LES ACTES DE SAINT TÉRENTIUS ET DE SES COMPAGNONS

(vers l’an de Jésus Christ 250)

fêtés le 4 octobre

Décius, empereur romain, monstre sorti de l'enfer, obstinément attaché au culte des faux dieux, voulait entraîner tous les peuples à leur perte en leur faisant partager son idolâtrie. Il envoya des édits à cet effet dans toutes les provinces de son empire, ordonnant que l'on forçât les chrétiens à sacrifier, ou à manger des viandes immolées. Ceux qui refuseraient devaient être mis en jugement et condamnés sans pitié. Lors donc que Forunation, gouverneur d'Afrique, eut reçu ce décret, il s'assit sur son tribunal, convoqua le peuple, et dit : «Sacrifiez aux dieux, ou bien préparez-vous aux supplices.» Puis, sans autre discours, il fit apporter les instruments de torture. Beaucoup de chrétiens timides furent saisis d’épouvante à cette vue, et, obéissant au préfet, renièrent la foi. Quelques-uns cependant, au nombre de quarante, résolurent de demeurer inébranlables, et de mourir courageusement pour le Christ. Ils s’animaient donc mutuellement, en répétant sans cesse : «N’allons pas renier le Seigneur, de peur qu'un jour Il ne nous renie devant son Père. Souvenons-nous bien plutôt de ces paroles : «Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien sur l’âme; mais redoutez la justice de celui qui peut jeter en enfer votre âme et votre corps.»
«Je m'étonne, dit Fortunatien, qu'étant, comme je vous vois, dans la force de l'âge et le sain usage de votre raison, vous vous obstiniez à reconnaître pour Dieu et pour roi un criminel que les Juifs ont crucifié.» Le vénérable Térentius répondit au nom de tous les autres . «Ô préfet, si tu connaissais la puissance du crucifié, tu abandonnerais tes idoles et te joindrais à nous pour L'adorer. Car il est le Fils de Dieu, bon et clément, riche et miséricordieux, descendu ici-bas pour faire la Volonté de son Père. Il a uni sa Divinité à la nature humaine, et a voulu subir pour notre salut le supplice de la croix.»
«Sacrifiez, répondit brusquement le préfet, ou bien vos corps vont être livrés aux flammes.»
«Penses-tu donc, reprit Térentius, que tes fausses doctrines pourront nous séduire et nous faire changer de résolution ? Non, nous ne sommes pas assez lâches pour abandonner le Créateur et adorer des dieux étrangers. Fais donc, promptement ce que tut voudras; déploie ta fureur contre nous; car nous sommes fermes et constants dans notre attachement à Jésus Christ.»
Le préfet irrité, ordonna de les dépouiller de leurs vêtements et de les traîner dans le temple des idoles, qui étaient des statues d'or et d'argent habillées d'étoffes précieuses. Fortunatien les suivait de près, et, étant arrivé, il leur dit : «Sacrifiez à ce grand dieu Hercule, dont vous voyez la puissance et la gloire.»
«Tu te trompes, reprit Térentius; tu te trompes contre ton propre intérêt. Tes dieux que voilà ne sont que du bois, des pierres, de l'airain ou du fer. On a doré ces statues pour éblouir les yeux des hommes et les détourner de la voie du bonheur éternel. Tes dieux ne voient point, n'entendent point, ne marchent point; ils sont faits de la main des hommes, pour rendre impies ceux qui les adorent. Puissent donc leur devenir semblables ceux qui les font et ceux qui y placent leur confiance !»
Après ces paroles, le préfet ordonna de jeter Térentius, Africanus, Maxime et Pompée dans un profond cachot, et de doubler la garde de la prison; car il disait : «J'attendrai à demain pour en finir avec eux.» Pour Zénon , Alexandre, Théodore et leurs trente-trois compagnons, il se les fit amener, et leur dit : «Vous voyez qu'on ne gagne rien à disputer; obéissez et sacrifiez au divin Hercule.»
«Déjà bien des fois, répondirent-ils, nous avons dit que nous sommes chrétiens; tu as pu mieux t'en convaincre encore par l'interrogatoire que tu viens de faire. Tu ne nous persuaderas jamais d'adorer tes divinités impures; car il nous est facile de détruire tous les raisonnements que tu voudrais alléguer en faveur d'un tel culte.»
