien; mais l'évêque ayant connu leur dessein, leur dit : «Mes enfants et mes frères, croyez-moi, n'accomplissez pas votre projet. Si vous me laissez aller, vous aurez part à ma couronne, et vous ne perdrez pas votre paix.» Ce qu'ayant dit, il acheva le sacrifice, bénit le peuple avec la prière accoutumée; puis on nous laissa partir; moi, dis-je, qui ai été ordonné prêtre par lui; mon épouse qui est sa sur, et qui a toujours vécu avec lui dans une grande union; et avec nous Boniface et Vitalion. Nous allâmes ainsi jusqu'à Rome.
Or, en ce temps, Antonin se faisait construire un mausolée sur la voie Claudienne, à dix-sept milles de Rome. Quand donc nous arrivâmes, on avertit Cornélien que l'empereur était parti pour l'Étrurie, où étaient ses domaines favoris, et où il se rendait souvent pour prendre le plaisir de la chasse. Sur cet avis, l'officier nous fit traverser la ville au plus court, et nous continuâmes notre route jusqu'au lieu appelé Clivus Parralis. Là on fit descendre l'évêque, et on le conduisit les mains liées derrière le dos jusqu'au prétoire de Fuscus. Pour moi et mes compagnons qui n'avions cessé de le suivre, nous nous arrêtâmes sous un arbre, observant avec soin ce qui allait se passer. Cornélien alla trouver l'empereur qui lui dit : «Où est cet homme que je t'ai envoyé chercher ?» «Je l'ai laissé, répondit l'officier, les mains liées dans le prétoire.» Alors Antonin s'assit sur son tribunal et ordonna de lui amener l'évêque. Saisi d'inquiétude, je me mêlai aux soldats, et j'entendis l'empereur dire au serviteur de Dieu : «Tu es cet Alexandre qui as troublé l'Orient, qui inquiètes les gens de bien, et qui as fait tant de dupes en leur persuadant de croire à un homme mort en désespéré sous les coups de ses frères. Serait-il mort comme un homme, s'il eût été vraiment Dieu ?» Alexandre répondit : «Celui dont tu parles était le Tout-Puissant, descendu du ciel sous la forme humaine, pour sauver de la mort l'homme quIl avait créé; et Il a daigné souffrir pour nous tous.»
«Trêve de ces longs discours, reprit Antonin, renie ton Dieu et sacrifie aux nôtres, et je te ferai le premier dans mon palais. Si tu rejettes mes offres, je te ferai périr dans les supplices, et ton Dieu ne t'arrachera pas de mes mains.» «Cela te regarde, repartit l'évêque. Ne m'as-tu fait venir ici que pour me faire adorer ces dieux de pierre, sourds et impuissants ! Fais tout ce que tu voudras; jamais tu n'ébranleras ma résolution.» L'empereur dit : «Qu'on l'étende, quon l'accable de coups de fouet. Ignores-tu donc, continua-t-il, en présence de qui tu tiens de pareils discours ? Tu oses m'injurier, moi le maître du monde ?» L'évêque répondit d'un air calme : «Ne sois pas si fier de ta puissance. Ce monde que tu dis être à toi t'échappera bientôt malgré toi, et tu seras contraint d'aller où tu ne voudras pas.»
À ces paroles, Antonin ordonna de jeter Alexandre en prison; et comme il y était traîné par les soldats, l'empereur lui cria : «Quatre jours de réflexion ! décide-toi à abandonner ta vaine religion et à te rendre de bon gré à mes ordres.» Ce qu'entendant le vénérable évêque : «Regarde, dit-il, ces quatre jours comme écoulés déjà; fais aujourd'hui même ce que tu voudras.» On le conduisit néanmoins en prison. Pour moi, revenu au lieu où je m'étais arrêté d'abord, je m'assit sous l'arbre en pleurant, et reposant ma tête, je m'endormit. Alors mapparut, l'ange du Seigneur qui me dit : «Je suis l'ange, Michel envoyé de Dieu. Je suis allé trouver Alexandre, j'ai brisé ses chaînes, je l'ai consolé, et je suis venu te dire ces choses. Mais ne vous asseyez pas sous cet arbre, de peur que vous ne soyez vus par les satellites du tyran, et qu'il ne vous arrive malheur.» Puis il me dit où je devais me rendre.
