( L'an de Jésus Christ 286.)
fêté le 1 octobre
Nous allons brièvement raconter combien notre Seigneur Jésus Christ a daigné opérer des merveilles dans ses serviteurs. Quiconque lira ce récit ou l'entendra lire, en bon chrétien, qu'il prête l'oreille, qu'il y dirige ses sentiments, et qu'il y applique toute l'intelligence qu'il a reçue; car lorsque peu ne suffit pas, beaucoup ne pourrait être avantageux; et pour tout ce qui concerne les serviteurs de Dieu, il en faut croire bien plus que la science humaine ne saurait en rapporter.
Le vénérable Piat, issu d'une très noble famille, naquit sur le territoire de Bénévent. Ses parents étaient très riches, tant en argent qu'en propriétés de tous genres. Pour le bienheureux Piat, il était doué d'une élégante beauté qui le rendait le plus remarquable parmi tous les jeunes gens de son âge. Il était, du reste, prudent dans ses paroles, réservé dans sa conduite, ferme dans ses desseins; il avait un esprit très distingué, un abord gracieux, et sa conversation était fort agréable; mais, ce qui est au-dessus de tous ces avantages, dès le principe de son éducation, il se sentit enflammé d'un si vif amour de la céleste patrie, qu'il méprisait toutes les choses qui font le charme de la vie présente, et ne soupirait plus que pour l'immortelle vie. Aussi l'enfance du saint jeune homme avait été nourrie de toutes les vertus qui conduisent au royaume céleste. À mesure qu'il avançait en âge, ses sentiments de religion croissaient en proportion; et n'ambitionnant rien des honneurs de la terre, il tenait son âme fixée dans la crainte et l'amour du Créateur de toutes choses. Il possédait en outre une charité si libérale et si industrieuse, que tout ce qu'il pouvait avoir, sauf son vêtement fort simple, il le distribuait aux pauvres et aux nécessiteux.
Dioclétien, ayant été élevé à l'empire du monde entier, et voyant que toutes les provinces étaient dans l'agitation par suite de la présomption de quelques hommes, créa césar et associa à l'empire Maximien Hercule, qui avait été son compagnon d'armes; et aussitôt il l'envoya dans les Gaules contre Alamandus et Élianus, qui avaient audacieusement soulevé des esclaves sous le nom de Bagaudes : il adjoignit à son armée la légion thébaine, venue de l'Orient. Cette légion était composée, comme la légion romaine, de six mille six cent soixante-six soldats, tous pleins de valeur et parfaitement exercés au métier des armes. Ces militaires avaient reçu, en Orient, le sceau baptismal de la religion chrétienne, et ils mettaient leur foi sacrée bien au-dessus du courage martial et des armes victorieuses. Le césar Maximien ayant assemblé toute son armée pour un sacrifice, s'aperçut que la légion thébaine avait transgressé ses ordres. Transporté soudain de la plus violente colère, il envoya des satellites pour lui ordonner de venir prendre part à l'offrande de ses sacrifices sacrilèges. Or, cette légion avait pour primicier Maurice, pour porte-enseigne Exupére, et pour sénateur Candide; et leur commandement était tellement sage et tempéré qu'ils donnaient des ordres à leurs soldats comme à des égaux et à des frères d'armes, plutôt qu'en employant la terreur militaire. Mais, comme je n'ai pas entrepris de raconter les glorieux triomphes de cette légion sainte, la suite de mon récit exige que nous nous entretenions des circonstances merveilleuses qui accompagnèrent l'illustre combat du bienheureux Piat, faisant voir comment, étant devenu le précieux témoin du Seigneur, il déjoua, par une heureuse fin, comme un invincible athlète, les ruses de l'ancien ennemi.
Le bienheureux Piat ayant donc quitté la ville de Rome, arriva sur le territoire de Tournai, et il commença à y prêcher l'évangile du Christ, que le saint Esprit avait daigné répandre en son coeur, aÞn que, par la parole de sa prédication, il délivrât du culte des démons les hommes faits à l'image de Dieu, et qu'ainsi ils adorassent avec des âmes pures le Dieu unique Créateur du ciel et de la terre, invoquant le Père unique non engendré, confessant le Fils engendré du Père seul, et croyant au saint Esprit qui procède de l'un et de l'autre. Et il instruisait le peuple, en disant : "Ô très-chers fils, invincibles soldats qui combattez les combats de Dieu, vous qui, après avoir été si longtemps dans les chaînes de l'ancien ennemi, vous êtes enfin délivrés de cette misérable servitude, reconnaissez tous, bien que tardivement, que le Christ Fils de Dieu est venu pour vous racheter en S'incarnant dans le sein de la Vierge sainte et intacte. Car, si l'onde baptismale vous purifie des souillures contractées dans le culte des idoles, vous pourrez être préservés de la mort éternelle, alors que la lumière aura dissipé les ténèbres de votre coeur, et que la grâce du baptême vous aura blanchis pour la gloire immortelle."
