LE ROI-MARTYR HERMÉNÉGILDE
par saint Grégoire le Grand
fêté le 1 novembre
Le roi Herménégilde, fils du roi des Wisigoths Léovigild, passa de lĠhérésie arienne à la foi catholique par la prédication du très révérend Léandre, évêque de Séville, avec lequel je suis depuis longtemps en intime amitié. Son père, arien, pour quĠil revînt à lĠhérésie, tenta et de le persuader par des faveurs, et de lĠeffrayer par des menaces. Comme il répondait avec la plus ferme constance quĠil ne pourrait jamais abandonner la vraie religion quĠil avait une fois reconnue, son père, irrité, le priva du règne et le dépouilla de tous ses biens. Comme, même ainsi, il nĠavait pu énerver la force de lĠesprit, il le fit enfermer dans une prison très étroite, le cou et les mains enchaînés. Le jeune roi Herménégilde commença donc à mépriser le royaume terrestre et, cherchant dĠun ardent désir le céleste, à coucher vêtu dĠun cilice sous ses chaînes, à supplier le Dieu tout-puissant de le réconforter et à regarder dĠautant plus haut la gloire du monde transitoire quĠil voyait mieux, lié comme il était, quĠil nĠy avait rien quĠon pût lui enlever. La fête de Pâques approchant, son père hérétique lui envoya, dans le silence du milieu de la nuit, un évêque arien, pour quĠil reçût de sa main la communion dĠune consécration sacrilège et méritât ainsi de rentrer dans la faveur paternelle. Mais, à la venue de lĠévêque arien, cet homme dévoué à Dieu lui fit de violents reproches, comme il le devait, et il repoussa son hérésie par les blâmes quĠil méritait; car, bien quĠil fut couché extérieurement lié, il se tenait assuré en lui-même dans une grande élévation dĠesprit. Quand donc lĠévêque fut revenu auprès de lui, son père frémit de rage, et il envoya aussitôt ses appariteurs pour quĠils tuassent, au lieu même où il gisait, ce très constant confesseur de Dieu. Ce qui fut fait. Car, à peine entrés, ils plantèrent une hache dans sa cervelle et lui enlevèrent ainsi la vie. Mais ce quĠils purent faire périr en lui, cĠétait une chose que celui-là même qui périt se trouvait avoir méprisée en lui-même.
Cependant il ne manqua pas de miracles célestes pour manifester sa vraie gloire. En effet, on commença dĠentendre dans le silence de la nuit le chant dĠune psalmodie auprès du corps de ce même roi et martyr. Certains même rapportent que là, au cours de la nuit, il apparaissait des lampes allumées. Il en résulta que le corps dĠHerménégilde, comme étant évidemment le corps dĠun martyr, fut à bon droit vénéré par tous les fidèles. Quant à son père hérétique et meurtrier de son fils, il fut ému de repentir, il regretta dĠavoir agi ainsi, mais non toutefois jusquĠà obtenir le salut. Il reconnut sans doute que la foi catholique était la vraie, mais effrayé par la crainte de son peuple, il ne mérita pas dĠatteindre à cette foi. Une maladie sĠétant déclarée, parvenu à lĠextrémité, il prit soin de recommander à lĠévêque Léandre, quĠil avait dĠabord fortement affligé, son fils le roi Récarède quĠil laissait en son hérésie, pour que, par ses exhortations, il agît avec Récarède de la même façon quĠil avait agi avec son frère. Cette recommandation achevée, il mourut. Après sa mort, le roi Récarède ne suivit pas son père hérétique mais son frère martyr, il se convertit de lĠerreur de lĠhérésie arienne et conduisit si bien tout le peuple des Wisigoths à la vraie foi quĠil ne permit dĠêtre fonctionnaire en son royaume à aucune personne qui ne craindrait pas dĠêtre par lĠhérésie lĠennemie du royaume de Dieu. Et il nĠest pas étonnant quĠil soit devenu un prédicateur de la vraie foi, puisquĠil est le frère dĠun martyr, dont les mérites lĠaident pour quĠil ramène tant de peuple au sein du Dieu tout-puissant. Et il nous faut nous représenter en ce point que tout cela nĠeût pu avoir lieu si le roi Herménégilde nĠétait pas mort pour la vraie foi. Car, selon quĠil est écrit, «Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul; mais sĠil meurt, il porte beaucoup de fruits» (Jn 12, 24), nous voyons se produire dans les membres ce que nous savons sĠêtre produit dans la tête. Dans la nation des Wisigoths en effet, un seul est mort pour que beaucoup eussent la vie, et, tandis quĠun seul grain est tombé avec foi, une riche moisson dĠâmes sĠest levée pour obtenir la vie... Chose bien étonnante, et stupéfiante en nos temps.
