SAINTE PÉLAGIE,

MARTYRE

A ANTIOCHE

(L'an de Jésus Christ 304)

fêtée le 8 octobre

(Homélie de saint Jean Chrysostome)

Dieu soit loué ! Les femmes affrontent la mort, en se jouant; les jeunes filles se rient du coup qui va les enlever à la vie; bien plus, de tendres vierges, des enfants encore trop jeunes pour recevoir un époux, s'élancent avec allégresse au milieu des aiguillons de l'enfer, et n'en souffrent aucune atteinte. C'est le Fils d'une vierge, c'est le Christ qui a créé pour nous ces merveilles; car, après sa bienheureuse conception et son admirable naissance, le sceptre de la mort a été brisé, et l'empire du diable s'est évanoui. Ce n'est plus seulement aux hommes qu'il est un objet de risée; les femmes, que dis-je, les femmes ? les jeunes filles elles-mêmes le méprisent. Comme un berger vigoureux, après avoir saisi le lion qui effrayait ses brebis et dévastait tout son troupeau, lui arrache les dents, lui coupe les griffes, puis enfin, tondant sa crinière, se plaît à l'exposer, au mépris, à la risée des enfants et des jeunes bergères; de même le Christ, en épousant la mort si terrible à notre nature et si effrayante pour tout le genre humain, a dissipé la crainte qu'elle inspirait, au point que nous voyons nos vierges timides rire avec elle. C'est ainsi que nous avons vu la bienheureuse Pélagie courir avec tant d'allégresse au-devant de la mort. Dans les transports de son zèle, ne voulant ni attendre la main des bourreaux, ni paraître devant le tribunal, elle devança la cruauté de ses juges; car, quoiqu'elle se fût préparée à supporter la torture, les supplices et tous les genres d'épreuves inventées contre les martyrs, elle craignait de perdre la couronne de la virginité.

Rien ne l'effrayait tant que l'insolence des impies; c'est pourquoi elle les prévint, et se déroba elle-même à leur extrême brutalité. Jamais homme n'a rien tenté de semblable; tous se laissent conduire devant les tribunaux, et c'est là qu'ils font paraître le courage qui leur est propre. Il était réservé aux femmes, plus exposées à raison de leur sexe, d'inventer contre elles-mêmes ce nouveau genre de trépas. Si elle eût pu conserver sa virginité et obtenir en même temps la palme du martyre, elle n'eût pas refusé de paraître devant le tribunal; mais, dans la nécessité où elle semblait être de sacrifier l'une ou l'autre, elle pensa que c'était une extrême folie, pouvant ambitionner une double victoire, de se retirer avec une demi-couronne. C'est pour cela qu'elle ne voulut ni se présenter devant le juge, ni se donner en spectacle à des yeux impurs, ni permettre à des regards lascifs le plaisir coupable de contempler sa beauté, ni exposer aux outrages la sainteté de son corps. Elle ne quitta sa demeure, le sanctuaire de sa vertu, que pour une autre demeure plus sainte, le palais de son Époux, le ciel. Grande sans doute est l'épreuve du martyr qui se voit entouré de bourreaux, fouillant avec le fer les flancs de leur victime; mais non moins grande a été l'épreuve de notre sainte. Chez le martyr, la sensation s'est déjà épuisée par avance dans la variété des tourments, en sorte que la mort ne paraît plus un objet d'effroi; elle est plutôt une délivrance, un terme aux maux qu'il endure. Pour Pélagie au contraire, qui jusque là n'avait rien souffert, dont le corps, demeuré intact et sans blessure, n'avait pas connu la douleur, il fallait un grand et généreux courage, lorsqu'on l'a vue s'arracher elle-même à la vie par une mort violente. Si donc vous avez admiré la patience des martyrs, admirez aussi la mâle vertu de cette vierge; si leur immobilité dans les supplices vous a frappés d'étonnements, ne soyez pas moins étonnés de la hardiesse intrépide d'une jeune fille, qui d'elle-même a osé affronter une pareille mort.