Tandis que le saint homme s'appliquait ainsi à instruire le peuple et qu'il lui faisait abandonner la vanité des idoles, un jour, levant un peu les yeux, il vit venir de loin les persécuteurs. Il n'interrompit point pour cela sa prédication, mais il adressa au peuple des exhortations encore plus pressantes : "Vous voyez, dit-il, vous voyez, frères et fils très chers, que notre Seigneur Jésus Christ daigne déjà récompenser mes travaux : mon corps, que dès l'enfance j'ai fatigué par un labeur incessant, va passer à la gloire éternelle avec la palme du martyre. Vous donc, très chers fils, demeurez fermes dans la doctrine que vous avez reçue, et que ni la terreur des princes, ni les menaces des juges, ni les mauvais conseils de la chair et du sang, ne soient capables de vous détourner de la vie éternelle, en sorte que là où sera parvenu le courage du pasteur, soient admis pareillement les mérites du troupeau."
Après ce discours, le très saint Piat leva les yeux au ciel, et étendant ses mains pures, il s'écria avec force : "Je Te rends grâces, Seigneur Jésus Christ, Rédempteur du monde, d'avoir bien voulu m'appeler à une si haute dignité, en m'associant à tes bienheureux martyrs Quentin, Lucien, Crépin, Crépinien, et tant d'autres qui ont souffert pour ton Nom. Daigne donc, ô Seigneur Jésus Christ, me compter dans ce nombre si digne d'envie, et me rendre l'éternel héritier de ton royaume." Après cette prière, il sortit de la ville de Tournoi, marchant d'un air intrépide et montrant un courage surhumain dans la circonstance qui se présentait; car il voulait accomplir son martyre en célébrant les divins mystères.
Le bienheureux Piat étant donc occupé, avec ses compagnons, à offrir au Seigneur tout-puissant l'oblation divine, survinrent tout à coup les impies persécuteurs qui avaient été envoyés par le détestable Maximien. Ils se saisirent de l'homme de Dieu, et firent trancher la tête à ses compagnons sous ses yeux. Après que ceux-ci eurent été de la sorte consacrés martyrs au Christ par l'effusion de leur sang, les satellites, transportés de fureur et d'indignation, parlèrent en ces termes au saint prêtre : "N'est-ce pas toi qui, par tes maléfices, séduis le peuple, pour l'empêcher de sacrifier aux dieux immortels, et lui faire mépriser les ordres de nos invincibles princes ?" Le bienheureux Piat répondit : "Je ne suis pas un magicien; mais, étant instruit dans les choses célestes, je montre au peuple du Christ la voie de la vérité, et je leur enseigne comment ils doivent sans obstacle suivre mon Seigneur Jésus Christ, Lequel étend toujours sur ses créatures sa tendre Affection, aÞn qu'ils sortent de leurs ténèbres pour ouvrir les yeux à la lumière d'en haut, et que, reconnaissant que le Fils de Dieu est venu sur la terre pour les racheter, ils méprisent le culte superstitieux des idoles, et n'adorent du fond de leur coeur que Lui seul, qui a bien voulu être crucifié pour le salut de tous." Les satellites lui répondirent : "Comment appelles-tu Dieu Celui que tu conviens avoir été crucifié ?" Le bienheureux Piat répondit : "Encore que votre infidélité et vos oreilles assourdies et souillées ne soient pas dignes d'entendre le mystère profond de notre Roi suprême et très clément, néanmoins, en faveur de la multitude du peuple qui nous entoure, j'exposerai brièvement comment ce Dieu éternel et vrai Homme tout à la fois a voulu être crucifié à la fin des temps. Dieu le Père est non engendré, Dieu le Fils est engendré du Père seul; Dieu le saint Esprit procède de l'un et de l'autre : ce sont trois Personnes, mais il n'y a qu'une même Substance; ce Dieu n'a point eu d'origine ni de commencement, et son Existence ne saurait être limitée par le temps : tout ce qui existe, visible ou invisible, a été créé par sa Sagesse. Touché de compassion à la vue des maux de l'humanité, Il fit choix d'une vierge pure, de laquelle Il devait naître à la fin des siècles; en sorte que, demeurant invisible en Lui-même, Il daigna Se rendre visible en notre nature. Il S'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix; et, bien que toujours Dieu impassible, l'Homme qu'il avait uni à sa Divinité souffrit pour nous tous les supplices de la croix, aÞn que, la faute ayant été grande, la grâce fut plus grande encore. Car, si le Fils de Dieu ne S'était fait aussi Fils de l'homme, ni les pécheurs n'auraient pu parvenir au pardon, ni les malheureux arriver au ciel."
