LES ACTES

DE SAINT

ANDRÉ,

APOTRE

fêté le 31 novembre

 

(L'an de Jésus Christ, 69)

 

Ce que nous avons su de nos yeux, nous tous prêtres et diacres des Églises d'Achaïe, nous l'avons écrit à toutes les Églises établies à l'orient et à l'occident, au septentrion et au midi. Paix à vous et à tous ceux qui croient en un seul Dieu, parfait en Trinité, vrai Père qui engendre, vrai Fils qui est engendré, vrai Esprit saint procédant du Père et résidant dans le Fils; afin qu'il soit connu que l'Esprit saint est un dans le Père, et que le Fils engendré est une même substance que Celui qui l'a engendré. Cette règle de foi nous l'avons reçue de l'apôtre de Jésus Christ, saint André, dont nous avons contemplé le martyre que nous vous racontons.

Le gouverneur Egée, étant entré dans la cité de Patras, fit d'abord saisir ceux qui avaient foi dans le Christ, et les voulut contraindre de sacrifier aux idoles. Le bienheureux André lui dit : "Toi qui es juge des hommes, tu aurais dû connaître ton juge qui est dans le ciel, L'adorer après l'avoir connu, et en adorant le vrai Dieu renoncer à ceux qui ne sont pas des dieux." Egée lui dit : "Es-tu cet André qui veux ruiner les temples des dieux, et qui par tes séductions entraîne les hommes à cette honteuse superstition que récemment les princes de Rome ont prescrit d'anéantir ?" Le bienheureux André dit : "Les princes de Rome n'ont pas encore connu la vérité; ils ne savent pas que le Fils de Dieu venu pour le salut des hommes a enseigné que ces idoles non seulement ne sont pas des dieux, mais des démons funestes, ennemis du genre humain, qui apprennent aux hommes des actions dont la malice provoque la Colère de Dieu, afin qu'étant offensé Il se détourne d'eux et ne les exauce plus, et que, semblables à des esclaves, ils soient retenus captifs par le diable, qui se joue d'eux jusqu'à ce que, sortant du corps dans un état de damnation et de nudité, ils n'aient plus rien avec eux que le pesant fardeau de leurs péchés."

Egée dit : "Ces ont là des paroles vaines et insensées, et votre Christ, qui enseignait de la sorte, a été attaché à la croix par les Juifs." Le bienheureux André répondit : "O homme! si tu voulais connaître ce mystère de la croix, et comment le Créateur du genre humain, dans son désir très ardent de nous réconcilier à Dieu, sans y être contraint volontairement, a accepté de Lui-même ce supplice de la croix, toi aussi tu croirais en lui."

Egée dit : "Celui que l'on raconte avoir été livré par son disciple, garrotté par les Juifs, amené devant le gouverneur, qui sur leur demande le livra à ses soldats pour être crucifié, comment peux-tu dire qu'il a subi volontairement le supplice de la croix ?

André répondit : "Moi qui ai toujours été avec lui, j'affirme qu'il a souffert de son plein gré; car longtemps avant d'être trahi par son disciple et crucifié, il nous prédit qu'Il ressusciterait après trois jours; et Pierre, mon frère, lui ayant dit : "Épargne-Toi Toi-même, Seigneur; que ce malheur ne T'arrive pas ! Il s'indigna contre lui; "Arrière ! fils de Satan, lui dit-il, tu ne sais pas goûter les pensées de Dieu." Et comment eût-il pu nous affirmer ainsi sa mort future, s'il eût enduré sa passion malgré lui ? Il ne nous eut pas dit : "J'ai le pouvoir de donner ma Vie, j'ai aussi le pouvoir de la reprendre." Enfin, comme il prenait avec nous son repas, Il dit aussi : "Un d'entre vous me trahira." Cette parole nous ayant tous contristés, il nous dit encore : "Celui avec qui Je mets la main dans le plat, c'est celui-là même qui a me trahira." Puisqu'il connaissait comme passées les choses futures, c'est donc volontairement qu'il a été livré. En effet, il n'évita pas même le traître, et demeura dans le lieu où il savait que celui-ci devait venir."

Egée dit : "J'admire qu'un homme aussi sage que tu nous le représentes ait été, comme tu l'avoues toi-même, attaché à une croix." André répondit : "C'est là, en effet, comme déjà je te l'ai dit, le grand mystère de la croix que je t'expliquerais si tu voulais l'entendre."

