LE MARTYRE DE SAINT DIDIER, ÉVEQUE

(Vers l'an de Jésus Christ 260.)

fêté le 15 octobre

 

En ce temps-là, les Allemands, nation barbare et féroce, se jetèrent sur les Gaules pour en faire la conquête; et après qu'ils eurent vaincu et réduit les habitants, ils ravagèrent et dévastèrent leurs villes, et y exercèrent de cruelles représailles : rien ne put résister à leur implacable fureur ni échapper à leur brutale convoitise. Dieu permit que cette horde détestable, conduite par son roi Chrocus, rencontrât sur sa route la ville de Langres. Cette ville avait alors pour pontife le bienheureux Didier, qui excellait en toutes sortes de vertus. Elle semblait inexpugnable, protégée qu'elle était, d'un côté par une montagne qui lui servait de défense naturelle, et de l'autre par d'énormes pierres carrées qui faisaient de ses murs autant de formidables remparts. Néanmoins, comme pour éprouver la foi de l'évêque et de ceux qui, persévérant dans la sainte confession du Christ, devaient avec lui endurer un glorieux martyre, cette multitude de barbares se répand tout autour de la cité, et l'environne de toutes parts de lignes de circonvallation, pour en faire le siège et ensuite la dévaster. Les Allemands donc, poussés par une rage furieuse, lancent contre ses murs des javelots, des pierres, des flèches, et s'efforcent de les renverser avec des machines de guerre. De son côté, le bienheureux pontife Didier, accompagné de ses prêtres et des autres habitants s'écriait du haut des remparts : "Nous sommes serviteurs du Christ, nous adorons le Christ, notre Seigneur le Dieu vivant et véritable, qui a créé l'univers entier. Gardez-vous de commettre sur nous des actes de cruauté, qui provoqueraient contre vous la Vengeance du Dieu tout-puissant." Mais comme, dans les Desseins de Dieu, le jour du martyre de ces saints était arrivé, la crainte, la terreur avaient saisi tous les habitants de la ville, et personne ne se sentait le courage d'en prendre la défense; mais tous cherchant un refuge hors des murs, fuyaient sans savoir où ils allaient.

Les barbares, redoublant d'efforts, parvinrent à briser les portes, et entrèrent dans la ville. D'autres, du côté opposé, montèrent sur les murs au moyen d'échelles, et mirent le feu aux tours qui les surmontaient. À peine entrés dans la ville, ils perçaient de leurs dards tous ceux qu'ils rencontraient; d'autres, armés de leurs glaives, massacraient ceux que les javelots avaient épargnés, et en firent un affreux carnage : leur cruauté insatiable ne respecta ni âge ni sexe; les enfants à la mamelle étaient mis en pièces, sur les cadavres palpitants de leurs mères; dans toute la ville on n'entendait que les gémissements et les cris des mourants.

Les impies découvrent enfin le bienheureux évêque Didier, occupé alors à la prière, et aussitôt il l'amènent avec d'autres chrétiens en présence de leur roi. Le saint pontife, que la sollicitude pastorale pénétrait de douleur à la vue de la perte de ses brebis, ne demanda rien au prince pour lui-même, mais il lui adressa d'instantes prières pour la conservation de ses concitoyens, et lui dit : "Excellent prince, si tu es clément, épargne, je t'en prie, ces malheureux habitants; oui, je t'en conjure humblement, arrête la main des tiens, ordonne qu'ils cessent enfin un carnage si inhumain." Le chef barbare, naturellement féroce, et que sa victoire enflait d'orgueil, lui répondit d'un air méprisant en son langage barbare, que le bienheureux pontife ne pouvait aucunement comprendre; lui-même n'avait pu entendre la prière que lui avait adressée le pontife de Dieu. Ce saint pasteur, faisant généreusement le sacrifice de sa vie, s'offrit à la mort pour les brebis de son troupeau, afin de diminuer du moins le nombre de ses concitoyens qu'on livrait à la mort. Mais le roi impie, loin d'être ému d'un tel dévouement, n'en fut que plus irrité, et donna l'ordre de trancher la tête au bienheureux évêque. La même sentence enveloppa un grand nombre de chrétiens, qui furent immolés à la même heure. En effet, tous les fidèles de cette ville persévérèrent dans la confession du Nom du Christ, et subirent la mort, le même jour, par divers supplices. Les habitants furent interrogés sur la religion qu'ils professaient, et quiconque osait confesser qu'il croyait au Christ, était aussitôt mis à mort, sans qu'aucun pût s'échapper.

