LES ACTES DE SAINT DENYS, ÉVEQUE DE PARIS

(Sous Trajan)

(attribuée à saint Venance Fortunat)

fêté 3 octobre

Saint Denys, entre les mains duquel saint Clément, successeur du bienheureux apôtre Pierre, avait mis le trésor de la parole de Dieu pour le dispenser aux nations, vola avec l'intrépidité de sa foi ardente aux lieux où il apprit que l'erreur du paganisme était encore le plus enracinée. La Main de Dieu l'ayant conduit à Paris, il ne craignit point d'affronter un peuple infidèle, parce que le souvenir de ses précédents combats soutenait son courage : confesseur généreux naguère, il se fit voir ici zélé prédicateur de la foi. Or, Paris était alors le rendez-vous des nobles Gaulois, à cause de la salubrité de l'air, des agréments du fleuve et de la richesse du sol, fertile surtout en vignes et fort ombragé de forêts. Quoique déjà populeuse et commerçante, cette ville ressemblait plutôt à une île qu'à une grande cité, parce que les eaux du fleuve serrant de près les demeures des citoyens, la population chaque jour croissante, attirée par la beauté du site, était obligée de s'entasser dans une étroite enceinte.

Tel fut l'endroit que choisit le serviteur de Dieu pour champ de ses travaux. Il s'y fixa avec courage, revêtu de l'armure de la foi et de la constance dans la prédication. Il y bâtit une église, chose nouvelle pour ces peuples qui n'en avaient pas eu jusqu'alors, et il s'établit des clercs pour la desservir, choisissant des personnes d'une vertu éprouvée pour leur conférer les honneurs du second ordre. Couvert du bouclier de la foi, il prit occasion de la construction de ce temple pour annoncer sans cesse aux gentils le vrai Dieu, exaltant par-dessus tout sa Justice et sa Miséricorde, de sorte qu'il augmentait sans cesse le peuple de Dieu des âmes arrachées aux mains des démons. Or, notre Seigneur daigna faire par son entremise de si grandes merveilles, qu'il soumettait les coeurs des gentils autant par ses miracles que par ses prédications. Chose admirable ! Une foule guerrière ne pouvait résister à un homme seul et sans armes ; bien plus, les Gaulois, naturellement si obstinés, se soumettaient à l'envi, et, touchés d'une vive componction, ils demandaient à porter le joug aimable de Jésus Christ.

On vit donc les idoles détruites par ceux-là mêmes qui les avaient érigées à leurs frais. Entrés au port du salut, i]s voyaient avec joie le naufrage des faux dieux, et le parti du diable, vaincu par la triomphante légion de l'Église, pleurait sa honteuse défaite. Alors, l'ennemi du genre humain, voyant chaque jour diminuer d'autant son empire par de continuelles conversions, tourna tous ses efforts vers la destruction de ce grand ouvrage. Susciter une nouvelle persécution, faire périr au plus tôt ceux qui avaient répandu la connaissance du vrai Dieu, afin d'arrêter ainsi leurs conquêtes, tel fut le projet qu'il fit concevoir aux idolâtres, pour qui la ruine de l'ancien culte était le sujet de pénibles regrets.

Enfin, l'édit de persécution ayant été publié, la foule des impies s'en réjouit : ils conspirent la ruine de l'Église, et, sans plus tarder, attaquent ceux que Dieu, marquant du signe sacré, S'était choisis pour son peuple. Tandis que les ministres de l'enfer parcouraient tout l'Orient pour y rechercher les chrétiens, ils trouvèrent à Paris saint Denys occupé à combattre le paganisme. Ils le saisirent, et avec lui le prêtre Rustique et l'archidiacre Éleuthère, qui se tinrent tellement unis à leur pasteur qu'on ne put les en séparer ni pour l'interrogatoire ni pour le supplice même.

On les interroge ; ils confessent le vrai Dieu unique en trois personnes. On essaie de les effrayer par des menaces et des supplices ; au milieu des tortures, ils s'avouent chrétiens ; sous les coups des bourreaux, ils se disent hautement serviteurs du Seigneur notre Dieu. Persévérant avec courage dans cette lutte, ils laissent leurs corps à la terre, tandis que leurs âmes s'envolent au ciel. Cependant, jusqu'au dernier soupir, ils persévèrent dans leur généreuse confession, de sorte qu'après qu'on leur eut tranché la tête, il semblait que leur langue palpitante redit encore le Nom du Seigneur Jésus Christ. Heureuse et agréable à Dieu cette union où nul n'était le premier, nul le dernier, mais rendant pareillement gloire à la Trinité sainte, ils honorèrent ces lieux par un triple martyre.

Craignant ensuite que la juste dévotion du peuple fidèle ne recueillit et n'ensevelit les saints corps, les impies choisirent dans la Seine un lieu rempli de gouffres profonds pour les y précipiter, et pour cela les firent placer d'avance sur des bateaux. Mais une noble dame qui, quoique encore païenne, avait déjà dans le coeur le dessein de se convertir, voulant faire une oeuvre agréable à Dieu, employa habilement la ruse. Elle invite les persécuteurs à un grand repas où, tant par l'urbanité que par la splendeur de sa réception, elle parvient à leur faire oublier leur projet. Alors, elle commande secrètement à des serviteurs fidèles de soustraire les corps des saints martyrs et de s'ingénier à les cacher en lieu sûr.

Ceux-ci se hâtent d'exécuter les ordres de leur maîtresse. Ayant réussi, ils cachent ce pieux dépôt dans une terre labourée et prête à ensemencer. Ils firent ensuite les semailles, et la moisson rendit hommage à la présence des saintes reliques ; car, par une fécondité bienfaisante, elle rendit le centuple au cultivateur, et de plus à la ville un inestimable trésor. Or, tant que la moisson fut sur pied, elle cacha ces précieux ossements par lesquels la cité devait recevoir tant de grâces insignes.

Cependant, cette noble dame conserva fidèlement son secret jusqu'à ce que s'apaisât la fureur de la persécution. Alors, elle fit rechercher avec tout le soin convenable la sépulture des saints martyrs ; elle en marqua le lieu par la construction d'un riche mausolée. Plus tard, les chrétiens bâtirent au même endroit une somptueuse et admirable basilique. Là, chaque jour, par un effet de la Puissance de Dieu, de fréquents miracles prouvent la sainteté de ces vaillants athlètes. Et qui donc, en voyant la lumière rendue aux aveugles, le mouvement aux paralytiques, l'ouïe aux sourds, qui donc ne comprendrait combien il faut honorer les serviteurs de Dieu ?

Mais il ne faut pas passer ici sous silence que des hommes possédés de l'esprit immonde, poussés par une Force divine à venir en ce lieu, furent contraints par l'ordre même des saints martyrs de désigner la place où reposait chacun d'eux. Nous célébrons leur fête le sept des ides d'octobre, sous les auspices de Celui qui a promis de récompenser au centuple les travaux des martyrs. A Lui gloire et honneur, puissance et domination, dans tous les siècles des siècles. Amen.