LES ACTES DE CARPOS, PAPYLOS ET AGATHONICÉ

(sous Marc-Aurèle; Eusèbe, Hist. eccl. I.IV)

 

fêtés le 13 octobre

Pendant le séjour du proconsul d'Asie à Pergame, on lui amena Carpos et Papylos.

Le proconsul s'assit et commença l'interrogatoire : "Ton nom ?

- Mon nom est Chrétien, c'est le plus beau; mais dans le monde c'est Carpos.

- Tu connais les ordres des empereurs en vertu desquels vous devez sacrifier aux dieux tout-puissants. Approche donc et sacrifie.

- Je suis chrétien. J'adore le Christ Fils de Dieu, qui, de notre temps, est venu sur la terre et nous a délivrés des pièges du diable. Je ne sacrifie pas. Agis comme bon te semblera. Je ne puis sacrifier aux simulacres abjects des démons dont les adorateurs se font les semblables. De même que ceux qui adorent Dieu en esprit et en vérité se rendent semblables au Dieu de gloire, partagent son immortalité et participent par le Verbe à la vie éternelle, ainsi ceux qui adorent ces simulacres se rendent aussi vains que les démons et dignes de leur compagnie dans l'enfer. Un juste jugement les y retient.

Tu sais maintenant pourquoi je ne sacrifie pas.

- Assez de sottises, sacrifiez.

- Aux dieux qui n'ont fait ni le ciel ni la terre ? dit Carpos en riant.

- Sacrifiez, l'empereur le veut.

- Les vivants ne sacrifient pas aux morts.

- Alors, tu crois que ces dieux sont morts ?

- Veux-tu m'écouter ? Ces dieux n'ont-ils pas en leur temps été des hommes mortels ? Cesse de les adorer, et tu verras qu'ils ne sont rien, qu'ils sont faits de matériaux périssables et que le temps détruira.

Notre Dieu à nous, qui échappe à la limite du temps et qui a fait le temps, échappe à la corruption; Il est éternel et immuable, on ne peut Lui ajouter ni Lui retrancher quoi que ce soit. Ces dieux, au contraire, sont de fabrication humaine et le temps en vient à bout. Quant au témoignage des oracles, qu'il ne compte pas pour toi. Dès le commencement le diable, déchu du sommet de sa gloire, inspiré par sa perversité, porte envie à l'amour de Dieu pour l'homme. Foulé aux pieds par les saints, il combat contre eux, leur fait la guerre, les tient en haleine et l'annonce à ses compagnons.

De même, étant plus ancien que nous, il prévoit ce qui nous arrive quotidiennement, et il lui est facile de prédire le mal qu'il compte nous faire. Dieu lui-même nous apprend qu'il fait le mal - et dans la mesure où Dieu le lui permet - il nous tente, s'efforçant de nous détourner de la piété. Sois bien assuré que tu croupis dans une profonde erreur.

- Comme je savais que tu allais accumuler les sottises, je t'ai poussé a des injures envers les dieux et envers les princes. Afin que cela ne recommence plus, sacrifie, ou qu'as-tu à dire ?

- Impossible, je ne l'ai jamais fait."

Sur-le-champ on ]e suspendit et on commença de l'écorcher avec des ongles de fer. "Je suis chrétien" criait Carpos, jusqu'au moment où, s'évanouissant dans l'excès de la souffrance, il perdit la voix.

Le proconsul le laissa et se tourna vers Papylos.

- Tu es sénateur ?

- Je suis citoyen.

- D'où ?

- De Thyatire.

- As-tu des enfants ?

- Beaucoup, grâce à Dieu."

Une voix dans la foule : "Ce sont les chrétiens qu'il nomme ses enfants."

Le proconsul : "Pourquoi mentir et me dire que tu as des enfants ?

- Apprends que je ne mens pas, je dis la vérité. Dans chaque province, dans chaque ville, j'ai des enfants en Dieu .

- Sacrifie ou qu'as-tu à dire ?

- Je sers Dieu depuis ma première enfance, je n'ai jamais sacrifié aux idoles. Je suis chrétien, je n'en dirai pas plus. D'ailleurs je n'ai rien de meilleur ni de plus agréable à dire."

Suspendu à son tour, il lassa trois bourreaux armés d'ongles de fer. Loin de perdre connaissance, il semblait redoubler de vigueur. A cette vue, le proconsul ordonna de les brûler vifs. Aussitôt on se mit en route pour l'amphithéâtre.

Papylos fut d'abord attaché au poteau, puis on le dressa debout, mais à peine le feu avait-il été allumé, que le martyr rendit l'âme dans une douce prière.

Tandis qu'on liait Carpos au poteau, il se mit à rire. Bourreaux et spectateurs demeurèrent stupéfaits. "Pourquoi ris-tu ? dirent-ils.

- J'ai vu la Gloire du Seigneur et je me suis réjoui, me voilà maintenant délivré de vous et de vos crimes."

Au soldat qui rangeait le bois du bûcher, Carpos, déjà dressé en l'air, dit ces mots : "Nous sommes nés d'une même mère, Eve, nous avons une chair semblable, mais quand nous fixerons les yeux sur le tribunal suprême, nous supporterons tout."

On alluma le feu, Carpos se mit à prier : "Sois béni, Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, qui as daigné me faire, moi pécheur, compagnon de ton héritage." Puis il mourut.

Parmi les spectateurs, une femme nommée Agathonicé avait vu la Gloire du Seigneur dont parlait Carpos (quelques instants auparavant); comprenant l'appel divin, elle dit à haute voix : "Moi aussi j'ai aperçu le glorieux festin, il faut que je m'y assoie et que j'y prenne part."

On lui cria de tous côtés : "Aie pitié de ton enfant.

- Dieu, qui veille sur tous, la gardera. Je le confie à Celui pour qui je suis ici."

Elle enleva son vêtement et toute joyeuse, monta dans le bûcher.

On s'apitoyait autour d'elle : C'est une cruauté, c'est une injustice.

Mais elle, dès qu'elle sentit la flamme courir sur son corps, cria à trois reprises :

"Seigneur, Seigneur, Seigneur, aide-moi, je me suis réfugiée près de Toi."

Puis elle rendit l'esprit. Son corps acheva de brûler avec les deux autres.

Les fidèles dérobèrent les reliques et les mirent en lieu sûr pour la Gloire du Christ et l'honneur de ses saints.

Au Père, au Fils, au saint Esprit gloire et puissance dans tous les siècles des siècles. Amen.