Et ne passez pas légèrement sur les circonstances de ce sacrifice mais considérez quelle dut être l'impression que ressentit cette enfant qui ne connaissait au monde que l'asile de la maison paternelle, quand elle vit la foule des soldats entourer cette maison, en assiéger les portes, la citer elle-même devant le tribunal, et la traîner sur le forum pour répondre à une accusation aussi solennelle, et dont les suites allaient avoir tant d'importance. Elle n'avait pour l'assister ni père, ni mère, ni nourrice, ni servante, ni voisin, ni ami; elle se trouvait seule au milieu de ces bourreaux. Sortir dehors, répondre à des soldats farouches, ouvrir la bouche et laisser échapper une parole, les voir, ces barbares, et oser soutenir leur présence; même seulement oser respirer, n'est-ce pas là une force d'âme digne d'exciter notre étonnement et notre admiration ? Oui, ce fut une oeuvre au-dessus de la nature humaine, et la Grâce de Dieu devait y avoir la plus grande

part. Non pas sans doute que notre sainte soit demeurée passive sous l'effet de la grâce; non, elle déploya dans cette circonstance tous les dons que Dieu avait mis en elle : la ferveur, le courage, la générosité, enfin une force de volonté qui fixa son choix anima ses mouvements et l'emporta à la mort. Mais l'heureux succès par lequel tout a été conduit à une heureuse fin, fait voir évidemment le Secours de Dieu et la protection du ciel; en sorte que nous devons à la fois admirer notre sainte et la féliciter : la féliciter, parce que Dieu a daigné combattre pour elle; l'admirer, à cause de l'ardeur qu'elle a montrée. Qui donc, en effet, ne serait pas justement étonné, en apprenant qu'elle a pu méditer une entreprise aussi hardie, prendre une telle résolution et l'exécuter ? Vous savez tous que le plus souvent, dans les projets longtemps réfléchis, quand vient le moment d'agir, si le plus léger trouble s'empare de notre âme, nous abandonnons tout, nous laissant épouvanter par les difficultés de la lutte. Mais elle, quoique sa résolution fût pleine de terreur et d'épouvante, elle a pu en un instant la concevoir, s'y fixer et l'accomplir. Ni la crainte des soldats qui l'entourent, ni la brièveté des instants qu'on lui laisse, ni son abandon au milieu des embûches, ni la solitude où elle se trouve dans la maison, rien ne la peut troubler. On eût dit qu'elle était entourée de ses amis et de ses proches; tant elle disposait tout avec une entière sécurité. Il est vrai qu'elle avait un appui à son courage; elle n'était pas seule; Jésus s'était fait son conseiller; Il se tenait près d'elle, animait son coeur, fortifiait son âme; seul Il avait suffi pour en chasser la crainte. C'était d'ailleurs un privilège qui n'était pas accordé sans motif; la martyre s'était préparée d'avance à mériter un pareil secours.

