(L'an de Jésus Christ 222)
fêté le 14 octobre
Sous les règnes de Macrinus et d'Alexandre, la partie méridionale du Capitole fut incendiée, et, dans le temple de Jupiter, la main gauche de la statue d'or tomba et se liquéfia. À cette nouvelle, les aruspices et les prêtres vinrent trouver Alexandre, et le prièrent d'apaiser les dieux par des sacrifices : l'empereur ordonna qu'on fit droit à leur requête. Tandis qu'on offrait les sacrifices, le jour suivant qui était consacré à Jupiter, le ciel étant subitement devenu clair et serein, quatre prêtres des idoles moururent frappés de la foudre, et l'autel de Jupiter fut brûlé : le jour devint même si obscur, que tout le peuple romain s'enfuit hors des murs. Une partie des fuyards se rendit au delà du Tibre, auprès d'un temple, dans le quartier appelé des Ravennais ; et en passant, ils entendirent les voix d'une multitude de chrétiens qui se livraient à la psalmodie dans un cénacle : parmi eux se trouvait l'évêque Calixte avec son clergé. L'un des consuls, nommé Palmatius, apprenant cette nouvelle, alla dire à l'empereur Alexandre qu'une multitude de chrétiens se trouvait réunie en un certain lieu, et il ajouta : "Grand prince, ce prodige s'est opéré, parce que la ville est souillée. Si on la purifiait, nous nous réjouirions de la gloire de votre empire, et la république resplendirait encore davantage." Alexandre lui dit : "Qu'on la purifie. Cependant dis-moi ce que c'est que cette purification." Palmatius répondit : "Je veux dire qu'on n'y voie plus de profanes." Alexandre : "Et qui sont ces profanes ?" Palmatius : "Ce sont les chrétiens." Alexandre : "J'ai déjà ordonné que partout où on les trouverait, il fallait les punir, ou les contraindre d'offrir des libations aux dieux immortels." Palmatius : "J'en jure par Votre Majesté, comme j'étais tout triste du malheur qui est arrivé, j'ai appris que dans la région au delà du Tibre, un grand nombre de chrétiens, réunis en un certain lieu, faisaient retentir ]'air de leurs cantiques et de leurs enchantements : d'où j'ai conclu qu'il n'est pas surprenant qu'une telle cause ait produit un pareil effet." Alexandre : "Eh bien ! je te donne l'autorité nécessaire pour traîner aux autels tous ceux que tu découvriras, afin que les dieux soient apaisés : s'ils refusent de sacrifier, inflige-leur les supplices les plus recherchés."
Palmatius, ainsi muni de pleins pouvoirs, prit avec lui bon nombre de soldats, et se rendit au delà du Tibre, au lieu où la foule des chrétiens était assemblée avec le bienheureux Calixte ; et parmi eux se trouvait Calépodius, prêtre avancé en âge. Lorsque les soldats furent arrivés au lieu de la réunion, dix d'entre eux y pénétrèrent ; mais après qu'ils furent entrés, tous les dix furent soudain frappés de cécité. Le vénérable prêtre Calépodius leur dit : "Les enfants, qui cherchez-vous ?" Les soldats se mirent à crier : "Allumez-nous des lampes ; car ce lieu est bien obscur pour nous." Le prêtre Calépodius leur répondit : "Dieu qui voit tout, c'est Lui qui a obscurci vos yeux." Les soldats descendirent alors en tâtonnant. Palmatius, voyant cela, fut saisi de terreur, et courut faire part à l'empereur de ce qui se passait. Le jour même, Alexandre fit amener en sa présence les soldats qui étaient devenus aveugles ; et lorsqu'il les eut aperçus, il s'écria : "Ô excellents citoyens, voyez l'art magique." Palmatius répondit : "S'il faut attribuer cela à l'art magique, où est la puissance de nos dieux ? Qu'il plaise donc à votre piété d'ordonner qu'on amène et qu'on immole des victimes à ces dieux, de peur que la république ne périsse par les enchantements de ces gens-là." Et Alexandre donna l'ordre qu'on sacrifiât à Mercure, afin d'en recevoir une réponse. On rédigea donc pour tout le peuple une ordonnance qui portait que tous eussent à se rendre au Capitole, de tous les quartiers de la ville de Rome, et que ceux qu'on trouverait en leurs demeures le jour dédié à Mercure, seraient mis à mort. Un héraut fut aussitôt envoyé pour annoncer que le peuple devait, toute affaire cessante, s'assembler au Capitole avec le prince, le jour de Mercure ; et que tous ceux qui ne s'y trouveraient pas seraient punis de la peine capitale.
