fêtés le 3 novembre
(L'an de Jésus Christ 304)
Ceci est un autre chant à l'honneur d'une pléiade de martyrs espagnols, inspiré à Prudence par sa foi et son patriotisme. On y peut voir quel enthousiasme suggéraient aux chrétiens de l'époque pacifique les combats de ces martyrs qui avaient illustré par leurs victoires les premières années du siècle où florissait le prince des poètes de l'Église primitive.
Notre peuple conserve en un même sépulcre les cendres de dix-huit martyrs, et Saragosse est la cité favorisée d'un tel trésor. Le temple où elle le conserve, séjour des anges les plus puissants, n'aura rien à craindre au jour où s'écroulera ce monde fragile, lui qui garde en son sein une si riche offrande à faire au Christ. Car lorsque ce grand Dieu, déployant la force de son Bras, viendra, assis sur un nuage de feu, peser les nations dans sa juste balance, chaque cité, levant sa tête, s'elle pressera d'aller au-devant de Lui, afin de lui faire hommage des trésors qu'elle possède.
C'est alors que Carthage l'africaine présentera tes ossements sacrés, à Cyprien, docteur à la mâle éloquence ! Cordoue fera don d'Acisclus, de Zoellus et de trois autres couronnes.
Mère féconde en héros, tu offriras au Christ un diadème, Tarragone, orné de trois pierres précieuses; c'est Fructueux qui a fourni l'éclatante lame d'or qui l'entoure.
Son nom est gravé sur la pierre qui scintille au milieu; de chaque côté deux autres jettent leurs feux, qui rivalisent de splendeur.
Gironne, humble cité, présentera les membres sacrés de Félix, et notre Calahorra, la dépouille des deux martyrs que nous vénérons.
Barcelone se dressera fière de son illustre Cucufas; Narbonne se présentera parée de son Paul, et Arles triomphera à cause de toi, martyr Genès !
La reine des cités, la Lusitanie (Mérida) marchera au-devant du Christ portant les cendres de la jeune vierge qui lui est si chère, et les déposera sur l'autel céleste.
Complute portera dans ses mains le double vase que remplit le sang de Juste et de Pasteur, fière d'avoir à offrir les trophées de deux héros, ses fils.
Tingis, célèbre par les monuments de ses rois Massyles, portera les restes de son martyr Cassien, dont la vertu a dompté cette cité africaine, et l'a soumise au joug du Christ.
Toutes ces villes, illustrées par de sanglants sacrifices, n'on t pour attirer les regards du Christ qu'un petit nombre de ses témoins : deux, trois, et quelques-unes cinq.
Mais toi, ô Saragosse, cité dévouée au Christ, asile de la paix, que figure le bois verdoyant d'oliviers qui ombrage tes sommets, tu étaleras les dépouilles sacrées de dix-huit héros.
C'est toi qui, pour marcher au-devant du Seigneur, as préparé le plus nombreux cortège de martyrs; à toi, la première en piété, le premier honneur et le plus éclatant.
A peine la cité mère du peuple carthaginois, à peine Rome elle-même assise sur son trône, ont mérité de te surpasser dans cette gloire, toi notre honneur.
Le sang des victimes sacrées qui s'épanche par torrents de chacune de tes portes, a repoussé de ton enceinte purifiée la race des démons, elle a dissipé les noires ténèbres.
En tes murs, plus de cette ombre funeste qui inspire l'horreur; la peste de l'idolâtrie s'est éloignée de ton peuple; le Christ habite ton enceinte tout entière, le Christ y est partout.
Saragosse est la patrie des martyrs ceints de la couronne céleste; c'est de son sein que monte au ciel leur chÏur auguste, couvert de vêtements blancs comme la neige.
C'est là qu'a surgi ta palme, ô Vincent. C'est là que le clergé a conquis de si nobles triomphes, là qu'on a vu briller une famille de pontifes, la famille des Valérius.
Chaque fois que la tempête des persécutions est venue, depuis les premiers âges, ébranler l'univers entier, c'est sur cette Église que sa rage s'est déchaînée avec plus de violence.
Mais aussi jamais la lutte ne s'est passée sans que quelqu'un des nôtres ait cueilli la palme, sans que les flots d'un sang illustre aient coulé; chaque fois le nombre des martyrs s'est accru sous l'effort de l'orage.
Toi qui devais, ô Vincent, achever ton martyre hors de nos murs, n'as-tu pas décoré notre enceinte par la rosée de ton sang, présage de ton prochain trépas ?
Ce sang, tes concitoyens l'honorent, tandis que le tombeau garde tes membres sacrés, et que le sépulcre de tes pères conserve avec amour tes ossements, ô bienheureux martyr !
