fêtée le 10 octobre
Illustres sont les tituli élevés aux souffrances triomphantes des martyrs, glorieux sont les combats soutenus pour leur foi dans le Christ ; mais bien qu'ils reçoivent un lustre particulier du témoignage rendu par Dieu même, cependant nous aimons, nous aussi, à célébrer pour notre part la joie ineffable que nous procure le jour de leur victoire; car, selon la parole de l'Écriture : "Les louanges données aux bienheureux sont la joie du peuple chrétien." La religion trouve, en effet, double profit à publier leurs mérites, à rappeler leurs miracles. D'abord se ressouvenir de leurs actes de vertu est un enseignement pour les gens de notre âge, puis ce qu'on écrit est une instruction pleine de profits pour ceux qui viendront après nous. Instruire les ignorants, armer les doctes, célébrer les vainqueurs, c'est, par ces victoires mêmes, propager les trophées de l'Église et porter plus haut sa gloire. Il n'est jamais vaincu Celui qui triomphe toujours dans la personne des vainqueurs, et si, suivant qu'il est écrit, il faut louer le Seigneur dans ses saints, n'est-ce pas surtout dans ceux que l'ardeur de leur foi a poussés au mépris de la mort qu'II a, pour mieux parler, combattu et vaincu Lui-même ? Offrons donc nos voeux aux saints dont nous avons à célébrer la sainte et vénérable mémoire. Si l'infirmité de notre chair ne nous permet ni de les imiter, ni de mériter une vie semblable à la leur, du moins réjouissons-nous avec eux, chantons leurs victoires et disons par la Bouche du Seigneur : "Dieu a exalté la force de son peuple; gloire à tous ses saints !" Et le Tout-Puissant, voyant que le zèle pour sa foi nous met en main l'étendard des martyrs, nous donnera une récompense en rapport avec notre dévotion.
Parmi les saints qu'une constance admirable a élevés aux tueurs du triomphe, une place particulièrement glorieuse doit être réservée aux femmes. Ne semble-t-il pas, en effet, qu'il faut doublement louer dans les femmes ce que nous trouvons beau chez les hommes ? En effet, le martyr ne fait, semble-t-il, qu'un pas; il surmonte les mouvements de la nature; la femme, au contraire, doit triompher de son sexe et de ces mêmes mouvements. Hommes et femmes, tous ont donc des modèles dont l'imitation ne les fera pas rougir; car ce qu'on loue chez les premiers double l'honneur des secondes et, par conséquent, chaque sexe a ses modèles qu'il peut admirer. Si la femme, en effet, avait fourni tout d'abord au démon l'occasion d'apprendre à la vaincre, elle-même aujourd'hui triomphe du démon par le martyre. Nous allons donc parler de celui de sainte Salsa. C'est un peu tard, dira-t-on, mais ce silence n'est imputable ni à la nonchalance, ni à la paresse, mais au manque de documents. En effet, dès que la connaissance des faits est arrivée jusqu'à nous et a pris place dans notre coeur comme une semence de vertus, nous avons préféré encourir le reproche de témérité que celui de mutisme.
L'ignorance n'est pas coupable quand elle est involontaire; mais notre conscience crie contre nous quand nous connaissons pertinemment les faits que nous devons livrer au public. C'est pourquoi, tout ce que nous avons puisé à bonne source, ce que nous avons donné en nourriture à notre esprit, ce que nous avons conçu avec un amour pieux, nous ne le taisons plus; espérant que, par la relation à la fois simple et glorieuse du martyre de notre compatriote, notre Église pourra être utile à quelque autre.
À Tipasa vivait une femme jeune encore (elle n'avait que quatorze ans), mais le glorieux martyre qu'elle y souffrit lui a donné le respect qu'entraîne la maturité de l'âge. Le courage qu'elle montra couvrit de gloire sa jeunesse, à ce point qu'elle parut née pour le martyre. Elle s'était donnée tout entière au Christ; avait foulé aux pieds toutes les séductions et tous les plaisirs de la terre, sachant qu'elle n'était pas née pour le siècle. Il faut d'ailleurs se souvenir qu'on se prépare au martyre par la pratique des vertus. La première palme à cueillir n'est-elle pas la victoire sur soi-même ? Les parents étaient païens, mais le Soleil de la vérité avait lui à ses yeux, et, renonçant à tout ce que la nature pouvait lui offrir, elle s'attacha seulement à ce que lui donnait la grâce, afin de pouvoir vivre au ciel et mourir pour le Christ. Je ne parle pas de sa beauté reconnue de tous. Ceci après tout n'est pas motif à louanges; car, dans les choses divines, ce n'est pas la beauté corporelle qui importe, mais la beauté morale.