Ô cité de Langres, pourquoi, te voyant si subitement réduite à la solitude et à la désolation, t'affliges-tu de la perte de tes citoyens ? Tu dois bien plutôt ressentir une sainte allégresse d'avoir acquis en un même jour tant de martyrs devenus tes protecteurs. Ne compte pour rien un dommage temporel, et ne t'afflige pas de cette épreuve, puisque par là tu possèdes et posséderas toujours un gain qui te procurera une joie éternelle. Si tu as été contristée par les incendies, par le glaive, par la dévastation; si tu as été réduite en cendres et humiliée pour servir d'exemple, maintenant tu es comblée de gloire, tu es illustrée par le courage de tes martyrs; leurs suffrages te servent d'un rempart invincible. Tu es et tu demeureras à jamais élevée en honneur au-dessus des autres cités.

La divine Bonté ne tarda pas à manifester, dans la punition des persécuteurs, les prémices du pouvoir de l'illustre martyr Didier, et en même temps le mérite de sa charité parfaite qu'il prouva par l'effusion de son sang. Celui qui l'avait décapité étant tombé en démence, saisi de fureur, courait sur les murs, poussant des cris horribles; enfin, il donna plusieurs fois de la tête contre la porte de la ville, jusqu'à ce que, sa cervelle sortant de toute part, il tombât sans vie aux pieds de ses compagnons qui le considéraient avec effroi. Cette nouvelle, qui se répandit promptement, remplit de stupeur et d'épouvante les barbares, et fut cause qu'ils cessèrent enfin de répandre le sang. Peu de temps après, Dieu, ce juste Juge, pour venger son saint martyr Didier et les autres martyrs de la même cité, livra le roi Chrocus à ses ennemis dans la ville d'Arles. L'ayant saisi et enchaîné, ils lui firent endurer longuement divers supplices, et par de continuels raffinements de cruauté, ils lui procurèrent une mort affreuse, selon son mérite.

Le bienheureux pontife Didier, par sa vie sainte et son application aux bonnes oeuvres, mérita la couronne immortelle; car il avait été éprouvé et trouvé juste. Depuis son enfance, on admira en lui sa chasteté, sa sobriété, ses largesses et sa compassion envers les pauvres, sa probité, sa patience imperturbable; enfin, il a été trouvé si agréable à Dieu en toutes choses, qu'il est parvenu au royaume céleste où il jouit du suprême bonheur que lui ont acquis ses mérites, et il y est entouré d'un grand nombre de martyrs. Le saint pontife a été gratifié dans sa propre ville du don du martyre; et c'est dans cette même ville qu'il a été glorieusement inhumé avec les autres martyrs, pour la consolation de ceux qui l'invoquent. Dans les âges précédents, les prodiges qui s'opéraient à son tombeau indiquaient suffisamment combien il était honoré et chéri de ses concitoyens : cet amour était tel qu'après sa mort, le peuple s'empressa de procurer une sépulture honorable à ce pontife, que durant sa vie il avait tant aimé à cause de sa douceur et de son éminente chasteté. Si quelque malade se présente à son tombeau, Dieu ayant égard à sa foi, il s'en retourne guéri; si quelqu'un s'y présente abattu par le chagrin, grâce à l'intercession du saint martyr, il se relève soudain gai et réjoui; si un aveugle, un boiteux, un sourd, un muet, affligé par l'ennemi du salut, vient en ce lieu, il y reçoit sans retard le remède et le secours qu'il implore.