Le jour indiqué étant arrivé, tout le peuple accourut au Capitole : Palmatius s'y rendit aussi avec toute sa maison, et y fit conduire des porcs et des taureaux. Et il arriva que, tandis qu'on répandait le sang des animaux égorgés, et que les prêtres chantaient leurs hymnes, une vierge du temple nommée Julienne, saisie par un démon, s'écria tout à coup : "Le Dieu de Calixte est le Dieu vivant et véritable. C'est lui qui est irrité des souillures de votre ville : aussi il brisera votre empire voué à la mort, parce que vous n'adorez pas le vrai Dieu." Palmatius, entendant cela, courut seul vers le bienheureux Calixte dans le quartier des Ravennais, situé au delà du Tibre. Il entra avec précipitation dans la maison où se tenait l'assemblée des chrétiens ; et tombant aux pieds du bienheureux Calixte , il lui dit : "Je reconnais que Jésus Christ est vrai Dieu, ainsi que les démons l'ont confessé aujourd'hui. Je t'adjure par son nom de me délivrer du culte des démons et des idoles de pierre : donne-moi le baptême que tu prêches." L'évêque Calixte lui répondit : "Ce n'est pas ainsi que l'erreur doit se railler de la vérité." Palmatius, les larmes aux yeux, lui dit : "Ô père, je ne plaisante point ; car j'ai appris, par la cécité des soldats et la réponse d'une vierge, que le Christ est ton Seigneur et le mien." Le vénérable Calépodius dit au bienheureux Pape : "Père, ne refusez pas le baptême à qui le demande."
Le saint évêque Calixte catéchisa Palmatius, et lui prescrivit un jour de jeûne ; et s'étant fait apporter de l'eau d'un puits qui était dans la même maison, il la bénit. Il fit ensuite descendre Palmatius dans un grand bassin, et lui dit : "Crois-tu de tout ton coeur en Dieu le Père tout-puissant, créateur des choses visibles et invisibles ?" Palmatius : "Je crois." Calixte : "Et en Jésus Christ son Fils ?" Palmatius : "Je crois." Calixte : "Et au saint Esprit, l'Église catholique, la rémission des péchés, la résurrection de la chair ?" Et Palmatius s'écria à haute voix, en répandant des larmes : "Je crois, mon seigneur." Puis il ajouta aussitôt à haute voix : "J'ai véritablement vu le Seigneur Jésus Christ, la vraie lumière, qui m'a illuminé." Le bienheureux Calixte le baptisa ensuite, lui et toute sa maison, sa femme, ses enfants, et quarante-deux autres personnes de différent sexe. Depuis ce jour, Palmatius commença à distribuer tous ses biens aux chrétiens pauvres, parcourant les diverses régions et les cryptes, pour découvrir ceux qui étaient détenus en prison ou qui se tenaient cachés, afin de leur procurer le vivre et le vêtement.