« Vous ne voulez donc pas, reprit le préfet, vous rendre à mes salutaires avis ? Eh bien ! je vais vous contraindre d'obéir aux invincibles empereurs.» Et il donna ordre de les frapper de verges et de lanières. Pour eux, levant les mains au ciel, ils disaient tous à haute voix : «Regardez-nous, ô Dieu tout-puissant. Venez en aide à vos serviteurs, et délivrez-nous des mains de notre ennemi.»
Ce qu'entendant le préfet, il ordonna de les frapper encore plus rudement, jusqu'à ce que tous les bourreaux s'y fussent lassés et que les fouets fussent hors de service. Alors il ordonna de les battre à coups de bâton. Mais, quoique l'on brisât les membres des saints martyrs, leur courage se peignait par une telle joie sur leurs traits, que tous admiraient leur fermeté et leur patience.
Après qu'ils eurent été ainsi flagellés, le préfet leur dit : «Sacrifiez, et je vous rendrai votre liberté.»
Les saints gardèrent le silence. Fortunatien, dont la fureur croissait, ordonna d'allumer des bûchers, de leur rôtir le dos, et de
les frotter ensuite de vinaigre et de sel. Alors les martyrs levèrent de nouveau les yeux au ciel, et s'écrièrent : «Seigneur, qui avez délivré de la fournaise les trois enfants de Babylone, Ananie, Azarie et Misaël, sans que les flammes aient pu leur nuire; qui avez sauvé Daniel de la fosse aux lions et Moïse des mains du roi d'Égypte; Seigneur, qui avez
défendu la bienheureuse Thècle contre les flammes, contre les bêtes de l'amphithéâtre et contre les monstres marins; qui donnez à vos amis un bonheur parfait dans votre royaume; Père éternel, qui avez ressuscité d'entre les morts Jésus Christ votre Fils; qui nous avez comblés des dons les plus précieux et les plus divers; qui avez créé la lumière et déployé comme une tente l'immense voûte des cieux; qui connaissez le nombre, des étoiles et les appelez toutes par leurs noms; qui avez répandu la véritable religion jusqu'aux extrémités du monde; écoutez nos prières et délivrez-nous de nos maux, parce que la gloire vous appartient dans les siècles des siècles. Amen.»
Leur prière étant finie, le préfet ordonna de les suspendre pour les mieux déchirer. Pendant ce cruel supplice, des ruisseaux de sang coulaient de leurs membres, sans que l'horreur des tourments pût aucunement les ébranler; car Dieu les soutenait, leur donnant cette force et ce courage. Le préfet reprit : «Eh bien ! les tortures vous ont-elles déterminés à abandonner votre folle résistance, on bien persévérez-vous dans votre impiété ?» Ils se turent pour la seconde fois, et laissèrent ces discours sans réponse. «C'est à vous que je parle,» s'écria le préfet en colère. Les saints martyrs ne le regardèrent même pas; mais s'adressant à Dieu de nouveau, ils dirent : «Seigneur tout-puissant, qui avez détruit la ville de Sodome en punition de ses crimes, et l'avez réduite à une affreuse solitude, détruisez de même aujourd'hui cette maison d'iniquité, ainsi que le demande votre justice.» Ayant donc fait le signe de la croix sur leurs fronts, ils soufflèrent sur les idoles, qui furent aussitôt renversées et réduites en poussière. Puis ils dirent au préfet : «Vois-tu maintenant tes dieux ? Où est leur puissance ? Ont-ils pu se secourir eux-mêmes ?» Peu de temps après, le temple s'écroula aussi; ce qui porta à son comble la fureur du magistrat. Il donna l'ordre de trancher la tâte aux saints martyrs, qui, entendant leur sentence, louèrent Dieu par des chants d'actions de grâces. Arrivés au lieu de l'exécution, ils se mirent à genoux, présentèrent la tête an glaive et subirent la mort. Leurs corps, enlevés par des hommes craignant Dieu, furent ensevelis dans un lieu saint.
Alors le préfet se fit ramener les autres martyrs, savoir : Africanus , Maxime et Pompée. Il leur dit : «Sacrifiez aux dieux, ou bien vous périrez dans les supplices; et nul ne pourra vous arracher de mes mains.»
«Nous le répétons encore une fois, répliquèrent les martyrs : nous sommes chrétiens. Nous mettons toute notre espérance en Jésus Christ notre Seigneur. Nous n'adorerons point les démons dont tu as fait tes dieux, et nous méprisons tes menaces. Fais donc tout ce que tu voudras; avec la grâce de Dieu, nous sommes sûrs de triompher de toi; car le diable ton maître a été vaincu par le Christ qui combat avec nous.»