Vincent est à nous, bien qu'il ait souffert loin de nos murs, et qu'il ait doté de son sépulcre victorieux une ville obscure, près des rivages de Sagonte.
A nous il appartient, c'est dans notre arène que dès l'enfance on le vit s'exercer à la vertu, et, marqué de l'huile de la foi, exercer ses forces pour dompter un jour l'ennemi infernal.
Les nobles palmes qui sont la gloire de notre Église lui étaient connues; après les triomphes de ses pères, on le vit à son tour se distinguer comme eux.
Et toi, vierge Encratis, n'est-ce pas au milieu de nous que se conservent les trophées de tes victoires, toi dont le mâle courage fit tourner à la honte de l'esprit de malice ses propres fureurs ?
Tous nos martyrs ont quitté la vie; mais toi, survivant à ton propre trépas, tu vis encore sur cette terre, notre patrie te possède encore.
Tes membres, par leurs cicatrices, attestent la série des supplices que tu enduras;. Ils montrent à quelle profondeur furent creusés les sillons que les ongles de fer imprimèrent sur eux.
Tes flancs, devenus le théâtre de la cruauté du bourreau, furent inondés de sang, déchirés qu'ils étaient avec tant de barbarie; ta poitrine perdit un sein abattu par le fer, près du cÏur.
Les autres martyrs sont allés jusqu'à la mort, mais ils ont moins mérité; car la mort met un terme à la douleur des tortures, elle vient apporter le repos aux membres déchirés, et fait succéder un doux sommeil aux plus vives souffrances.
Longtemps tes blessures demeurèrent ouvertes; longtemps une fièvre ardente circula dans tes veines, tandis que de tes plaies glorieuses s'épanchait une eau corrosive.
Si donc le glaive envieux du persécuteur te refusa la gloire suprême du trépas, tes souffrances, ô martyre, ne t'ont pas moins mérité la couronne due à ceux qui succombèrent.
N'avons-nous pas vu les lambeaux conservés de ta chair labourée par les ongles de fer ? Ta vie se soutient encore; mais la mort n'a-t-elle pas conquis déjà une portion de toi-même ?
Tu as donc été comme le trophée d'un genre nouveau, dont le Christ a fait don à notre Saragosse, qu'il a voulu faire par ta personne le séjour permanent d'un martyre continuel.
Ainsi donc, ô ville illustrée par tes dix-huit héros, tu peux continuer à célébrer ce glorieux sénat qui est tien. Optatus et Lupercus sont ta richesse.
Célèbre avec eux Successus et Martial; chante le glorieux trépas d'Urbain et de Jules, sans oublier Quintilien.
Que tes chÏurs n'oublient pas Publius; qu'ils redisent la victoire de Fronton, la couronne que remporta le doux et vertueux Félix, et celle que gagna l'aident Cécilien !
Qu'ils redisent, ô Éventius, ô Primitivus, le sang généreux versé dans vos combats; que tes triomphes, ô Apodémus, soient l'objet d'un chant qui ne périsse jamais !
Restent encore quatre héros dont les noms ne peuvent se prêter au mètre de mes vers; je les désignerai sous le nom des Saturnius, appellation commune que nous a transmise la génération qui fut témoin de leurs combats.
Celui qui se passionne pour de tels noms fait peu de cas des règles du vers, et le zèle à parler des saints n'enfante par lui-même ni corruption de langage, ni barbarie.
C'est une assez belle mélodie; de réciter devant le Christ, tels qu'ils sont, des noms qui sont inscrits déjà dans le livre du ciel, ce livre qui doit se dérouler au jour marqué.
Alors un ange, en présence du Père et du Fils, célébrera dix-huit saints martyrs qui, par le droit de leur sépulcre, tiennent sous leur pouvoir une même cité.
Dans ce nombre figurera la vierge qui a survécu à ses tortures, et aussi Vincent, qui puisa ici son sang et ses honneurs, bien que son trépas ait illustré d'autres lieux.
Ajoutons encore, pour être justes, Caius et Crémentius, dont les combats, sans effusion de sang, n'enfantèrent pas moins pour eux une gloire immortelle.
Tous deux confessèrent le Seigneur; tous deux bravèrent la rage des persécuteurs, et goûtèrent la saveur du martyre.
Tous ces héros qui habitent sous l'autel céleste, nous venons en foule implorer d'eux le pardon de nos fautes, nous qui vivons à l'ombre protectrice de leur pourpre glorieuse.
Laissez-nous donc arroser de pieuses larmes ces marbres qui couvrent les objets de notre confiance; puissé-je, pour ma part, y obtenir le secours qui m'affranchira de mes liens !
Avec moi, cité généreuse, prosterne-toi, tout entière aux tombeaux de tes saints; tout entière aussi tu te lèveras un jour pour suivre dans les cieux leurs âmes avec leurs corps rendus à la vie.