Le lendemain matin, l'empereur fit venir Cornélien, et lui donna la charge de préfet avec les honneurs de consul, ajoutant : «Parce que tu as accompli mes ordres, et que tu m'as amené ce criminel, je te donne le prétoire où tu m'as rencontré, avec tout ce qu'il renferme, et je ne te refuserai rien de ce que tu me demanderas.»
Pour moi, j'étais assis avec mes compagnons sur le bord du chemin, à la façon des pauvres, au lieu que l'ange du Seigneur nous avait désigné. Les quatre jours étant écoulés, Antonin se fit dresser une estrade aux Champs-Neviens, et ordonna de faire les apprêts d'un combat de bêtes féroces. Puis, quand tout fut prêt, il s'assit sur son tribunal et se fit amener l'évêque Alexandre. Cet homme vénérable étant arrive, fit le signe de la croix et se tint debout en face du tyran. Alors, prêtant l'oreille, j'entendis l'empereur lui dire : «Eh bien ! Alexandre, as-tu résolu d'être notre ami ?» L'évêque répondit : «Cesse de tenter mon Seigneur Jésus Christ; car le diable ton maître ayant voulu aussi le tenter autrefois, en lui disant : Si tu es le Fils de Dieu, change par ta parole ces pierres en pain; le Seigneur répondit : Retire-toi, Satan; car il est écrit : Ne tente pas le Seigneur ton Dieu. De même je te dis à mon tour : Ne tente pas un serviteur de Dieu.»
Le prince irrité ordonna de l'étendre sur un chevalet et de lui brûler les flancs avec des torches ardentes. Il le fit ensuite déchirer aux ongles de fer, puis brûler de nouveau. L'homme de Dieu, de dessus l'instrument de son supplice, lui dit : «Pour un insensé tel que toi, je m'étonne que tu aies quelque, lueur de raison : tu te rends humain peu à peu, puisque maintenant tu fais laver d'eau fraîche et essuyer de molles éponges mon corps fatigué.»
Antonin le fit alors détacher, et lui dit : «Tu vois, Alexandre, tout ce que les dieux font pour toi, et tu refuses encore d'obéir. Par Jupiter Dieu suprême, par le soleil, par le grand et invincible Apollon qui contient l'univers et le gouverne tout entier, je te jure que si tu consens à sacrifier, je te traiterai comme mon frère et je te comblerai de biens.» L'évêque répondit : «Soit : où sont ces dieux ? allons les trouver, et je leur rendrai hommage.»
L'empereur, transporté de joie, fit crier par un héraut qu'on se rendit au temple d'Apollon. Il y alla le premier, suivi d'une foule d'environ trois mille hommes, et en y entrant il dit à haute voix : «Je te félicite, ô Dieu Apollon, de ce que tu as acquis un illustre serviteur.» Mais le bienheureux Alexandre étant entré, fit le signe de la croix et adressa à Dieu sa prière. Comme il la finissait, l'idole tomba par terre, et la troisième partie du temple fut renversée. Antonin confus fit dresser sur le lieu même une estrade, et du haut de son tribunal il ordonna de jeter l'impie aux bêtes. On lâcha donc quatre ours qui, suivant les pas du serviteur de Dieu, léchaient les traces de ses pieds. Ce que voyant l'empereur, il commanda de lancer deux lions, qui vinrent pareillement se coucher aux pieds du martyr et les lui lécher.
