LES ACTES DE SAINT BÉNIGNE, APOTRE DE BOURGOGNE

fêté le 1 novembre

(L'an de Jésus Christ 180)

La collection de Surius nous a fourni ces Actes.

 

L'empereur Marc-Aurèle s'était rendu dans une ville fortifiée de la Gaule, nommée Dijon, pour visiter de nouvelles murailles qu'on y avait construites. A son entrée dans la ville, il avait dit : "Voilà des murs bien bâtis; maintenant c'est un temple qu'il faut élever à Jupiter, à Mercure et à Saturne; ne soufrez pas qu'aucun de ceux qui font profession de la loi chrétienne se fixe dans ces lieux, de peur que leurs vaines superstitions n'entraînent la ruine de notre peuple." Ayant entendu ces paroles, Terentius, qui commandait dans la place, répondit : "Invincible empereur, nous ignorons s'il y a ici quelque chrétien; mais j'ai vu un étranger qui se fait raser les cheveux, porte un habit différent du nôtre, et dont le genre de vie surtout ne ressemble en rien à celui que nous suivons. Il condamne les cérémonies de nos dieux, baigne notre peuple dans les eaux et fait sur lui des onctions avec le baume. il fait dans notre ville de nombreux prodiges, annonce un nouveau Dieu à notre patrie, et promet à ceux qui croiront à ce Dieu une autre vie après la mort." A ce discours, Marc-Aurèle aussitôt reprit : "Autant que je puis en juger par ces détails, l'homme dont tu parles est chrétien. Qu'on le recherche et qu'on l'enchaîne; puis qu'on l'amène devant moi; car si nous le laissons faire, il attirera de grands malheurs sur notre pays, et bientôt nos dieux seront méprisés. Nos dieux n'aiment pas les chrétiens; lé genre de vie de ces impies et leurs lois ne sauraient s'allier avec le culte de nos divinités. Le signe du crucifié est odieux à ceux qui sont l'objet de notre vénération."

Dés que Marc-Aurèle eut cessé de parler, le comte Térence donna ses ordres pour qu'on recherchât le bienheureux Bénigne. On le trouva dans une villa nommée Spaniacum, où il annonçait à des gentils la parole de Dieu. Térentius le fit charger de chaînes, battre de verges et le présenta à Marc-Aurèle. Celui-ci, en le voyant lui dit : " Adorateur de la croix, puisque tu te donnes pour un docteur de la loi chrétienne, tu trouveras en moi un persécuteur. Si à mes interrogations tu n'opposes que des réponses entrecoupées et de vains arguments; si ta refuses de respecter nos antiques lois et à sacrifier à nos dieux, je te ferai périr dans les supplices, et le secours de ton Christ ne t'arrachera pas de mes mains." Bénigne répondit : "Le Christ a dit, et sa parole est sainte : 'Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme.' " Marc-Aurèle dit : "De quel pays es-tu, et quel est ton nom ?" Bénigne répondit : "Mes frères que tu as déjà fait mourir et moi nous sommes venus de l'orient, envoyés par le bienheureux Polycarpe, pour prêcher aux gentils la parole de Dieu et le très saint Nom du Christ, afin qu'Il soit connu de tous, Lui qui est descendu du ciel comme la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. " Marc-Aurèle dit : "Si

tu obéis à mes ordres, je t'établirai grand prêtre de mes dieux, tu recevras comme honneur et comme récompense l'argent du trésor public, et je te donnerai la première place dans mon palais." Bénigne répondit : "Que ton or et ton argent soient dévorés avec toi dans les flammes qui t'attendent, loup ravisseur; je n'accepte ni cette première place, ni ce sacerdoce que tu me promets; car tes honneurs, c'est la mort éternelle et le comble des tourments dans la damnation. Tu ne me sépareras donc pas du Christ que je sers; Il est le Verbe du Père, la vie, l'ineffable lumière, la pierre précieuse dont rien ne peut égaler l'éclat. Envoyé du ciel par le Père, Il a été annoncé aux hommes; et à tous ceux qui croient à Lui il promet la vie éternelle. C'est Lui qui viendra juger les vivants et les morts; Il dévoilera cette fureur insensée qui t'arme contre les serviteurs du Christ; et alors, bon gré mal gré, tu sauras que celui auquel tu refuses de croire est ton Dieu et le Dieu de toutes les nations."

Marc-Aurèle, à ces paroles, ordonna qu'on le déchirât à coups de nerfs de boeufs, et dit : "Si aujourd'hui il ne veut pas sacrifier, j'ordonne qu'on multiplie contre lui les supplices. " Ayant donc été livré au comte Térentius, on l'étendit avec des poulies, et pendant qu'on le frappait, il disait : "Je Te rends grâces, Seigneur Jésus Christ, qui m'as jugé digne de souffrir ces tourments pour la gloire de ton Nom. Accorde-moi, ô Roi de gloire, de supporter jusqu'au bout tous les châtiments que l'injuste césar me réserve." Quand ou l'eut ainsi flagellé, on le reconduisit en prison ; mais un ange vint le fortifier et lui rendre sa première vigueur, comme s'il n'eût rien souffert.