Egée dit : "Ceci ne peut pas être appelé un mystère, mais un supplice."

Le bienheureux André répondit : "Si tu me prêtes un instant d'attention, tu pénétreras aussitôt avec évidence ce supplice, par lequel a été accomplie la régénération du genre humain toute pleine de mystères."

Egée dit : "Dès maintenant je t'écoute attentivement; mais toi, si tu ne m'obéis pas à temps, tu pourras bien éprouver en ta personne ce mystère de la croix."

Le bienheureux André dit : "Si je redoutais le supplice de la croix, je ne précherai pas la gloire de la croix."

Egée dit : "La confusion de tes paroles annonce déjà pour toi le châtiment de la croix; c'est ta malice qui te fait mépriser la peine de mort."

André répondit : "Ce n'est point la malice, mais la foi qui m'empêche de craindre la peine de mort; car ]a mort des justes est précieuse, mais la mort des pécheurs est très funeste; aussi voudrais-je te faire entendre le mystère de la croix, afin qu'étant mieux instruit que tu ne l'es, et ayant cru, tu puisses t'en servir d'une manière ou de l'autre, pour le salut de ton âme."

Egée dit : "Mon âme est-elle donc morte, pour que je doive essayer de la sauver par je ne sais quelle foi que tu prêches ?"

André dit : "Il est une chose que je désire très-vivement t'apprendre. Quand je t'aurai enseigné comment les âmes de tous les hommes ont perdu leur justice originelle, j'aurai à te manifester la restauration de cette justice par le mystère de la croix. Le premier homme a introduit la mort par le bois de la prévarication; de là il était nécessaire que la mort qui était entrée fût chassée par le bois de la passion. C'est pourquoi, de même que le premier homme fut formé d'une terre sans souillure, ainsi devait naître d'une vierge immaculée l'homme parfait, par lequel le Fils de Dieu qui, dans le principe, avait créé l'homme, réparât la vie éternelle que les hommes avaient perdue par Adam. Afin d'anéantir par le bois de la croix le bois de la convoitise, il étendit sur la croix ses Mains pures qui devaient réparer le crime de nos mains rebelles; en place de la nourriture délicieuse que l'homme avait convoitée, il reçût un breuvage de fiel, et prenant sur Lui notre mortalité, il nous fit don de son Immortalité."

Egée dit : "Tu peux faire ces discours à ceux qui croient en toi, mais pour moi, si tu ne m'obéis, si tu n'offres pas un sacrifice aux dieux tout puissants, après t'avoir fait flageller, je te ferai attacher à cette croix que tu célèbres."

Le bienheureux André répondit : "Chaque jour j'offre au Dieu tout puissant un sacrifice vivant, non la fumée de l'encens, non le sang des boucs, non la chair des taureaux qui mugissent; mais j'offre à Dieu sur l'autel de la croix l'Agneau sans tache dont la chair sert de nourriture, et dont le sang sert de breuvage au peuple qui a foi dans le Christ; et cependant après son immolation cet Agneau demeure entier et vivant."

Egée dit : "Comment cela peut-il se faire ?"

André répondit : "Si tu veux apprendre comment cela se peut faire, fais-toi disciple, et tu connaîtras ce que tu cherches."

Egée dit : "Les tourments, malgré toi, sauront m'en instruire."

Le bienheureux André répliqua : "J'admire qu'un homme grave comme toi arrive à ce point de folie de croire que les tourments pourront te révéler le divin sacrifice. Tu as entendu le mystère de ce sacrifice; si tu veux croire que le Christ, Fils de Dieu, qui a été crucifié par les Juifs, est vrai Dieu, je t'expliquerai comment vit cet agneau qui même après avoir été immolé demeure entier et sans tache,dans son royaume."

Egée dit : "Comment l'agneau demeurera-t-il dans son royaume, si, comme tu l'affirmes, Il a été mis à mort et mangé par tout le peuple."

Le bienheureux André répondit : "Si tu veux croire de tout ton coeur, tu pourras l'apprendre; mais si tu ne crois pas, tu n'arriveras jamais à la parfaite vérité."

