LES ACTES DE SAINT TRYPHON ET SAINT RESPICE

 

(Vers l'an de Jésus Christ 250)

 

fêtés le 10 novembre

 

 

Après la mort du césar Gordien et de Philippe, son successeur, sous le règne de Décius, on porta au préfet d'Orient Aquilinus la dénonciation que tous les sectateurs de la science divine avaient pour Tryphon et pour Respice la plus grande vénération. Le fait était public; car tous avaient vu, depuis plusieurs années, ces deux hommes, enrichis des dons de la grâce, multiplier chaque jour les mérites de leurs vertus et de leurs bonnes oeuvres. Des officiers furent donc envoyés à leur recherche, sous la conduite de Fronton, irénarque dans la ville d'Aprinia. Ils arrêtèrent les deux saints, et, selon l'ordre qu'ils avaient reçu, ils les livrèrent à des soldats. Ceux-ci les ayant chargés de chaînes, les conduisirent à Nicée, où le prélat Aquilinus, alors occupé par le soin des affaires publiques, les fit jeter en prison. Mais déjà le bruit s'était répandu partout que les deux captifs étaient des saints, dignes du Dieu des chrétiens et parfaits en toute sorte de vertus.

Peu de jours après, Aquilinus les fit comparaître. En entrant dans le prétoire, ils se sentirent tout à coup embrasés des flammes de l'Esprit saint, et se mirent à annoncer en toute liberté la parole de Dieu, commençant ainsi en généreux soldats du Seigneur les rudes combats d'un glorieux martyre.

Pompeianus, l'assesseur, dit : "Voici, ô préfet, les saints amenés du village de Sansorum, près Apamée, pour être interrogés devant le très-éminent tribunal de ta haute puissance." Tibérius Gracchus Claudius Aquilinus dit : "Quel est votre nom ?" Les saints répondirent : "L'un de nous s'appelle Tryphon; l'autre, Respice. " Tibérius dit : "Quelle est la condition que vous a donnée la fortune ?" Le bienheureux Tryphon répondit: "La fortune n'assigne point aux chrétiens leur condition. Tout en ce monde est réglé par la divine providence, même ce que quelques hommes appellent leur profession et leur art. Mais, si tu veux avoir quelle est notre origine, nous sommes nés de parents libres." L'assesseur Pompeianus dit : "C'est vrai, je le sais; mais l'empereur ordonne que les hommes de votre espèce soient condamnés à être brûlés vifs, s'ils ne sacrifient aux dieux." Le bienheureux Respice répondit : "Plaise au Ciel que nous soyons trouvés dignes d'être brûlés vifs pour le Nom du Christ, notre Seigneur ! Mais toi, accomplis promptement l'ordre que tu as reçu." Aquilinus dit : "Sacrifiez aux dieux; vous avez l'âge de répondre de vos actes devant la loi, et vous avez assez l'intelligence pour en comprendre la portée." Saint Tryphon répondit : "Oui, nous avons en Jésus Christ, notre Seigneur, la perfection de l'intelligence; et c'est pourquoi nous désirons avec ardeur conserver pour sa Gloire cette souveraine sagesse, et la détendre jusqu'à l'entière consommation du martyre." Aquilinus ordonna qu'ils fussent mis à la torture, puisqu'ils demeuraient inébranlables. Aussitôt les deux saints se dépouillèrent de leurs vêtements et se livrèrent aux mains des questionnaires. Malgré la violence du supplice, ils ne laissèrent pas échapper une parole; leur patience demeura supérieure à la cruauté des bourreaux, parce qu'ils gardaient dans leur âme la crainte du Seigneur. Pendant une torture de près de trois heures, non seulement ils ne montrèrent pas un instant de faiblesse, mais même on les vit discourir avec énergie devant le préfet sur la Toute-Puissance de Dieu et les peines réservées aux adorateurs des idoles. Aquilinus, ne pouvant supporter ces invectives, ordonna que des chasseurs les traînassent après eux, chargés de chaînes, par un froid rigoureux et une pluie glaciale; en sorte que les pieds des saints furent bientôt déchirés. La chasse finie, on les ramena au palais, et le prélat, se les faisan t présenter de nouveau, leur dit : "Pourrez-vous encore vivre dans votre vertu ?" Tryphon répondit : "Nous vivons toujours purs devant le Seigneur que nous servons toujours." Aquilinus dit : "Qu'on les reconduise en prison, afin que, par ce délai que nous leur accordions, ils puissent prendre conseil de leur sagesse, abjurer promptement leur folie, et exécuter les ordres de l'empereur. Car j'en prends nos dieux à témoin, si vous ne sacrifiez, je vous ferai périr dans les plus affreux supplices."