LE MARTYRE DE SAINT HERMÉNÉGILDE
(EN L'ANNÉE 587)
Saint Grégoire de Tours (Hist. Franc. 5,39)
Cette année il s'éleva en Espagne une grande persécution contre les chrétiens, et plusieurs furent exilés, spoliés, affamés, emprisonnés, battus, mis à mort par divers supplices. L'auteur principal de ces maux fut Goswinde mère de Brunehaut que le roi Leuvigild avait épousée après la mort d'Athanagild, son premier mari. Mais cette femme, qui avait imprimé une note d'infamie aux serviteurs de Dieu, poursuivie par la vengeance divine, fut à son tour notée aux yeux de tous les peuples : il arriva qu'une taie blanche couvrit un de ses yeux et éloigna de sa vue la lumière qui manquait déjà à son esprit. Le roi Leuvigild avait, d'une première femme Théodosie deux fils Herménégild et Récared dont l'aîné était fiancé à Ingonde, la fille de Sigebert, et le plus jeune à Rigolithe, la fille de Chilpéric. Ingonde, envoyée en Espagne en grand appareil, fut reçue avec beaucoup de joie par son aïeule Goswinde. Celle-ci ne put souffrir longtemps de la voir persévérer dans la religion catholique; et d'abord elle voulut l'engager, par des paroles caressantes, à se faire baptiser de nouveau dans lĠarianisme; mais Ingonde résista avec courage et dit : «Il me suffit d'avoir été lavée une fois du péché originel par un baptême salutaire, et d'avoir confessé la sainte Trinité, une et sans inégalité de personnes; voilà ce que je confesse croire de tout cÏur, et jamais je ne renoncerai à ma foi.» À ces mots, Goswinde, irritée, furieuse, saisit la jeune fille par les cheveux, la jette à terre, la bourre de coups de pieds, et, tout ensanglantée, la fait dépouiller et plonger dans la piscine. Mais beaucoup assurent que son cÏur demeura toujours fidèle à notre croyance. Leuvigild donna à Herménégild et à Ingonde une de ses cités c'était Séville pour qu'ils y vécussent en souverains. Quand ils y furent établis Ingonde se mit à prêcher son mari, pour que, abjurant l'hérésie, il reconnût la vérité de la foi catholique. Il résista longtemps; mais enfin, persuadé par ses prédications, il embrassa le catholicisme; et, en recevant l'onction sainte, il prît le nom de Jean. Dès que Leuvigild l'apprit, il chercha des motifs pour le perdre. Herménégild, s'en étant aperçu, fit alliance avec l'empereur et forma des liaisons avec le préfet impérial qui pour lors attaquait l'Espagne. Leuvigild lui envoya des messagers qui lui dirent : «Viens me trouver, il est des choses, que nous devons discuter ensemble» ; et Herménégild répondit : «Je n'irai point; car tu es mon ennemi, parce que je suis catholique.» Leuvigild ayant donné au préfet trente mille sous d'or pour le détacher du parti de son fils, marcha contre ce dernier avec une armée. De son côté, Herménégild ayant appelé les Grecs à son secours, s'avança contre son père, laissant Ingonde dans la ville. À la vue de Leuvigild qui venait à sa rencontre, ses alliés l'abandonnèrent; et se voyant désormais sans espoir de vaincre, il se réfugia dans une église voisine, en disant : «Que mon père ne vienne pas m'attaquer, car c'est un crime impie qu'un père soit tué par son fils, et un fils par son père.» Leuvigild, apprenant, ces paroles, lui envoya son frère, qui lui garantit par serment le maintien de sa dignité et lui dit : «Viens toi-même te prosterner aux pieds de notre père et il te pardonnera tout». Herménégild demanda qu'on fit venir son père et dès qu'il le vit, il se prosterna à ses pieds. Celui-ci l'étreignit, l'embrassa et,l'ayant entortillé avec de belles promesses, il l'emmena au camp; là, oubliant son serment, il le livra à ses gens; on se saisit, de lui, on lui enleva ses vêtements et on lui donna des hardes d'esclave; de retour à Tolède, on le sépara de ses gens et on l'envoya en exil avec un seul valet.
