LE MARTYRE DE SAINT CLÉMENT, PAPE DE ROME ET MARTYR

 

fêté le 24 novembre

(L'an de Jésus Christ, environ 100)

 

Lorsque Mamertinus était préfet de la ville de Rome, il s'éleva une sédition dans le peuple romain sur la personne de Clément; et dans le trouble qui s'ensuivit, les uns disaient : "Quel mal a-t-il donc fait ? ou plutôt quel est le bien qu'il n'ait pas entrepris ? En effet, les malades, quels qu'ils soient, qui reçoivent sa visite, recouvrent la santé; quiconque l'aborde accablé de tristesse, s'en retourne le coeur joyeux; en un mot, il fait du bien à tout le monde." Les autres, poussés par l'esprit du diable, s'écriaient : "C'est par l'art de la magie qu'il fait tout cela, détruisant ainsi le culte de nos dieux. Car il nie la divinité de Jupiter; Hercule, notre protecteur, il l'appelle un esprit immonde; la sainte déesse Vénus, une prostituée; et, quant à la grande déesse Vesta, il soutient faussement qu'elle a été consumée par le feu. Et c'est aussi de cette manière qu'il note d'infamie la très-sainte Minerve; pareillement Diane, Mercure, Saturne et Mars; enfin il couvre d'opprobres tous les noms de nos dieux et leurs temples. Il faut donc, ou qu'il sacrifie à nos dieux, ou qu'il disparaisse du nombre des vivants!"

Mamertinus, préfet de la ville, ne pouvant tolérer cette sédition, donna ordre d'amener devant lui le bienheureux Clément. Lorsqu'il l'eut envisagé, il lui dit d'abord : "Je sais que tu es de noble race, ainsi que nous l'atteste le peuple romain. Mais tu as embrassé l'erreur, rendant un culte à je ne sais quel Christ, sans honorer les dieux qu'on vénère dans les temples. Il faut donc que tu renonces à toute vaine superstition, et que tu honores les dieux."

Le bienheureux Clément répondit : "Je désirerais que ton Excellence, dans sa sagesse, voulût bien écouter ma défense, et considérer que, si je suis accusé, ce n'est point à cause de la sédition de ces insensés; mais pour la doctrine que je prêche. Car si, semblables à une meute de chiens, ils aboient contre nous et nous mettent en pièces, ils ne peuvent du moins empêcher que nous ne soyons des hommes raisonnables; quant à eux, ils sont toujours des êtres sans raison. En effet, il est notoire qu'une sédition a constamment pour auteurs des gens ignorants, ce qui fait qu'on ne peut avec sûreté en embrasser le parti, et qu'elle demeure dépourvue de tout caractère de justice et de vérité. Que le silence se rétablisse, ce repos qui donne a un homme jouissant de sa raison la facilité de se consulter et d'examiner en lui-même ce qui est de son salut; dans cet état, il pourra trouver le Dieu véritable, et dignement lui engager sa foi."

Publius Tarquitianus envoya sur ceci à l'empereur Trajan un rapport dans lequel il s'exprimait ainsi sur la personne du bienheureux Clément : "Le peuple ne cesse d'assaillir ce Clément de cris séditieux; mais on ne saurait alléguer de témoignage digne de créance contre sa conduite." L'empereur Trajan répondit qu'il fallait, ou qu'il consentît à sacrifier, ou qu'il fût relégué au delà du Pont Euxin, dans une ville déserte de la Chersonèse.

La sentence ayant ainsi été portée par Trajan, Mamertinus cherchait en lui-même par quels moyens Clément pourrait offrir des libations aux lieux, plutôt que de subir un exil volontaire. Mais le bienheureux Clément s'efforçait, au contraire, de convertir à la foi du Christ l'esprit de son juge lui-même; et de lui persuader qu'il préférait l'exil, loin de le craindre. Le Seigneur donna une telle grâce aux paroles de Clément, que le préfet Mamertinus lui dit, avec larmes : "Le Dieu que tu adores sincèrement te portera secours en cet exil auquel tu es condamné." Et il fit appareiller un navire, qu'il pourvut de tout le nécessaire, et il le laissa partir. Le navire était très chargé; car des hommes religieux, et en grand nombre, suivirent le bienheureux Clément.