Or, pendant ce temps, le peuple entier criait tout d'une voix : «Prince, pourquoi faire périr sans raison ce juste et saint évêque ?» Antonin répondit : «Il s'est vanté de me vaincre par les secrets de sa magie.» Puis se tournant vers son escorte, il ajouta : «Préparez-moi une fournaise ardente où je puisse le faire, brûler.» Ces bourreaux allèrent et allumèrent un grand feu dans le lieu appelé Vicus-Baccanensis, où les bains publics réunissaient beaucoup de spectateurs. L'ordre fut donné d'y jeter Alexandre. L'homme de Dieu, voyant la fureur des flammes, se mit à soupirer, et, regardant le ciel, s'arrêta devant l'ouverture de la fournaise. Antonin lui dit : «Pourquoi t'obstiner à souffrir ? Réfléchis : tu es jeune, et j'ai pitié de te voir si tôt privé de la lumière du jour. Je te jure par tous les dieux que si tu renies le Christ, tu seras mon plus grand ami; tu auras de l'or et de l'argent en abondance; si tu le désires, je te donnerai la charge de préfet, et tu seras le second dans mon palais.»
Le bienheureux Alexandre lui répondit en souriant : «Je méprise ta présence, et je regarde avec horreur ton visage, parce quun chien vaut mieux et est plus prudent que toi. Puisque je t'ai déjà dit une fois : Ne tente pas un serviteur de Jésus Christ, crois-moi, et ne retourne pas comme un chien à ton vomissement. Je te le répète, fais ce que tu veux faire.» À ces mots, l'empereur ordonna de jeter le saint dans le brasier. Celui-ci, étendant les bras du milieu des flammes, dit : «Dieu tout-puissant, Père de mon Seigneur Jésus Christ, qui avez donné votre ange pour compagnon aux trois enfants de Babylone, en sorte que le feu préparé pour les réduire en cendres ne les touchât pas, mais servit plutôt à leur rafraîchissement, daignez ne pas m'abandonner : que votre Miséricorde, Seigneur, m'accompagne toujours.»
Sa prière étant achevée, le feu s'éteignit; l'ardeur de l'incendie se dissipa, en sorte que, même à l'entrée de la fournaise, l'air auparavant embrase avait repris sa fraîcheur naturelle, et l'homme de Dieu marchait sain et sauf au milieu de la fournaise, sans qu'un seul de ses cheveux eût été consumé.
Alors le préfet Cornélien venant trouver lempereur, lui dit : «Si tu m'en crois, ô prince, fais périr cet homme par un supplice qui puisse servir d'exemple.» «Et lequel ? demanda Antonin.» «Il faut, repartit le préfet, le condamner à avoir publiquement la tête tranchée.» «L'avis est bon,» dit l'empereur; et il ordonna d'arracher l'évêque de la fournaise et de le conduire à quelque distance, pour le décapiter. Comme donc il était emmené par les soldats, un officier de l'empereur, nommé Herculanus, s'écria à haute voix : «Que fais-tu, tyran insensé ? le Seigneur a-t-il donc tellement aveuglé tes yeux et endurci ton cur, que tu ne puisses ni voir, ni comprendre, ni reconnaître en tout ceci le doigt de Dieu? Tes idoles ont (des yeux et ne voient point, des oreilles et n'entendent point. Toi, au contraire, qui vois et entends, pourquoi restes-tu sourd et aveugle ? Voici qu'après avoir lassé tant de bourreaux le serviteur de Dieu vit encore. Les verges n'ont pas paru effleurer son corps; il n'a pas craint les chevalets ni les torches ardentes. Les ongles de fer n'ont pu lui arracher une plainte; tes dieux, tes dieux eux-mêmes n'ont pu tenir en sa présence : leur temple s'est écroulé à sa voix. Les lions ont rampé devant lui, et les ours lui ont, léché les pieds. Jeté dans la fournaise, il en est sorti plus joyeux qu'auparavant. Maintenant il va présenter sa tête à la hache, sans que l'approche du supplice trouble sa tranquillité. Et qui donc ne reconnaîtrait pour le vrai Dieu celui qui assiste ainsi ses serviteurs ?» «Malheureux jeune homme, lui dit Antonin, qui te force donc à parler ainsi, toi qui t'es montré jusqu'à ce jour l'ennemi des chrétiens ?» Herculanus répliqua: «Jamais je n'ai persécuté un seul chrétien, parce que jai reçu parmi eux la grâce du Christ. Pendant quatorze ans que je t'ai servi, je t'accompagnais à tes temples; mais j'y adressais secrètement ma prière au Sauveur Jésus : aussi le diable na pu triompher de moi.» L'empereur irrité ordonna de saisir ce jeune homme, et d'en finir au plus tôt avec Alexandre.
