fêté le 1 novembre
(Vers l'an de Jésus Christ 88)
Après que le cruel empereur Néron eut fait assassiner sa propre mère, il fut rempli d'une fureur impie, et lança des édits qui ordonnaient que dans tout l'empire on contraignit à adorer les dieux ceux qui jusque-là s'y étaient refusés, ou que, s'ils persistaient dans leur refus, on les fit périr par les plus cruels supplices. Il y avait alors à Terracine un pontife des faux dieux qui s'appelait Firmin. Rempli de l'esprit du démon, il profita de l'état d'ignorance où étaient plongés ses compatriotes au sujet du vrai Dieu, pour persuader à plusieurs de se rendre célèbres par une action audacieuse et sanguinaire, dans le but de procurer la prospérité de l'état. Il leur distribuait donc des richesses, des habits et tout ce qui pouvait contribuer à leur faire passer la vie dans les délices, à condition qu'ayant été ainsi nourris dans le luxe et l'abondance, ils se précipiteraient du haut d'une montagne dans la mer, avec leurs armes et des chevaux richement caparaçonnés, leur persuadant que cette mort violente serait un sacrifice d'expiation utile à leur patrie. Ce rite barbare s'accomplissait chaque année aux calendes de janvier, sous prétexte de procurer le salut de la république et des empereurs, et pour rendre célèbre le nom des citoyens de Terracine. Un beau jeune homme, nommé Lucien, était destiné à ce sacrifice pour l'année suivante, et en attendant, il était nourri dans les délices et au milieu de toutes les voluptés.
Or, le diacre Césaire qui revenait alors d'Afrique, avant vu ce jeune homme, demanda à ses concitoyens ce que signifiait toute cette magnificence dont il était entouré. - "On le traite ainsi, répondirent-ils, parce qu'il doit se sacrifier." - "Je vous prie, dit Césaire, au nom du Dieu tout-puissant, expliquez moi ce que cela veut dire." - "Vous saurez, répondirent ses concitoyens, que c'est ici la coutume de nourrir un homme pendant six ou huit mois, en lui donnant tout ce qu'il désire. Au bout de ce temps, il doit, couvert de ses armes et d'habits magnifiques, se précipiter avec son cheval du haut de la montagne dans la mer, pour le salut de l'état, de l'empereur et de tous les citoyens, et pour acquérir à son nom une gloire immortelle. Son cadavre est recueilli avec les plus grands honneurs, on le transporte au temple d'Apollon pour l'y brûler, et on dépose ses cendres dans ce même temple, afin qu'elles soient un gage de salut pour la ville et ses habitants."
Césaire entendant cette réponse s'écria : "Ô malheureux et infortunés que vous êtes ! cet aveuglement funeste qui vous a fait offrir au démon les âmes d'hommes innocents, vous empêchera en ce monde et en l'autre d'avoir part à la véritable vie." Ensuite il demeura caché dans la ville chez un chrétien, serviteur de Dieu, jusqu'aux calendes de janvier de l'année suivante, servant Dieu et notre Seigneur Jésus Christ dans les prières et les veilles.
Lorsque les calendes de janvier furent arrivées, les citoyens se réunirent dans le temple d'Apollon, amenant avec eux Lucien, ce beau jeune homme dont nous avons parlé, afin qu'il offrît un sacrifice. Lucien immola une truie, pour le salut de la ville et de ses habitants. Ce que voyant le diacre Césaire, il s'écria : "Si vous êtes sages, pourquoi vous obstiner à commettre un pareil forfait ? Vous parait-il donc juste d'acheter votre salut au prix du sacrifice d'un homme innocent ?" Malgré cela, les rites barbares s'accomplissent : Lucien, montant à cheval, gravit la colline d'ou il devait se précipiter; et, s'élançant du haut du rocher, il périt au milieu des flots. Alors le diacre Césaire s'écria : "Malheur à l'état et aux princes qui se réjouissent des souffrances et se repaissent du sang d'autrui ! Pourquoi perdez-vous ainsi vos âmes par vos impostures, séduits que vous êtes par les artifices des démons ?" Le faux pontife Firmin entendant ces paroles du saint diacre, ordonna qu'on le saisît et qu'on l'enfermât dans la prison publique. Pour lui, il recueillit le corps de Lucien, l'emporta pour le brûler selon la coutume dans le temple d'Apollon; ce qu'il accomplit avec plusieurs autres sacrifices.