Lorsqu'ils furent arrivés au lieu de leur exil, Clément trouva là plus de deux mille chrétiens, depuis longtemps condamnés par sentence juridique, et occupés à travailler le marbre. Dès qu'ils aperçurent le saint et célèbre évêque Clément, ils s'approchèrent tous de lui avec des gémissements et des pleurs, et lui dirent : "Priez pour nous, saint pontife, afin que nous devenions dignes des promesses du Christ." Clément, ayant appris qu'ils avaient été déportés pour leur foi en Dieu, répondit : "Ce n'est point sans raison que le Seigneur m'a conduit en ces lieux : c'est afin que, prenant part à vos souffrances, je pusse vous apporter des consolations et vous donner l'exemple de la patience."

Or il apprit d'eux-mêmes qu'ils étaient contraints d'apporter l'eau sur leurs épaules d'une distance de six milles. Le saint leur dit donc, en les exhortant : "Prions notre Seigneur Jésus Christ qu'Il ouvre une veine d'eau aux confesseurs de sa foi; et que celui qui, par la main de Moïse, a frappé la pierre dans le désert du Sinaï, et en a fait couler les eaux en abondance, fasse aujourd'hui jaillir pour nous une source vive dont nous jouissions pour nos besoins." Et lorsque la prière tut achevée, le bienheureux Clément, regardant autour de lui, vit sur une colline un agneau debout, qui leva le pied droit, comme pour lui indiquer le lieu qu'il cherchait. Le bienheureux Clément, persuadé que c'était le Seigneur, sous les traits de cet agneau que lui seul avait aperçu, se rendit en cet endroit et dit : "Au Nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit, creusez en cet endroit." Les chrétiens ayant donc creusé tout autour du lieu où l'agneau avait apparu, mais qui fut laissé intact, le saint prit un petit sarcloir et en frappa légèrement la place qui était sous le pied de l'agneau, et soudain il en jaillit une très belle source et avec une telle affluence, que, se répandant avec impétuosité, elle forma un ruisseau. Alors le saint, aux acclamations de tous, dit le verset du psaume : "L'abondance des eaux réjouit la cité de Dieu".

Le bruit de ce prodige s'étant répandu, toute la province accourut; et ceux qui venaient entendre les enseignement du bienheureux Clément, se convertissaient tous au Seigneur, au point qu'il y eut des jours auxquels cinq cents et plus reçurent le baptême. Dans l'espace d'une année, les fidèles bâtirent en ce lieu soixante-cinq églises, et toutes les idoles furent brisées, tous les temples des pays circonvoisins furent détruits, tous les bois sacrés environnants, jusqu'à la distance de trois cents milles, furent abattus et coupés jusqu'au niveau du terrain. Des faits si merveilleux excitèrent une telle émotion, que la nouvelle en parvint aux oreilles de Trajan, qui apprit ainsi que le peuple des chrétiens s'était accru jusqu'à une multitude innombrable. On envoya donc sur les lieux le préfet Aufidianus. Il fit d'abord périr un grand nombre de chrétiens par divers genres de supplices. Mais voyant qu'ils s'offraient tous avec joie au martyre, il épargna la multitude et ne réserva que le bienheureux Clément, espérant le contraindre à sacrifier. Mais, le voyant si ferme dans la foi au Seigneur, et craignant de ne pouvoir jamais lui faire changer de sentiment, il dit à ses satellites : "Qu'on le nomme au milieu de la mer, qu'on lui attache une ancre au cou, et qu'on le précipite au fond, de peur que les chrétiens ne l'honorent comme un Dieu."

Cet ordre ayant été exécuté, toute la multitude des chrétiens se rendit au rivage, avec des cris et des lamentations. Alors, les disciples du saint martyr, Cornelius et Phoebus, leur dirent : "Prions tous ensemble, afin que le Seigneur daigne nous montrer les reliques de son martyr." Pendant que le peuple priait, la mer se retira sur elle-même à la distance de trois milles. Et le peuple s'étant avancé sur le terrain laissé à sec, on trouva un édifice ayant la forme d'un temple de marbre, préparé par Dieu même; et dans un tombeau de pierre reposait le corps du bienheureux Clément, disciple de l'apôtre saint Pierre. L'ancre avec laquelle il avait été submergé, était placée près de lui. Ses disciples furent avertis par une révélation de ne point enlever le corps; et l'oracle céleste ajouta que désormais tous les ans, le jour du combat du saint martyr, la mer se retirerait pendant sept jours, et qu'on pourrait y marcher à pied sec. Ce qu'il a plu au Seigneur d'accomplir jusqu'à ce jour pour la gloire de son Nom.