Les soldats qui conduisaient celui-ci le firent passer devant une fontaine qui est à deux pas de la route, et à cent trente pas au moins du prochain village. L'évêque s'y lava les mains et le visage, et recommanda son âme à Dieu. Ils arrivèrent enfin au vingtième milliaire de la voie Claudienne, où il y a une borne de marbre, élevée sur un piédestal de pierres plus communes, et ils s'arrêtèrent au-dessus du chemin, en face du soleil levant, a sept pas de la route, et à soixante-quinze pas de la pierre milliaire. Là, le saint se dépouilla de sa tunique, et ne gardât que son vêtement de dessous. Puis, s'étant bande les yeux d'un mouchoir, il fit le signe de la croix, se mit à genoux et reçut le coup de la mort. Aussitôt il se fit un tremblement de terre; les maisons les plus voisines et les thermes furent renversés, et l'on ne vit que des ruines jusqu'au lieu où avait été la fournaise.
Pendant la nuit, j'enlevai le corps du martyr, et l'ayant déposé au lieu où nous nous étions arrêtés, j'envoyai Boniface acheter des aromates pour l'ensevelir. Puis, avec mes autres compagnons, je fis une petite fosse pour y placer le précieux dépôt. La nuit suivante, le bienheureux Alexandre m'apparut en vision et me dit : «Crisentien, ce lieu t'est réservé à toi, ainsi qu'à ton épouse et à ceux qui sont venus avec vous; enterre mon corps auprès de la fournaise où, ayant été jeté, j'ai obtenu par mes prières de n'être point atteint des flammes. Le Seigneur secondera tes travaux en cet endroit; personne n'y troublera ton entreprise; et, pour récompense de cette bonne uvre, tu vivras dans le Christ. Tiens secret le récit que tu écriras de mon martyre, afin qu'il ne tombe pas entre les mains de l'empereur et de son préfet, qui le brûleraient et vous persécuteraient ensuite vous mêmes.» Après ces paroles, la vision disparut.
Quand, le matin, Boniface fut revenu, je lui racontai cette apparition et les ordres qui m'avaient été donnés. Ayant donc pris les aromates et embaumé le corps, je le mis au lieu indiqué par le saint, et je le couvris d'une table de marbre avec cette inscription : «Ici repose le saint et vénérable martyr Alexandre, évêque, dont la déposition se célèbre le onze des calendes d'octobre.» Je gardai aussi une copie de l'interrogatoire dressé par Cornélien et transcrit par Protais; je la complétai après l'avoir relue, après quoi Protais l'ayant redemandée, la plaça honorablement dans sa bibliothèque.