Huit jours après, Luxurius, un des principaux de la cité, de concert avec le pontife Firmin, fit amener Césaire de la prison sur la place publique, et ils prièrent le consulaire Léonce, qui était alors à Fondi, de venir à Terracine. Quand il fut arrivé, ils firent amener le diacre Césaire, qu'ils avaient tourmenté déjà dans sa prison, en le laissant trois jours sans nourriture. Alors, au milieu du forum, Léonce, par l'intermédiaire du héraut, commença l'interrogatoire en disant : "Quel est ton nom ?" Le saint répondit : "Je suis Césaire, pécheur, et diacre quoique indigne." Le consulaire Léonce dit : "Es-tu libre ou esclave ?" Césaire répondit : "Je suis serviteur de mon Seigneur Jésus Christ." Le consulaire Léonce dit : "Sais-tu ce qu'ont ordonné les empereurs ?" Le diacre Césaire répondit : "Je ne connais pas leurs ordres." Le consulaire Léonce dit : "Ils ont commandé que l'on offre des sacrifices aux dieux immortels." Césaire répondit : "Ils sont bien malheureux, s'ils ont donné de tels ordres." Le consulaire Léonce dit : "Et pourquoi cela ? Est-ce parce qu'ils cherchent à procurer ainsi le salut de l'État ?" Césaire répondit : "Ce que vous appelez le salut de l'empire en est la perte." Le consulaire Léonce dit : "Cependant la religion est une source de salut pour tous." Césaire dit : "Et quel bien procure-t-elle donc à ceux que vous obligez de se dévouer ainsi à la mort sans l'avoir méritée par aucun crime ?" Le consulaire Léonce dit : "Fais ce que je te conseille et sacrifie aux dieux, ou bien ton obstination ne tardera pas à être punie." Le diacre Césaire répondit : "Vos tourments ne font aucune impression sur moi; les supplices éternels en feront sur vous une bien autre, puisque vous ne cesserez jamais de les ressentir." Le consulaire Léonce dit : "Allons au temple d'Apollon."
On conduisait Césaire lié et nu devant le char de Léonce, et comme on approchait du temple, le saint diacre, tout entouré qu'il était de soldats, s'écria : "Ô Dieu, Père de mon Seigneur Jésus Christ, Roi éternel, toutes choses Te sont connues; ne m'abandonne pas, mais daigne jeter un regard sur ton serviteur qui espère en Toi." Quand il eut achevé cette prière, le temple s'écroulant tout à coup écrasa dans sa chute le pontife Firmin. Dès que Luxurius, de qui nous avons déjà parlé, eut appris cet événement, il s'empressa d'accourir, et s'écria : "Est-il vrai, ô Léonce, que cet impie Césaire vient de faire usage de ses conjurations magiques ?" - "Il est vrai," répondit Léonce; et se tournant vers Césaire, il dit : "Aujourd'hui tu ressentiras les effets de ma colère." Le saint répondit : "Je ne crains ni toi ni ton prince. Il est vrai, comme tu le dis, qu'aujourd'hui votre colère s'enflammera, mais elle s'évanouira demain; et quand vous serez morts, vous ne pourrez plus rien." Luxurius l'interrompit à ces mots, et s'écria : "Eh quoi, Léonce, tu entends ce malheureux lancer l'injure contre nos empereurs, et tu hésites encore à le faire périr ?" Le consulaire Léonce répondit : "Et quel supplice faut-il lui infliger ? - Il faut, répliqua Luxurius, convoquer tout le peuple au temple où il a exercé sa magie." On réunit donc en ce lieu tout le peuple; on exposa le cadavre du pontife Firmin, et Luxurius adressa ces paroles à la multitude : " Vous voyez devant vous un homme impie, qui ne craint ni les dieux ni les princes, il vient de tuer le pontife, et il a détruit par ses enchantements le temple sacré bâti par nos ancêtres."
Le diacre Césaire s'écria : "Est-il juste, mes frères, d'obéir à un homme, plutôt qu'au Dieu Maître souverain d'univers ? Quelle est cette religion qui vous ordonne de procurer le salut de votre patrie par l'effusion du sang humain ? Je vous engage à faire pénitence pour le sang innocent que vous avez versé; je vous exhorte à croire au Christ, Fils de Dieu, et à Le servir." Tout le peuple s'écria : "C'est un homme vertueux; et ce qu'il nous propose est juste." Luxurius le retira du milieu du peuple, et le fit reconduire dans la prison où il le laissa un an et un jour. Il le fit alors produire en public, et envoya un messager à Léonce pour le consulter sur le genre de supplice qu'il convenait de lui infliger. Or, le bienheureux Césaire sortit de sa prison amaigri par les souffrances de la faim et dépouillé de ses vêtements, mais couvert de sa longue chevelure : car dans sa prison l'ange du Seigneur l'avait gardé le jour et la nuit. Quand il eut été amené au milieu de la place publique, il dit aux soldats qui le tenaient enchaîné : "Je vous prie, relâchez un peu mes liens, afin que je rende grâces à mon Seigneur Jésus Christ, qui a daigné m'admettre au nombre de ses serviteurs." Aussitôt, se jetant à terre, il adora le Seigneur en disant : "Seigneur mon Dieu, Père de mon Seigneur Jésus Christ, fais-nous voir ta Miséricorde." Au même instant une grande lumière parut, et couvrit tout le corps du saint martyr. Ce que voyant le consulaire Léonce, il s'écria à haute Voix : "Le Dieu que prêche Césaire est vraiment le Seigneur tout-puissant." Et se mettant aux pieds du saint diacre, il se dépouilla de sa chlamyde, en revêtit Césaire, et le pria, devant tout le peuple, de le baptiser. Le bienheureux Césaire lui dit : "Crois, et tu verras bientôt une lumière éclatante." Alors, ayant pris de l'eau, il le baptisa au nom du Père, et du Fils et du saint Esprit; et le bienheureux prêtre Julien, qui se trouva là présent, lui administra le Corps et le Sang du Seigneur Jésus Christ. Or, quand il eut revu les sacrements, le bienheureux Julien récita sur sa tête une prière, laquelle étant finie, Léonce rendit l'esprit.