Pendant que le bienheureux Piat prononçait ces paroles et autres semblables, la fureur des soldats croissait avec d'autant plus de véhémence. Ils lui dirent donc : "L'âge de la vieillesse aurait dû t'engager à quitter ces folies qui te captivent, mais, puisque tu es toujours obsédé par la superstition, et que ton verbiage doit amener une mort inutile, dis-nous quel est ton nom et ta condition." Piat répondit : "Mes parents selon la chair m'ont donné le nom de Pius; mais, lorsque j'ai été régénéré dans les eaux sacrées du baptême, la bouche sainte du prêtre m'a nommé Piatus. Quant à ma condition, elle est tout évidente, puisque, selon le bienheureux Apôtre, je n'ai d'autre affaire que de vivre pour le Christ, et que je regarde comme un gain de mourir pour Lui. Car j'ai été enseveli avec Lui dans la fontaine du baptême et je suis les traces de Celui dont le sang m'a racheté." Les soldats lui dirent encore : "C'est précisément ce que nous disions, que tu es un séducteur. Tu méprises audacieusement les dieux, tu ne cesses de parler des choses les plus vaines, et tu n'as aucun égard pour ta vieillesse déjà si avancée." Piat répondit : "Ce que je dis, ni vos oreilles ne le peuvent entendre, ni vos âmes le retenir; car l'infidélité du coeur vous a aveuglés, et votre prince Maximien, qui vous a envoyés ici, est livré à un éternel aveuglement et à d'épaisses ténèbres."
Les soldats, supportant impatiemment de voir outrager César, se saisirent de l'homme de Dieu, et après lui avoir lié les mains, ils le fiagellèrent. Or, tandis qu'il recevait un si rude traitement, et qu'on le tenait étroitement enchaîné, ce saint homme n'était point effrayé de leurs terribles menaces, et la douleur corporelle ne put l'abattre. Mais, comme il se confiait au Seigneur, on eut dit qu'une vigueur juvénile soutenait ses membres accablés par la vieillesse; car, avec le même air de visage et la même tranquillité d'âme qu'auparavant, il ne craignit point de confesser à haute voix le Nom du Christ, et il disait : "Je crois de coeur au Christ Fils de Dieu, et je ne cesserai point de Le louer de mes lèvres." Alors un des soldats, tirant son épée, trancha la tête vénérable du saint homme. Or, comme le corps du martyr était étendu par terre, les soldats et la multitude du peuple qui se trouvait là, virent descendre du ciel une lumière qui s'arrêta sur le saint corps, et entendirent en même temps une voix qui disait : "Fort bien, bon serviteur Piat; tu n'as point hésité à répandre ton sang pour Moi; tu vas te réjouir avec les saints dans les régions éthérées : viens avec la palme du martyre, reçois selon qu'il a été promis, ce que l'oeil n'a point vu, ni l'oreille entendu, ni le coeur de l'homme pressenti, et jouis de la société de tes frères les martyrs." Or, tout ceci se passa vers la troisième heure du jour, aux calendes d'octobre, tous les fidèles tressaillant d'allégresse, et faisant retentir les aires d'hymnes au Très-Haut.
Le même jour, par un dessein inspiré de Dieu, qui éprouve ses saints avec mesure et les glorifie sans mesure, les habitants de ce lieu, qui avaient été convertis par les instructions du bienheureux, vinrent en grande dévotion avec des aromates, et après avoir enveloppé le saint corps dans des linges éclatants de blancheur, ils l'inhumèrent dans un tombeau où personne ne paraissait avoir été mis. Quiconque vient prier dévotement en ce lieu, s'il a recours à l'intercession de saint Piat pour la rémission de ses péchés, assurément il obtiendra tout ce qu'il demandera.
Or, au moment où ces hommes de miséricorde déposaient le saint corps dans le sépulcre, ils sentirent comme des parfums angéliques, dont le Seigneur voulait honorer les obsèques du saint martyr; et ils se dirent l'un à l'autre : "Qu'est-ce donc que cela ? Jamais notre odorat n'a éprouvé une sensation si agréable; nous en sommes tellement pénétrés qu'il nous semble n'avoir plus rien de meilleur à désirer." Et plus ils s'entretenaient de cette merveille, plus aussi la suavité du parfum les enivrait. Se prosternant alors par terre, ils s'écrièrent, saisis d'une grande crainte et d'une ardente dévotion : "Nous croyons, ô Christ, Fils de Dieu, que Tu règnes dans les cieux avec le Père et le saint Esprit, ainsi que nous l'avons appris de ton saint martyr Piat." À la même heure, cinquante hommes environ se convertirent et rendirent grâces à Dieu. Or, le saint avait opéré dans les Gaules la conversion de plus de trente mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
On bâtit au même lieu un nouveau monument en l'honneur du glorieux martyr. Là, par leurs prières, les malades sont guéris, les aveugles recouvrent la vue, les boiteux l'usage de leurs jambes, les démoniaques sont délivrés du malin esprit, et les voeux des fidèles sont exaucés. Le Seigneur S'est vraiment choisi un digne martyr en celui qui n'a pas craint de subir pour son Nom la souffrance et la mort. Aujourd'hui nous célébrons la solennité qui lui est consacrée; et tandis qu'ici-bas nos fêtes annuelles lui rendent hommage, au ciel le Seigneur le glorifie et l'enivre de ses Délices éternelles.
A Toi, ô Dieu le Père, soit la gloire dans l'Unité du Fils avec le saint Esprit, à Toi la puissance souveraine, Toi qui as daigné glorifier ainsi notre saint martyr, Toi qui vis, domines et règnes et alors et maintenant, et dans les siècles des siècles. Amen.