À cette époque, la superstition païenne était commune, rare la foi ; elle n'en était que plus vive. Pour échapper aux trahisons perfides et ténébreuses, elle se cachait opprimée et brillait modeste dans quelques âmes. Un temple s'élevait sur une colline de rochers dominant la ville et baignant dans les flots sa base rocheuse. Ce lieu avait été consacré dès les temps les plus reculés du culte aux faux dieux, et pour ce motif, on lui avait donné le nom de Colline des Temples. Entre tous les édicules élevés aux démons, que la vieillesse faisait tomber en ruines, on en distinguait un qui renfermait un dragon d'airain. La tête en était dorée et les yeux brillants comme des éclairs. C'est le démon qu'on adorait dans ce dragon; c'est à lui qu'on offrait des libations et des sacrifices. Heureusement ce lieu a changé de destination.
Tout d'abord, le temple des idoles avait été remplacé par une synagogue juive, mais un changement encore meilleur l'a fait passer au Christ; et depuis lors, dans ce lieu où avaient régné les sacrilèges, s'élève une église triomphale en l'honneur de notre Dieu.
Un jour vint où les malheureux parents de cette martyre vénérable se réunirent à d'autres personnes pour vaquer à leur culte sacrilège. Ils emmenèrent avec eux leur fille, presque une enfant, mais dont la foi était celle d'un âge mûr. Elle marchait péniblement et, malgré elle, toute tremblante, anxieuse, l'esprit inquiet et plein d'épouvante, comme pressentant déjà son supplice. Au fond de son âme, elle était cependant assurée de la victoire et elle repassait en secret les joies futures.
Dès leur arrivée, elle vit dans les édifices les danseurs en l'honneur des démons; des rameaux de laurier tapissaient leurs murailles, le myrte et le peuplier verdissaient leurs colonnes, des courtines couraient dans les vestibules, des voiles peints pendaient le long des portes, et les pontifes profanes, montrant sous le luxe de leur vêtements une joie malsaine, promenaient de tous côtés des regards méprisants. Mais la sainte, ayant vu des choses inconvenantes, frémit et poussa de profonds soupirs, maudissant le jour qui avait exposé à ses regards ces cérémonies d'impiété. Ici les autels puaient la chair brûlée, là des foyers, brûlant à petit feu, répandaient une odeur fétide. Elle détestait les divertissements dont elle était témoin, le mugissement des trompettes impures, les hurlements des choeurs et tout le fracas des instruments de musique. Elle voyait ceux-ci, affublés d'une hirsute peau de chèvre, danser en agitant des clochettes, et ceux-là, avec des gestes pleins de luxure, danser, d'un pas lubrique, les rythmes sacrés. Ici s'abattait un homme pris de vin, là un autre avait peine à se soutenir. Celui-ci grinçait de dents, celui-là écumait de folie, un autre se déchirait le corps avec un fer de lance, et un autre tournoyait d'une façon vertigineuse, la bouche et le corps pleins de sang.
Au milieu de ces écoeurantes cérémonies, l'esprit de l'enfant s'enflammait et passait à la colère, mais sa raison refrénait son impatience. Bientôt cependant, n'y tenant plus, elle interpelle ceux qui participent à cette fête sacrilège : "Ah, malheureux parents, dit-elle, malheureux concitoyens, le démon vous trompe encore une fois ! Que faites-vous ? Où courez-vous ? À quoi pensez-vous ? Dans quels précipices vous a poussés le tortueux serpent ! Ne voyez-vous point sous quel joug vous courbez vos têtes ? Cette bête que vous adorez, malheureux, n'est qu'un airain fondu. L'argile lui a servi de modèle, le plâtre l'a remplie, le marteau l'a façonnée, la lime l'a polie, finalement c'est la main d'un homme qui, guidée par l'esprit du mal, a fait votre dieu. Qu'il vous rende donc quelque oracle au milieu de tout ce tumulte ! Écoutons ce que pourra dire ce dragon qui trompe d'ordinaire et n'ouvre la bouche que pour dire le mal. Il n'y a qu'un Dieu que nous devions prier et adorer sur les autels, Celui qui a fait le ciel, établi les fondements de la terre, creusé le bassin des mers, trouvé la lumière, créé les animaux, disposé les éléments, ordonné les saisons, distribué les divers ordres de la nature et façonné l'homme pour qu'il s'applique toujours aux choses divines. Il faut, dis-je, adorer ce Dieu qui n'a pas eu de commencement et qui n'aura pas de fin. Ce que vous adorez, ce ne sont pas des dieux, car si vous ne veillez sur eux, ils ne sont pas capables de se défendre eux-mêmes. Retirez-vous, calmez votre fureur insensée, mettez fin à vos cruautés, que votre frénésie s'apaise. Laissez-moi lutter avec votre dragon et s'il est plus fort que moi, tenez-le pour dieu, mais si je l'emporte sur lui, reconnaissez qu'il n'est pas dieu, abandonnez les sentiers de l'erreur, convertissez-vous et rendez au vrai Dieu votre culte et vos adorations."