Trente jours après, Alexandre demanda Palmatius, et on lui répondit qu'il s'était fait chrétien, et qu'il exhortait les autres à le devenir. L'empereur ordonna qu'on le lui présentât. Or, un certain Torquatus, tribun, avait fait arrêter Palmatius, et l'avait enfermé dans la prison Mamertine : il déclara à l'empereur que Palmatius était détenu dans un cachot. Alexandre, au comble de la joie, se le fit amener. Palmatius comparut donc devant l'empereur chargé de chaînes. Dès qu'Alexandre l'eut aperçu, il lui fit ôter ses liens et lui dit : "Tu es donc tellement hors de sens, Palmatius, que tu abandonnes les dieux, pour chercher et honorer un homme mort ?" Comme il ne répondait rien, l'empereur lui dit : "Parle avec assurance, ne crains rien." Alors Palmatius répondit : "Puisque tu me le permets, je vais dire la vérité." Alexandre : "Oui, mais sans injurier les dieux." Palmatius : "Excellent prince, si tu veux bien le remarquer, ce ne sont pas des dieux, mais un produit de l'industrie d'hommes mortels. Que ta mansuétude décide présentement s'ils doivent être honorés, et juge ce qu'on doit penser de dieux confectionnés ou fabriqués par des mortels. Mais, dans ma petitesse, j'oserai adresser à ta majesté une prière. Dis à ton dieu de parler, et de me répondre lorsque je l'interrogerai : s'il le fait, je n'abandonnerai point ceux que tu appelles tes dieux." Alexandre : "Comment abandonnes-tu actuellement ceux que tu as adorés depuis ton berceau ?" Palmatius : "J'ai agi comme un malheureux. Maintenant, je connais la vérité, c'est pourquoi je prie le Seigneur Jésus Christ de me pardonner, parce que j'ai péché par ignorance." Alexandre sourit à ces paroles, puis il confia Palmatius à un sénateur nommé Simplicius, en lui disant : "Garde-le près de toi, et sois sans crainte : tâche, par des paroles de bonté, de le ramener au culte des dieux ; car un homme comme lui est nécessaire à la république." Le sénateur Simplicius prenant Palmatius, fit apporter des habits dignes de sa noble condition, et après l'en avoir revêtu, il le conduisit en son logis. Il ordonna ensuite à sa femme et aux intendants de sa maison d'y laisser Palmatius en toute liberté. Celui-ci en profitait pour se livrer aux jeûnes, aux veilles et à la prière, et il ne cessait de supplier avec larmes Dieu le Père tout-puissant et Jésus Christ son Fils de lui pardonner son erreur.
Un jour, il reçut la visite d'un nommé Félix, dont la femme était retenue au lit par une paralysie, depuis quatre ans. En entrant, cet homme se jeta aux pieds de Palmatius, et lui dit : "Confesseur de notre Seigneur Jésus Christ, prie pour ta servante, mon épouse Blanda, afin qu'elle soit délivrée de son lit de douleur, et je recevrai le baptême avec elle ; car il y a longtemps que la maladie la tourmente, et nos ressources sont épuisées." Palmatius, en présence de la femme de Simplicius, qui était survenue, se prosterna par terre, et fit avec Félix cette prière, en répandant des larmes : "Seigneur Dieu, qui avez éclairé votre serviteur, donnez-moi la lumière éternelle ; Jésus Christ, sauvez votre servante Blanda, et levez-la de son lit de douleur, afin que tous reconnaissent que vous êtes le créateur de toutes choses." Au même moment survint Blanda, qui était accourue à pied à la maison du sénateur Simplicius; elle dit à Palmatius : "Baptise-moi au nom du Seigneur Jésus Christ, qui m'a pris par la main et m'a guérie." Félix le pressa alors de la baptiser. Aussitôt Palmatius envoya prévenir le saint évêque Calixte, lequel vint incontinent et baptisa Félix avec son épouse Blanda. Simplicius, qui était présent, se jeta aux pieds de Calixte et le pria de le baptiser aussi avec toute sa maison. Alors le bienheureux Calixte s'écria plein de confiance : "Que le Seigneur amasse le froment dans son grenier." Et il catéchisa toute la maison de Simplicius, sa femme, ses enfants et ses esclaves, en tout environ soixante-huit personnes des deux sexes. Ce que voyant le bienheureux prêtre Calépodius, il s'écria, ravi de joie, dans la maison de Simplicius : "Gloire à Toi, Seigneur Jésus Christ, qui daigne tirer de l'erreur tes créatures, et les conduire des ténèbres à la lumière."