Sur ces entrefaites, le préfet dut faire un voyage dans les autres villes de sa province. Rentré quelques jours après à Nicée, il fit encore comparaître devant lui les saints du Seigneur et leur dit : "Vous avez eu le temps de délibérer, avec vous-mêmes comment vous pourriez échapper à d'horribles tortures. Mes fils, écoutez-moi et sacrifiez aux dieux. " Saint Tryphon répondit : "C'est le Juge des hommes, le Dieu Auteur de toute créature qui purifie nos âmes." Puis les deux saints ajoutèrent ensemble : "Ne multiplie pas tes questions; à la première comme à la dernière, nous n'avons qu'une même réponse que tu as déjà entendue de notre bouche : "Rien ne peut ébranler notre foi, car le Seigneur Jésus Christ a dit : "Celui qui M'aura renié devant les hommes, Je le renierai devant mon Père." Aquilinus dit : "Prenez pitié de vous-mêmes et sacrifiez aux grands dieux; car je reconnais en vous la science et la sagesse. " Saint Respice dit : "Nous ne pouvons pas avoir pour nous-mêmes une pitié plus salutaire que de reconnaître hautement Jésus Christ pour notre Seigneur et le vrai juge qui viendra examiner et peser les actions de tous les hommes. " Aquilinus dit : "Qu'on apporte des clous et qu'on leur perce les pieds." Quand on l'eut fait, on les traîna dans toute la ville, au milieu des froids de l'hiver qu'un vent virulent rendait encore plus rigoureux. Mais le diable ne pouvait rien contre eux; ils puisaient à chaque instant dans le Seigneur une force nouvelle. Aquilinus étonné s'écria :

"Qu'est-ce donc ? êtes-vous insensibles aux tourments !" Les saints répondirent : "Ils ne nous font aucun mal; vos clous n'ont pas même blessé nos pieds; c'est comme s'ils n'avaient traversé que notre chaussure."

Le préfet, irrité de tant de persévérance, après leur avoir fait arracher leurs vêtements et lier les mains derrière le dos, ordonna qu'on les battit de verges. Les bourreaux frappèrent jusqu'à ce que leurs forces fussent épuisées. Le préfet, de plus en plus furieux, les fit déchirer avec des ongles de fer, et sur leurs flancs entrouverts fit appliquer des lampes ardentes. De nouveaux ministres obéirent. Mais pendant que les saints subissaient cet affreux supplice, un auge du Seigneur leur apparut. Il tenait dans ses mains des couronnes entremêlées de fleurs et de pierres précieuses, qu'il posa sur leurs fronts, fortifiant ainsi leur courage pour le combat. A cette vue, les bourreaux tombèrent à terre, comme frappés de mort. Mais les saints, élevant les yeux vers le ciel, s'écrièrent : "Seigneur Jésus Christ, que le diable ne prévale pas contre nous; exauce notre prière et consomme notre sacrifice. Le combat est pour Toi, qu'à Toi soit aussi la victoire." Aquilinus dit aux bourreaux : "S'ils ne veulent pas obéir à l'empereur, multipliez leurs tortures jusqu'à épuiser leurs forces et leur patience." Tout fut inutile; les saints, au milieu des tourments, ne ressentaient aucune douleur, et ils rejetaient généreusement les sollicitations et les menaces par lesquelles on ne cessait de les presser. Le préfet leur dit : "Renoncez enfin à tant de folie et prenez pitié de votre,jeunesse." Saint Respice dit : "Homme méchant, nous te l'avons déjà déclaré, tes paroles n'ébranleront pas notre foi. Nous n'avons jamais fléchi le genou devant le bois ni la pierre; nous n'adorons que le vrai Dieu et nous ne servons que Lui seul. Comprends donc qu'attachés à un tel Maître, il n'est point au monde de supplice qui puisse nous arracher à son amour. "

Le lendemain Aquilinus fit encore amener les saints devant son tribunal et leur dit : "Obéirez-vous aux ordres de l'empereur ?" Saint Tryphon répondit : "Nous te l'avons souvent dit : nous n'adorons et ne craignons que le Dieu vivant qui est au ciel." Aquilinus dit : "Qu'on les broie sous les coups des fouets garnis de balles de plomb." Le supplice fut long et cruel, mais rien ne put triompher de la constance des saints martyrs. Alors le préfet, n'étant plus maître de sa colère, fit apporter le glaive du bourreau, et, après en avoir délibéré avec son conseil, il prononça cette sentence : "Ces deux hommes, Phrygiens d'origine, parce qu'ils sont chrétiens et qu'ils refusent d'obéir aux ordres de l'empereur, nous ordonnons qu'ils aient la tête tranchée. " A ces mots, les invincibles martyrs du Christ, Tryphon et Respice, élevèrent les mains an ciel et dirent : "Seigneur Jésus Christ, reçois nos âmes et donne-leur une place dans le sein des patriarches." En prononçant ces parole, les deux saintes victimes tendirent d'elles-mêmes le cou aux bourreaux; ainsi, sous le tranchant de l'épée, elles rendirent leurs bienheureuses âmes au Créateur. Aux yeux des insensés, elles ont paru mourir, mais elles vivent au sein de la paix et suivent l'Agneau partout où il va. Des hommes pieux se réunirent aux prêtres du Seigneur et consacrèrent le martyre des deux saints par de grands honneurs. D'après les règles du culte religieux à la gloire des martyrs, tous participèrent au mystère (sacrement) de notre rédemption, recommandant leurs armes à l'intercession des bienheureux amis de Dieu.