Elle parla ainsi. Les impies trouvaient ses paroles ineptes et folles; mais elle observait avec soin tout ce qui pourrait lui permettre de détruire l'idole. La cérémonie sacrilège terminée, chacun céda à l'ivresse du vin et de l'orgie. Bientôt, ce ne fut plus qu'une foule de corps étendus de tout leur long, vomissant, ronflant, exhalant d'insupportables odeurs. Mais en ce moment veillait l'esprit de celle qui s'était conservée pure au milieu de ces solennités, celle dont l'âme n'avait pas quitté la compagnie des anges, celle qui rêvait du martyre. Dés qu'elle vit que tout concourait à son dessein, elle s'arma du zèle de la foi et de l'amour de Dieu. "Seigneur, dit-elle, voici le moment de donner à mon bras la force dont Tu as armé celui de sainte Judith. Viens à mon aide, Père tout-puissant et éternel, qui as voulu que ton Fils unique Jésus Christ naquît d'une vierge, souffrît, mourût et remontât S'asseoir à ta Droite. Je t'en prie, par l'Esprit saint qui procède de Toi, aide ma jeunesse comme Tu as aidé ton serviteur Daniel, quand il tua le dragon de Babylone; fais que je puisse également détruire ce dragon d'airain. Je croirai être arrivée au martyre si je puis le montrer décapité à ses adorateurs."
Sa prière finie, elle s'introduisit courageusement dans le temple, elle enleva au dragon sa tête encore ornée de couronnes et l'envoya rouler à travers les rochers, jusque dans la mer. Les infidèles se réveillèrent cependant et constatèrent le sacrilège. À cette vue, saisis de douleur, ils se frappaient la poitrine et le visage, versaient des pleurs et déploraient le forfait : "Hélas, disent-ils, malheureux que nous sommes, c'est parce que nous n'avons pas établi de garde que nous avons perdu la tête de notre dieu. Pour qui vivrons-nous dorénavant, nous qui avons perdu l'objet de nos adorations ?" Ils n'arrivaient pas, les malheureux, à conclure que leur dieu n'était rien, ne pouvait servir
à rien ni à personne, puisqu'il n'avait pu se protéger lui-même. Le silence se rétablit à la fin et la foule tenta de découvrir l'auteur du sacrilège. Mais la jeune héroïne, qui maintenant avait bien droit au martyre, puisqu'elle avait coupé la tête du dragon, revient pour continuer son projet. Elle suppute les heures, épie les moments. Si elle a pu redouter la trahison, elle ne soupire maintenant qu'après le martyre. En elle la faiblesse du sexe et de l'âge combat l'ardeur de sa dévotion, mais celle-ci l'emporte.
Bientôt les portes du temple sont ouvertes, toutes les barrières enlevées et toute facilité lui est donnée pour faire une nouvelle prise sur le démon. Alors, levant les yeux au ciel et de coeur plutôt que de bouche, la vierge dit : "Allons, le moment est venu d'achever ce que j'ai commencé. Prends des forces, mon âme, et lève-toi vaillamment. Aujourd'hui, il te faut vaincre le diable et gagner le Christ. Que la perspective de la mort ne te fasse pas reculer. Si la ruine de l'idole te livre aux mains de ces nombreux et cruels blasphémateurs, ton audace aura sa récompense. Qui sait même si tu ne seras pas réservée pour une circonstance plus solennelle qui sera pour toi l'occasion de remporter non une victoire en quelque sorte furtive, mais éclatante ? Que, si tu as le bonheur de mourir, ta récompense est certaine pour ce que tu as déjà fait. Du reste, n'est-ce pas vaincre que de mourir pour le Christ ?" Elle dit et s'efforce de renverser le tronc du dragon. Malgré sa faiblesse, elle pousse le tronc de l'idole et l'entraîne jusqu'au bord du précipice; bientôt le bruit des flots annonce aux gardiens la ruine du détestable serpent.
On se jette sur elle, la foule entière pousse un cri de fureur et de mort, et comme tout sentiment d'humanité est éteint, on la prend, et après lui avoir attaché les pieds et les mains entre-croisés, on la frappe avec des pierres et des gourdins; enfin, on l'achève avec l'épée, puis on la jette secrètement dans la mer, ajoutant à la première cruauté celle de priver son corps de sépulture.