Du roi Herménégild, fils de Leuvigild, roi des Wisigoths, qui fut mis à mort par son père pour la foi catholique.
Comme nous l'avons appris de beaucoup qui sont venus d'Espagne, le prince lHerménégild, fils de Leuvigild, roi des Wisigoths, fut converti de l'arianisme à la foi catholique par le très vénérable évêque de Séville, Léandre, auquel je suis lié le puis longtemps d'une étroite amitié. Son père, qui était arien, employa pour le ramener à l'hérésie les caresses et les menaces; et comme le jeune prince répondait avec constance qu'il ne pourrait jamais abandonner la foi véritable qu'il avait eu le bonheur de connaître, son père irrité le priva du royaume et le dépouilla de tous ses biens. Mais rien ne pouvant ébranler la force de son âme, il le fit enfermer dans une étroite prison, et charger de fers au cou et aux mains. Le jeune prince, méprisant le royaume de la terre et désirant ardemment le royaume du ciel, portait le cilice dans les chaînes et priait Dieu avec ferveur de le fortifier. Il dédaignait d'autant plus la gloire passagère de ce monde, qu'il avait reconnu, dans sa prison, le néant de ce qui pouvait lui être enlevé. La fête de Pâques arriva, et pendant le silence d'une nuit profonde son perfide père lui envoya un évêque arien, pour quĠil reçût de sa main une communion sacrilège, et qu'il rentrât ainsi en grâce avec lui. Mais le prisonnier, fidèle à Dieu, fit à l'évêque arien les reproches qu'il méritait, et repoussa énergiquement ses propositions trompeuses, en lui disant que, «si son corps pliait extérieurement sous les chaînes, son âme, cependant, s'élevait en paix vers le ciel.» Au retour de l'évêque, le père furieux envoya aussitôt ses gardes mettre à mort dans sa prison le généreux confesseur de la foi. Il fut obéi; les bourreaux, à peine entrés, le frappèrent à la tête d'un coup de hache et lui ôtèrent la vie; mais ils ne purent lui ravir que ce qu'il avait déjà méprisé lui-même.
Les miracles ne manquèrent pas pour manifester sa gloire. Dans le silence de la nuit, on entendit des chants près du corps de ce roi martyr, d'autant plus roi qu'il était martyr. Plusieurs rapportent aussi que des lumières brillantes apparurent au milieu de l'obscurité, comme pour signaler à la vénération des fidèles le corps du saint martyr. Son père, hérétique et parricide, se repentit du crime qu'il avait commis, mais pas assez pour obtenir son salut. Il reconnut bien la vérité de la foi catholique, mais la crainte de sa nation l'empêcha de l'embrasser. Une maladie l'ayant réduit à l'extrémité, il recommanda son fils, le roi Récarède, qui partageait son hérésie, à l'évêque Léandre, qu'il avait autrefois violemment persécuté, pour qu'il le convertit par ses instructions, comme il avait converti son frère. Cette recommandation faite, Leuvigild mourut. Après sa mort, le roi Récarède ne suivit pas l'exemple de son père coupable, mais celui de son frère martyr. Il abjura l'arianisme, et ramena si bien à la vraie foi toute la nation des Wisigoths, qu'il refusa dans son royaume la permission de porter les armes à quiconque ne craindrait d'être hostile au royaume de Dieu en étant hérétique. Il nĠest pas étonnant quĠil devint ainsi le zélé propagateur de la vraie foi, puisqu'il était le frère d'un martyr dont les mérites l'ont aidé à ramener tant de personnes au sein de l'Église. Nous devons croire que tout cela n'aurait pu arriver si le roi Herménégild n'était pas mort pour la vérité. Car il est écrit : «Si le grain de froment qui tombe sur la terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit». (Jn 12,24-25)
Nous voyons se faire dans les membres ce que nous savons s'être fait dans le chef. Dans la nation des Wisigoths, un seul est mort pour que beaucoup eussent la vie, un grain est tombé pour la foi, et toute une moisson d'âmes s'est levée pour la vie véritable.