Le même jour, Luxurius fit arrêter le prêtre Julien, et prononçant la sentence contre lui et le diacre Césaire, il ordonna que tous les deux seraient enfermés dans un sac et jetés dans la mer. Le corps de Léonce fut recueilli par son épouse et ses fils, qui lui donnèrent la sépulture dans le champ de Véranus, près de Rome, le trois des calendes de novembre. Trois jours après, comme on conduisait pendant la nuit le prêtre Julien et le diacre Césaire pour les précipiter dans la mer et les y noyer, le bienheureux Césaire dit à Luxurius : "L'eau, dans laquelle j'ai été régénéré, me recevra comme son fils qui a trouvé en elle une seconde naissance : elle va me rendre aujourd'hui martyr avec Julien, mon père, qui autrefois m'a fait chrétien. Quant à toi, Luxurius, aujourd'hui même tu périras par la morsure d'un serpent, afin que tout ce pays sache que Dieu venge le sang de ses serviteurs, et des vierges que tu as fait périr dans les flammes." Le prêtre Julien et le diacre Césaire furent mis dans un sac et jetés à la mer; mais, le même jour, les flots rapportèrent leurs corps sur le rivage, où on les trouva à côté de celui de Luxurius, qui périt comme nous allons le dire.
Il était parti pour sa maison de campagne, où il voulait dîner, et pour être plus tôt rendu, il avait pris tout seul le chemin qui longeait le rivage; lorsque, comme il passait sous un arbre, un serpent lui tomba sur le dos, se glissa entre son cou et sa tunique, déchira ses flancs par de cruelles morsures, et même l'atteignit au cÏur. Le malheureux tomba, le corps horriblement gonflé; mais avant d'expirer, il vit les chÏurs des anges emporter hors de l'eau les corps des bienheureux martyrs. Un serviteur de Dieu, nommé Eusèbe, qui avait vécu avec eux, recueillit leurs précieuses reliques et les ensevelit à Terracine, le jour des calendes de novembre. Cinq jours après, on trouva le bienheureux Eusèbe dans le lieu où il avait déposé les corps des saints martyrs, jeûnant, priant Dieu, et récitant des psaumes. Ce que voyant les habitants de Terracine, comme ce lieu n'était pas fort éloigné de la ville, ils accouraient en grand nombre auprès du bienheureux Eusèbe : beaucoup se convertissaient, et le bienheureux prêtre Félix les baptisait. Quand Léonce, fils du consulaire Léonce, eut appris tout cela, il entra en fureur à cause de la mort de son père, et envoya des soldats pour saisir le prêtre Félix et Eusèbe, et les amener dans le forum en présence de tout le peuple. Ensuite il s'assit avec les principaux de la ville, et les interrogea en ces termes : "Dites-nous si vous êtes libres ou esclaves." Le prêtre Félix répondit : "Nous sommes serviteurs de notre Seigneur Jésus Christ." Léonce dit : "Quels sont vos noms ?" Les saints répondirent "On nous appelle Eusèbe et Félix." Léonce dit : "Pourquoi prêchez-vous des doctrines insensées, et contraires au salut de la république et des princes ?" Le prêtre Félix répondit : "La doctrine que nous prêchons n'est pas insensée : c'est la vraie et saine doctrine qui nous oblige à connaître et à servir Dieu. Si vous voulez Le connaître, il vous sera permis à vous aussi d'obtenir la vie éternelle." Léonce dit au peuple : "Que vous en semble ?" Les uns criaient que leur doctrine était bonne; les autres, qu'elle n'était propre qu'à séduire les hommes. Pendant que l'on disputait ainsi à leur sujet, Léonce ordonna qu'on les conduisît en prison. La nuit, il envoya des gens pour les contraindre à sacrifier. Mais comme ils refusaient et se moquaient des sacrifices des démons, et qu'ils chantaient : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux", Léonce ordonna qu'on leur tranchât la tête, et qu'on jetât leurs corps dans un fleuve. Or, ce fleuve les roula jusqu'à la mer, et le lendemain les flots les rejetèrent sur le rivage auprès d'une forêt de pins. Or voilà que, comme un certain prêtre de Capoue nommé Quartus sortait pour aller à sa maison de campagne, il trouva les corps décapités des saints martyrs, les plaça sur son char, et se mit à chercher soigneusement leurs têtes qu'il ne put découvrir que le lendemain. Il ensevelit ces précieux restes auprès du corps du bienheureux diacre Césaire; et là, par les prières de ces saints martyrs, on obtient souvent de grands miracles, à l'honneur et à la gloire de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.