La mer reçoit ce corps et fait comme une molle couchette à ses membres meurtris; elle a garde de les briser contre les rochers ou de les laisser descendre jusqu'aux algues profondes; au contraire, elle les pousse jusqu'au port comme doucement endormis, et lentement les laisse descendre près du lieu où doit s'élever son sépulcre.
Dieu ne voulut pas que son corps restât un seul jour sous les eaux. À ce moment-là même, par un temps magnifique, entrait dans le port un Gaulois ayant nom Saturnin. Son navire passe au-dessus du corps de la martyre et s'y arrête. Mais voilà que soudain le ciel se charge de nuages, et que se déchaîne une horrible tempête.
Saturnin, le patron du vaisseau, est averti une première fois en songe qu'il coulera avec son navire s'il ne fait retirer le corps au-dessus duquel il est arrêté; se croyant le jouet d'une hallucination, il ne donne pas de suite à cet avertissement; mais le même songe s'étant répété jusqu'à trois fois, il se décide d'agir. Il se jette à la mer et bientôt, Dieu guidant sa main, il saisit la ceinture de la bienheureuse martyre. Le corps suit sans difficulté et, dès qu'il est soulevé au-dessus des flots, la tempête cesse. On dépose le corps sous un petit pavillon, tandis que Saturnin et ses compagnons remercient Dieu et d'avoir échappé au naufrage et d'avoir été choisis pour être les révélateurs du martyre de sainte Salsa.
Mais voici encore un autre miracle important. C'était au temps où la domination tyrannique des Arabes avait dévasté par le feu la province d'Antioche et l'avait couverte de ruines. Malgré leur origine barbare, malgré leurs moeurs grossières et cruelles, les envahisseurs pensaient pouvoir s'emparer de l'empire romain. Ils vinrent attaquer de vive force la ville de Tipasa, dont ils n'avaient pu s'emparer par la ruse. Ils entourèrent la ville et se répandirent dans les environs, car ils étaient fort nombreux. Pendant huit jours durant, on se battit, mais ils n'en purent venir à bout. Alors, un impie imagina de s'affubler du masque de la dévotion et d'entrer dans le temple de la martyre sous le prétexte d'y accomplir un voeu, comme si la sainte pouvait passer au parti des païens. II alluma des cierges, ils s'éteignirent, il offrit le pain et le vin, ils tombèrent à terre; aucune substance ne se prêta à l'accomplissement de ses cérémonies impies. Dieu et la martyre firent que tout ce qu'il tenta fut vain. Pensant que cet échec était un pur hasard, il recommença une seconde et une troisième fois, mais il ne fut pas plus heureux. Alors, dans un mouvement de folie, sa dévotion se changea en blasphème et, comme pour se venger de Dieu, il frappa le sépulcre avec colère et sortit pâle, tremblant, les yeux injectés de bile et proférant des malédictions, comme si, insensé qu'il était, les coups portés au tombeau avaient pu atteindre la sainte. Mais le Dieu tout puissant ne laissa pas cet acte impuni. À l'instant, la colère divine frappa le blasphémateur. Dans le vestibule même du temple, il fut renversé de cheval et ses écuyers eurent grand'peine à le relever. Il ne comprit pas, le malheureux, que cette chute soudaine était le présage de sa prochaine ruine. On se battit enfin nuit et jour; mais grâce à la protection de Dieu et de la martyre, il fut obligé de partir avec tous ses compagnons d'armes. Il mourut peu de temps après, frappé par le jugement de Dieu et l'intervention puissante de notre sainte.
Nous lisons que la bienheureuse Rachel, mue plutôt par un sentiment de justice que de cupidité, vola les idoles de son père qui avait refusé de donner à Jacob les gages promis. Sainte Salsa, au contraire, prit la tête de l'idole et la jeta dans la mer. L'une cacha son larcin, l'autre brisa un objet sacrilège. À Babylone, Daniel, également par zèle pour la Gloire de Dieu, tua le dragon. Sainte Salsa, en mettant en pièces l'idole sans vie de Tipasa, triompha par son martyre du dragon vivant, le démon. L'un et l'autre ont montré une égale force d'âme, une égale piété; ils ont tous les deux vaincu le démon et nous ont laissé, à nous et à nos descendants, les preuves de leur victoire. Il est donc juste que nous célébrions le martyre de sainte Salsa avec dévotion à travers les âges, par notre Seigneur Jésus Christ, à qui avec Dieu le Père et l'Esprit saint est honneur, vertu et gloire dans les siècles des siècles. Amen.