Le lendemain, Marc-Aurèle commanda qu'on l'amenât devant son tribunal et lui dit : "Bénigne, veux-tu ou non sacrifier aux dieux ?" Bénigne répondit : " Non, je ne sacrifie pas. Reconnais, malheureux, qu'ils ne sont rien tes dieux, à qui il suffit de montrer le signe de Jésus Christ, l'auteur de notre salut, pour qu'aussitôt ils languissent et tombent; car ce ne sont que des idoles sourdes et muettes, qui ne voient, ni n'entendent, ni ne marchent, et qui même ne sauraient former un seul pas. Que ceux-là leur deviennent semblables qui les fabriquent ou qui mettent en eux leur confiance. Et comment pourraient-ils te défendre, ces dieux ? ils ne peuvent se défendre eux-mêmes !" Alors le césar furieux ordonna qu'on le conduisit à un temple, et que là, malgré lui, on lui introduisit dans la bouche des chairs immolées, persuadé que si une fois il en mangeait il ne tiendrait plus le même langage, mais que les dieux l'enchaineraient à leur service. Or, tandis qu'on exécutait cet ordre, le bienheureux Bénigne fit le signe de la croix sur ces chairs, et élevant son coeur à Dieu et ses yeux au ciel, il dit : "Seigneur Jésus Christ qui as régénéré le monde et détruit la puissance des démons; Lumière éternelle, regarde-moi à cette heure suprême, et couvrez de confusion tous ces adorateurs de statues qui se glorifient dans leurs vaines images; qu'ils apprennent enfin que Tu es le Dieu éternel."

A peine eut-il ainsi prié et fait le signe de la croix, qu'aussitôt toutes les idoles de pierre et de bois, et les vases dans lesquels on offrait les sacrifices, s'évanouirent comme la fumée et disparurent. A ce miracle, Bénigne rempli d'une grande joie s'écria : "Je te rends grâces, Seigneur Jésus Christ, qui n'as pas permis que je fusse souillé par des sacrifices impies." En même temps, il dit à Marc-Aurèle :"Pauvre aveugle, vois donc à quoi se sont réduites les images de tes dieux, et comment au signe de notre salut elles se sont évanouies. Infortuné, apprends à connaître le Créateur du ciel et de la terre. - Et toi, Bénigne, reprit Marc-Aurèle, reconnais combien nos dieux désirent faire ta volonté. Si tu consens maintenant à te rendre à leurs désirs, tu te verras parmi nous entouré d'honneurs. " Bénigne répondit: "Tu as le coeur aveuglé par la folie, et tes yeux ne voient pas quelle est la Puissance du Christ, qui anéantit tes dieux. Je te l'ai déjà dit à toi, démon, inventeur de crimes, je ne sers point tes dieux, je n'adore pas les images du diable."

L'impie Marc-Aurèle, furieux de cette réponse, le fit enfermer en prison. Puis il ordonna qu'on plongeât les pieds du martyr dans du plomb fondu dont un remplirait un grand bassin creusé dans la pierre; dans les doigts de ses mains, il voulut qu'on enfonçât des alênes rougies au feu, et pendant six jours il défendit de lui donner aucune nourriture; enfin, pour le mettre en pièces, il donna l'ordre d'enfermer avec lui douze chiens très-cruels et dévorés par la soif et la faim. Tous ces ordres furent exécutés. La garde de la prison fut confiée à des soldats qui n'omirent rien, ni les alênes aiguës pour percer ses mains, ni le plomb fondu pour ses pieds, ni les chiens furieux qu'ils enfermèrent avec le martyr. Mais tandis qu'ils le conduisaient à sa prison, le saint leur dit : "Comtes et tribuns, écoutez-moi : croyez en Jésus Christ notre Rédempteur, Il est l'espérance et le salut de ceux qui croient en Lui, et Il anéantira vos péchés. Il est la lumière de ce monde; à l'odeur qui s'exhale de ses parfums, les morts ressuscitent; Il touche les malades et ils sont guéris; les cieux sont pleins de sa Gloire et sa Miséricorde remplit la terre." Étant entré dans la prison, il y demeura six jours entiers, persévérant dans la prière. Pendant ce temps, l'ange qui veillait sur lui le sauva, et la rage des chiens s'adoucit à tel point qu'ils n'osèrent toucher un poil de sa tête, ni même la frange de son vêtement. Le même ange du Seigneur, lui apporta pour nourriture le pain du ciel, et le lui présenta en disant : " Prends, ô toi que le Christ chérit." En même temps il lui arrachait les alênes qui lui perçaient les doigts, et dégageait ses pieds du plomb où on les avait plongés. Bénigne, recevant le pain céleste, rendit grâces à Dieu et en mangea.

Le sixième jour, Marc-Aurèle dit à ses officiers : "ouvrez la porte de la prison, et voyez si les chiens l'ont déchiré." La prison fut donc ouverte; mais ils trouvèrent le martyr sain et sauf, parfaitement intact, en sorte qu'on ne voyait sur son corps aucune plaie. Quand on eut annoncé cette nouvelle à Marc-Aurèle, il dit : "Brisez-lui le cou avec une barre de fer, et que la lance d'un soldat lui arrache la vie sans pitié, pour, qu'il cesse enfin de nous injurier, nous et nos dieux." Quand on eut accompli cet ordre, les chrétiens virent s'envoler de la prison à travers les airs une colombe plus blanche que la neige, qui indiquait sur son vol que la sainte âme du martyr montait au ciel. Cette colombe laissa après elle une odeur si suave, que tous se figuraient,jouir des délices du paradis. Lorsque Marc-Aurèle fut parti, une dame fort riche, la bienheureuse Léonilla, vint au lieu du supplice, conduite par l'esprit de Dieu. Elle embauma le corps de parfums et le déposa dans un sépulcre, non loin de la prison. Les prodiges et les miracles de toute sorte qui s'y multiplièrent ne tardèrent pas à le découvrir. Le martyre du prêtre saint Bénigne eut lieu le jour des calendes de novembre, sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et l'honneur dans les siècles des siècles. Amen.