Étant donc sortie avec l'escorte, elle demanda tout à coup aux soldats la permission de rentrer pour un moment, afin de changer d'habits. Et en effet, à peine rentrée dans la maison, elle revêtit pour la corruption l'incorruptibilité, l'immortalité pour la mort, une vie sans fin pour la vie dans le temps. Comment les soldats lui ont-ils pu accorder cette grâce ? Comment des hommes ont-ils pu se laisser ainsi tromper par une femme ? Comment n'ont-ils prévu rien de ce qui devait arriver ? Comment, enfin, n'ont-ils pas soupçonné la ruse ? Je l'avoue, après tout ce que j'ai raconté, je trouve encore un nouveau motif d'étonnement et d'admiration. Car on ne peut pas dire que jamais personne eût jusqu'alors fait quelque chose de semblable. On a vu un grand nombre de femmes se jeter d'elles-mêmes dans des précipices ou dans la mer, se plonger un poignard dans le sein, ou même s'étrangler. Notre siècle est plein de ces événements tragiques. Mais Dieu aveugla les coeurs des soldats, et les empêcha de prévoir la ruse qu'elle méditait. C'est ainsi qu'elle a pu s'envoler de leurs filets, et de même qu'une biche tombée entre les mains des chasseurs, si elle a pu s'enfuir sur la cime élevée d'une montagne, où ni les pieds, ni les traits de ses ennemis ne peuvent l'atteindre, s'arrête dans sa course et contemple avec assurance ceux qui tout à l'heure lui tendaient des embûches; ainsi notre sainte, tombée, elle aussi, entre les mains des chasseurs, et prise comme dans un filet, s'élança, non point sur la cime d'une montagne, mais jusqu'au plus haut des cieux, où désormais, à l'abri de l'atteinte des infidèles, elle se réjouit de les voir s'en retourner les mains vides et couverts de confusion. Et quelle confusion, en effet ! Le juge est à son siège, les bourreaux l'entourent, les supplices sont préparés, la multitude est rassemblée; on attend les soldats dans l'espérance de voir paraître leur proie; tous se livrent à des transports d'une joie sauvage; et c'est à ce moment que ceux qui étaient partis pour cette mission reviennent la tête baissée, et racontent le terrible événement qui est arrivé ! Quelle honte ! Quel regret ! Quel affront pour tous ces infidèles ! Voyez-les se retirer humiliés, le front couvert. Les voilà enfin convaincus par les faits que ce n'est pas contre les hommes, mais contre Dieu qu'ils ont voulu combattre. Quand Joseph fut tenté par l'épouse de son maître, il laissa à une femme, à une barbare, le vêtement qu'elle avait saisi de ses mains impures, et s'enfuit nu; mais notre sainte, sans avoir senti les mains profanes sur son corps, s'envola au ciel avec son âme dégagée de tout lien terrestre, laissant un corps chaste et pur aux mains de ses ennemis, qui restèrent dans une grande inquiétude, ne sachant que faire de ces restes sans vie.

Telles sont les oeuvres de Dieu; il retire ses serviteurs de l'angoisse pour les mettre au large, tandis que ses adversaires et ses ennemis, à qui tout semble réussir, il les réduit aux dernières extrémités. Et en effet, quelle plus terrible angoisse que celle où était tombée cette jeune fille ? D'un autre côté, quelle plus heureuse condition de succès que celle des soldats qui la veulent saisir ? Ils la tenaient bloquée, seule dans sa demeure comme dans une prison; et cependant ils durent s'en retourner avec le regret d'avoir manqué leur proie. La jeune fille, destituée de tout secours et de tout appui, ne voyait plus d'issue pour échapper à son malheur; déjà elle était dans la gueule de ces bêtes sauvages; et cependant elle sut s'arracher de leurs dents, éviter leur fureur et demeurer victorieuse des soldats et des juges. Tant qu'elle vécut, tous espéraient la vaincre; mais quand elle fut morte, ils tombèrent dans le plus grand embarras; c'est ainsi qu'ils devaient apprendre que la mort des martyrs est le triomphe des martyrs. Quand, à l'entrée du port, un vaisseau chargé de riches marchandises et de pierres précieuses est assailli par une vague en fureur qui menace de l'inonder et de l'engloutir, s'il a le bonheur de l'éviter, la violence même des flots le fait entrer avec plus de vitesse au lieu désiré. Il en fut de même pour la bienheureuse Pélagie; car l'approche des soldats, la crainte des supplices qu'on lui préparait, les menaces du juge, toutes ces choses réunies venant tomber sur elle avec plus de violence que le flot le plus terrible, la poussèrent à s'envoler plus promptement au ciel; et l'orage qui devait engloutir son vaisseau l'introduisit dans le port de la sécurité et de la paix. Son corps lui-même, pendant qu'on le portait à son tombeau, jetait une lumière plus vive que l'éclair et qui blessa les yeux du diable. La foudre lancée du ciel nous inspire moins de crainte, que la dépouille sacrée de notre martyre ne jeta d'épouvante parmi les phalanges des démons.