Le quatrième jour après la déposition d'Alexandre, l'empereur livra à Cornélien le jeune homme dont il a été question plus haut, en lui disant : «Fais-le périr dans les supplices, comme tu sais, et ensevelis son corps en un lieu si caché que les chrétiens ne le puissent découvrir pour le mettre au nombre de leurs martyrs.» Cornélien fit donc venir des soldats; les ayant payés d'avance, il leur recommanda un grand secret; et, au milieu de la nuit, il leur livra le jeune homme, avec ordre de lui mettre une grosse pierre au cou et de jeter dans le lac. Les soldats obéirent; mais quand le martyr eut été jeté dans leau, la pierre se détacha de son cou, puis il marcha jusque hors de l'eau, et se tint sur la rive. Là, après avoir regardé à droite et à gauche, il fit cette prière : «Mon Seigneur Jésus Christ, recevez mon âme, et accomplissez en moi vos promesses. Vous savez, Fils du Dieu vivant, que jamais je n'ai abandonné votre service. J'entrais, il est vrai, avec Antonin dans les temples; mais c'était toujours vous que j'y priais en secret. Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, ne permettez pas que je sois sépare de votre serviteur Alexandre.» Une voix du ciel se fit alors entendre, qui disait : «Ne crains rien, mon fils, car Je t'aime. Viens à moi; mes anges te recevront et t'introduiront dans le repos éternel du paradis.» Après ces paroles, le martyr expira.
Le, soldats cependant, ayant vu ce qui sétait passé, vinrent en faire le récit à Cornélien. Or celui-ci, le septième jour après la déposition d'Alexandre, vint au tombeau, et branla la tête de colère, en y lisant écrit le nom du martyr. Il voulut briser le marbre qui portait cette inscription; mais à peine et eut-il étendu la main, qu'elle sécha, et, renversé par terre, il commença à sentir de grandes douleurs. Ses serviteurs s'enfuient; son épouse éplorée accourt au lieu où il gisait étendu; elle le presse de questions auxquelles il ne peut répondre; car il était sans connaissance. Alors elle le fit placer dans son char et ramener au prétoire de Fuscus, où, souffrant toujours davantage, il s'écria, au milieu de la nuit : «Alexandre, tu me brûles; je t'en prie, viens à mon secours.» On le rapporta au tombeau du saint évêque; il étendit dessus sa main desséchée, qui fut guérie aussitôt; après quoi il s'endormit jusqu'au matin. À son réveil, il raconta tout ce qui lui était arrivé, et retourna au prétoire de Fuscus. Puis ayant fait venir Protais et sa fille, il leur raconta ce qui s'était passé à l'occasion de ces saints martyrs, et ce qu'il avait souffert à leur sujet. Et Protais écrivit sous sa dictée tout le récit de cette affaire.
Peu de temps après et sous le règne du même empereur, un homme juste et craignant Dieu dont les aumônes et les autres bonnes uvres étaient nombreuses, vint me trouver et me dit : «Pendant que, je dormais, vers le troisième chant du coq, un homme tout brillant de lumière, paraissant devant moi, m'a réveillé et m'a dit : «Lève-toi, va au pied de la montagne et tu trouveras le corps du saint jeune homme Herculanus; recueille-le pour l'ensevelir dans ton cimetière, et tu recevras la vie pour récompense de cette bonne uvre.» Je me sais donc levé et je suis allé aux fontaines Créciennes; j'ai chargé le corps sur un traîneau, et après, l'ensevelissant dans deux linceuls, je l'ai déposé dans mon tombeau creusé dans le roc, au bord du lac. C'était le six des calendes doctobre.
Or, après la mort de l'empereur Antonin, le préfet Cornélien donna le prétoire de Fuscus pour dot de sa fille à Protais. Celui-ci ayant appris qu'il y avait eu autrefois des bains publies au lien nommé Vicus-Baccanensis, les fit réparer dans leur premier état, à ses propres frais. Et le Christ ayant bien disposé l'esprit de Protais en ma faveur, je lui demandai de vouloir bien faire bâtir une église sur les tombeaux de ces saints martyrs. Protais mit à ma disposition quatre ouvriers choisis et douze pièces de marbre. Ces ouvriers élevèrent toute la bâtisse au-dessus des tombeaux, et les mêmes en achevèrent la voûte et le toit. En outre, je lui demandai la permission de faire un cimetière; il m'accorda trois cents pieds tout autour. L'ouvrage étant achevé, le peuple fidèle se réunit, et l'on en célébra la dédicace, sous l'empire souverain de notre Seigneur Jésus Christ, qui, étant Dieu, vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.