Fortunatien répondit en donnant ordre de les jeter de nouveau en prison et de les charger de lourdes chaînes. Il commanda aussi de semer d'épines de fer le sol de la prison afin de déchirer leurs pieds s'ils voulaient marcher. Enfin il défenda qu'on laissât approcher aucun chrétien pour leur apporter de la nourriture.
Les satellites exécutèrent ponctuellement ces ordres barbares. Mais au milieu le la nuit, une grande lumière remplit la prison. Un ange du ciel apparut aux saints martyrs, et, les appelant chacun par leurs noms : «Serviteurs de Dieu, leur dit-il, levez-vous et réparez vos forces abattues.» Puis, s'approchant, d'eux, l’ange toucha leurs chaînes qui se brisèrent aussitôt, et une table chargée de mets délicieux se dressa au milieu du cachot. «Ne vous troublez point, ajouta l'ange; mais prenez paisiblement la nourriture que le Seigneur vous envoie.» Sur cette, invitation, les saints rendirent grâces à Dieu et se mirent à manger. Cependant les gardiens de la prison, voyant cette grande lumière, entrèrent pour voir ce qui se passait, et les ayant trouvés remplis d’une sainte joie, ils allèrent faire leur rapport à Fortunatien. Celui-ci les fit rappeler le lendemain a son tribunal, et leur dit : «Les souffrances vous ont-elles appris enfin à être sages et à rendre hommage aux dieux immortels ?» Térentius répondit :«Notre folie nous est commune avec tous les vrais serviteurs de Dieu. Car quiconque se rend insensé, pour son amour est le plus sage des hommes , tandis que la sagesse humaine n’est que folie à ses yeux. Nous serions bien fous au contraire si, pour t'obéir, nous consentions à adorer les démons.» Cette réponse blessa si fort le préfet, qu'il ordonna de déchirer les martyrs avec des oncles de fer. Mais pendant cette torture ils priaient en disant : «Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant et lumière véritable, toute notre espérance est en vous; assistez-nous, venez à notre aide, et, pour l'honneur de votre saint Nom, ne permettez pas que nous soyons confondus.» Leur prière fut efficace : la grâce divine adoucissant leurs maux, ils ne sentaient pas les tourments.
Le préfet ordonna de les reconduire en prison. Puis, ayant fait appeler tous les enchanteurs d'animaux malfaisants, il leur ordonna d'apporter tout ce qu'ils avaient d'aspics, de vipères, et d'autres bêtes venimeuses, pour les enfermer avec les martyrs. Mais les serpents venaient ramper à leurs pieds sans leur faire aucun mal ; en sorte que les saints, prenant confiance de plus en plus, se mirent à chanter les louanges de Dieu dans leur cachet. Après trois jours et trois nuits, le préfet envoya quelqu’un voir s'ils étaient morts. Quand on se rendit à la prison, on entendit de loin retentir leurs cantiques; en sorte que les envoyés tout stupéfaits, voulant pourtant accomplir leur mission, montèrent sur le toit et le défoncèrent pour voir ce qui se, passait. Ils virent les saints tranquillement assis , et devant eux, l'ange de Dieu qui leur servait de rempart, en écartant les bêtes venimeuses, de sorte qu'elles ne pouvaient approcher. Ils firent en conséquence leur rapport au préfet, qui ordonna aux enchanteurs d'aller reprendre leurs serpents, et aux satellites de ramener les martyrs à son tribunal. Les enchanteurs vinrent à la porte de la prison et tâchèrent de charmer les bêtes; mais elles restèrent sourdes. Alors ces hommes ouvrirent la porte de la prison; mais aussitôt les serpents, sortant avec furie, tuèrent tous ceux qu'ils purent atteindre et s'enfuirent au désert.
Quant aux saints, lorsqu’on les eut ramenés devant le préfet, et qu’ils eurent paru devant ses yeux sans aucune trace de blessure, il les condamna à avoir la tête tranchée. Ils récurent cette sentence en chantant : «Vous nous avez délivrés, Seigneur, des mains de nos ennemis, et vous avez confondu nos persécuteurs.» Après quoi les bourreaux, tirant l'épée, accomplirent l'ordre qu'ils avaient reçu. Ainsi ces saints martyrs méritèrent la palme par leur généreuse confession. Leurs corps furent recueillis par des hommes craignant Dieu et ensevelis à deux mille pas de la ville. Gloire à notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.