Et si vous voulez vous convaincre que rien de tout cela n'est arrivé sans la Volonté de Dieu, vous le reconnaîtrez facilement à la sainte allégresse de la vierge, à la facilité avec laquelle elle trompa les soldats, obtint d'eux sa demande et conduisit à terme sa généreuse résolution. Ajoutez encore à toutes ces preuves le genre de son trépas. On a vu souvent des hommes tomber du haut d'un toit et ne se faire aucun mal; d'autres, s'étant rompu seulement quelque membre, ont vécu longtemps encore après leur chute. Pour notre sainte, Dieu ne voulut pas qu'il arrivât rien de semblable. Il ordonna à l'âme de quitter sur-le- champ son corps; elle avait suffisamment combattu, elle avait consommé une noble carrière, Dieu voulait déjà l'admettre dans son Sein. Ce n'est donc pas sa chute qui a été la vraie cause de sa mort, mais bien l'ordre de Dieu.

Cependant le corps gisait, étendu sans vie, non sur un lit, mais sur le pavé. On peut dire, il est vrai, que, dans cet état, il n'était pas sans honneur. Le pavé lui-même était devenu un objet de respect, depuis qu'il avait été trouvé digne de recevoir un corps environné de tant de gloire. Mais que dis-je ? La plus grande gloire pour ce corps était d'être ainsi étendu gisant à terre; car les ignominies souffertes pour le Christ sont pour nous le comble de l'honneur.

Il était donc étendu à terre, à l'angle d'une voie publique, ce corps virginal plus pur que l'or. Les anges l'environnaient, les archanges le vénéraient ! Le Christ Lui-même veillait près de lui. Si les maîtres d'ici-bas ne rougissent pas de conduire au tombeau les serviteurs qui leur ont été fidèles, à plus forte raison le Christ n'a pas rougi d'honorer de sa présence celle qui, pour Lui, avait donné sa vie et bravé le plus grand des périls.

Il était étendu à terre, enveloppé dans la gloire de son martyre, paré de l'ornement de sa confession, revêtu d'une robe plus riche que le manteau des rois, que la pourpre du trône de la double robe de la virginité et du martyre. C'est avec ces riches ornements que Pélagie se présenta au tribunal du Christ.

Nous aussi efforçons-nous d'avoir, et pendant notre vie et à notre mort, une robe semblable à la sienne, sachant bien que celui qui recherche les vêtements brodés d'or pour sa parure, loin d'en tirer aucun profit, ne fait que s'exposer à de nombreux reproches, si ses rêves de vaine gloire l'accompagnent jusque dans la mort; tandis que celui dont la vertu fait l'ornement trouvera, même après la mort, de nombreux admirateurs. Les cours des empereurs, aux yeux de tous, ne sont-elles pas inférieures en éclat et en grandeur au simple tombeau d'un saint qui a vécu dans la vertu et la piété ? Vous êtes vous-mêmes les témoins de cette vérité, vous qui fuyez comme d'affreuses cavernes les sépulcres des hommes puissants malgré les riches étoffes d'or qui les recouvrent, et qui accourez avec tant de zèle près d'une sainte, parce qu'elle est montée vers Dieu avec l'auréole du martyre portant, au lieu d'une robe éclatante d'or, la triple parure de la souffrance, de la confession et de la virginité. Imitons-la donc autant qu'il est en nous. Elle a méprisé la vie; nous, méprisons les délices; n'ayons pour le somptueux appareil des richesses qu'un sourire de pitié; évitons la bonne chère, fuyons l'intempérance.

Ainsi nous aurons recueilli de cette fête les généreux sentiments qu'elle inspire, et par ces vrais honneurs que nous aurons rendus à notre martyre, nous provoquerons sa bienveillante tendresse. Puissiez-vous, par ses prières et celles de tous les martyrs qui ont combattu comme elle, continuer de plaire en toutes choses à Dieu, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles ! Amen.