Alexandre, apprenant qu'une multitude de personnes avaient reçu le baptême par les mains du bienheureux évêque Calixte, envoya une troupe de soldats qui saisirent tous ceux qui avaient été baptisés ; et il donna l'ordre qu'on leur fît subir la peine capitale, et qu'on suspendît leurs têtes aux diverses portes de la ville de Rome, pour servir d'exemple aux chrétiens. Il fit prendre aussi le bienheureux Calépodius ; et après qu'on l'eut décapité, le jour des calendes de mai, il ordonna que son corps fût traîné par la ville, puis jeté dans le Tibre, en face de l'ile Lycaonia. En ce même temps, ]e bienheureux Calixte prit la fuite avec dix de ses clercs, et alla se cacher, la nuit, dans la maison d'un certain Pontianus. Il pria des pêcheurs de chercher le corps du bienheureux prêtre Calépodius ; et après qu'ils l'eurent trouvé, ils le tirèrent du fleuve, et allèrent en porter la nouvelle au bienheureux évêque Calixte qui en fut rempli de joie. Il embauma le saint corps avec des aromates, l'enveloppa de linceuls, et, au chant des hymnes, il l'inhuma, le six des ides de mai, dans le cimetière qui porte le nom de ce saint martyr.
Depuis ce même jour, Alexandre fit rechercher avec soin le bienheureux évêque Calixte. Le bruit s'étant répandu qu'il se tenait caché dans la maison de Pontianus, dans le quartier des Ravennais, l'empereur envoya secrètement des agents au delà du Tibre ; et après qu'on l'eut arrêté, il ordonna qu'on lui fît endurer le tourment de la faim en ce même lieu. Le saint martyr passa ainsi quatre jours sans prendre aucune nourriture ; mais ses forces augmentaient par les jeûnes et les prières. Alexandre, apprenant cela, donna l'ordre de le frapper tous les jours à coups de bâton, de le garder en prison au même lieu, et de tuer sur-le-champ quiconque viendrait, la nuit, visiter ]e prisonnier. Après que le saint pape eut passé plusieurs jours dans les tourments de la prison, le bienheureux Calépodius se présenta à lui dans une vision nocturne, et le consola en lui disant : "Sois ferme, ô vénérable père ; ta couronne est déjà préparée, et tu recevras de Dieu une récompense digne de tes travaux." Or le bienheureux Calixte, vaquant sans relâche à la prière, ne cessait de s'adresser au Seigneur.
Il y avait en ce même lieu un soldat nommé Privatus, qui était couvert d'ulcères, et jour et nuit en proie à de cruelles douleurs. Il se jeta aux pieds du bienheureux évêque Calixte et lui dit : "Guéris mes ulcères ; car je crois que le Seigneur Jésus Christ est le Dieu vivant et véritable ; Il peut me guérir comme il a guéri Blanda : il y a si longtemps que je suis accablé de ces cuisantes douleurs !" Le bienheureux évêque Calixte lui répondit : "Mon fils, si tu crois de tout ton coeur, et si tu es baptisé au nom de la sainte Trinité, tu seras guéri." Le soldat Privatus repartit : "Je crois que le Seigneur peut, par ta main me délivrer et me guérir dans le baptême." Alors le bienheureux Calixte le baptisa, et aussitôt il fut délivré des ulcères et de la maladie dont il souffrait : puis il se mit à crier : "Le Dieu véritable, le Dieu saint, c'est le Seigneur Jésus Christ, que prêche le bienheureux évêque Calixte : les idoles vaines et muettes seront anéanties ; le Christ est le Dieu éternel." Cette nouvelle étant parvenue aux oreilles d'Alexandre, il fut outré de colère de ce que Calixte avait baptisé le soldat Privatus, et il le fit battre avec des fouets plombés jusqu'à ce que la mort s'ensuivît : pour l'évêque Calixte, il ordonna qu'on le précipitât par la fenêtre de la maison, qu'on le jetât dans un puits avec une grosse pierre au cou, et que l'on comblât ce puits de décombres.
Dix-sept jours après, le prêtre Astérius vint, la nuit, en ce lieu avec des clercs, et il leva le corps du bienheureux évêque Calixte qu'il ensevelit avec honneur dans le cimetière de Calépodius, sur la voie Aurélia, la veille des ides d'octobre.
Six jours s'étant écoulés, Alexandre fit prendre le prêtre Astérius et donna l'ordre de le précipiter du haut du pont. Son saint corps fut trouvé à Ostie, et enseveli par quelques chrétiens dans la même ville, le douze des calendes de novembre, sous le Règne de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne en Dieu, dans tous les siècles des siècles. Amen.