Alors Egée irrité ordonna qu'il fût gardé en prison. Pendant qu'il y était enfermé et seul, une multitude de gens de toute la contrée vint vers lui, comme s'ils voulaient faire périr Egée et délivrer l'apôtre de la prison. Le bienheureux André leur tint ce discours : "Ne troublez pas cette paix douce et tranquille qui plaît tant à notre Seigneur Jésus Christ, et n'excitez pas des troubles qu'aime le démon; car le Seigneur, lorsqu'Il fut livré, supporta patiemment toutes choses; Il ne résista pas, Il ne cria pas, personne n'entendit sa Voix sur les places publiques. Tenez-vous donc en silence, gardez la paix et le repos, et n'empêchez pas mon martyre; mais plutôt préparez-vous vous-mêmes, comme des athlètes du Seigneur, a vaincre les menaces, avec un coeur intrépide, et à surmonter les tourments par la fermeté de vos corps. S'il est une crainte capable d'émouvoir, que celle-là nous effraie plutôt qui a pour objet un mal sans fin; car la crainte que peuvent inspirer les hommes est comme une fumée qui s'élève tout à coup, et tout aussitôt s'évanouit. Si une douleur est redoutable, c'est celle qui commence pour ne jamais finir. En ce monde la douleur, quand elle est légère, peu aisément se supporter; si elle est excessive, elle donne promptement la mort; mais celle qu'il faut craindre est éternelle : là se trouvent les pleurs sans fin, la stupeur profonde, les hurlements et un jugement sans terme. C'est cette douleur que le gouverneur Egée ne craint pas d'affronter. Mais vous, disposez-vous plutôt par ces souffrances d'un moment à conquérir ]es joies éternelles, où toujours vous serez dans l'allégresse, toujours vous fleurirez, toujours vous régnerez avec le Christ."

Pendant toute la nuit le bienheureux André encourageait ainsi le peuple; mais dès la pointe du jour, Egée ordonna qu'il lui fût amené, et assis sur son tribunal il adressa ces paroles à l'apôtre : "Je pense que les réflexions de la nuit auront chassé cette folie de ton esprit, et que tu ne te plais plus à prêcher ton Christ, afin de pouvoir longtemps jouir avec nous des délices de cette vie; car c'est pour le moins une folie de vouloir subir le supplice de la croix, et de se dévouer soi-même aux cruelles flammes du bûcher."

Le bienheureux André répondit : "Il est des délices que je puis goûter avec toi, si tu veux croire au Christ, et abandonner le culte des idoles. C'est le Christ qui m'a envoyé dans cette contrée, où j'ai acquis au Seigneur un peuple assez nombreux ."

Egée dit : "C'est pour cela même que je te force à sacrifier; je veux que la foule que tu as séduite, abandonnant ta folle doctrine, offre des sacrifices aux dieux; car il n'est pas resté une ville en Achaïe ou le culte des dieux ne soit devenu en exécration, et par conséquent complètement renversé. Fais donc en sorte que les dieux qui sont irrités contre toi s'apaisent, et que tu puisses demeurer dans notre amitié; autrement, en réparation de l'honneur des dieux, tu souffriras

Le bienheureux André répliqua : "Écoute, fils du diable, paille légère distillée aux brasiers éternels, écoute-moi, qui suis le serviteur du Christ : jusqu'à ce moment j'ai paisiblement discouru avec toi sur la foi, afin que, devenu défenseur énergique de la vérité et méprisant les idoles, tu adorasses le vrai Dieu; mais puisque tu demeures dans tes impuretés, et que tu penses m'épouvanter par tes menaces, imagine pour moi les plus atroces supplices; je serai d'autant plus agréable à mon roi, que ma constance à confesser son Nom dans les tourments sera demeurée plus inébranlable."

Alors Egée ordonna qu'on l'étendit et qu'on le battît de verges; et quand on eut éloigné les soldats qui l'avaient flagellé, André se releva et fut amené devant le gouverneur, qui lui adressa ainsi la parole : "Écoute-moi, André, ne laisse pas répandre ton sang; autrement je te ferai périr sur la croix."

Le bienheureux André répondit : "Je suis le serviteur de la croix, et je dois bien plutôt désirer le trophée de la croix que le craindre; pour toi, des peines éternelles et méritées te sont réservées, si, après avoir éprouvé ma patience, tu ne veux pas même alors croire au Christ. Car je tremble bien plus pour ta fin que pour la mienne. Ce que j'aurai à souffrir peut durer l'espace d'un jour; mais tes supplices après mille ans seront encore nouveaux; n'augmente pas ta misère, et n'allume pas pour toi un feu éternel."

Egée alors, transporté de fureur, ordonna qu'il fût mis en croix, recommandant aux bourreaux qu'il y fût attaché les pieds et les mains liés comme sur le chevalet; car il craignait que, brisé par la douleur, il ne mourut aussitôt, et voulait au contraire qu'il fût tourmenté par de plus longues angoisses. Pendant que les bourreaux le conduisaient au supplice, il se fit un grand concours de personnes qui criaient : "Cet homme juste, cet ami de Dieu, qu'a-t-il fait pour qu'on aille le mettre en croix ?" Mais le bienheureux André réprimandait le peuple, le priant de n'être pas un obstacle pour lui, et joyeux il s'avançait continuant toujours sa prédication.

Quand il fut arrivé au lieu où la croix était préparée, l'apercevant de loin, il s'écria à haute voix : "Salut, ô croix, consacrée par le Corps du Christ, sur laquelle ses Membres ont brillé comme des perles ! Avant que mon Maître eût été attaché à ton bois, tu inspirais une crainte terrestre; mais maintenant tu n'inspires plus qu'un céleste désir. Tu n'as que des récompenses pour celui qu'on attache à tes bras; les fidèles savent quelles grâces tu procures, quels dons tu prépares; tranquille et joyeux, je viens à toi, reçois-moi dans l'allégresse et le triomphe, moi le disciple de celui qui fut attaché sur toi. C'est pour cela que je t'ai toujours aimée, que toujours j'ai désiré t'embrasser. O croix bienheureuse, magnifiquement embellie par les Membres du Seigneur; toi, si ardemment désirée, recherchée par tant de veilles, enlève-moi du milieu des hommes pour me rendre à mon Maître; c'est par toi qu'il m'a racheté, qu'Il me reçoive aussi par toi."

Disant ces paroles, il ôtait ses vêtements et les donnait aux bourreaux qui, s'approchant de lui, l'élevèrent sur la croix, où ils le suspendirent en y attachant ses membres avec des cordes, comme on le leur avait prescrit. Une foule nombreuse, d'environ vingt mille hommes, s'était réunie autour; parmi eux était Stratocles, frère d'Egée, qui s'écriait avec tout le peuple que ce supplice était injuste. Mais le bienheureux André repoussait ces manifestations des fidèles, et les exhortait à supporter patiemment les épreuves du temps : "Les tourments, leur disait-il, ne sauraient être comparés à l'abondante compensation de l'éternité ?"

Cependant une grande partie du peuple se rendit à la demeure d'Egée ; tous criaient et disaient : "Le bienheureux André, cet homme pur, orné de toutes les vertus, qui n'enseignait que les bonnes moeurs, ne doit pas subir un pareil supplice; qu'on le descende de la croix, car voilà le second jour qu'il y est attaché, prêchant toujours la vérité, sans que la vie l'ait encore abandonné."

Alors Egée craignant le peuple, s'engagea à faire détacher l'apôtre de la croix, et il se mit aussitôt en marche. Lorsque le saint l'aperçut, il lui dit : " Egée, pourquoi viens-tu à moi ? Si, repentant, tu désires croire au Christ, comme je te l'ai promis, la porte de l'indulgence te sera ouverte; mais si tu ne viens que pour me délier, sache que je ne veux pas descendre vivant de cette croix; car déjà je vois mon Roi, déjà je lui offre mes adorations, déjà je me trouve en sa Présence. J'ai gémi sur ton malheur, parce qu'une mort éternelle t'est préparée; cherche donc, infortuné, à fuir le dernier péril pendant que tu le peux encore, dans la crainte que tu ne commences à le vouloir quand tu ne le pourras plus ."

Les bourreaux s'approchèrent de la croix, mais ils ne purent exécuter leur dessein; au moment même André expira, et sur un char de feu, il s'élança vers le Seigneur Jésus Christ, à qui gloire soit rendue dans tous les siècles. Amen.

Quant à Egée, il fut saisi par le diable, en présence de tout le peuple et mis en pièces; son frère Stratocles s'empara du corps du bienheureux André, et l'ensevelit. Une si grande crainte se répandit sur la multitude que tous, sans exception, voulurent croire au Seigneur qui veut que tous les hommes soient sauvés, et parviennent à la connaissance de la vérité.

On célèbre le jour de son martyre la veille des Calendes de Décembre. Ceci arriva sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit gloire dans les siècles. Amen.